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Full text of "Physiologie de la lecture et de l'écriture / par Émile Javal"

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1 


THE  INSTITUTS 


07 


OPHTHALMOLOGY 

LONDON 

EX  LIBRIS 


THE  INSTITUTE 
OPHTHALMOLOGY 


LONDON 


£fg  Toi**  B££gÉfr7  &ggfcjjSg 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2014 


https://archive.org/details/b21286851 


BIBLIOTHÈQUE 

SCIENTIFIQUE  INTERNATIONALE 

PUBLIÉE  SOUS  LA  DIRECTION 

DE  M.  ÉM.  ALGLAVE 

CV 


FÉLIX    ALCAN,  ÉDITEUR 

BIBLIOTHÈQUE  SCIENTIFIQUE  INTERNATIONALE 

Publiée  sous  la  direction  de  M.  Émile  ALGLAVE 
Beaux  ouvrages  in-8,  la  plupart  illustrés,  cartonnés  à  l'anglaise,  à  6,  9  et  12  fr. 
CENT  CINQ  VOLUMES  PARUS 


Derniers  volumes  publiés  : 

L'Évolution  inorganique  expliquée  par  l'analyse  spectrale,  par  Sir  Norman  Lockyer. 
Traduit  de  l'anglais  par  E.  d1  Hooghe.  1  vol.  in-8  avec  grav  6  fr. 

Latins  et  AnglO-Saxons.  Races  supérieures  et  races  inférieures,  par  N.  Colajanni,  profes- 
seur à  l'Université  de  Naples.  Traduit  de  l'italien  par  /.  Dubois,  agrégé  de  l'Université.  1  vol. 
in-8  9  fr. 

Les  Lois  naturelles.  Réflexions  d'un  biologiste  sur  les  sciences,  par  F.  Le  Danteg,  chargé 
du  cours  d'embryologie  générale  à  la  Sorbonne.  1  vol.  in-8  avec  grav.  6  fr. 

Les  Exercices  physiques  et  le  développement  intellectuel,  par  A.  Mosso,  professeur 
à  l'Université  de  Turin;  traduit  de  l'italien  par  Claudius  Jacquet.  1  vol.  in-8   6  fr. 

Histoire  de  l'habillement  et  de  la  parure,  par  L.  Bourdeau.  1  vol.  in-8  ....   6  fr. 

La  Géologie  générale,  par  Stanislas  Meunier,  professeur  au  Muséum  d'histoire  naturelle. 
1  vol.  in-8,  avec  45  gravures  6  fr. 

L'Eau  dans  l'alimentation,  par  F.  Malméjac,  pharmacien  de  l'armée,  docteur  en  phar- 
macie ;  préface  de  M.  Schlagdenhauffen,  directeur  honoraire  de  l'Ecole  supérieure  de  phar- 
macie de  Nancy.  1  vol.  in-8  6  fr. 

Les  Bases  scientifiques  de  l'éducation  physique,  par  G.  Demeny,  professeur  du  cours 
d'éducation  physique  de  la  ville  de  Paris,  et  de  physiologie  appliquée  à  l'Ecole  militaire  de 
Joinville-le-Pont.  1  vol.  in-8,  avec  gravures,  2e  éd  6  fr. 

Mécanisme  et  éducation  des  mouvements,  par  le  même.  1  vol.  in-8,  avec  565  gra- 
vures, 2e  édit  9  fr. 

Les  Maladies  de  l'orientation  et  de  l'équilibre,  par  j.  Grasset,  professeur  à  la 
Faculté  de  médecine  de  Montpellier,  associé  de  l'Académie  de  médecine.  1  vol.  in-8,  avec 
gravures  6  fr. 

Les  Débuts  de  l'art,  par  E.  Grosse,  professeur  à  l'Université  de  Fribourg-en-Brisgau,  tra- 
duit de  l'allemand  par  A.  Dirr;  introduction  de  M.  Léon  Marillier.  1  vol.  in-8,  avec  32  gra- 
vures dans  le  texte  et  3  planches  hors  texte  6  fr. 

PHYSIOLOGIE 

Les  Illusions  des  sens  et  de  l'esprit,  par  James  Sully.  1  vol.  in-8.  2e  édit.  ...    6  fr. 

La  Locomotion  chez  les  animaux  (marche,  natation  et  vol),  par  J.-B.  Pettigrew,  pro- 
fesseur au  Collège  royal  de  chirurgie  d'Edimbourg  (Ecosse).  1  vol.  in-8,  avec  140  figures  dans 
le  texte.  29  édit  •  6  fr. 

La  Machine  animale,  par  E.-J.  Marey,  membre  de  l'Institut,  prof,  au  Collège  de  France. 
1  vol.  in-8,  avec  117  figures.  6e  édit  6  fr. 

Les  Sens,  par  Bernstein,  professeur  de  physiologie  à  l'Université  de  Halle  (Prusse).  1  vol.  in-8,. 
avec  91  figures  dans  le  texte.  4e  édit  '.  6  fr. 

Les  Organes  de  la  parole,  par  H.  de  Meyer,  professeur  à  l'Université  de  Zurich,  traduit 
de  l'allemand  et  précédé  d'une  introduction  sur  Y  Enseignement  de  la  parole  aux  sourds-muets, 
par  O.  Claveau,  inspecteur  général  des  établissements  de  bienfaisance.  1  vol.  in-8,  avec 
51  grav  6  fr. 

La  Physionomie  et  l'Expression  des  sentiments,  par  P.  Mantegazza,  professeur  au 
Muséum  d'histoire  naturelle  de  Florence.  1  vol.  in-8,  avec  figures  et  8  planches  hors  texte. 
3e  édit  6  fr. 

Physiologie  des  exercices  du  corps,  par  le  docteur  F.  Lagrange.  1  vol.  in-8.  8e  édit. 
(Ouvrage  couronné  par  l'InsLitut.)  6  fr. 

La  Chaleur  animale,  par  Ch.  Richet,  professeur  de  physiologie  à  la  Faculté  de  médecine 
de  Paris.  1  vol.  in-8  avec  figures  dans  le  texte  6  fr. 

Les  Sensations  internes,  par  H.  Beaunis.  1  vol.  in-8  6  fr. 

Les  Virus,  par  M.  Arloing,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  Lyon,  directeur  de 
l'Ecole  vétérinaire.  1  vol.  in-8,  avec  ûg  6  fr. 

Théorie  nouvelle  de  la  vie,  par  F.  Le  Dantec,  chargé  du  cours  d'embryologie  générale  à 
la  Sorbonne.  3e  édit.  1  vol.  in-8,  avec  figures  6  fr. 

L'évolution  individuelle  et  l'hérédité,  par  le  même.  1  vol.  in-8  ,   6  fr. 

L'audition  et  ses  organes,  par  le  Dr  E.-M.  Gellé,  membre  de  la  Société  de  biologie. 
1  vol.  in-8,  avec  grav  6  fr. 


PHYSIOLOGIE 

DE  LA  LECTURE 

ET 

DE  L'ÉCRITURE 

suivie  de  déductions  pratiques  relatives  a  l'hygiène 
aux  expertises  en  écriture 
et  aux  progrès  de  la  typographie,  de  la  cartographie 
de  l'écriture  en  relief  pour  les  aveugles,  etc. 

PAR 

EMILE  JÂVAL 

Membre  de  l'Académie  de  médecine 
Directeur  honoraire  du  laboratoire  d'ophtalmologie  à  la  Sorbona© 


Avec  96  figures  dessinées  par  M,  Charles  Drcyfuss 


PARIS 
FÉLIX  AL  G  AN,  ÉDITEUR  . 

ANCIENNE  LIBRAIRIE  GERMER  BAILLI  ÈRE  ET  G'* 
108,    BOULEVARD    SA  I  NT  -  GERMA  IN ,  108 

1905 

Tous  droits  réservés. 


DU  MÊME  AUTEUR 


Helmholtz.  Optique  physiologique,  traduction  française  par 
Javal  et  Klein.  Paris,  Masson,  1868. 

Hygiène  des  Écoles  primaires.  Paris,  Masson,  1883. 

Mémoires  d'ophtalmométrie,  in-8°,  Masson,  1886. 


Physiologie  de  l'écriture,  brochure  in-8°.  Picard  et  Kaan. 

Manuel  du  strabisme,  vol.  grand  in-18,  avec  collection  d'images 
stéréoscopiques.  Paris,  Masson,  1896. 

Entre  Aveugles,  in-16,  Paris,  Masson,  1903. 


En  ce  qui  concerne  ce  volume,  se  rapporter  aux  années  1877  à  1881 
des  Annales  d'Oculistique  et  aux  articles  des  18  octobre  et  22  novem- 
bre 1879,  21  mai  et  25  juin  1881  de  la  Revue  scientifique. 


Méthode  d'enseignement  de  la 
lecture  par  l'écriture,  deux  petits 
livrets  in-8.  Paris,  Picard  et  Kaan,  1893. 


Le  Mans.  —  Imprimerie  Monnoyer,  42,  place  des  Jacobins.  —  4905. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


Introduction,  p.  xi. 

PREMIERE  PARTIE 
NOTIONS  HISTORIQUES 


[.  —  Evolution  de  l'épigraphie  :  Caractères  anciens  {Fig.  1,  2, 
3,  4,  5).  —  Apices,  p.  6. —  Déliés  dans  les  caractères,  p.  6.  —  Visibilité 
et  lisibilité,  p.  8.  —  Ecriture  boustrophédon,  p.  9.  —  Forme  des  lettres, 
p.  9. 

II.  —  Evolution  de  l'écriture  :  Influence  du  papier  et  de  la 
plume  dans  les  transformations  de  l'écriture,  gothique,  coulée,  bâ- 
tarde, anglaise,  p.  12-15. 

III.  —  Evolution  de  la  typographie,  p.  17  :  Premiers  types  de 
caractères,  p.  18.  —  Types  de  Garamond  {Fig.  6),  p.  20,  —  Types 
admirables  de  Jaugeon  {Fig.  7,  8),  p,  22,  —  Grandjean  {Fig.  9),  p.  24. 
—  Luce,  p.  25,— Didot  {Fig.  10),  p.  26,  —  Marcellin  Legrand  {Fig.  11), 
p.  27. 

IV.  —  Evolution  de  la  sténographie,  p.  29  :  Alphabet  irlandais 
du  m*  siècle  {Fig.  13). —  Histoire  des  différents  systèmes  sténographi- 
ques,  p.  30.  —  Biographie  d'Aimé  Paris,  p.  32.  —  Examen  des  diverses 
méthodes,  p.  35.  —  La  mésaventure  sténographique  de  Ch.  Dickens, 
p.  36.  —  Graphisme  sténographique  {Fig.  14,  15,  16),  p.  38.  — 
Sténographie  phonétique,  p.  40.  —  Machines  sténographiques,  p.  44. 

V.  —  Evolution  de  l'écriture  musicale  :  Notation  musicale 
chiffrée  {Fig.  17),  p.  47.  —  Supériorité  éclatante  de  la  notation 
Galin-Paris-Chevé  {Fig.  18,  19,  20,  21,  22),  p.  48. 

VI.  —  Evolution  de  l'écriture  en  relief  :  Système  Barbier 
{Fig.  23,  24,  25),  p.  54.—  Système  Braille  {Fig.  26),  p.  56.  —  Autres 
systèmes  {Fig.  27),  p.  59.  —  Machines  à  écrire  pour  les  aveugles, 
p.  60. 


JÀVAL. 


a 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


DEUXIÈME  PARTIE. 


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES 


VII.  —  Optique  de  l'œil:  Acuité  visuelle,  p.  63.  —  Emmétropie,  p.  63. 
—  Presbytie,  p.  64.  —  Myopie,  p.  65.  -  Hypermétropie,  p.  68.  —  Astig- 
matisme (Fig.  28,  29),  p.  70.  —  Ophtalmomètre,  optomètre  Javal 
(Fig.  30,  31,  32),  p.  74. —  Anisométropie,  p.  80.  —  Considérations  im- 
portantes sur  les  réglages  optiques  de  l'œil,  p.  81. 

VIII.  —  De  l'acuité  visuelle  indépendamment  de  l'éclai- 
rage, p.  83  :  Histoire  des  échelles  typographiques,  p.  84.  —  Dimension 
et  forme  des  lettres  du  tableau  de  Snellen  réduit  (Fig.  33),  p.  86.  — 
Réduction  d'une  figure  théorique  dessinée  en  1878  par  l'auteur  et  dont 
il  sera  fréquemment  question  parla  suite  (Fig.  34),  p.  88. —  Choix  des 
degrés  de  l'échelle,  p.  89.  —  Tableau  étalon  (Fig.  35),  p.  90.  —  Note 
exposant  un  système  destiné  à  servir  de  base  à  l'appréciation  des 
dommages  en  cas  d'accidents  du  travail,  p.  92.  —  Table  d'Ewing 
{Fig.  36),  p.  94. 

IX.  —  Influence  de  l'éclairage  sur  l'acuité  visuelle.  Photo- 
métrie.  Visibilité  des  points  et  des  lignes:  Visibilité  d'un 
point,  p.  95.  —  Photométrie  (Fig.  37,  38,  39),  p.  100.  —  Visibilité  des 
lignes  (Fig.  40),  p.  101.  —  Lisibilité  p.  105. 

X.  —  Les  pleins  et  les  déliés  en  typographie,  p.  109  :  Epaisseur 
des  caractères,  p.  109.  —  Caractères  Didot,  p.  111.  —  Influence  des 
défauts  optiques  de  l'œil,  p.  112. —  Table  d'acuité  pour  la  vision  voi- 
sine (Fig.  41),  p.  113. —  Caractères  pour  presbytes,  p.  115.  —  Carac- 
tères pour  myopes,  p.  121. 

XI.  —  Acuité  tactile  :  Différence  entre  l'acuité  et  la  sensibilité  tactiles, 
p.  123.  —  Lecture  des  aveugles,  p.  124. 

XII.  —  Mécanisme  de  la  lecture  :  Mouvement  des  yeux  pendant 
la  lecture,  p.  127.  —  Recherches  de  Lamare  :  les  saccades  et  les  sec- 
tions, p.  129.  —  Les  variations  d'accommodation  (Fig.  42),  p.  137.  — 
Lecture  contrôlée  des  strabiques  (Fig.  43,  44,45),  p.  141. 

XIII.  —  Mécanisme  de  l'écriture:  Distinction  entre  les  mouve- 
ments du  poignet  et  des  doigts,  p.  145.  —  Immobilité  du  coude 
(Fig.  46,  47),  p.  146.  —  Ecriture  expédiée,  p.  148.  —  Action  funeste 
des  points  et  des  accents,  p.  150.  —  Ecriture  à  main  posée,  p.  152  — 
Ecriture  en  miroir,  écriture  lithographique,  écriture  des  gauchers  (Fig. 
48,  49,  50),  p.  154. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


VII 


XIV.  —  Rapidité  de  l'écriture  et  de  la  lecture  :  Indications  sur 
la  rapidité  de  la  lecture  mentale,  de  la  parole,  de  la  sténographie,  de 
la  dactylographie,  de  la  télégraphie  et  de  l'écriture  des  aveugles,  p. 
157.  —  La  loi  du  moindre  effort,  caractéristique  du  progrès  moderne, 
son  application  aux  matières  traitées  dans  ce  volume,  p.  165. 


TROISIÈME  PARTIE. 
DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


XV.  —  L'éclairage  public  et  privé  au  point  de  vue  de  l'hy- 
giène des  yeux  :  Eclairage  diurne  des  écoles,  p.  169.  —  Principe 
d  après  lequel  il  suffit  que  le  ciel  soit  vu  de  la  place  la  moins  favo- 
risée (Fig.  51),  p.  172.  —  Eclairage  artificiel,  p.  177.  —  Parole  de 
Goethe  mourant,  p.  179. 

XVI.  —  Les  livres  et  la  myopie:  Anatomie  et  physiologie,  p.  181. 

—  Pourquoi  la  lecture  est-elle  plus  fatigante  que  d'autres  occupations  ? 
p.  184.  —  La  myopie  des  écoliers  et  la  réforme  des  livres  scolaires, 
p.  188.  , —  La  myopie  progressive,  p.  192.  —  Système  de  cartes  mu- 
rales proposées  par  l'auteur  et  adoptées  par  M.  Levasseur  {Fig.  52), 
p.  194. 

XVII.  —  Typographie  compacte  :  Forme  à  donner  aux  caractères, 
p.  197.  -~  Forme  à  donner  aux  chiffres,  p.  203.  —  Epaisseur  des  traits 
constitutifs  des  lettres  {Fig.  53),  p.  204.  —  Des  empâtements  (fig.  54, 
55,  56,  57),  p.  206.  —  De  l'approche  et  de  l'interligne,  p.  211. 

Théorie  des  impressions  compactes,  p.  212.  —  Lignomètre  (Fig.  58), 
p.  214.  —  Les  cinq  moyens  d'économiser  de  l'espace  :  1°  Suppression 
de  l'interligne  (Fig.  59),  p.  217.  —  2°  Diminution  de  l'approche,  p.  218. 

—  3°  Diminution  de  largeur  des  caractères,  p.  218.  —  4°  Réduction  de 
dimension  des  caractères  (Fig.  60,  61,  62),  p.  218.  —  5°  Diminution 
de  la  saillie  des  lettres.  —  Caractères  compacts,  p.  222.  —  Types  de 
caractères  dessinés  d'après  les  théories  qui  précèdent  (Fig.  68,  69,  70, 
71,  72,'  73,  74),  p.  229. 

XVIII.  —  Propagation  de  l'écriture  droite  :  Aperçu  historique, 
p.  235.  —  Faveur  brusque  de  l'écriture  anglaise,  p.  239.  —  Les 
étapes  de  l'écriture  droite  en  France,  p.  241.  —  Formule  de  George 
Sand,  p.  244.  —  L'écriture  droite  en  Amérique  (Fig.  75),  p.  245. 

XIX.  —  Enseignement  de  l'écriture  :  Forme  des  lettres,  p.  247.  — 
Transformation  de  l'écriture  droite  en  écriture  penchée,  p.  248.  — 
Modèles  d'écriture  droite  (Fig.  76,  77,  78),  p.  249. 


VIII 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES. 


XX.  —  La  lecture  enseignée  par  l'écriture  :  Economie  de  la 
méthode  {Fig.  79),  p.  252.  —  Appréciations  de  la  presse  pédagogique, 
p.  253.  —  Résultats  {Fig.  80),  p.  256. 

XXI.  —  Planchette  à  écrire  des  aveugles  :  Description  de  la 
planchette  {Fig.  81),  p.  257.  —  Spécimen  d'écriture  avec  la  planchette 
(Fig.  82),  p.  258. 

XXII.  —  Déchiffrement  des  mauvaises  écritures  :  Système 
méthodique.  —  Les  u  et  les  n,  p.  261. 

XXIII.  —  Graphologie  :  État  actuel  de  la  graphologie,  p.  263. 

XXIV.  —  Expertises  en  écritures  :  Nécessité  de  fonder  l'expertise 
en  écritures  sur  des  données  physiologiques,  p.  265.  —  Le  graphisme, 
ou  main,  constitue  la  base  de  l'expertise  scientifique,  p.  266.  — 
Expertise  d'une  écriture  pathologique  {Fig.  83,  84,  85,  86),  p.  271. 

XXV.  —  Moyen  d'accélérer  la  lecture  des  aveugles  :  Lenteur  de 
la  lecture  du  Braille,  p.  275.  —  Réforme  typographique  (Fig.  87,  88, 
89),  p.  276.  —  Diminution  du  nombre  des  signes,  p.  279.  —  Abrégé 
orthographique,  p.  281.  —  Sténographie  du  frère  Isidore  Clé,  p.  282. 
—  Utilité  de  la  sténographie  pour  les  aveugles,  p.  283.  —  Sténogra- 
phie Ballu,  p.  284.  —  Adaptation  de  la  sténographie  Aimé  Paris,  p  . 
285.  —  Adaptation  et  extension  delà  phonographie  de  Barbier  (Fig. 
90,  91,  92,  93),  p.  285.  —  Transformation  de  récriture  de  Barbier  (Fig. 
94,  95,  96),  p.  288.—  Phonographie  simple,  p.  292.  —  Phonographie 
avec  symphones,  p.  292. —  Sténographie  plus  complète,  p.  292. 

Conclusion  à  l'usage  des  pédagogues  :  1°  Hygiène  de  la  vue 
des  écoliers,  p.  295.  —  2°  Moindre  effort  dans  l'enseignement  de  la 
lecture;  secours  de  l'espéranto,  p.  295.  —  3°  Importance  particulière 
de  l'espéranto  pour  les  aveugles,  p.  296. 


Au   Docteur  ZAMENHOF 

Mon  Confrère  en  Ophtalmologie 
Auteur  de  la  langue  internationale  auxiliaire  «  Espéranto  » 

Je  dédie  ce  livre 
en  témoignage  d'admiration  et  d'estime 

Emile  JAVAL 


JAVAL. 


b 


INTRODUCTION (1) 


Depuis  plus  de  trente  siècles,  les  caractères  employés 
par  l'homme  pour  noter  sa  pensée  ont  évolué  presque  sans 
méthode,  au  gré  des  circonstances.  Il  en  résulte  que  nos 
écritures  modernes,  depuis  celle  du  jeune  écolier  jusqu'à 
la  typographie  la  plus  élégante,  constituent  une  offense  au 
bon  sens  et  ne  sont  tolérées  que  grâce  à  la  routine  sécu- 
laire qui  les  transmet  de  génération  en  génération. 

Sous  le  rapport  de  l'hygiène  oculaire,  notre  typographie 
et  surtout  notre  écriture  à  la  main  présentent  de  sérieux 
inconvénients.  La  nécessité  de  lire,  avec  une  assiduité  tou- 
jours plus  grande  et  depuis  un  âge  de  plus  en  plus  tendre, 
des  caractères  dont  la  dimension  n'a  pas  cessé  de  dimi- 
nuer, a  eu  pour  résultat  de  provoquer  l'apparition  de  plus 
en  plus  fréquente  de  la  myopie  parmi  les  écoliers. 

Avant  de  proposer  des  réformes  qui  aient  quelques 
chances  d'être  adoptées,  il  convient  d'avoir  des  notions  de 
ce  qui  a  été  fait  jusqu'ici  C'est  pourquoi,  dans  une  pre- 
mière partie,  on  trouvera  l'exposé  de  l'évolution  séculaire 
de  l'écriture  traditionnelle  et  de  la  typographie;  on  y  trou- 
vera aussi  des  indications  relatives  à  trois  écritures  artifi- 

(1)  Cette  introduction  est  composée  en  dix  interligné  de  deux 
points.  Le  corps  de  l'ouvrage  est  en  neuf  interligné  d'un  point,  et 
les  citations  intercalées  sont  en  huit  plein.  Ces  divers  caractères  de 
la  Maison  Deberny  sont  tous  les  trois  de  lisibilité  identique.  Ils  ont 
été  gravés  conformément  aux  indications  formulées  dans  le  chapitre 
XVII  (p.  226). 


 XII  — 


cielles  plus  récentes:  écriture  sténographique,  écriture  mu- 
sicale, écriture  en  relief. 

Les  chapitres  qui  constituent  la  deuxième  partie,  pré- 
sentent un  ensemble  d'aspect  assez  disparate  parce  qu'il 
fallait  chercher,  de  divers  côtés,  des  bases  théoriques 
sur  lesquelles  il  fût  possible  de  fonder  des  règles  utiles, 
soit  pour  améliorer  l'hygiène,  soit  pour  faciliter  la  tâche 
du  lecteur  et  de  l'écrivain. 

Il  a  fallu  analyser  le  fonctionnement  de  la  main  qui 
écrit  et  de  l'œil  qui  lit;  de  plus,  les  livres  et  les  méthodes 
de  lecture  et  d'écriture  ne  devant  pas  être  faits  exclusive- 
ment pour  des  yeux  irréprochables,  il  faut,  pour  les  dis- 
cuter, connaître  les  principaux  défauts  optiques  de  l'œil, 
et  pénétrer,  par  suite,  dans  le  domaine  de  la  physique. 

Ces  sujets  sont  traités  plus  complètement  dans  celles 
de  mes  publications  antérieures  dont  la  liste  figure  ci- 
dessus. 

Dans  le  présent  travail,  j'ai  limité  mes  excursions  hors 
du  domaine  scientifique,  défini  par  son  titre,  au  strict 
minimum  nécessaire,  pour  légitimer  les  conclusions  aux- 
quelles j'aboutis  dans  la  troisième  partie. 

J'appelle  l'attention  du  lecteur  sur  le  chapitre  XIV.  Il 
renferme  des  détails  et  des  chiffres  comparatifs  qui  me 
paraissent  jeter  quelque  jour  sur  les  conditions  intellec- 
tuelles et  matérielles  favorables  à  la  rapidité  de  la  lecture, 
et  de  l'écriture. 

Faciliter  et  accélérer  la  lecture  et  l'écriture,  c'est  amé- 
liorer les  communications  entre  les  hommes;  et,  le  nombre 
immense  de  ceux  qui  profitent  d'un  progrès  dans  cet  ordre 
d'idées,  justifie  les  plus  grands  efforts.  J'estime  que  celui 
qui  parviendrait  à  débarrasser  l'humanité  des  confusions, 
qui,  dans  les  écritures  rapides,  s'établissent  entre  les  u  et 
les  h,  n'aurait  pas  à  regretter  sa  peine,  même  si  sa  vie 


—  XIII  — 

entière  avait  été  consacrée  à  la  conquête  de  ce  progrès, 
si  minime  en  apparence. 

Qu'est-ce  donc  que  la  durée  d'une  vie,  en  comparaison 
des  siècles  que  représente  une  minute  par  jour  épargnée 
à  cent  millions  d'êtres  humains? 

Dans  toute  la  mesure  du.  possible,  j'ai  fait  des  applica- 
tions du  principe  d'utilité  ou  de  moindre  effort. 

Dans  certains  cas,  il  peut  être  opportun  de  réclamer 
des  réformes  radicales,  comme  je  l'ai  fait  avec  succès  pour 
la  numérotation  des  verres  d'optique.  Le  radicalisme  est  à 
recommander  quand  les  choses  à  remplacer  sont  extrê- 
mement mauvaises.  Le  changement  complet  des  habitudes 
est  alors  accepté  avec  moins  de  répugnance. 

La  plupart  du  temps,  il  faut  se  borner  à  poursuivre 
des  réformes  transactionnelles,  ainsi  que  je  le  propose 
dans  mes  déductions  pratiques,  pour  la  mesure  de  l'acuité 
visuelle,  pour  l'écriture  des  enfants,  pour  la  forme  des 
caractères  typographiques,  etc. 

Afin  d'illustrer  ici  ces  idées  par  un  exemple  facile  à 
suivre,  examinons  la  première  lettre  de  l'alphabet,  en  in- 
diquant ce  qu'il  convient  de  tenter  pour  en  améliorer  le 
graphisme. 

Il  est  utile  de  diminuer  l'effort  qu'elle  nécessite  à  la  lec- 
ture et  à  l'écriture.  Petite  sera  l'utilité  pour  chacun,  grand 
l'effort  d'innovation,  mais  innombrables  les  bénéficiaires 
de  la  réforme,  si  elle  réussit.  Il  ne  faut  donc  pas  hésiter 
à  l'entreprendre,  si,  après  avoir  supputé  et  pesé  au  préa- 
lable ses  chances  de  succès,  on  est  amené  à  espérer  un 
résultat  favorable. 

Or,  pour  obtenir  la  suppression  du  trait  horizontal  qui 
complique  inutilement  notre  A  majuscule,  il  faudrait  com- 
mencer par  exposer  comment  l'hiéroglyphe  égyptien  qui 
représentait,  de  face,  une  tête  de  bœuf  avec  ses  cornes,  a 


XIV 


donné  naissance  à  la  lettre  aleph  de  l'alphabet  sémitique, 
d'où  est  issu  l'alpha  des  grecs,  pendant  que  l'élégant  lameth 
phénicien  se  transformait  en  lambda  (A),  dont  l'analogie 
avec  l'A  nécessitait  dans  ce  dernier  la  conservation  du 
petit  trait  horizontal,  moins  dangereux  mais  aussi  inutile 
que  l'appendice  de  notre  gros  intestin,  si  durement  qua- 
lifié de  vestige  nuisible  par  les  médecins  modernes.  Après 
cette  démonstration,  les  archéologues  consentiraient  peut- 
être  à  simplifier  notre  A,  mais  le  public  ne  les  suivrait 
pas.  Jusqu'à  la  fin  des  temps,  sans  savoir  pourquoi,  on 
conservera  la  barre  de  l'A,  et  ce  serait  folie  de  faire  effort 
pour  en  obtenir  la  suppression. 

Si,  au  contraire,  pièces  en  main,  nous  démontrons  que 
la  tête  de  notre  a  minuscule  typographique  a  été  augmentée 
graduellement,  par  les  graveurs  en  caractères,  et  que  cette 
lettre  serait  plus  lisible  en  diminuant  cette  partie,  on  peut 
espérer  que,  tout  au  moins  pour  les  petits  caractères,  les 
graveurs  se  rendront  à  nos  arguments,  et  s'inspireront  du 
modèle  (fig.  69  à  74)  (p.  229  à  233)  dessiné  par  M. 
Dreyfuss. 

Ma  cécité  a  rendu  plus  difficile  la  tâche  de  ce  précieux 
collaborateur  qui  a  dû  faire  des  prodiges  pour  exécuter, 
d'après  de  simples  indications  verbales,  les  nombreux  des- 
sins dont  il  a  enrichi  ce  volume. 

Peut-être  mon  infirmité  n'a-t-elle  pas  été  sans  compen- 
sation, car  elle  m'a  conduit  à  rédiger  avec  plus  de  com- 
pétence les  parties  relatives  à  l'écriture  des  aveugles. 

J'ai  résumé,  dans  un  petit  chapitre  final,  les  indications 
nécessaires  à  ceux  de  mes  lecteurs  qui,  voués  par  profes- 
sion Ou  par  goût  à  l'éducation  de  l'enfance  et  de  la  jeu- 
nesse, voudraient  utiliser,  dans  leur  pratique  journalière, 
les  résultats  de  mes  études. 


—  XV 


Ce  livre  s'adresse  encore  aux  personnes  qui  désireraient 
recueillir  des  préceptes  pour  la  conservation  de  leurs  yeux, 
aux  éditeurs  qui  auraient  à  cœur  de  ne  mettre  en  circu- 
lation que  des  livres  irréprochables  au  point  de  vue  de 
l'hygiène  oculaire,  aux  architectes  chargés  de  construire 
des  écoles,  aux  experts  en  écriture,  et,  en  général,  à  tous 
ceux  qui  s'intéressent  aux  questions  de  graphisme. 


PREMIÈRE  PARTIE 


NOTIONS  HISTORIQUES 


Cette  partie  se  compose  de  six  chapitres,  où  l'histoire  de 
l'écriture  est  envisagée  sous  deux  aspects  très  différents. 

Dans  les  trois  premiers,  il  est  question  de  l'évolution  natu- 
relle de  l'écriture  à  travers  les  âges,  tandis  que  les  trois  der- 
niers traitent  de  trois  écritures,  sténo  graphique,  musicale 
et  anaglyptographique  ou  en  relief,  toutes  trois  de  création 
récente  et  artificielle. 

L'historique  contenu  dans  les  trois  premiers  chapitres  est 
restreint  à  l'exposé  des  faits  dont  la  connaissance  peut  jeter 
du  jour  sur  les  considérations  théoriques  et  les  déductions 
pratiques  qui  font  l'objet  de  ce  volume.  Les  indications  ren- 
fermées dans  les  chapitres  IV,  V  et  VI  sont  également  réduites 
à  ce  qui  est  nécessaire  pour  l'intelligence  des  déductions 
contenues  dans  la  troisième  partie. 


JAVAL. 


1 


9 


CHAPITRE  PREMIER.  . 
EVOLUTION  DE  L'ÉPIGRAPHIE. 


Les  spécimens  d'écriture  les  plus  anciens  que  nous  pos- 
sédions sont  des  inscriptions  gravées  dans  la  pierre;  bien 
que  l'on  puisse  attribuer  à  l'action  destructive  des  siècles 
l'absence  de  documents  écrits  sur  des  matériaux  plus 
fragiles,  il  n'en  paraît  pas  moins  fort  vraisemblable  que 
l'inscription  d'un  fait  important  se  pratiquait  principa- 
lement, dans  l'origine,  sur  des  matières  dures,  et  par  gra- 
vure en  creux;  c'est  ainsi,  du  moins,  que  les  choses  parais- 
sent s'être  passées  en  Egypte,  car  les  papyrus  les  plus 
anciens  reproduisent  assez  fidèlement  les  hiéroglyphes  des 
monuments,  et  il  est  possible  de  remarquer  les  simplifications 
successives  par  lesquelles  l'écriture  à  l'encre  a  passé  pour 
prendre  peu  à  peu  l'aspect  d'une  cursive.  A  l'exemple  des 
épigraphistes,  nous  dirons  qu'une  écriture  est  cursive, 
lorsque  la  forme  des  lettres  dénote  sa  destination  à  l'usage 
courant;  une  écriture  anglaise  ou  bâtarde  est  cursive,  fût- elle 
gravée  dans  la  pierre  la  plus  dure,  et  les  lettres  capitales  mo- 
dernes sont  épigraphiques,  alors  même  que  nous  les  traçons 
rapidement  à  la  main  sur  le  tableau  noir. 

Les  caractères  épigraphiques  les  plus  anciens,  cunéiformes 
d'une  part,  hiéroglyphiques  de  l'autre,  présentent  cette 
particularité  qu'ils  ne  sont  pas  formés  de  traits  d'épaisseur 
uniforme. 

Les  cunéiformes  sur  pierre  ou  sur  brique  doivent  leur 
nom  à  la  forme  des  éléments  qui  les  composent  :  supposez 
qu'on  presse  sur  une  argile  molle  des  clous  analogues  à  ceux 
qui  servent  à  ferrer  les  chevaux,  un  petit  nombre  de  ces 
empreintes  se  coupant  entre  elles,  les  unes  verticales,  les 
autres  horizontales,  et  un  plus  petit  nombre  dans  uneposition 
oblique,  forment,  par  leur  réunion,  un  groupe  de  l'écriture 
cunéiforme.  On  conçoit  que  la  facilité  d'exécution  par 
gravure  sur  pierre  ait  pu  faire  adopter  ce  genre  de.  carac- 


4 


PREMIÈRE  PARTIE.   —  HISTORIQUE. 


tères  dans  un  temps  primitif,  mais  il  n'est  que  juste 
d'ajouter  que  ce  principe  d'écriture  était  des  plus  ingénieu- 

H7I tHT     n       -tïî  fcïïH^ÏÏT=  « 

/Y^.  i.  —  Variété  cunéiforme. 

sèment  choisis.  Les  groupes  cunéiformes  présentent  de  très 
grandes  variétés  de  combinaisons  au  moyen  de  l'emploi 
d'un  signe  unique  ;  il  n'est  fait  usage  ni  de  courbes  difficiles 
à  tracer  purement,  ni,  le  plus  souvent,  de  lignes  obliques 
dont  les  inconvénients  seront  signalés  plus  loin  ;  enfin  la 
visibilité  des  différents  groupes  est  à  peu  près  la  même, 
et  c'est  un  mérite  que  tout  système  d'écriture  doit  recher- 
cher soigneusement. 

Tout  comme  les  cunéiformes,  les  hiéroglyphes  égyptiens 
ne  sont  pas  formés  de  traits  dont  l'épaisseur  soit  constante  : 
la  représentation  d'un  oiseau,  par  exemple,  n'est  pas  faite  en 
gravant  seulement  le  profil  du  modèle  :  l'artiste,  après 
avoir  tracé  le  contour,  enlevait  une  couche  uniforme  de 
pierre  dans  tout  le  périmètre  de  la  silhouette  qu'il  voulait 
obtenir. 

Sauf  peut-être  les  deux  exemples  précédents,  les  inscrip- 
tions antiques  sont  formées  de  traits  uniformes:  pas  de 
pleins  ni  de  déliés  :  tous  les  caractères  sont  constitués  par 
des  traits  de  même  épaisseur  et  de  même  profondeur,  et, 

Fig.  'J.  —  Variété  cypriote. 

si  l'on  excepte  le  cypriote,  dont  les  traits  affectent  toutes 
les  orientations  possibles,  nous  voyons  les  hiéroglyphes  et 
les  cunéiformes  céder  la  place  à  des  caractères  formés, 
comme  nos  capitales  actuelles,  de  traits  verticaux  et  hori- 
zontaux, accompagnés  d'un  petit  nombre  de  courbes  et 
d'obliques. 

Tel  est,  par  exemple,  le  caractère  de  l'épigraphie  phéni- 
cienne; mais  avec  cette  réserve  que,  dans  la  variété  sido- 


I.  —  ÉVOLUTION  DE  LÉPIGRAPHIE. 


5 


nienne  de  cette  écriture,  les  traits  offrent  une  inclinaison 
analogue  à  celle  de  nos  italiques,  et  qui  peut  atteindre  de 
15°  à  30°  ;  le  musée  du  Louvre  en  offre  un  exemple  sur  le 

-  Fig.  3.  —  Variété  sidonienne. 

célèbre  sarcophage  d'Echmounazar,  roi  de  Sidon  :  il  y  a 
là  une  exception  d'autant  plus  singulière  que,  dans  les 
inscriptions  tyriennes  de  Carthage,  bien  postérieures,  les 
traits  ont  repris  la  position  rectangulaire  et  que  dans  la 
fameuse  stèle  de  Mésa,  antérieure  de  cinq  cents  ans  à  ce 
sarcophage,  l'obliquité  des  verticales  est  à  peine  sensible. 

4 . x  4    A  w.w4#x  4.^.3  ^ 

Fig.  4.  —  Variété  tyrienne  de  Carthage. 

On  voit  donc  que,  depuis  l'époque  où  les  hommes  adop- 
tèrent l'écriture  phonétique,  les  caractères  épigraphiques 
ont  été  formés  principalement  de  traits  horizontaux  et  verti- 
caux, tous  de  même  épaisseur.  Cette  dernière  remarque  a 
même  valu  le  nom  de  caractères  ANTIQUES  à  ceux  dont 
on  vient  de  lire  un  spécimen. 

C'est  en  Grèce  qu'il  nous  faut  chercher  les  types  les  plus 
beaux  de  caractères  épigraphiques.  —  Ceux  de  la  meilleure 
époque  sont  assez  grêles  et  de  forme  aussi  carrée  que 
possible,  la  largeur  des  lettres  étant  à  peu  près  égale  à 
leur  hauteur,  ce  qui  prête  à  la  disposition  <7toi/y]Sov,  c'est-à- 
dire  telle  que  toutes  les  lettres  d'une  inscription  sont  non 
seulement  disposées  en  lignes  horizontales,  mais  aussi  en 
files  verticales. 

Peu  à  peu,  l'influence  de  l'écriture  onciale  est  venue 

l#aolo«]l(0OSlOTfi' 

Fig.  5.  —  Ecriture  onciale. 

modifier  le  type  des  caractères  épigraphiques;  deux  ou  trois 
siècles  avant  J.-C,  on  voit  apparaître  le  2  semi-lunaire,  qui 


6 


PREMIÈRE  PARTIE. 


  HISTORIQUE. 


a  la  forme  d'un  G,  l'e  semi-lunaire  de  forme  analogue  ;  l'O 
prend  la  forme  w;  la  simplicité  antique,  attribuable,  dans 
l'origine,  à  la  facilité  d'exécution,  s'altère  peu  à  peu  et  l'on 
voit  apparaître  des  complications  de  forme  dont  la  plus 
fréquente  est  l'emploi  des  apices  (pluriel  d'apex). 

On  désigne  sous  ce  nom  ces  petits  traits  horizontaux  qui 
délimitent  les  jambages  des  lettres  et  qui  font  leur  appa- 
rition, en  Grèce,  à  l'époque  alexandrine.  Les  apices  droits 
sont  les  plus  anciens;  un  siècle  plus  tard  se  produisirent 
les  apices  triangulaires. 

Les  causes  qui  donnèrent  naissance  aux  apices  sont 
complexes.  Quelques  personnes  veulent  y  voir  une  facilité 
plus  grande  d'exécution.  Il  nous  paraît  plus  probable  que 
les  artistes  ont  voulu  éviter  ainsi  l'aspect  disgracieux  que 
prennent  les  traits  obliques  dépourvus  d'apices  quand  leur 
épaisseur  est  un  peu  notable.  Prenons,  par  exemple,  un  V 
dit  antique,  il  est  certain  que  les  angles  aigus  et  obtus  qui 
terminent  par  en  haut  chacun  des  traits  de  cette  lettre,  ont 
un  aspect  désagréable  qui  est  atténué  par  l'emploi  d'apices 
comme  dans  V. 

Quant  aux  apices  triangulaires,  il  semble  que  leur  usage 
découle  de  l'emploi  du  genre  de  gravure  qui  donnait  au 
creux  des  lettres  ce  profil  triangulaire,  fréquent  en  Italie, 
tandis  qu'en  Grèce  la  profondeur  de  l'entaille  était  la  même 
sur  toute  sa  largeur. 

C'est  également  chez  les  Romains  que  nous  voyons  se 
développer  graduellement  l'usage  des  déliés,  en  partie  par 
imitation  de  l'aspect  de  l'onciale  manuscrite  ou  de  la  cur- 
sive,  en  partie  par  des  raisons  qui  seront  développées 
plus  loin,  en  partie  par  le  motif  que  voici  :  tandis  que 
les  traits  verticaux,  sans  cesse  lavés  par  la  pluie,  ne  se 
distinguent  guère  que  par  l'ombre  portée  qu'ils  produisent, 
les  traits  horizontaux  conservent  l'enduit  coloré  dont  ils 
peuvent  avoir  été  remplis;  ou  même,  s'il  n'y  a  pas  eu  de 
peinture,  ils  retiennent  de  la  poussière  qui  noircit  avec  le 
temps;  pour  que  tous  les  traits  restent  également  visibles, 
il  convient  donc  de  faire  les  horizontaux  plus  minces. 
L'adoption  des  déliés  pour  les  horizontales  a  dû,  par  des 
raisons  de  goût,  les  faire  employer  aussi  pour  une  partie  de 
verticales. 

D'autre  part,  avec  les  siècles,  vient  s'introduire  un  élé- 


I.  —  ÉVOLUTION  DE  LÉPIGRAPHIÉ. 


1 


ment  nouveau;  la  lecture  n'étant  plus  un  laborieux  travail, 
il  ne  s'est  plus  agi  de  voir  distinctement  tous  les  détails 
des  lettres  ;  il  suffisait  de  voir  nettement  les  parties  carac- 
téristiques pour  deviner  le  reste.  Aussi  voyons-nous  appa- 
raître successivement  des  caractères  où  le  contraste  des 
pleins  et  des  déliés  s'accentue  de  plus  en  plus,  et  dont 
les  écriteaux  des  rues  de  Paris  nous  offrent  un  type  des 
plus  parfaits.  Examinons  des  LETTRES  CAPI- 
TALES XORMAXDES  (1)  et  nous  constatons  qu'à 
la  distance  où  ces  lettres  sont  encore  lisibles, les  LETTRES 
CAPITALES  ANTIQUES,  ou  même  les  types  intermé- 
diaires des  LETTRES  CAPITALES  ÉGYPTIENNES  et 
des  LETTRES  CAPITALES  ROMAINES,  cessent  abso- 
lument d'être  lus.  Mais,  à  cette  distance,  ces  lettres  dites 
normandes  ne  sont  que  devinées,  car  leurs  déliés  sont 
absolument  invisibles . 

La  supériorité  des  lettres  normandes  est  d'autant  plus 
marquée  que  l'éclairage  est  moins  bon  ;  c'est  un  point  qui 
sera  traité  plus  en  détail  dans  la  seconde  partie  de  cet 
ouvrage,  mais  nous  devons,  dès  maintenant,  serrer  d'un  peu 
près  la  question  du  type  des  lettres,  car  nous  aurons  à  en 
déduire  des  conséquences  pratiques. 

Tandis  que  les  Grecs  se  contentaient  de  caractères  d'une 
belle  forme,  dont  toutes  les  parties  étaient  également  visi- 
bles, les  Romains,  plus  pratiques  et  moins  artistes,  semblent 
s'être  posé  le  problème  de  produire,  dans  un  espace  donné, 
une  inscription  aussi  lisible  que  faire  se  pouvait,  et  cette 
préoccupation  se  traduit  par  plusieurs  particularités  de  leurs 
inscriptions  lapidaires.  Outre  l'usage  du  délié,  qui  permet 
d'augmenter  l'importance  du  plein,  nous  voyons  à  Rome 
les  lettres  perdre  de  bonne  heure  la  forme  carrée,  si  élé- 
gante, que  les  Grecs  conservèrent  plus  longtemps  ;  à  l'AN- 
TIQUE  CARRÉE  succède  l'ANTIQUE  ALLONGÉE,  dénaturée 
encore  par  l'introduction  de  déliés  et  à'apices  sans  lesquels 
les  déliés  seraient  d'un  très  mauvais  effet.  En  même  temps, 
la  place  réservée  à  chaque  lettre  varie,  suivant  sa  largeur  :  Les 
INSCRIPTIONS  LATINES  chassent  infiniment  moins  que  les 

(1)  Il  va  sans  dire  que  nous  supposons  ces  quatre  types  de  lettres 
exécutés  en  caractères  identiques  sous  le  rapport  de  la  hauteur  et  de  la 
largeur. 


8  PREMIÈÈE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 

INSCRIPTIONS  GRECQUES,  où  chaque  lettre  occupe 
le  même  espace.  Les  Romains  poussèrent  l'économie  de 
place  au  point  de  faire  quelquefois  surplomber  certaines 
lettres  :  il  n'est  pas  rare  de  voir  ainsi  la  barre  horizontale 
des  T  passer  au-dessus  des  deux  lettres  voisines,  la  queue 
d'un  Q  s'étendre  sous  la  lettre  suivante,  etc. 

Il  importe  de  bien  distinguer  entre  ce  que  j'appellerai  la 
visibilité  parfaite  et  la  lisibilité.  —  La  visibilité  parfaite,  d'a- 
près laquelle  chaque  lettre  est  vue  dans  toutes  ses  parties 
avec  une  égale  précision,  a  été  recherchée  par  les  Grecs,  qui 
s'en  approchèrent  beaucoup  avec  leurs  caractères  grêles, 
carrés  et  formés  de  traits  bien  égaux  dans  toute  leur  lon- 
gueur ;  mais  si  nous  nous  éloignons  peu  à  peu  d'une  inscrip- 
tion tracée  d'après  ce  système  antique,  au  moment  où  cette 
inscription  cesse  d'être  lisible,  nous  la  ferons  réapparaître 
en  élargissant  les  traits  qui  répondent  aux  pleins; puis,  sans 
augmenter  l'espace  occupé  par  l'inscription,  déplaçons  les 
lettres  pour  égaliser,  non  plus  l'espace  occupé  par  chacune, 
mais  les  intervalles  qui  les  séparent;  il  nous  sera  loisible 
d'augmenter  encore  les  pleins  sans  que  les  lettres  se  tou- 
chent, et,  par  suite,  d'améliorer  la  lisibilité,  et  cela  d'autant 
plus  que  nous  gagnerons  de  l'espace  pour  les  pleins,  en 
amincissant  les  déliés.  Mais  alors,  les  déliés  ne  seront  plus 
vus,  ils  seront  devinés,  et  l'amélioration  de  lisibilité  nous  per- 
mettra de  déchiffrer  encore  l'inscription,  en  nous  tenant  à 
une  distance  d'où  l'inscription  primitive  serait  absolument 
invisible. 

Comme  corollaire  de  l'emploi  des  déliés,  se  présentent  les 
apices  nécessaires  pour  marquer  leur  terminaison  ;  ces  traits 
terminaux  améliorent  incontestablement  la  lisibilité,  en 
accentuant  et  affirmant,  pour  ainsi  dire,  la  position  des 
déliés.  Quant  aux  apices  qui  terminent  les  pleins,  ils  n'ont 
été  introduits  que  par  un  besoin  de  symétrie. 

Pour  le  but  que  nous  nous  sommes  proposé,  il  est  inutile 
de  rechercher  à  quelle  époque  tous  les  hommes,  à  l'excep- 
tion des  Chinois,  se  décidèrent  définitivement  à  écrire  par 
lignes  horizontales;  au  point  de  vue  physiologique,  ce  choix 
était  indiqué,  car  les  mouvements  horizontaux  des  yeux, 
plus  fréquents  dans  la  vie  ordinaire,  commandés  par  deux 
muscles  seulement,  me  paraissent  se  faire  avec  une  précision 
et  une  vitesse  supérieures  à  celles  des  mouvements  verticaux. 


I.  —  ÉVOLUTION  DE  LÉPIGRAPHIE. 


9 


Enfin,  nous  devons  nous  demander  si  l'on  a  bien  fait  d'a- 
dopter, dans  chaque  groupe  de  langues,  une  direction,  tou- 
jours la  même,  pour  la  lecture.  Il  suffit  d'avoir  lu  ou  écrit  bien 
peu  de  temps  une  langue  sémitique,  pour  être  certain  que  la 
lecture  et  l'écriture  peuvent  se  pratiquer  de  droite  à  gauche, 
tout  aussi  bien  que  de  gauche  à  droite.  Gela  étant  admis,  il 
me  semble  que  l'écriture  boustrophédon,  où  le  sens  alternait 
de  ligne  en  ligne,  n'était  pas  sans  présenter  de  sérieux  avan- 
tages. Toutes  les  personnes  qui  ont  enseigné  la  lecture  à  des 
enfants,  savent  combien  les  jeunes  écoliers  ont  de  peine, 
après  avoir  terminé  une  ligne,  à  reporter  le  regard  au  com- 
mencement de  la  ligne  suivante  ;  les  adultes  eux-mêmes, 
quand  l'impression  est  fine  et  la  justification  un  peu  large, 
se  trompent  parfois  de  ligne  et  sont  obligés  de  se  rectifier  ; 
avec  l'écriture  boustrophédon,  ainsi  nommée  parce  que  le 
lecteur  suit  des  yeux  un  chemin  analogue  à  celui  parcouru 
par  un  bœuf  qui  laboure,  rien  de  pareil  n'est  à  craindre  : 
arrivé  au  bout  d'une  ligne,  l'œil  est  tout  transporté  au  com- 
mencement de  la  ligne  suivante. 

Il  est  curieux  de  remarquer,  sur  certaines  coupes  antiques 
du  musée  du  Louvre,  avec  quel  soin  les  noms  des  person- 
nages représentés  sont  inscrits,  de  telle  sorte  que,  l'initiale 
se  trouvant  près  de  la  tête,  les  noms  s'en  éloignent,  écrits 
de  gauche  à  droite  ou  de  droite  à  gauche,  suivant  que  l'es- 
pace disponible  pour  ces  indications  se  trouvait  à  droite  ou 
à  gauche  du  personnage. 

De  tout  ce  qui  précède,  nous  retiendrons  simplement  que 
l'épigraphie  antique  a  subi  une  évolution  logique,  mais 
inconsciente,  et  que,  sauf  peut-être  l'abandon  de  l'écriture 
boustrophédon,  nous  n'avons  rien  à  regretter  des  transforma- 
tions successives  qui  nous  ont  légué  le  système  actuel  des 
capitales  romaines. 

Quant  à  la  forme  des  lettres,  prises  .  une  à  une,  il  en  est 
tout  autrement:  le  groupe  cunéiforme  était  supérieur,  ce  me 
semble,  à  la  lettre  capitale,  dont  nous  sommes  bien  obligés 
de  faire  usage.  Il  est  manifestement  absurde  d'avoir  des  let- 
tres aussi  analogues  que  B  et  R,  ou  G  et  G,  ou  bien  encore 
que  V,  et  Y.  Rien  qu'en  changeant  la  position  des  lettres, 
on  aurait  B  et  Ph  ,  G  et  O  ,  ou  V,  et  >l,  qui  seraient  bien 
moins  faciles  à  confondre,  il  serait  aisé  de  créer  des  cen- 
taines de  systèmes  préférables  à  notre  alphabet  traditionnel, 


10 


PREMIÈRE  PARTIE.  — 


HISTORIQUE. 


au  point  de  vue  de  la  lisibilité,  et  sans  nuire  à  la  faci- 
lité d'exécution.  Mais  les  caractères  épigraphiques  romains 
n'étant  employés  en  typographie  que  pour  les  lettres  capi- 
tales, il  n'y  a  pas  à  nous  préoccuper  de  leurs  défauts:  leur 
dimension  plus  grande  permet  toujours  de  les  lire  mieux 
que  les  minuscules  environnantes. 

Ce  chapitre  a  été  écrit  d'après  l'aspect  des  inscriptions 
qu'on  peut  voir  au  Musée  du  Louvre,  et  en  se  préoccupant 
uniquement  des  particularités  intéressantes  au  point  de  vue 
physiologique. 

Les  personnes  qui  voudraient  pousser  cette  étude  plus 
loin,  consulteront  avec  fruit  l'ouvrage  de  M.  Philippe  Berger, 
Histoire  de  l'Ecriture  dans  l'Antiquité,  publié  en  1891  avec 
grand  luxe   de  figures,  par  l'Imprimerie  Nationale. 


CHAPITRE  II. 


ÉVOLUTION  DE  L'ÉCRITURE. 

Caractères  manuscrits.  —  Tandis  que,  par  une  évo- 
lution dont  il  est  sans  intérêt  pour  nous  de  suivre  les  étapes, 
sur  les  manuscrits  du  moyen  âge,  la  forme  des  lettres  capi- 
tales est  revenue  à  ce  qu'elle  était  au  siècle  d'Auguste,  nos 
minuscules  cursives  et  imprimées  résultent  de  transforma- 
tions innombrables,  qui  se  produisirent  parallèlement  en 
Italie,  en  Allemagne,  en  Espagne,  en  Angleterre,  en  France. 

Dès  avant  notre  ère,  les  Romains  avaient  pris  l'habitude 
de  modifier  leurs  lettres  capitales  lorsqu'ils  écrivaient  des 
manuscrits:  c'est  ainsi  que  se  produisirent  les  lettres  oncialcs 
(Voir  fig.  5,  page  5),  où  l'A,  l'E,  FM  par  exemple,  prennent 
des  formes  arrondies,  telles  que  CID  pourl'M.  Dans  ces  ma- 
nuscrits, on  voit  aussi  certaines  lettres  dépasser  l'alignement, 
soit  par  en  haut,  soit  par  en  bas. 

En  même  temps  se  développaient  diverses  écritures  cur- 
sives, qui,  s'étant  perdues  rapidement,  n'ont  pas  exercé 
d'influence  sur  notre  écriture  actuelle,  et  des  notes  tiro- 
nieiines,  sorte  de  sténographie  dont  l'usage  persistait  encore 
au  ixe  siècle  de  notre"  ère  (Voy.  p.  30). 

Nous  trouvons  donc  chez  les  Romains  quatre  types  :  capi- 
tales, onciales,  cursives  et  tironiennes,  correspondant  à  nos 
quatre  types  actuels  :  capitales,  minuscules,  cursives  et 
sténographiques. 

Au  moyen  âge,  la  première  velléité  de  retour  à  une  écri- 
ture correcte,  grammaticalement  et  matériellement,  est  attri- 
buable  à  Charlemagne,  et  se  manifeste  dans  son  capitulaire 
de  789  ;  aussi  voyons-nous,  sous  la  direction  d'Alcuin,  l'ab- 
baye de  Saint-Martin  de  Tours  produire,  entre  796  et  804, 
des  onciales  magnifiques  et  de  belles  minuscules. 

Cette  tentative  n'enraya  pas  le  développement  de  diverses 
écritures  nationales  :  irlandaise,  anglo-saxonne,  lombarde,etc. 


12  PREMIÈRE  PARTIE.   —  HISTORIQUE. 

Mais  l'impulsion  était  donnée,  et,  au  xne  siècle,  l'écriture 
franque  minuscule  avait  atteint  un  haut  degré  de  perfec- 
tion. 

Parmi  le  chaos  des  écritures  diverses  qui  se  produisent 
ultérieurement,  nous  devons  mentionner  la  gothique,  dont 
l'origine  n'est  pas  antérieure  au  xive  siècle. 

L'invention  de  l'imprimerie  n'amena  pas  une  simplification 
immédiate  ;  c'est  ainsi  que  le  moine  Léonard  Wagner,  à 
Augsbourg,  mort  en  1522,  se  vantait  de  savoir  tracer  soi- 
xante-dix sortes  d'écriture  !  Cependant,  par  bonheur,  la  Re- 
naissance italienne,  qui  s'était  traduite  par  un  troisième  re- 
tour à  la  minuscule  franque,  avait  coïncidé  avec  la  généralisa- 
tion de  l'imprimerie  ;  retardez  cette  renaissance  de  quelques 
années  ou  faites  venir  l'imprimerie  un  demi-siècle  plus  tôt, 
et  notre  minuscule  actuelle  n'aurait  jamais  vu  le  jour  ;  l'hu- 
manité aurait  été  sans  doute  condamnée  pour  toujours  à  em- 
ployer ces  détestables  caractères  gothiques,  dont  l'usage,  res- 
treint d'abord  aux  pays  les  plus  rebelles  à  l'influence  de  la 
Renaissance  italienne,  tend  actuellement  à  disparaître  de  plus 
en  plus. 

D'ailleurs,  la  distinction  entre  l'écriture  cursive  et  négli- 
gée des  notarii  et  la  belle  calligraphie  des  librarii  préparait  la 
séparation  entre  les  caractères  manuscrits  actuels  et  les 
caractères  typographiques  :  la  liaison  entre  les  lettres  a  tou- 
jours été  évitée  par  les  librarii  des  bonnes  époques  ;  indis- 
pensable pour  la  rapidité  d'exécution,  elle  nuit  nécessaire- 
ment à  la  clarté. 

La  vie  d'un  homme  ne  suffirait  pas  pour  étudier  les  varia- 
tions que  l'écriture  a  subies,  depuis  le  siècle  d'Auguste  jus- 
qu'à nos  jours  ;  nous  y  renoncerons  absolument,  mais  nous 
allons  énumérer  les  causes  matérielles  qui,  indépendamment 
des  oscillations  du  goût  et  des  retours  systématiques  à  l'an- 
tiquité, nous  paraissent  avoir  exercé  sur  ces  variations  une 
influence  tout  à  fait  prépondérante  ;  ces  causes  sont  :  les 
variations  de  prix  du  papier,  les  transformations  de  la  plume 
et  l'emploi  des  lunettes. 

Le  prix  du  papier  a  joué  un  rôle  très  important  dans  les 
transformations  de  l'écriture  ;  il  semble  qu'à  la  même  époque 
on  ait  employé  la  cursive  sur  le  papyrus  des  documents 
courants,  tandis  que  le  parchemin  des  eodices  ne  reçoit  que 
des  onciales  bien  ramassées,  tassées  pour  ainsi  dire  ;  point 


II.  —  ÉVOLUTION  DE  l' ÉCRITURE  .  13 

de  queues,  pour  pouvoir  rapprocher  les  lignes  davantage, 
abréviations  de  toute  espèce  pour  ménager  la  précieuse 
peau,  rien  n'est  négligé  pour  mettre  l'espace  à  profit. 

L'invention  du  papier  de  chiffon  ne  remonte  pas  au  delà 
du  xme  siècle  ;  aussi,  à  de  rares  exceptions  près,  ne  voyons- 
nous  surgir  que  plus  tard  l'habitude  de  séparer  largement 
les  mots  ;  pour  la  même  raison,  les  longues  queues  sont  rela- 
tivement récentes  ;  personne  n'était  assez  riche  pour  se  per- 
mettre d'imiter  le  luxe  des  longues  lettres  qui  caractérisaient 
l'écriture  de  la  chancellerie  pontificale.  Il  n'existe  guère 
d'objet  dont  le  prix  ait  plus  baissé  que  celui  du  papier.  Il  en 
résulte  que  l'écriture  actuelle  ne  tient  plus  aucun  compte  de 
la  place  employée.  Mais,  tandis  qu'au  xixe  siècle  le  gaspil- 
lage de  papier  est  sans  inconvénient  pour  l'écrivain,  il  en  est 
tout  autrement  pour  l'éditeur  :  ce  gaspillage  se  multiplie 
par  le  chiffre  du  tirage,  et  cette  circonstance  suffit  à  expli- 
quer pourquoi,  depuis  l'invention  de  l'imprimerie,  pendant 
que  l'écriture  prenait  constamment  du  large,  les  caractères 
d'impression  diminuaient  graduellement,  de  telle  sorte  que 
l'identité  entre  les  caractères  manuscrits  et  imprimés  n'a 
subsisté  que  pendant  quelques  années  après  la  découverte 
de  Gutenberg. 

La  plume  a  notablement  influé  sur  l'aspect  de  l'écriture.  — 
Nous  voyons  la  plume  d'oie  faire  son  apparition  vers  le 
milieu  du  vne  siècle;  dans  les  premiers  temps,  c'est  à  peine 
si  cette  innovation  modifie  l'aspect  de  l'écriture.  En  effet,  à 
l'imitation  du  calamus,  la  plume  était  taillée  comme  celles 
qui  nous  servent  encore  pour  écrire  la  gothique;  son  élas- 
ticité servait,  tantôt  pour  accentuer  plus  fort  le  sommet  des 
jambages,  comme  on  peut  le  remarquer  dans  certaines  écri- 
tures anglaises  du  vne  siècle,  tantôt  pour  renfler  le  milieu 
des  pleins  et  donner  aux  lettres  un  aspect  analogue  à  celui 
des  capitales  romaines  ;  mais,  en  somme,  l'aspect  général 
restait  celui  des  manuscrits  écrits  avec  le  roseau  des 
anciens. 

La  largeur  du  bec  du  calamus  et  de  la  plume  a  exercé 
une  action  déterminante  sur  la  répartition  des  pleins  et  des 
déliés  dans  Yonciale,  et,  par  un  effet  de  retour,  dans  la  capi- 
tale romaine.  En  effet,  pour  aller  plus  vite,  le  librarius  de 
l'antiquité  ou  le  moine  du  moyen  âge  tâchait  de  tracer  les 
caractères  d'un  trait  continu.  De  plus,  pour  éviter  la  pente 


14  PREMIÈRE  PARTIE.   —  HISTORIQUE. 

disgracieuse  de  la  cursive,  il  fallait  mettre  le  coude  forte- 
ment en  dehors  ;  dans  cette  situation,  si  vous  tracez  un  M, 
vous  remarquerez  que  les  déliés  sont  faits  en  remontant  et 
les  pleins  en  descendant  ;  si  vous  tracez  un  O,  vous  n'évite- 
rez pas  de  faire  le  premier  plein  plus  bas  et  le  second 
plus  haut  qu'il  ne  conviendrait  pour  la  symétrie.  Rien  ne 
serait  plus  facile  que  de  multiplier  ces  exemples,  et,  en  pre- 
nant une  à  une  les  lettres  de  l'alphabet,  de  démontrer 
l'influence  que  l'onciale  a  exercée  sur  la  répartition  des 
pleins  et  déliés  dans  les  capitales.  Avec  le  coude  éloigné  du 
corps,  pour  pouvoir  aisément  tracer  des  traits  verticaux 
par  un  mouvement  du  poignet,  l'écrivain  qui  emploie  la 
plume  à  large  bec  est  amené  forcément  à  faire  des  déliés 
pour  les  traits  qui  montent  obliquement  de  gauche  à 
droite,  et  des  pleins  pour  Ceux  qui  descendent  obliquement 
de  gauche  à  droite  ;  la  répartition  des  pleins  et  déliés  dans 
les  lettres  telles  que  A,  V,  X  en  résulte  nécessairement.  Pour 
les  traits  verticaux  et  horizontaux,  l'écrivain  reste  maître  de 
prendre  parti  en  faisant  légèrement  tourner  la  plume  dans 
ses  doigts.  Le  plus  habituellement  il  s'arrangeait  pour  faire 
les  pleins  verticaux  et  les  déliés  horizontaux,  mais,  dans  ce 
choix,  c'était  l'imitation  de  la  capitale  qui  influait.  Certaines 
époques  du  moyen  âge  nous  fournissent  de  fort  belle  onciale 
où  les  verticales  sont  toutes  formées  de  déliés,  et  dont  l'aspect 
est  cependant  assez  agréable. 

C'est  la  forme  carrée  du  bec  de  plume  qui  a  donné  nais- 
sance à  l'écriture  gothique  ;  pour  s'en  convaincre,  il  suffit 
d'essayer  de  reproduire  des  lettres  gothiques  en  se  servant 
d'un  pinceau,  d'un  crayon  ou  d'une  plume  ordinaire  : 
malgré  tous  les  efforts  de  l'écrivain,  le  résultat  sera  très 
inférieur  à  celui  qu'on  obtiendra  au  moyen  d'une  plume  à 
large  bec. 

L'usage  de  la  plume  à  bec  large,  mais  taillé  obliquement, 
réalisa  un  progrès  qui  se  traduisit  par  l'apparition  de  la 
coulée  et  de  la  bâtarde. 

Dans  la  ronde,  les  pleins  sont  exactement  verticaux  ; 
d'après  les  calligraphes,  en  prenant  pour  unité  la  largeur  du 
bec  de  la  plume,  la  lettre  u  doit  être  inscrite  dans  un  carré 
dont  le  coté  mesure  cinq  becs,  de  telle  sorte  que  le  blanc 
compris  entre  les  deux  jambages  mesure  trois  becs.  La  dif- 
férence entre  les  lettres  u  et  n  est  presque  insignifiante  :  les 


il.  —  ÉVOLUTION  DE  L* ÉCRITURE.  15 

jambages  carrés  du  haut  sont  un  peu  plus  arrondis  dans  le 
bas  pour  Vu  que  pour  l'n. 

La  coulée  ne  diffère  de  la  ronde  que  par  l'inclinaison  ou 
pente  qui,  dans  les  plus  beaux  modèles,  est  telle  que  le  plein 
forme  la  diagonale  d'un  rectangle  dont  la  largeur  est  de  trois 
becs  et  la  hauteur  de  quatre  becs  ;  d'où  il  résulte  que  la  lon- 
gueur du  jambage  est  ^3* +4*  =  v'25=5.  On  voit  donc  que  les 
jambages  d'une  coulée,  écrite  entre  des  parallèles  distantes 
de  4  millimètres,  sont  égaux  à  ceux  d'une  ronde  tracée  entre 
des  parallèles  écartées  de  5  millimètres. 

La  bâtarde  diffère  principalement  de  la  coulée  par  la  dis- 
tribution des  arrondis  qui,  au  lieu  d'être  tous  au  pied  des 
jambages,  sont  répartis  comme  dans  la  minuscule  italique  ou 
dans  l'anglaise  moderne. 

Enfin,  la  taille  pointue  de  la  plume  d'oie  donna  naissance 
à  l'anglaise,  si  universellement  employée  de  nos  jours  ;  elle 
se  distingue  par  la  longueur  considérable  des  lettres  bou- 
clées, et  par  l'absence  totale  de  ce  que  j'appellerai  les  pleins 
ascendants,  que  nos  fines  plumes  de  fer  ne  permettent  pas 
de  tracer:  la  généralisation  de  l'écriture  anglaise  est  une 
conséquence  de  l'invasion  des  plumes  de  fer. 

Enfin,  la  hâte,  qui  est  une  des  caractéristiques  du  xixc  siè- 
cle, a  eu  pour  effet  de  ramener  la  forme  des  lettres  à  la  plus 
grande  simplicité  en  faisant  disparaître  les  fioritures;  les 
personnes  qui  écrivent  vite  et  bien  ne  perdent  pas  leur 
temps  à  former  des  pleins  et  des  déliés  irréprochables,  au 
moyen  de  variations  de  pression  de  la  plume,  et  elles 
écrivent  penché  pour  la  raison  qui  sera  donnée  dans  le 
chapitre  XIII  (mécanisme  de  récriture). 

L'emploi  r/cs  lunettes  convexes  inventées  en  1299,  mais 
dont  l'usage  ne  s'est  répandu  que  très  lentement,  et  qui,  on 
le  verra  plus  loin,  a  exercé  une  influence  capitale  sur  la  di- 
minution progressive  de  la  grandeur  des  caractères  typo- 
graphiques, a  sans  doute  contribué  à  l'apparition  des  fines 
écritures,  dites  pattes  de  mouches,  si  en  vogue  pendant  une 
grande  partie  du  xix°  siècle. 


CHAPITRE  III. 


ÉVOLUTION  DE  LA  TYPOGRAPHIE. 

Nous  avons  mis  l'exécution  facile  et  rapide  au  premier 
rang  des  conditions  que  doit  remplir  une  écriture  cur- 
sive  (1).  Pour  les  caractères  typographiques,  nous  devrons 
nous  placer  à  un  point  de  vue  tout  à  fait  opposé.  La  gravure 
d'un  poinçon  est  une  opération  longue  et  minutieuse;  une 
fois  terminé,  le  poinçon  d'acier  qui  porte  la  figure  de  la 
lettre  sert  à  frapper,  pendant  des  années,  les  matrices  de 
cuivre  creuses,  dont  chacune  est  employée  par  le  fondeur 
pour  couler  des  millions  de  caractères.  A  son  tour,  chaque 
caractère  mobile  subit  des  centaines  de  tirages  avant  d'être 
usé,  et  chaque  tirage  fournit  de  nombreux  exemplaires. 
C'est  donc  par  milliards  qu'il  faut  compter  les  repro- 
ductions du  caractère  unique  livré  par  le  graveur.  Dans  ces 
conditions,  on  conçoit  que  nous  trouvions  utile  d'apporter 
un  soin  méticuleux  à  la  discussion  des  moindres  détails  de 
forme  des  caractères  d'impression. 

Nous  rechercherons  la  forme  générale  qu'il  convient  de 
donner  à  chaque  lettre;  puis  nous  examinerons  successive- 
ment la  question  des  déliés,  celle  des  empâtements,  et 
nous  terminerons  par  l'étude  des  dimensions  qu'il  convient 
d'adopter  pour  les  lettres,  pour  les  lignes  et  pour  les  inter- 
lignes. 

Pour  jalonner  le  temps  de  siècle  en  siècle,  rappelons 
quelques  dates  : 

1440.  Invention  de  l'imprimerie  ; 
1540.  Caractères  de  Garamond  ; 
1640.  Fondation  de  l'imprimerie  royale; 
1740.  Caractères  de  Luce  ; 

1840.  (environ).  Réapparition  des  caractères  elzéviriens. 

(1)  Voy.  Revue  scientifique  du  21  mai  1881,  n°21,  p.  647  :  Le  mécanisme 
de  lécritiire,  et  plus  loin,  dans  le  présent  volume,  page  145. 

javal.  2 


18 


PREMIERE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


On  est  actuellement  d'accord  pour  attribuer  à  Gutenberg 
l'invention  des  caractères  mobiles,  et  pour  faire  remonter 
leur  création  à  l'année  1440.  Dès  1459,  les  lettres  en  métal 
avaient  remplacé  les  lettres  en  bois  dans  l'atelier  de  Fust 
et  Gutenberg  et,  peu  après,  Schœffer  ou  Schoyffer  (1),  de 
Mayence,  inventait  le  poinçon  ;  dès  cet  instant,  rien  ne  s'op- 
posait à  l'abandon  des  formes  gothiques,  mais,  soit  sous 
l'influence  du  milieu,  soit  parce  que  les  lettres  gothiques, 
composées  de  parties  droites,  étaient  plus  faciles  à  graver, 
nous  voyons  l'usage  de  ces  lettres  se  perpétuer  dans  le  nord 
de  l'Europe. 

(1)  Je  dois  au  correcteur  des  épreuves  de  cet  ouvrage,  M.  Picard,  chef 
de  service  à  l'Institut  de  Bibliographie  de  Paris,  les  additions  suivantes 
à  l'évolution  de  la  typographie. 

M.  Desormes,  directeur  technique  de  l'Ecole  Gutenberg,  dans  son 
avant-propos  sur  l'origine  de  l'Imprimerie,  de  ses  Notions  de  typographie, 
signale  que  l'attribution  à  Pierre  Schœffer  du  jjoinçon  d'acier  servant  à  la 
frappe  des  matrices,  ne  repose  sur  aucun  fondement  précis. 

«  Notre  opinion  à  nous,  dit-il  dans  l'ouvrage  précité,  que  nous  basons 
«  sur  un  examen  attentif  des  ouvrages  imprimés  à  la  Sorbonne  par  Géring, 
«  de  1470  à  1472,  est  que  le  poinçon  n'a  dû  faire  son  apparition  que 
«  plusieurs  années  après  l'impression  de  la  Bible  en  42  lignes,  terminée 
«  vers  1455  et  que  l'on  croit  avoir  été  composée  avec  des  caractères  fondus 
«  dans  des  matrices  frappées  ». 

Or,  l'examen  auquel  nous  nous  sommes  livré,  nous  a  permis  de  faire 
d'importantes  remarques,  desquelles  nous  avons  inféré  que  la  première 
idée  qui  dut  venir  à  l'esprit  des  proto-typographes,  après  l'abandon  des 
planches  xylographiques  gravées  en  relief,  fut  de  renverser  l'ancien  pro- 
cédé en  gravant  les  lettres  en  creux,  dans  du  bois  ou  du  métal,  afin  de 
pouvoir  en  prendre  une  empreinte  en  plomb. 

Il  est  peu  probable,  en  effet,  que  Géring  ait  ignoré,  environ  vingt  ans 
après  la  création  du  poinçon,  l'existence  de  celui-ci,  car  nous  avons  la 
certitude  que  les  caractères  ayant  servi  aux  différents  ouvrages  imprimés 
par  lui  à  la  Sorbonne,  n'ont  été  obtenus  qu'à  l'aide  d'un  système  qui  n'est 
qu'un  essai  de  stéréotypage. 

Supposons  qu'ils  se  soient  servis  du  poinçon  d'acier,  il  est  évident  que 
tout  en  ayant  eu  plusieurs  matrices  de  la  même  lettre  pour  accélérer  la 
fonte,  toutes  les  lettres  "eussent  été  semblables  puisqu'elles  auraient  été 
frappées  par  un  type  unique.  Il  n'en  est  rien,  et  dans  les  éditions  qui 
nous  occupent,  nous  remarquons  une  foule  de  divergences  qui  ne  peuvent 
provenir  que  d'une  gravure  multiple,  ayant  fourni  pour  la  même  lettre 
des  matrices  différentes. 

Les  caractères  employés  par  les  typographes  de  la  Sorbonne  étaient 
semi-gothiques  et  fondus  grossièrement  si  on  les  compare  à  ceux  que  nous 
possédons  aujourd'hui.  L'approche  en  était  défectueuse  et  très  irrégulière; 
certaines  lettres,  entre  autres,  les  d,  les  p,  les  c,  les  a  majuscules  ne  sem- 
blent pas  toujours  appartenir  au  corps  qui  leur  est  propre;  mais  il  ne 
faut  pas  se  montrer  trop  sévère  si  l'on  considère  que  l'on  ignore  encore 
de  quelle  matière  se  composaient  les  matrices  servant  à  la  fonte  des 
lettres. 


III. 


—  ÉVOLUTION  DE  LA  TYPOGRAPHIE. 


19 


En  ce  qui  concerne  la  question,  si  controversée,  de  l'ori- 
gine des  caractères  typographiques,  employés  depuis  un 
peu  plus  de  quatre  cents  ans  sous  le  nom  de  caractères 
romains,  il  suffit  de  l'examen  le  plus  superficiel  d'une  bonne 
collection  de  manuscrits  pour  s'assurer  que  les  imprimeurs, 
qui  adoptèrent  le  type  romain,  se  bornèrent  à  miiter  non 
seulement  les  minuscules,  mais  aussi  les  capitales  des 
manuscrits  italiens  ;  dès  le  commencement  du  xve  siècle, 
certains  manuscrits  présentent  ces  types,  qui  serviront 
de  modèles  aux  imprimeurs  de  Subiaco,  de  Venise  et  de 
Paris. 

Ainsi  tombe  la  légende,  si  souvent  reproduite,  d'après 
laquelle  Jenson  n'aurait  emprunté  que  les  minuscules  aux 
manuscrits  de  l'époque,  et  aurait  gravé  ses  capitales  d'après 
les  monuments  anciens.  Dès  1465,  Sweynheym  et  Pannartz, 
qui  travaillaient  à  Subiaco,  près  de  Rome,  faisaient  usage 
de  ces  caractères,  qui  ont  reçu  le  nom  de  romains,  et,  peu 
de  temps  après,  Jean  de  Spire  les  employait  à  Venise. 

Reportons-nous  à  l'année  1470.  Schœffer,  à  Mayence, 
continue  à  faire  usage  des  types  gothiques,  gros,  empâtés  et 
alourdis  encore  par  de  nombreuses  lettres  liées  ;  à  Venise, 
Valdorfer,  dans  le  premier  volume  sorti  de  ses  presses 
(Gicero,  De  Oratore)  emploie  des  types  supérieurs  à  ceux 
de  Subiaco  ;  en  même  temps,  l'imprimerie  de  la  Sorbonne,  à 
Paris  (1),  débute  par  la  publication  des  lettres  de  Gasparinus, 
dont  les  caractères  ressemblent  beaucoup  à  ceux  de  Valdor- 
fer, et  qu'on  peut  voir,  déformés  par  l'usage,  dans  l'exem- 
plaire de  la  Rhétorique  de  Guillaume  Fichet,  conservé  à  la 
Bibliothèque  Mazarine. 

Cependant,  dès  1458,  Charles  VII  avait  envoyé  à  Mayence 
Nicolas  Jenson,  graveur  de  la  monnaie  de  France,  pour 

(1)  C'est  aux  imprimeurs  de  la  Sorbonne  que  l'on  doit  l'introduction,  à 
Paris,  des  lettres  doubles  ee  et  œ,  que  beaucoup  d'imprimeries  ne  possé- 
daient pas  et  remplaçaient  par  un  e  simple,  se  conformant  en  cela  à 
l'usage,  établi  parles  copistes.  Dans  la  fonte  de  Ulrich  Guering,  dont  le 
buste  orne  le  grand  escalier  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  et  à  qui 
fut  confiée  la  direction  de  l'atelier  de  Paris,  en  1470,  Yi  et  le  j  sont  em- 
ployés indistinctement,  etl'w  minuscule  remplaça  bientôt  le  v  qui  n'exis- 
tait dans  cette  fonte  que  comme  lettre  majuscule.  Le /et  le  U  majuscules 
furent  introduits  en  1619  par  Lazare  Zetner.  C'est  Louis  Elzevier,  qui, 
établi  à  Leyde  en  1580,  a  introduit  en  typographie  la  distinction  entre 
les  ifj,  et  u,  minuscules. —  Ce  qu'on  vient  de  lire  est  important  à  cause 
de  la  typographie  de  la  langue  Espéranto  (Voir  chapitre  XXVI.). 


20 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


étudier  les  procédés  de  Schœffer.  On  ne  sait  pour  quel  mo- 
tif (1)  Jenson  allait  s'établir,  en  1469,  à  Venise,  où  il  gravait 
des  caractères  qui  me  semblent  supérieurs  à  ceux  qui  avaient 
paru  précédemment.  Les  Commentaires  de  César  (1471)  nous 
offrent  des  types  d'une  régularité  parfaite,  les  capitales  sont 
moins  lourdes  que  chez  ses  prédécesseurs,  la  forme  des 
lettres  est  d'une  élégante  simplicité;  c'est  aux  caractères 
de  Jenson  que  nous  demanderons  des  modèles  de  goût, 
quand  nous  proposerons  d'apporter  des  changements  à 
la  forme  des  caractères  actuellement  employés  en  typo- 
graphie. 

Quelques  années  plus  tard,  François  de  Bologne  créait 
Y  italique  (2);  on  voit  donc  que  la  Renaissance  italienne  a 
fait  sentir  son  heureuse  influence  lors  de  la  création  des 
deux  types,  le  romain  et  Yitalique,  qui,  suivant  toute  appa- 
rence, seront  employés  en  typographie  jusqu'à  la  fin  des 
siècles. 

Les  caractères  de  Garamond,  créés  à  Paris  en  1540,  préci- 
sément un  siècle  après  l'invention  de  l'imprimerie,  se  dis- 
tinguent par  la  grâce  de  leur  forme  et  la  perfection  de 
l'exécution.  Garamond  devint  bientôt  le  fournisseur  de 
toutes  les  imprimeries  où  l'on  se  servait  de  caractères 
romains.  Ces  types  apportés  à  Anvers  par  Plantin  (né  près 
de  Tours  en  1514),  furent  adoptés  par  les  Elzevier,  dont  le 
premier  eut  deux  imprimeries,  l'une  à  Leyde,  et  l'autre  à 
Amsterdam  (1592-1617).  Les  éditions  justement  célèbres  des 
Elzevier  étaient  imprimées  en  caractères  de  Garamond  sur 
papier  d'Angoulême  ;  les  types  de  Garamond  (3)  n'en  sont  pas 
moins  désignés  partout  sous  le  nom  d'elzéviriens  et  le  papier 
de  Hollande  doit  peut-être  sa  célébrité  à  la  belle  conser- 
vation du  papier  d'Angoulême  dont  les  Elzevier  faisaient 
usage. 

Voici  les  caractères  de  Garamond,  fondus  à  YImprimerie 
Nationale,  d'après  les  matrices  du  temps,  et  qui  nous  ont 

(1)  D'après  M.  Auguste  Bernard,  Jenson  n'aurait  été  se  fixer  à  Venise 
qu'en  raison  du  mauvais  accueil  qui  lui  aurait  été  fait,  à  son  retour 
d'Allemagne,  par  le  fils  et  successeur  de  Charles  VII. 

(2)  Cette  création  était  jusqu'à  ces  temps  derniers  attribuée  au  pre- 
mier des  Aide,  mais  M.  Th.  Baudoire,  l'érudit  fondeur  en  caractères, 
a  prouvé  par  des  documents  incontestables  que  la  paternité  de  ce  type 
appartient  à  François  de  Bologne. 

(3)  Et  de  Jean  de  Senlecque,  son  élève. 


III.           ÉVOLUTION  DE  LA  TYPOGRAPHIE. 


21 


été  obligeamment  prêtés  par  M.  Christian,  directeur  de  cet 
établissement  (voir  Fig.  6). 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  la  création  de  l'Im- 
primerie royale  sous  Louis  XIII  par  Richelieu,  qui  lui 
réserva,  dans  le  Louvre,  le  rez-de-chaussée  de  la  galerie  de 

GARAMOND. 

CORPS  11. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la 
plus  grande  partie  des  hommes  étaient  ré- 

CORPS  10. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des 

CORPS  9. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des 

CORPS  8. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande 
partie  des  hommes   étaient   réduits  à  des  traditions 

CORPS  7. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande  partie 
des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque  toujours 
Fig.  6. 

Diane  (1640),  précisément  deux  siècles  après  l'invention  de 
l'imprimerie  et  un  siècle  après  la  création  des  caractères  de 
Garamond.  Les  nombreux  volumes  qui  sortirent  des  presses 
de  cette  imprimerie  lui  valurent  aussitôt  une  réputation  uni- 
verselle et  méritée. 

En  1692,  Louis  XIV  ordonna  qu'une  typographie  spé- 
ciale fût  gravée  pour  le  service  de  son  imprimerie.  L'Aca- 


24  PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 

démie  des  sciences,  consultée  sur  la  forme  qu'il  convien- 
drait de  donner  aux  nouveaux  types,  nomma  une  commission 
dont  le  rapport,  déposé  au  département  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  nationale  (1)  et  qui  n'a  jamais  été  publié,  est 

GRANDJEAN. 
CORPS  il. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la 
plus  grande  partie  des  hommes  étaient  ré- 

CORPS  10. 

Avant   l'invention   de   l'imprimerie,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des 

CORPS  9. 

Avant   l'invention    de  l'imprimerie,   la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des  tra- 

CORPS  8. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande 
partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque 

CORPS  7. 

Avant  l'invention  île  l'imprimerie,  la  plus  grande  partie  des 
hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque  touiours  confuses 

Fig,  9. 

accompagné  d'un  grand  nombre  de  gravures,  dont  les  plan- 
ches sont  conservées  à  l'Imprimerie  nationale. 

Nous  reproduisons,  Fig.  7,  à  peu  près  en  grandeur  natu- 
relle, les  deux  premières  capitales  de  l'alphabet  de  Jaugeon 

(1)  Des  arts  de  construire  les  caractères,  de  graver  les  poinçons  de  let- 
tres, d'imprimer  les  lettres  et  de  relier  les  livres,  par  M.  Jaugeon,  de 
l'Académie  royale  des  Sciences,  manuscrit  in-folio.  Paris,  1704  (Mss.  fi\, 
n"»  9157  et  9158). 


III.  —  ÉVOLUTION  DE  LA  TYPOGRAPHIE.  25 

et,  Fig.  8,  avec  réduction  d'environ  un  tiers,  l'alphabet  de 
ses  minuscules. 

Pendant  que  Jaugeon  rédigeait  cet  important  travail, 
Philippe  Grandjean,  assisté  de  son  élève  Jean  Alexandre,  se 
mettait  à  l'œuvre,  et,  s'inspirant  à  la  fois  du  goût  de  l'époque 
et  des  conseils  de  la  Commission,  gravait  des  caractères,  qui 
me  paraissent  constituer  un  progrès  évident  sur  ceux  de 
Garamond  (1693)  (Fig.  9). 

Avec  les  caractères  de  Grandjean,  nous  voyons  dispa- 
raître dans  le  haut  des  lettres  ces  traits  terminaux  obliques 
qu'on  a  fait  revivre  de  nos  jours  en  reprenant  les  types  dits 
elzéviriens;  on  remarque  aussi,  à  mi-hauteur  de  la  lettre  I,  un 
petit  trait  horizontal  qui,  depuis  cette  époque  (1),  sert  pour 
ainsi  dire  de  marque  de  fabrique  aux  produits  de  notre  Im- 
primerie Nationale  ;  enfin,  les  lettres  longues  supérieures, 
telles  que  b,  d,  portent  un  trait  terminal  qui  se  prolonge 
vers  la  droite  autant  que  vers  la  gauche,  disposition  qui, 
comme  le  petit  trait  de  la  lettre  1,  était  spéciale  aux  fontes 
de  l'Imprimerie  royale. 

Cette  particularité  disparaît  dans  les  caractères  de  Luce, 
qui  furent  acquis  à  grands  frais  par  le  roi  en  1773,  mais  ne 
furent  heureusement  jamais  employés. 

Dans  l'introduction  de  son  Essai  d'une  nouvelle  typogra- 
phie, in-4°,  1771,  Luce  s'exprime  ainsi  : 

«  On  sait  que  les  caractères  romains  employés  à  l'Imprime- 
rie royale  ont,  au-dessus  de  chaque  colonne,  deux  empâte- 
ments coupés  horizontalement  et  qu'on  leur  a  donné  cette 
forme,  qui  rend  l'alignement  d'en  haut  bien  plus  agréable, 
pour  distinguer  les  ouvrages  de  cette  imprimerie  de  tous 
ceux  qui  s'impriment  ailleurs.  Mes  nouveaux  caractères  ne 
doivent  donc  avoir  et  n'ont  en  effet  qu'un  seul  empâtement. 
Outre  cela,  cet  empâtement  est  coupé  obliquement  du  côté 
gauche... 

«  Ce  qui  m'a  fait  préférer  cet  empâtement  à  gauche,  c'est 
la  persuasion  où  je  suis  que  tous  les  caractères  typographi- 
ques tirent  leur  origine  des  écritures  manuelles.  Or,  pour 
écrire,  il  me  paraît  naturel  que  la  plume  prenne  d'abord  un 
point  d'appui  du  côté  gauche  d'où  elle  part,  qui  dispose  et 
assure  la  main,  pour  tirer  un  trait  perpendiculaire  et  former 
la  colonne  des  lettres.  » 


(1)  C'est  en  1702,  que  Louis  XIV  fit  ajouter  aux  caractères  de  l'Impri- 
merie nationale  cette  marque  distinctive  qu'elle  a  seule  le  droit  d'avoir, 
une  espèce  de  sécante  placée  sur  le  flanc  gauche  de  la  lettre  1. 


26 


PREMIÈRE  PARTIE.  HISTORIQUE. 


La  typographie  de  Luce  était  donc  un  retour  au  passé. 

Les  caractères  célèbres  que  Firmin  Didot  grava  pour  l'Im- 
primerie Impériale  (1811)  conservent  les  traits  terminaux  si 
heureusement  adoptés  par  Grandjean.  Mais  nous  ne  croyons 
pas'que  Didot  ait  été  bien  inspiré  en  adoptant  des  déliés 


DIDOT 

CORPS  11. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie ,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à 

CORPS  10. 

Avant  l'invention  de  1  imprimerie ,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des 

CORPS  9. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie ,  la  plus  grande 
partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions 

CORPS  8. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande  par- 
tie des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque 

CORPS  7. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie ,  la  plus  grande  partie  des 
hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque  toujours  con- 

Fig.  10. 


d'une  finesse  excessive,  et  nous  pensons  que  cette  innovation, 
analogue  à  celle  dont  il  a  été  question  dans  notre  chapitre 
précédent,  au  sujet  de  l'écriture  anglaise,  a  déjà  trop  long- 
temps été  soutenue  par  la  mode  et  devra  disparaître  très 
prochainement  (Fig.  10). 


III.    ÉVOLUTION  DE  LA  TYPOGRAPHIE. 


27 


Avec  Marcellin  Legrand,  nous  voyons  disparaître,  en 
1825,  le  double  empâtement  qui  avait  caractérisé  pendant 
plus  d'un  siècle  les  productions  de  l'Imprimerie  Nationale  et 
qu'elle  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  dans  certains  caractères 
d'affiches  ;  enfin,  ce  même  artiste  livra,  en  1847,  les  poin- 

MARCELLIN  LEGRAIND. 
CORPS  11. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à 

CORPS  10. 

Avant  l'invention  de  1  imprimerie,  la  plus 
grande  partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des 

corps  9. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande 
partie  des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions 

CORPS  8. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande  par- 
tie des  hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque 

CORPS  7. 

Avant  l'invention  de  l'imprimerie,  la  plus  grande  partie  des 
hommes  étaient  réduits  à  des  traditions  presque  toujours  con- 

Fig.  11. 

çons  qui  servent  encore  actuellement  dans  cet  important 
établissement  (Fig.  11)  (1). 


(1)  Au  moment  de  mettre  sous  presse,  je  reçois  de  M.  Christian, 
directeur  de  l'Imprimerie  Nationale,  un  spécimen  des  caractères  en  14 


28  PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 

points  qu'il  vient  de  faire  graver  en  s'inspirant  des  caractères  de  Jau- 
geon  : 

Imprimerie  Nationale 

Fig.  12. 

Je  ne  saurais  terminer  ce  chapitre  sans  rappeler  un  nom  qu'aucun 
typographe  ne  devrait  ignorer,  celui  de  Fournier  [1712-1768],  auteur  du 
Manuel  typographique,  utile  aux  gens  de  lettres  et  à  ceux  qui  exercent  les 
différentes  parties  de  l'art  de  l'Imprimerie.  Paris,  1764-1766.  Ces  deux  vol. 
in-12  n'ont  pas  cessé  d'être  d'actualité  quant  aux  détails  de  la  fonderie. 


CHAPITRE  IV. 


ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 

Dans  les  chapitres  précédents  je  me  suis  placé  uni- 
quement au  point  de  vue  des  modifications  que  le  temps 
a  fait  subir  aux  caractères  sémitiques,  pour  aboutir  aux 
caractères,  manuscrits  ou  imprimés,  de  l'époque  actuelle, 
et  le  seul  but  de  cette  étude  était  de  donner  un  appui  à  la 
recherche  des  modifications  qu'il  convient  d'y  apporter  (1). 

A  côté  de  nos  alphabets,  qui  dérivent  tous,  par  transfor- 
misme des  vingt-deux  lettres  de  l'alphabet  phénicien,  viennent 
se  placer  des  alphabets  artificiels,  tels  que  ceux  fabriqués  de 
toutes  pièces  pour  la  sténographie,  la  télégraphie,  la  musico- 
graphie ou  l'anaglyptographie  (écriture  en  relief  pour  les 
aveugles). 

Avant  de  parler  de  ces  alphabets  spéciaux,  il  est  intéres- 
sant de  noter  que,  pendant  la  conquête  du  monde  par  les 
alphabets  dérivés  du  phénicien,  il  s'était  produit,  au  moins 
en  un  point  du  globe,  en  Irlande,  au  m0  siècle  de  notre 
ère,  un  alphabet  artificiel,  créé  logiquement  et  de  toutes 
pièces  :  c'est  l'alphabet  ogamique,  dont  je  reproduis  d'autre 
part  (Fig.  13)  un  fac-similé,  emprunté  au  livre  déjà  cité, 
page  10,  de  M.  Philippe  Berger. 

On  ne  saurait  trop  admirer  la  sagacité  de  l'inconnu  qui, 
il  y  a  dix-huit  siècles,  créa  un  alphabet  si  aisé,  à  la  fois,  à 
apprendre  et  à  exécuter  et  dont  la  création  mérite  d'être 
mise  en  parallèle  avec  celle  de  Charles  Barbier  (Voy. 
page  55). 

Remarquez  avec  quelle  subtilité  le  créateur  de  cet  alpha- 
bet a  tenu  compte  de  nos  aptitudes,  qui  nous  permettent  de 
compter  avec  sécurité,  d'un  seul  coup  d'ceil,  aisément 
jusqu'à  cinq. 

(1)  L.-P.  Guénin,  Sténographie  Française,  in-18.  3e  édition,  Paris, 
Delagrave;  et  Javal,  Entre  Aveugles,  in-16,  Paris,  Masson  1903.) 


30  PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


Remarquez  aussi  la  disposition  des  signes,  de  part  et 
d'autre  d'une  ligne  droite,  précisément  comme  dans  les 
télégraphes  enregistreurs  les  plus  modernes. 


i  idhadh  «  il'». 

e  edhadh  «  tremble  » . 

u  ur  "bruyère». 

0  onn  '<  genêt  » . 
a  ailm  «  sapin». 

r  mis  "  sure  au". 

x  strail'  «prunier  sauvage  ». 

ng  ngedal  "roseau», 

g  ffort  ^lierre», 

m  muin  "ronce». 

qu  queirl  " pommier  ». 

c  coU  "  coudrier  ». 

t  tenne 

d  duir  «  chêne  ». 

h  Jiuaih  "aubépine  » 

n  Dion  «  frêne  de  Plaine", 

s  saiJ  " saule  ». 

f  fern  «  aulne  ». 

1  luis  "frêne  de  Montagne». 
b  beith  «bouleau». 


Fig.  13. 

La  plupart  des  indications  qui  suivent  sont  empruntées 
aux  remarquables  ouvrages  de  MM.  Guénin  père  et  fils. 

L'histoire  de  la  sténographie  débute  avec  Xénophon,  qui 
recueillit  à  l'aide  de  signes  abréviatifs  les  entretiens  de 
Socrate.  Plus  tard  Tiron,  esclave  et  factotum  de  l'orateur 
Gicéron,  dont  il  devint  l'affranchi  et  le  confident  inventa 
les  notes,  dites  tironieimes,  grâce  auxquelles  nous  possé- 


IV.  —  ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


31 


dons  les  Lettres  de  saint  Augustin,  recueillies  par  les  Béné- 
dictins et  qui  étaient  encore  très  employées  vers  le  ixe 
siècle,  disparurent  vers  le  xie  siècle  avec  le  latin,  qui  cessait 
d'être  une  langue  usuelle. 

Il  faut  passer  à  l'année  1588  pour  rencontrer  le  premier 
traité  d'abréviation  moderne,  qui  fut  publié  en  Angleterre 
par  le  Dr  Timothy  Bright.  Depuis  cette  époque,  l'étude  de 
la  sténographie  fut  cultivée  en  Angleterre.  Citons  le  traité 
de  Shelton,  qui  eut  une  grande  vogue  ;  paru  en  1620,  il  donna 
lieu,  en  1660,  à  une  tentative  d'adaptation  au  français.  En 
1672  parut  le  traité  de  William  Mason,  intitulé  :  A  Peu, 
plucked  f roman  Eagles  wing;  or  themost  swift,  compendious, 
and  speedy  method  of  short  writing, qui  fut  réédité,  à  plusieurs 
reprises,  par  l'auteur  et  en  dernier  lieu,  en  1740,  par 
M.  Thomas  Gurney  qui  fut  nommé  alors  sténographe  près 
les  Chambres  du  Parlement,  situation  qui  est  restée  depuis 
cette  époque  dans  sa  famille. 

En  Allemagne,  où  l'on  ne  s'est  guère  occupé  de  sténogra- 
phie que  depuis  1820,  les  auteurs  les  plus  connus,  sont 
Stolze,  Gabelsberger  et  Léopold  Arends. 

En  1834,  Gabelsberger  imagina  d'employer  des  mouve- 
ments analogues  à  ceux  de  l'écriture  cursive  pour  former 
les  signes  de  sa  sténographie.  —  Depuis  cette  époque  tous  les 
systèmes  de  sténographie  allemands  dérivent  du  système  de 
Gabelsberger,  et  conservent  même  une  partie  de  ses  signes. 

Vers  1898,  Scheithauer  a  perfectionné  ce  système  en  uti- 
lisant les  déformations  spontanées  des  écritures  rapides, 
pour  donner  à  ceux  des  sons  dont  la  confusion  est  sans 
grand  inconvénient  les  signes  qui,  par  déformation,  ont 
tendance  à  devenir  pareils. 

En  France,  la  sténographie  était  à  peu  près  inconnue  à  la 
fin  du  xvme  siècle.  La  tentative  la  plus  heureuse  en  cette 
matière  fut  faite  par  Coulon  de  Thévenot  qui  présenta  en 
1787  à  l'Académie  des  Sciences  un  système  d'écriture 
par  syllabes  détachées,  publié  sous  le  nom  de  Tachi- 
graphie.  En  1792,  Th. -Pierre  Bertin  adapta  au  français, 
et  publia  chez  Didot  la  méthode  de  l'Anglais  Samuel 
Taylor,  encore  naguère  pratiquée  par  M.  Grosselin,  chef  du 
service  sténographique  de  la  Chambre  des  députés.  La  sté- 
nographie des  débats  parlementaires  n'apparut  cependant  en 
France  qu'en  1830,  époque  où  le  Moniteur  universel  employa 


32 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


un  ou  deux  sténographes  :  le  service  parlementaire,  tel  qu'il 
existe  aujourd'hui,  date  de  1848. 

Cependant,  dès  1813,  Conen  de  Prépéan  avait  publié  la 
première  édition  de  son  traité,  sous  le  titre  Sténographie 
exacte,  ou  l'art  d'écrire  aussi  vite  qu'on  parle. 

Cette  sténographie,  dont  le  succès  est  attesté  par  cinq  édi- 
tions qui  parurent  de  1813  à  1825,  procédait  directement  de 
la  méthode  anglaise  de  Taylor,  et  c'est  d'elle  que  découle  la 
méthode  d'Aimé  Pâris  qui,  depuis,  presque  sans  altéra- 
tion, a  reçu  le  parrainage  de  l'abbé  Duployé. 

«  Parmi  les  nombreux  praticiens  formés  par  le  système  de 
Conen  de  Prépéan,  —  dit  M.  Guénin  —  il  en  est  un  qui  mé- 
rite de  retenir  quelques  instants  l'attention  du  lecteur,  c'est 
Aimé  Pâris,  l'auteur  du  célèbre  cours  de  mnémotechnie, 
l'élève  de  Galin,  l'associé  de  Chevé  pour  la  publication  et  la 
propagation  de  la  musique  chiffrée.  Esprit  méthodique  et 
rigoureux,  il  a  réduit  aux  règles  les  plus  simples  l'alphabet 
de  Conen  de  Prépéan,  sans  modifier  toutefois  la  partie  essen- 
tielle de  son  système,  les  éléments  d'abréviation,  et  la  mé- 
thode est  souvent,  à  tort  selon  nous,  désignée  par  son  nom... 

«  Aimé  Pâris  est  né  à  Quimper  le  19  juin  1798,  et  a  fait  ses 
premières  études  au  collège  de  Laon.  Il  se  préparait  pour  les 
examens  de  l'Ecole  polytechnique  lorsque  les  événements  de 
1814  ramenèrent  sa  famille  à  Paris.  Il  servit  pendant  quelques 
mois  de  commis  à  son  père,  employé  à  l'administration  des 
contributions  indirectes,  puis  il  suivit  pendant  deux  ans  les 
classes  de  rhétorique  au  collège  Charlemagne.  Il  fit  ensuite 
son  droit  à  l'école  de  Paris  et  fut  reçu  avocat  en  1820. 

«  Une  aventure  assez  originale  lui  fit  quitter  le  barreau, 
pour  lequel  d'ailleurs  il  n'avait  pas  une  vocation  bien  accen- 
tuée. A  grand  renfort  d'arguments  et  d'effets  oratoires,  il  avait 
fait  acquitter  un  voleur  en  police  correctionnelle.  Cet  heu- 
reux client  alla  le  remercier  chez  lui.  Quelques  instants  après 
son  départ,  l'avocat  voulant  sortir,  chercha  son  chapeau,  qu'il 
avait  accroché  dans  l'antichambre.  Le  chapeau  avait  disparu  : 
à  sa  place  se  trouvait  une  affreuse  loque,  la  casquette  du 
reconnaissant  visiteur.  L'idée  d'avoir  fait  acquitter  un  si  par- 
fait honnête  homme  dégoûta  Aimé  Pâris  du  métier  parfois 
ingrat  de  défenseur  de  la  veuve  et  de  l'orphelin  ;  il  ne  plaida 
plus. 

«  Se  trouvant  à  Calais  en  1815,  il  avait  reçu  d'un  M.  Bou- 
gleux,  attaché  comme  son  père  aux  contributions  indirectes, 
quelques  leçons  de  sténographie,  système  Taylor,  traduit  par 
Bertin,  mais  il  l'avait  laissé  de  côté  lorsque  Conen  de  Prépéan 
avait  publié  sa  méthode,  et  celle-ci,  en  1820,  lui  était  devenue 
assez  familière  pour  qu'il  acceptât  l'emploi  de  sténographe 
du  Courrier  français.  Attaché  à  ce  titre  pendant  deux  ans  au 


IV.  —  ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


33 


Courrier,  il  passa  ensuite  au  Constitutionnel,  où  il  resta 
cinq  ans  chargé  du  compte  rendu  des  sessions  parlemen- 
taires. 

«  Au  commencement  de  1821,  il  suivit  les  cours  de  musique 
de  Galin,  dont  il  devint  bientôt  le  disciple  favori,  et  sur  les 
indications  duquel  il  étudia  les  ouvrages  de  Destutt  de  Tracy 
et  de  Lemare.  En  lisant,  dans  un  des  livres  de  ce  dernier, 
l'éloge  de  Grégoire  de  Fénaigle,  il  se  souvint  qu'Andrieux, 
dans  un  de  ses  cours,  avait  signalé  les  procédés  mnémotech- 
niques de  ce  professeur  comme  dignes  d'examen.  Il  étudia  la 
théorie  de  Fénaigle  ;  puis  à  sa  numération,  basée  sur  les  con- 
ventions orthographiques  et  sur  une  classification  vicieuse 
des  lettres  de  l'alphabet,  il  substitua  la  décomposition  des 
mots  en  articulations  et,  par  ce  fait  seul,  la  face  de  la  science 
fut  entièrement  changée.  Il  mit  bientôt  ses  moyens  en  action, 
et  les  résultats  dépassèrent  son  attente.  Nommé  en  1822  pro- 
fesseur à  l'Athénée  royal  de  Paris,  il  ouvrit  des  cours  publics 
dont  le  succès  le  détermina  à  parcourir  la  France  dans  l'inter- 
valle des  sessions  et  à  faire  dans  les  grandes  villes  des  confé- 
rences sur  la  mnémotechnie  et  la  sténographie.  Il  avait  déjà 
reçu  un  accueil  empressé  à  Lyon  et  à  Rouen,  lorsqu'il  se 
rendit  à  Nantes.  Son  cours  y  était  très  suivi,  quand  le  préfet 
du  département,  M.  Brochet  de  Verigny,  le  fit  fermer  bruta- 
lement, donnant  pour  motif  que  les  points  de  repère,  litho- 
graphiés,  contenaient  des  allusions  malveillantes  pour  le 
gouvernement  de  Louis  XVIII.  Vainement,  Aimé  Paris  lui  lit 
remarquer  que  ces  emblèmes  étaient  dus  à  Fénaigle  qui  les 
avait  imaginés  et  publiés  en  1808,  à  une  époque  où  personne  ne 
songeait  à  une  restauration  ;  le  préfet  tint  bon  et  soutint  que 
Fénaigle,  ayant  imaginé  pour  le  numéro  15  un  pauvre  diable 
empalé,  pour  le  numéro  16  un  enfant  faisant  monter  et  des- 
cendre un  jouet  qu'on  nomme  rémigrant,  et  pour  le  numéro 
17  un  larron  à  une  potence,  avait  voulu  dire  que  les  émigrés 
devaient  être  empalés  ou  tout  au  moins  pendus.  Aimé  Paris 
revint  à  Paris,  mais  ses  démarches  pour  obtenir  justice  du 
préfet  de  Nantes  aboutirent  à  un  résultat  singulier.  Le  minis- 
tère Corbière,  Villèle  et  Peyronnet  non  seulement  maintint  la 
mesure  prise  contre  le  sténographe  d'un  journal  de  l'opposi- 
tion beaucoup  plus  que  contre  le  professeur  de  mnémo- 
tchnie,  mais  il  1  étendit  à  toute  la  France.  L'interdiction  ne 
fut  levée  qu'en  1828  par  M.  de  Vatimesnil,  sous  le  ministère 
Martignac.  Dans  l'intervalle,  Aimé  Paris  dut  aller  faire  ses 
cours  en  Belgique,  en  Hollande  et  en  Suisse. 

Vers  1835,  il  délaissa  quelque  peu  mnémotechnie  et  sténo- 
graphie pour  se  consacrer  plus  complètement  à  l'enseigne- 
ment du  système  musical  de  Galin,  qu'il  perfectionna  beau- 
coup, et  engagea,  pour  sa  propagation,  des  luttes  ardentes 
qu'il  soutint  seul  jusqu'au  mariage  de  sa  sœur  Nanine  avec 
Emile  Chevé.  Cours  gratuits  en  grand  nombre,  polémique 
incessante  et  parfois  d'une  violence  extrême,  voyages  conti- 
nuels, composition  d'ouvrages  didactiques,  fabrication  d'ap- 


Javal. 


3 


34 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


pareils  d'enseignement,  correspondance  énorme,  rien  ne  l'a 
Fatigué  ou  refroidi  un  seul  instant. 

Recueilli  par  M.  et  Mme  Chevé  depuis  1859,  Aimé  Paris  vécut 
chez  eux,  à  peu  près  dénué  de  toutes  ressources  personnelles  ; 
ses  cours  de  mnemotechnie  et  de  sténographie  avaient  pour- 
tant été  productifs;  en  1831,  par  exemple,  ils  lui  rapportèrent, 
dans  onze  villes  différentes,  la  somme  totale  de  33,620  francs. 

La  propagation  des  doctrines  galinistes  avait  peu  à  peu 
englouti  toutes  les  ressources  de  M.  Paris.  Son  corps  avait 
vieilli  avant  l'âge,  mais  sa  vigueur  intellectuelle  était  restée 
intacte,  et  il  continuait  à  travailler  chaque  jour,  ou  plutôt 
chaque  nuit,  jusqu'à  trois  heures  du  matin,  afin,  disait-il,  de 
n'être  pas  dérangé  par  les  visites.  Sa  tête  continuait  à  être 
remplie  de  projets;  il  voulait  faire  une  histoire  de  la  Société 
chorale  d'Emile  Chevé,  un  dictionnaire  mnémotechnique,  et 
d'autres  ouvrages  de  longue  haleine.  Mais  son  imagination  exu- 
bérante l'entraînait  sans  cesse  sur  la  voie  de  nouvelles  inven- 
tions, qui  venaient  ajourner  ses  beaux  projets.  Ces  inventions 
avaient  d'ailleurs  toujours  pour  objet  la  démonstration  facile 
ou  la  simplification  de  vérités  scientifiques.  Malgré  toutes  les 
déceptions,  il  n'abandonna  jamais  le  but  éducatif,  moralisa- 
teur de  son  œuvre.  C'est  ainsi  qu'ayant  commencé  à  s'occuper 
dès  son  jeune  âge,  dans  une  brochure  devenue  introuvable,  de 
l'éducation  des  femmes  comme  préparation  à  celle  des  hommes, 
il  finit,  devenu  vieux,  par  un  cours  de  musique  aux  prison- 
nières des  Madelonnettes,  qui  y  puisèrent  des  sentiments  de 
régénération. 

Atteint  le  17  novembre  1866  d'une  congestion  des  poumons 
et  du  cœur,  il  garda  la  chambre  et  n'en  continua  pas  moins 
ses  cours,  rue  Visconti,  18,  à  son  domicile,  c'est-à-dire  chez 
sa  sœur,  veuve  d'Emile  Chevé.  Dans  la  nuit  du  23  au  24,  il 
fut  frappé  d'une  violente  attaque,  et  ne  quitta  plus  le  lit.  Il 
expira  sans  agonie,  le  29  novembre  1866,  à  midi  et  demi.  Il 
était  âgé  de  68  ans  et  quelques  mois.  Il  est  mort  pauvre,  ayant 
vécu  péniblement  avec  sa  sœur  du  maigre  produit  de  quel- 
ques leçons  et  d'une  pension  annuelle  de  1,200  francs  accordée 
par  le  ministère  de  la  maison  de  l'empereur  à  la  veuve  d'Emile 
Chevé. 

Aimé  Pâris  repose  aujourd'hui  à  côté  de  M.  et  Mme  Emile 
Chevé,  sous  le  monument  de  granit  qu'une  souscription  popu- 
laire leur  a  élevé  au  Père-Lachaise,  à  côté  de  la  chapelle. 

Si  j'ai  reproduit  cette  biographie,  c'est  pour  mieux  atti- 
rer l'attention,  non  seulement  sur  la  sténographie  Aimé 
Paris,  dont  il  sera  question  tout  à  l'heure,  mais  aussi  sur 
la  notation  musicale  Galin-Pâris-Chevé,  qui  sera  exposée 
dans  l'article  suivant.  Je  suis  un  des  rares  survivants,  parmi 
ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  d'approcher  Aimé  Pâris.  Comme 
l'a  dit  Francisque  Sarcey,  c'était  un  des  hommes  les  plus 


IV. 


—  ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


35 


extraordinaires  que  nous  eussions  connu.  Sa  Mnémotechnie, 
dont  j'ai  parlé  dans  mon  petit  livre  :  «  Entre  aveugles  »,  est 
un  instrument  d'une  ingéniosité  ainsi  que  d'une  puissance 
remarquables.  C'est,  suivant  son  expression,  un  levier  qui, 
multipliant  la  force  de  la  mémoire,  permet  à  ceux  qui  l'ont 
mauvaise  de  retenir  beaucoup  et  à  ceux  qui  sont  mieux 
doués  sous  ce  rapport,  d'emmagasiner,  comme  l'avait  fait  le 
Maître,  une  somme  de  connaissances  numériques  tout  à  fait 
fantastique.  Il  m'est  doux  de  rendre  ici  un  hommage  recon- 
naissant à  l'homme  à  la  fois  ingénieux  et  bon,  qui,  par  son 
exemple  plus  encore  que  par  ses  paroles,  nous  enseignait  à 
chercher  constamment  le  moyen  d'arriver  par  le  moindre 
effort  au  rendement  maximum  de  nos  aptitudes  dans  l'inté- 
rêt d'autrui. 

Revenons  à  la  sténographie. 

On  peut  ranger  les  systèmes  sténographiques  en  deux  ca- 
tégories :  les  sténographies  purement  professionnelles  et 
les  sténographies  usuelles. 

Les  premières,  dont  le  principal  type  français  est  la  Pré- 
vost-Delaunay  (1),  présentent,  dès  le  début,  des  difficultés 
considérables  et  leur  étude  demande  beaucoup  de  temps. 
Ce  ne  serait  pas  une  raison  suffisante  pour  les  rejeter,  car 
pourquoi  la  profession  de  sténographe  devrait-elle  exiger 
un  apprentissage  moins  long  que  n'importe  quel  métier 
manuel  ? 

Dans  la  seconde  catégorie,  je  rangerai  les  sténographies 
qui  comportent  des  échelons  successifs.  L'élève  commence 
par  une  sténographie  élémentaire,  laquelle  est  une  phono- 
graphie, pour  passer,  au  moyen  d'abréviations  simples,  à 
une  sténographie  plus  rapide,  dite  commerciale,  laquelle  se 
transforme  finalement  en  sténographie  rapide,  dite  par- 
lementaire. 

Quelle  que  soit  la  méthode  adoptée,  forcément  sujette  à 
déformation,  les  défauts  résultant  de  la  vitesse  de  l'exécution, 
ont  toujours  pour  effet  de  rendre  la  sténographie  très  peu 
lisible,  si  bien  que  les  sténographes  se  hâtent  de  transcrire 
leur  écriture  en  clair  et  que  s'ils  arrivent  encore  à  se  relire, 

(1)  H.  Prévost  perfectionna  en  1826  le  système  de  Bertin  et  l'employa 
pendant  40  ans  comme  sténographe  parlementaire.  Le  système  a  été 
lui-même  perfectionné,  vers  1876,  par  A.  Delaunay,  ancien  sténographe 
du  Sénat. 


3(5 


PREMIERE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


ils  n'arrivent  guère  à  lire  les  notes  sténographiques  prises  par 
leurs  collègues.  C'est  ce  que  le  romancier  anglais  Ch.  Dickens 
a  exposé,  par  un  exemple  pris  sur  le  vif,  dans  son  roman  de 
David  Copperfield,  dont  le  héros  raconte  sa  mésaventure 
sténographique  avec  d'autant  plus  de  verve  que  l'histoire  est 
vraie  et  que  c'est  à  Dickens  lui-même  que  la  chose  est  arrivée. 

Il  est  évident  que,  par  surcroît  de  malheur,  Dickens  avait 
appris  une  sténographie  purement  professionnelle  ;  voici 
son  récit  : 

«  J'achetai  un  traité  de  ce  noble  et  mystérieux  art  de  la  sté- 
nographie; il  me  coûta  bien  treize  francs;  et  je  me  plongeai 
dans  un  océan  de  difficultés  qui,  au  bout  de  quelques  se- 
maines, m'avaient  rendu  presque  fou.  Tous  les  changements 
que  pouvait  apporter  un  de  ces  petits  accents  qui,  placés  d'une 
façon,  signifiaient  telle  chose  et  tracés  d'une  autre,  avaient  une 
signification  différente,  tous  ces  caprices  merveilleux  figurés 
par  des  cercles,  les  conséquences  énormes  résultant  d'une 
marque  grosse  comme  une  patte  de  mouche,  les  terribles 
effets  d'une  courbe  mal  placée,  non  seulement  me  troublaient 
pendant  mes  heures  de  travail,  mais  encore  revenaient  m'as- 
siéger  en  rêve  pendant  mon  sommeil.  Lorsque  je  fus  enfin 
parvenu  à  trouver  ma  voie  au  milieu  de  toutes  ces  difficultés 
et  à  savoir  l'alphabet  qui  était  à  lui  seul  un  temple  d'hiéro- 
glyphes égyptiens,  je  vis  apparaître  une  procession  de  nou- 
velles horreurs  appelées  caractères  arbitraires,  les  plus  des- 
potiques caractères  que  j'aie  jamais  vus  :  ils  exigeaient  abso- 
lument qu'une  ligne  plus  fine  qu'une  toile  d'araignée  signifiât 
expectation,  et  qu'une  espèce  de  chandelle  romaine  se  traduisît 
par  dîsadvantageous  (1). 

«  Au  fur  et  à  mesure  que  j'avais  fixé  ces  signes  dans  ma 
mémoire,  je  m'apercevais  que  j'avais  oublié  mon  commence- 
ment; je  le  rapprenais  donc,  et  alors  j'oubliais  le  reste;  si  je 
cherchais  à  le  retrouver,  c'était  aux  dépens  de  quelque  autre 
partie  de  la  méthode  qui  m'échappait. 

«  Au  bout  de  trois  ou  quatre  mois,  je  me  crus  en  état  de 
tenter  une  épreuve  sur  un  de  nos  bavards  orateurs  du  tribu- 
nal. Je  n'oublierai  jamais  comment,  pour  ce  début,  mon 
homme  s'était  déjà  rassis  avant  que  j'eusse  seulement  com- 
mencé, laissant  mon  crayon  imbécile  se  trémousser  sur  le 
papier  comme  s'il  avait  des  convulsions. 

«  Cela  ne  pouvait  pas  aller,  c'était  tout  à  fait  évident;  j'avais 
visé  trop  haut,  il  fallait  en  rabattre.  Je  revins  à  Traddles  et 
lui  demandai  conseil;  il  me  proposa  de  me  dicter  des  dis- 
cours, tout  doucement,  en  s'arrêtant  de  temps  en  temps  de 

(1)  Les  anciennes  méthodes  anglaises,  notamment  celle  de  Mason,  à 
laquelle  Dickens  fait  allusion,  contenaient  des  centaines  de  signes  arbi- 
traires. 


IV.  — 


ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


37 


manière  à  me  permettre  de  le  suivre.  Très  reconnaissant  de 
son  aide  amicale,  j'acceptai  la  proposition  et  tous  les  soirs, 
pendant  bien  longtemps,  nous  eûmes,  dans  Buckingham  Street, 
une  sorte  de  parlement  privé,  lorsqu'ayant  quitté  mon  bureau 
j'étais  revenu  à  la  maison.  Il  fallait  voir  quel  singulier  parle- 
ment nous  avions  là.  Ma  tante  et  M.  Dick  représentaient  le 
gouvernement  ou  l'opposition  suivant  le  cas,  et  Traddles, 
avec  l'assistance  d'un  recueil  de  discours  ou  d'un  volume  des 
discussions  parlementaires,  les  foudroyait  de  ses  invectives. 
Debout,  près  de  la  table,  avec  le  doigt  sur  la  page  pour  mar- 
quer la  i3lace,  et  son  bras  droit  gesticulant  au-dessus  de  sa 
tête,  Traddles,  imitant  M.  Pitt,  M.  Fox,  M.  Sheridan,  M.Burke, 
lord  Castlereagh,  le  vicomte  Sidmouth  ou  M.  Canning,  se 
livrait  aux  plus  violentes  colères  et  prononçait  de  mortelles 
dénonciations  contre  la  scélératesse  et  la  corruption  de  ma 
tante  et  de  M.  Dick,  pendant  qu'assis  à  peu  de  distance,  mon 
cahier  de  notes  sur  le  genou,  je  m'efforçais  de  le  suivre  de 
mon  mieux.  Jamais  l'inconstance  et  la  versatilité  de  Traddles 
n'ont  été  dépassées  par  aucun  politicien;  dans  le  courant 
d'une  semaine,  il  aArait  été  de  tous  les  partis  ! 

«  Bien  souvent  nous  poursuivions  nos  débats  jusqu'à  ce  que 
la  pendule  sonnât  minuit  et  que  les  bougies  fussent  à  bout. 
Le  résultat  d'une  pratique  si  assidue  fut  que  je  finis  par  suivre 
assez  bien  Traddles,  et  j'aurais  été  tout  à  fait  triomphant  si 
j'avais  eu  la  moindre  idée  de  ce  que  signifiaient  mes  notes. 
Loin  de  pouvoir  en  rétablir  le  sens,  c'était  comme  si  j'avais 
copié  ces  inscriptions  chinoises  que  l'on  voit  sur  les  caisses  à 
thé,  ou  les  lettres  d'or  qui  ornent  les  grandes  fioles  rouges  et 
vertes  dans  les  boutiques  des  pharmaciens.  Il  fallait  tout  re- 
commencer. C'était  dur,  mais  en  dépit  de  mon  ennui,  je  par- 
courus de  nouveau  laborieusement  et  méthodiquement  tout 
le  chemin  que  j'avais  déjà  fait,  m'arrêtant  pour  examiner 
minutieusement  le  plus  petit  signe  et  faisant  des  efforts  déses- 
pérés pour  traduire  ces  caractères  perfides. 

«  ...  Il  ne  m'appartient  pas  de  raconter  avec  quelle  ardeur 
je  m'appliquai  à  faire  des  progrès  dans  tous  les  menus  détails 
de  l'art  sténographique.  J'ajouterai  seulement  à  ce  que  j'ai 
déjà  dit  de  ma  persévérance  et  de  la  patiente  énergie  qui 
commençait  dès  lors  à  devenir  le  fond  de  mon  caractère,  que 
c'est  à  ces  qualités  surtout  que  j'ai  dû  plus  tard  le  bonheur 
de  réussir.  J'ai  été  très  heureux  dans  tout  ce  que  j'ai  entre- 
pris; beaucoup  d'hommes  ont  travaillé  davantage  et  n'ont  pas 
réussi  de  moitié  aussi  bien,  mais  je  n'ai  jamais  rien  fait  sans 
être  bien  décidé  à  consacrer  tous  mes  efforts  à  l'étude  que  je 
commençais.  » 

Si  j'ai  reproduit  ce  long  récit,  c'est  pour  bien  marquer 
les  difficultés  inhérentes  aux  sténographies  professionnelles, 
et  pour  justifier  ma  prédilection  pour  la  méthode  Aimé 
Paris.  Elle  lutte  de  vitesse  avec  celle  de  Prévost-Delaunay 


38 


PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 


et  elle  a  l'immense  supériorité  d'être  beaucoup  plus  facile  à 
apprendre.  Elle  est  applicable  à  toutes  les  langues  euro- 
péennes. 

L'abbé  Duployé,  dont  la  méthode  est  plus  généralement 
connue,  n'a  guère  fait  que  modifier  les  signes  graphiques 
d'Aimé  Paris,  si  bien  que,  sauf  pour  l'aspect  des  signes,  les 
sténographies  élémentaires  Aimé  Paris  et  Duployé  sont  à 
peu  près  identiques. 

Tandis  que  les  groupes  Duployé  ont  formé  des  milliers 
d'élèves,  les  adeptes  de  la  méthode  Aimé  Paris  se  sont 
exercés  les  uns  les  autres,  pour  ainsi  dire  dans  l'intimité,  ce 
qui  ne  les  a  pas  empêchés  d'avoir  un  grand  nombre  de  can- 
didats admis  dans  les  concours  par  lesquels  se  recrutent  les 
grands  services  parlementaires. 

A  la  base  delà  sténographie,  on  rencontre  deux  éléments: 
le  graphisme  et  le  système  des  abréviations. 

Le  graphisme  consiste  à  remplacer  les  lettres  usuelles  par 
des  signes  plus  simples,  et  l'illustre  Conen  de  Prépéan  a 
fait  choix  de  lignes  droites  et  courbes  diversement  inclinées, 
pour  représenter  les  consonnes,  et  de  petites  lignes  courbes 
pour  écrire  les  voyelles.  Mais  comme  le  nombre  des  posi- 
tions possibles  des  lignes  était  inférieur  aux  besoins,  il  a  fait 
une  classification  des  consonnes  et  des  voyelles  en  princi- 
pales et  secondaires. 

Prenons  par  exemple  les  consonnes  dures  : 

te,  che,  ke,  je,  pe  et  se. 

Elles  ont  pour  analogues  les  douces  : 
de,  je,  gne,  ve,  be  et  ze. 

Dans  Conen  de  Prépéan,  ces  dernières  six  consonnes  sont^ 
représentées  par  les  mêmes  traits  que  les  six  premières. 
Elles  s'en  différencient  par  un  petit  trait  transversal  sur- 
ajouté, qui  porte  le  nom  de  sécante,  et  qui,  exigeant  une  levée 
du  crayon,  ralentit  considérablement  l'écriture.  Dans  la  ra- 
pidité, le  sténographe  supprime  les  sécantes,  ce  qui  ne  nuit 
guère  à  la  lisibilité,  car,  en  gros,  la  sténographie  s'écarte  de 
la  phonographie  en  exprimant  des  mots  estropiés  par  des 
vices  de  prononciation;  au  lieu,  par  exemple,  de  :  «  Dites 
bonjour  à  Jean  »,  le  sténographe  aura  écrit  :  «  Tites  pon- 
chour  à  Chan  ». 


IV.  — 


ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


39 


Il  existe  aussi,  dans  la  sténographie  élémentaire,  pour 
représenter  les  sons  nasalés,  tels  que  an,  in,  etc.,  des  signes 
modificateurs  des  voyelles,  jouant  un  rôle  analogue  aux  sé- 
cantes, et  qu'on  supprime  dans  la  sténographie  rapide. 

La  rapidité  de  la  sténographie  provient  de  ce  qu'elle  ne 
reproduit  que  les  sons  et  en  supprime  même  une  partie,  ce 
qui  diminue  le  nombre  des  signes  et,  d'autre  part,  de  ce 
qu'elle  remplace  les  lettres  usuelles  par  des  caractères  plus 
simples.  L'orthographe  purement  phonétique  ne  donne  pas 
lieu  à  plus  d'incertitude. 

Voici  le  tableau  des  voyelles  et  des  consonnes  : 

VOYELLES  SIMPLES. 

a        é          i       o  u         eu  on 

o      -/\               O  c          D  r> 

Fig.  Ik. 

VOYELLES  NASALES. 
an        in       on  un 

6      <&      d  3 

Fig.  15. 


CONSONNES. 
P      f  t        s  r  c        c,  k,  q 

I   \    /    /  X. 

i  \  /  

b       v      d  z  j         ch        II  g 

Fig.  16. 

On  remarque  comment  les  signes  qui  expriment  les 
voyelles  nasales  et  les  consonnes  douces  dérivent  respecti- 
vement de  ceux  qui  représentent  les  voyelles  simples  et  les 
consonnes  dures.  Appliquons  les  règles  de  la  sténographie  élé- 
mentaire, à  la  phrase  suivante  de  Pascal  :  «  L'homme  n'est  qu'un 
roseau,  le  plus  faible  de  la  nature  ;  mais  c'est  un  roseau  pen- 
sant ;  il  ne  faut  pas  que  l'univers  entier  s'arme  pour  l'écraser, 
une  vapeur,  une  goutte  d'eau,  suffit  pour  le  tuer;  mais  quand 


n  m 


gn 


40 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


l'univers  l'écraserait,  l'homme  serait  encore  plus  noble  que  ce 
qui  le  tue,  parce  qu'il  sait  qu'il  meurt;  et  l'avantage  que  l'uni- 
vers a  sur  lui,  l'univers  n'en  sait  rien  ».  Cette  phrase  s'écrira  : 

«  Lom  né  cun  rozo  lé  plu  fébl  d  la  natur  msé  un  rozo  pan- 
san  ;  il  n  fo  pa  c  luniver  antié  sarm  pour  lécrazé  un  vapeur  un 
gout  do  sufi  pour  1  tué  mé  can  luniver  lécrazré  lom  sré  an  cor 
plu  nobl  c  s  ci  1  tu  pars  cil  sé  cil  meur  é  lavantaj  c. luniver  a 
sur  lui  l'uni  ver  nan  sé  rien  ». 

En  comptant  le  nombre  de  lettres  composant  les  deux  tex- 
tes qui  précèdent,  on  remarquera  qu'il  s'en  trouve  285  dans 
le  premier  et  194  dans  le  second  ;  les  voyelles  nasales  comp- 
tant chacune  pour  une  seule  lettre,  on  gagne  déjà  de  cette 
manière  plus  d'un  tiers  sur  l'écriture  usuelle. 

A  cause  de  la  simplicité  des  signes,  on  gagne  un  deuxième 
tiers,  si  bien  que  la  sténographie  qu'on  vient  d'exposer,  de 
la  phonétique  exacte  ou  élémentaire,  permet  d'écrire  trois  fois 
plus  vite  que  l'écriture  ordinaire. 

Ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  au  chapitre  XIV  consacré  à 
la  rapidité  de  l'écriture  et  de  la  lecture,  ce  n'est  pas  seule- 
ment trois  fois,  mais  huit  fois,  la  rapidité  de  l'écriture  que  doit 
obtenir  le  sténographe  professionnel. 

Une  nouvelle  augmentation  de  vitesse  est  obtenue  par  la 
suppression  d'un  certain  nombre  de  voyelles. 

Enfin,  et  en  dernier  lieu,  des  conventions  permettent  de 
remplacer  des  groupes  de  sons  ou  des  mots  entiers  par  des 
signes  conventionnels  ou  sigles. 

Il  va  sans  dire  que  cette  phonographie  est  loin  de  donner 
toutes  les  nuances  de  prononciation  ;  par  exemple,  il  n'est 
fait  aucune  différence  entre  Yo  et  ô.  Si  je  suis  bien  informé, 
d'après  les  travaux  de  M.  Passy,  un  tableau  phonographique 
complet  comporterait  plus  de  cent  cinquante  signes. 

Je  transcris  ici  de  nouveau,  à  l'ordre  près,  les  articula- 
tions d'Aimé  Pâris  telles  qu'il  les  a  combinées  pour  le  fran- 
çais, en  mettant  les  dérivés  sous  sa  ligne  type.  Je  transcris 
au-dessous  les  récapitulations  analogues  dressées  pour  plu- 
sieurs langues  par  les  élèves  d'Aimé  Paris. 

Cela  donne  le  tableau  suivant  : 


IV.          ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


41 


Tableau  de  la  sténographie  Aimé  Pâris. 

Français. 

te  ne  me  re  le  se  ke  fe  pe  a  é  i  o  ou  u  eu 
de  gne  lie  ze  gue  ve  be  an  in         on  un 

che 

je 

Allemand  (1). 

te  ne    me  re  le    se    ke   fe  pe    a    é     i     o      ou    u  eu 
de  gue  lie  ze  gue  ve  be  ang     ing  ong  oung 

che 

Anglais  (2). 

te  ne    me.  re  le    se    ke   fe  pe    a    é     i     o      ou  eu 
de  ze  gue  ve  be  ung 

che 
je 

Italien  (3). 

te  ne    me  re   le    se    ke    fe  pe    a    é     i     o  ou 
de  gne  gl  tche  gue  ve  be 

Pour  Y  espéranto,  la  sténographie  est  plus  difficilement 
applicable,  en  ce  sens  que  les  abréviations  sténographiques 
présupposent  chez  le  lecteur'une  connaissance  imperturbable 
de  la  langue,  dont  il  faut  rétablir  la  prononciation  malgré 
les  mutilations  que  comporte  la  sténographie  rapide. 

(1)  .  Le  disciple  d'Aimé  Paris  introduit  en  allemand  un  signe  supplé- 
mentaire pour  l'A  aspiré.  —  Liste  des  mots  allemands  pour  préciser  les 
prononciations  ci-dessus  :  Tasse,  cZie  ;  nein  ;  Mutter  ;  Rahe  ;  Land  ;  das, 
so  ;  Kind,  geben,  icÀ;  Voter,  Wasser  ;  Papier,  Bivne  ;  arm,  lang  ;  Leben; 
Tïtel,  H'àring  ;  Ohr,  Onke\  ;  du,  Zeilung  ;  Kùhe  ;  boese. 

(2)  .  Liste  des  mots  anglais  pour  préciser  la  prononciation  ci-dessus: 
Tie,  do,  f/ûnk  ;  ueat  ;  7Jieal  ;  very  ;  Zead  ;  so,  easy,  she,  pleasure  ;  can, 
gi\e  ;  fee,  hâve  ;  pan,  &ear  ;  Zast,  bread  ;  people  ;  door  ;  proof. 

(3)  .  Liste  des  mots  italiens  pour  préciser  la  prononciation   ci-dessus  : 
Tavola,  cZanza  ;  niente,  montat/na  ;  madré  ;  carta  ;  Zingua,  %Zio  ;  sicuro, 
scena  ;  capello,  go\a  ;  fratello,  uacca  ;  padre,  feambino  ;  cara  ;  che  ;  ira 
sole  ;  chiuso. 


42 


PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 


La  nouvelle  langue  auxiliaire  Y  espéranto  est  en  effet  trop 
récente  pour  être  tout  à  fait  familière  même  à  ses  adeptes  les 
plus  convaincus. 

L'adoption  d'une  même  sténographie  phonétique  pour 
plusieurs  langues  présente  cette  qualité  précieuse  que  l'étu- 
diant, livré  à  lui-même,  lorsqu'il  aura  appris  une  langue 
étrangère,  ne  tombera  pas  dans  les  bizarreries  de  pronon- 
ciation qui  font  dire  à  un  Français  Sakespéare  au  lieu  de 
Chékspir,  Jentleman  ridé  pour  Djentlemène  raïdère,  ou  qui 
conduisent  un  Anglais,  comme  je  l'ai  entendu,  à  prononcer: 
Honaï  soït  coui  mel  aï  pennée,  au  lieu  de  la  devise  Honni  soit 
qui  mal  y  pense. 

Puisque  chaque  sténographe  ne  lit  guère  que  sa  propre 
sténographie,  l'utilité  d'une  sténographie  internationale  est 
contestable,  et  on  a  vu  que,  née  en  Angleterre,  la  sténogra- 
phie a  subi  des  altérations  multiples  à  mesure  qu'elle  s'éloi- 
gnait de  son  berceau.  En  effet,  dans  les  différentes  langues, 
les  lettres  sont  loin  de  se  présenter  avec  la-  même  fréquence 
et  surtout  les  groupements  de  lettres  usuels  ne  se  ressem- 
blent guère.  L'évolution  de  la  sténographie  conduit  à  la 
diversité,  car  ici  la  question  de  rapidité  prime  toutes  les 
autres. 

Dans  un  ordre  d'idées  analogue,  c'est  encore  l'Anglo-Saxon 
qui  a  créé  l'alphabet  télégraphique  Morse,  lequel,  à  cause  des 
relations  internationales,  n'a  pas  évolué,  si  bien  que,  dans 
tous  les  pays,  la  correspondance  télégraphique  intérieure  est 
ralentie  par  ce  fait  que,  dans  le  Morse,  les  signes  les  plus 
courts  expriment  les  lettres  les  plus  fréquentes  en  Anglais, 
par  exemple  le  W. 

* 

C'est  encore  au  besoin  d'agir  vite,  plus  développé  chez 
l'Anglo-Saxon,  que  nous  devons  la  machine  à  écrire,  dont, 
jusqu'à  ces  derniers  temps,  le  clavier  était  disposé  de  la 
manière  la  plus  favorable  pour  écrire  vite  en  anglais.  Faut- 
il  regretter  les  changements  qui,  nuisibles  à  l'uniformité  de 
construction  des  machines,  ont  conduit  à  mieux  l'adapter 
aux  besoins  locaux  ? 

On  excusera  peut-être  cette  digression  en  remarquant  que 
la  dactylographie  est  devenue  le  complément  habituel  de 
la  sténographie. 


IV.  —  ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


43 


Il  n'est  d'ailleurs  pas  possible  de  passer  ici  sous 
silence  l'imminence  de  la  substitution  partielle  du  ma- 
chinisme à  la  sténographie,  substitution  désirable  à  cause 
de  la  mauvaise  lisibilité  de  la  meilleure  sténographie  à  la 
main. 

De  nombreux  inventeurs  se  sont  efforcés  de  combiner 
des  machines  à  sténographier,  dont  l'avantage-principal  se- 
rait de  fournir  un  texte  lisible  pour  tous  les  adeptes  du  sys- 
tème employé.  Le  type  est  invariablement  constitué,  pour 
l'opérateur,  par  un  clavier  dont  les  touches  fournissent,  par 
leur  action  successive  ou  simultanée,  un  nombre  considé- 
rable de  combinaisons.  La  machine  la  plus  récente,  de 
M.  Lafaurie,  travaille  à  peu  près  silencieusement  et  paraît 
sortir  de  l'ère  des  tâtonnements.  Il  est  probable  que  les 
machines  à  écrire,  les  phonographes  perfectionnés,  rédui- 
ront beaucoup  l'usage  de  l'écriture  sténographique  à  la 
main. 

Mais,  de  même  que  la  machine  à  coudre  a  laissé  subsister 
la  couture  à  l'aiguille,  pour  certains  ouvrages  où  la  rapidité 
n'est  pas  le  principal  desideratum,  la  sténographie  manuelle 
subsistera  et  prendra  d'autant  plus  d'extension  que,  n'étant 
plus  usitée  pour  les  grandes  vitesses,  sa  réforme  devra  con- 
sister en  un  retour  aux  méthodes  simples  et  logiques  et  fon- 
dées sur  la  phonographie. 

En  construisant  des  machines  sténographiques  à  clavier,  il 
serait  rationnel  de  tenir  compte  de  la  physiologie  de  la  main 
humaine,  qui  permet  d'abaisser  un  plus  grand  nombre  de 
touches  grâce  aux  déplacements  latéraux  du  pouce  ;  par 
exemple  six  touches,  dont  deux  seraient  actionnées,  soit  in- 
dividuellement, soit  simultanément,  le  pouce  agissant  dans 
trois  positions,  suivant  qu'il  enfonce  à  la  fois  la  cinquième 
et  la  sixième  touche,  ou  seulement  l'une  des  deux.  On  ob- 
tiendrait ainsi,  pour  chaque  main,  63  signes,  précisément 
le  nombre  que  fournit  la  cellule  rectangulaire  employée  pour 
l'écriture  en  relief  par  les  aveugles.  Avec  ce  doublement  de 
richesse,  tout  devient  facile  et,  si  l'inventeur,  ou  son  conti- 
nuateur, M.  Bivort,  persistent  dans  le  système  syllabique 
(retour  curieux  et  ingénieux  à  l'état  qui  a  précédé  l'alphabet 
phénicien),  il  leur  restera,  pour  les  abréviations  arbitraires, 
un  stock  où  les  professionnels  n'auront  qu'à  puiser. 

Il  est  donc  démontré  dès  à  présent  que  d'une  part,  la  ma- 


44 


PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 


chine  dispose  d'une  variété  de  signes  bien  plus  considé- 
rable que  le  crayon,  et  que,  d'autre  part,  permettant  d'uti- 
liser les  deux  mains,  elle  est  destinée,  par  sa  rapidité,  à 
faire  disparaître  la  sténographie  professionnelle. 

¥  ¥ 

Si  le  rôle  principal  de  la  sténographie  est  d'accélérer  l'écri- 
ture, là  ne  se  borne  pas  son  utilité  comme  moyen  de  gagner 
du  temps  ;  on  va  voir  en  effet  que  la  sténographie  peut 
rendre  plus  rapide  le  premier  enseignement  de  la  lecture  et 
de  l'orthographe. 

On  voit  que  la  sténographie  élémentaire  est  une  phono- 
graphie fondée  sur  ce  principe:  «  A  chaque  son  correspond 
un  signe,  toujours  le  même  ».  On  conçoit  donc  que,  pour 
les  enfants  et,  en  général,  pour  les  illettrés,  la  sténographie 
élémentaire  est  bien  plus  facile  à  apprendre  que  l'écriture 
ordinaire,  et  l'on  comprend,  d'autre  part,  que  ceux  qui  ont 
appris  cette  sténographie  avec  ses  signes  tels  que  les  sécan- 
tes, l'eussent-ils  laissée  de  côté  pendant  leurs  études  d'or- 
thographe et  de  grammaire,  -—  n'auront  pas  un  bien  grand 
effort  à  faire  quand  ils  voudront,  par  la  suppression  des  sé- 
cantes et  l'emploi  de  signes  additionnels,  acquérir  la  prati- 
que d'une  sténographie  rapide. 

Ce  que  je  viens  de  dire  n'est  pas  une  simple  vue  de 
l'esprit. 

M.  Paul  Robin,  réminent  pédagogue,  alors  qu'il  était 
directeur  de  l'orphelinat  Prévost,  à  Cempuis,  a  trouvé  très 
avantageux  d'enseigner  aux  enfants  la  sténographie  Aimé 
Pâris  avant  la  lecture  et  l'écriture  ordinaires.  D'après  son 
expérience,  cette  sténographie  logique  et  simple  était  apprise 
par  les  jeunes  enfants  avec  une  merveilleuse  rapidité.  Elle 
servait  ensuite  d'instrument  pour  l'étude  de  l'écriture  et  de 
l'orthographe.  Au  lieu  de  faire  des  dictées,  le  maître  écrivait 
au  tableau,  en  sténographie,  le  texte  des  devoirs  que  les 
élèves  avaient  à  transcrire  en  écriture  ordinaire,  et  ce  dé- 
tour apparent,  loin  d'allonger  le  temps  des  premières  études, 
avait  pour  conséquence  heureuse  de  l'abréger.  C'est  comme 
pour  l'enseignement  de  la  musique,  où  la  lecture  sur  la 
portée  est  apprise  bien  plus  vite  et  plus  facilement,  si  elle 


IV.  — 


ÉVOLUTION  DE  LA  STÉNOGRAPHIE. 


45 


est  précédée  de  l'acquisition  de  la  lecture  musicale  en  chif- 
fres, par  la  méthode  Galin-Pàris-Chevé. 

M.  Robin  avait  créé  pour  les  jeunes  enfants  un  jeu  sténo- 
graphique  de  cinq  sortes  de  pièces  :  fils  de  cuivre  droits  de 
cinq  et  deux  centimètres  ;  courbés  en  arcs  de  cinq  et  deux 
centimètres  de  corde  et  un  rond  de  un  centimètre. 

L'essai  a  été  non  moins  probant  en  Angleterre  ;  on  y  eut 
l'heureuse  idée  de  réunir,  dans  une  même  classe,  des  enfants 
qui,  après  plusieurs  années  d'école,  n'étaient  parvenus  qu'à 
lire  des  mots  monosyllabiques,  et,  passant  par  le  détour  de 
la  lecture  d'une  phonographie,  on  put  leur  inculquer  assez 
rapidement  la  lecture  de  l'anglais. 

On  verra  plus  loin,  chapitre  VI,  à  propos  de  la  phonétique 
de  Barbier,  les  grands  avantages  de  l'écriture  phonétique 
pour  le  premier  enseignement  de  la  lecture  dans  les  pays 
affligés  d'une  orthographe  compliquée. 

Il  est  présumable  que,  dans  sa  jeunesse,  Aimé  Paris  a  eu 
connaissance  des  travaux  de  Barbier,  car  la  similitude  de 
certaines  idées  de  ces  deux  hommes  éminents  ne  peut 
guère  être  le  résultat  du  hasard. 


CHAPITRE  V. 


ÉVOLUTION  DE  L'ÉCRITURE  MUSICALE. 


Le  temps  et  les  moyens  me  manquent  pour  rechercher  les 
origines  de  l'Ecriture  musicale  dont  l'usage  est  universel. 
Cette  écriture,  fondée  sur  la  construction  des  instruments  à 
archet  où  les  cordes  sont  accordées  de  quinte  en  quinte,  est 
le  comble  de  l'absurdité  quand  on  l'emploie  pour  le  piano 
et  surtout  pour  la  musique  vocale.  Si  l'on  veut  conserver  la 
portée,  il  serait  raisonnable  de  prendre,  pour  le  piano,  la 
double  portée  de  trois  lignes  du  célèbre  général  de  Reffye,  où, 
chaque  portée  recevant  sept  notes,  on  écrit,  sans  lignes  sup- 
plémentaires, deux  octaves  pour  chacune  des  mains.  Il  en 
résulte  la  suppression  des  clefs  et,  pour  les  commençants, 
une  facilité  de  lecture  incomparable. 

Deux  portées  de  trois  lignes  chacune  pour  la  main  gauche 
donnent  deux  octaves  dont  l'écriture  est  identique  (Fig.  17)>et 
il  en  est  de  même  pour  la  main  droite. 


 «r  *  9  q  ^  m  


Fig.  11. 

La  routine  de  l'écriture  musicale  a  résisté  aux  efforts  de 
J.-J.  Rousseau,  de  Galin,  de  Paris,  de  Chevé  et  de  leurs  suc- 
cesseurs. 

Pour  la  musique  vocale,  J.-J.  Rousseau  avait  proposé  une 
notation  modale,  c'est-à-dire  que  le  même  signe  était  cons- 
tamment employé  pour  désigner  la  même  fonction  dans  la 
gamine,  le  chiffre  1,  par  exemple,  représentant  toujours  la 
tonique,  3  la  médiante  et  5  la  dominante.  L'inconvénient  de 
ce  système  est  de  ne  pas  donner  un  aspect  synoptique,  incon- 


48  PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 

vénient  réel,  quand  il  s'agit  de  lire  simultanément  plusieurs 
parties. 

Pour  la  musique  vocale  et  surtout  pour  son  enseignement 
populaire,  les  avantages  du  système  Galin-Pâris-Chevé  l'ont 
fait  adopter  avec  le  plus  grand  succès,  partout  ailleurs  que 
dans  son  pays  d'origine. 

La  figuration  des  durées,  telle  qu'elle  est  employée  par  la 
méthode  Galin-Pàris-Chevé,  n'a  pas  été  sans  influence  en  ce 
qui  concerne  les  améliorations  que  l'écriture  sur  la  portée  a 
subies  depuis  bientôt  un  siècle. 

L'écriture  chiffrée  de  la  musique  a  servi  de  point  de 
départ  à  la  musicographie  Braille  employée  par  les  aveugles. 

Dans  l'introduction  dont  les  continuateurs  modestes  et 
anonymes  de  Rousseau,  Galin,  Paris  et  Chevé  ont  fait  précé- 
der leur  ouvrage  :  L'instituteur  et  l'élève  musiciens,- ils  s'expri- 
ment ainsi  (1)  : 

Nos  maîtres  vénérés,  Jean-Jacques  Rousseau,  Pierre  Galin, 
Aimé  Paris,  Nanine  Chevé,  ont  débrouillé  le  chaos  introduit 
petit  à  petit  dans  le  système  assez  rationnel  des  maîtres  musi- 
ciens du  moyen  âge;  ils  ont  fait  de  la  langue  et  de  la  notation 
musicales  un  idéal  de  perfection  logique,  de  son  enseigne- 
ment une  splendeur  pédagogique  qui  n'est  atteinte  dans 
aucune  autre  branche  et  qui  devrait  être  imitée  dans  toutes. 

Voici  quelques  indications  sommaires  sur  la  notation 
Galin-Pâris-Chevé  : 

Principe.  —  Chaque  idée  est  toujours  représentée  par  le 
même  signe  clair  et  précis.  Le  même  signe  représente  tou- 
jours la  même  idée. 

I.  Intonation.  —  La  série  des  sept  sons  de  la  gamme  est 
représentée  par  les  sept  premiers  chiffres.  On  ajoute  un  point 
au-dessus  des  chiffres  pour  l'octave  supérieur,  au-dessous 
pour  l'octave  inférieur. 


Sons  graves 

12  3  4  5  6  7 


On  les  nomrîie  : 


Sons  du  médium 

12  3  4  5  6  7 

ut  ou  do,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  si 
Fig.  18. 


Sons  aigus 

i  2  3  4  5  6 


(1)  L'instituteur  et  l'élève  musiciens,  cours  préparatoire  en  12  clefs,  pré- 
cédé d'une  instruction  générale,  prix  :  broché  in-8,  0  fr.  50  ;  cartonné, 
0  fr.  75,  3e  édition,  Lefargue  et  O,  25,  rue  de  Lille,  Paris,  et  46,  rue  de 
la  Madeleine,  Bruxelles. 


V.  —  ÉVOLUTION  DE  l'ÉCRITURE  MUSICALE, 


49 


Pour  le  bémol,  le  chiffre  est  barré  dans  le  sens  de  l'accent 
grave. 

Pour  le  dièse,  le  chiffre  est  barré  dans  le  sens  de  l'accent 
aigu. 


Ils  se  nomment  : 


Sons  bémols 

teu,  reu,  meu,  fèujeu,  leu,  seu< 
Fig.  19, 


Sons  dièses 

\  2  a  *  5  ê  ? 

tè,  rè,  mè,  fè,  jè,    lè}  sè. 


IL  Durée.  —  Le  chiffre  représente  le  degré  de  la  gamme. 
Le  gros  point  placé  après  un  chiffre  marque  la  prolongation. 
Le  zéro  est  le  signe  du  silence. 

Tout  signe  isolé  représente  une  unité  de  temps. 


Ex.  : 


1.03 

Fig.  20. 


Tout  groupe  de  signes  sous  un  trait  horizontal  représente 
un  temps  : 


division  binaire  :  |  3  ;  ternaire  I  3  5  ;  bino-binaire  1  3  5  6  ;  etc. 

Fig.  21. 

III.  Le  ton.  —  L'écriture  est  la  môme  pour  tous  les  tons.  Le 
ton  est  marqué  en  tête  du  morceau.  Quand  on  veut  chanter, 
on  prend  à  l'aide  du  diapason  (ou  d'un  instrument  quelcon- 
que) le  point  de  départ  du  ton  indiqué  et  l'on  applique  à  ce 
ton  le  nom  d'ut  ou  do,  premier  degré  du  mode.  Tous  les  autres 
sons  ont  la  hauteur  relative  au  son  du  départ. 


Spécimen  des  deux  notations,  portée  et  chiffres  s 


E=l)  Ton  Mi. 
Diapason  4. 


+    5. 55  6.. 0  7...    I  .00  5  6  7  5  1000 


Fie,  22. 


Dans  cet  exemple,  sur  la  portée,  on  voit  le  mode  travesti 
par  les  quatre  dièses  et,  suivant  les  cas.  on  trouve  un,  deux, 

JAVAL.  4 


50 


PREMIÈRE  PARTIE. 


—  HISTORIQUE. 


trois  ou  quatre  signes  pour  représenter  la  durée  complète 
d'une  mesure  à  quatre  temps;  en  chiffre,  impossible  de  con- 
fondre. 

Dès  la  première  page  les  auteurs  citent  les  deux  passages 
suivants  de  J.-J.  Rousseau  : 

«  Théorie  des  rapports  ou  le  relatif  au  lieu  de  l'absolu.  — 
Système  modal  pour  l'intonation. 

«  Comme  la  musique  n'est  qu'un  enchaînement  de  sons  qui 
se  font  entendre  tous  ensemble  ou  successivement,  il  suffit 
que  tous  ces  sons  aient  des  expressions  relatives  qui  leur  assi- 
gnent à  chacun  la  place  qu'il  doit  occuper  par  rapport  à  un  cer- 
tain son  fondamental,  pourvu  que  ce  son  soit  nettement  exprimé 
et  que  la  relation  soit  facile  à  connaître.  Par  cette  méthode, 
les  mêmes  noms  sont  toujours  conservés  aux  mêmes  notes, 
c'est-à-dire  que  l'art  de  solfier  toute  musique  possible  con- 
siste précisément  à  connaître  sept  caractères  uniques  et  va- 
riables qui  ne  changent  jamais  ni  de  nom,  ni  de  position,  ce 
qui  me  paraît  plus  facile  que  cette  multitude  d'armures  et  de 
clés,  qui,  quoique  ingénieusement  inventées,  n'en  font  pas 
moins  le  supplice  des  commençants.  A  l'égard  des  change- 
ments de  ton,  il  n'est  question  que  d'exprimer  la  première 
note  de  ce  changement,  de  manière  à  représenter  ce  qu'elle 
doit  être  dans  le  ton  d'où  l'on  sort  et  ce  qu'elle  est  dans  celui 
où  l'on  entre,  ce  que  l'on  fait  par  une  double  note  :  le  pre- 
mier chiffre  représente  la  même  note  dans  le  ton  où  l'on 
entre. 

«  J.-J.  Rousseau.  » 


«  Unification  des  multiples  formes  de  mesure. 

«  Les  musiciens  reconnaissent  au  moins  quatorze  mesures 
différentes  dans  la  musique,  mesures  dont  la  distinction 
brouille  l'esprit  des  écoliers  pendant  un  temps  indéfini.  Or,  je 
soutiens  que  tous  les  mouvements  de  ces  différentes  mesures 
se  réduisent  uniquement  à  deux,  savoir  :  mouvement  à  deux 
temps  et  mouvement  à  trois  temps,  et  j'ose  défier  l'oreille  la 
plus  fine  d'en  trouver  de  naturels  qu'on  ne  puisse  exprimer 
avec  toute  la  précision  possible  par  l'une  de  ces  mesures. 

«  J.-J.  Rousseau.  » 

(Mémoire  à  l'Académie  des  Sciences  en  1742). 


La  résistance  acharnée,  haineuse  même,  que  les  musiciens 


V.  —  ÉVOLUTION  DE  l'ÉCRITURE  MUSICALE. 


51 


opposent  depuis  cent  cinquante  ans  aux  apôtres  de  la  Mé- 
thode modale,  ne  provient  pas  exclusivement  de  leur  esprit 
antiscientifique.  Il  leur  est  pénible  d'entendre  toutes  les 
gammes  chantées  sur  les  mêmes  noms  :  ut,  ré,  mi,  etc. 

Quand  ils  entendent,  par  exemple,  chanter  un  morceau 
en  sol,  il  leur  est  odieux  d'entendre  solfier  :  ut,  ré  mi...,  au 
lieu  de  sol,  la,  si...,  et  mon  avis  est  qu'ils  ont  raison. 

Les  réformateurs  auraient  dû  laisser  les  noms  usuels  des 
notes  pour  désigner,  comme  par  le  passé,  les  hauteurs  abso- 
lues et  prendre  sept  noms  nouveaux  pour  leur  solfège 
modal.  C'est  ainsi  que,  par  exemple,  M.  Framery,  un  des 
élèves  de  Chevé,  propose  les  sept  articulations  :  ta,  ra,  ma, 
va,  ja,  la,  sa,  système  auquel  je  reproche  seulement  l'identité 
de  l'articulation  la  dans  les  deux  langues  modale  et  tonale. 
Aimé  Paris  avait  proposé  :  To,  lu,  mé,  nou,  di,  ra,  san,  et 
Pierre  Bos  :  Ton,  ra,  mé,  fi,  do,  lu,  san. 

C'est  l'obstination  bretonne  des  Chevé,  se  refusant  à 
prendre,  pour  leur  musique  modale,  une  langue  nouvelle, 
qui  est  la  cause  de  l'insuccès  de  leur  apostolat. 

Après  avoir,  dans  la  sordide  rue  Visconti,  gravi  l'escalier 
vermoulu,  poisseux  et  sombre  de  la  vieille  masure  qui  abri- 
tait la  misère  des  Chevé  et  où  ils  avaient  recueilli  la  vieillesse 
de  Paris,  on  entrait  dans  la  salle  des  cours,  et  tout  s'illumi- 
nait au  prestige  de  l'éloquence  et  de  la  belle  figure  du  maître 
incomparable,  Emile  Chevé,  apôtre  si  entraînant,  que,  parmi 
ses  élèves,  beaucoup  avaient  en  lui  une  confiance  illimitée 
et  n'auraient  jamais  voulu  consulter,  pour  leur  santé,  un 
autre  que  ce  médecin  de  la  marine  qui  avait  renoncé  à  la 
pratique  de  l'art  médical  pour  se  faire  maître  à  chanter. 

Aujourd'hui  encore,  son  fils  Amand  Chevé,  octogénaire, 
brave  les  intempéries  pour  ne  pas  manquer  d'une  minute  un 
de  ses  nombreux  cours  gratuits. 

Tant  de  talent,  tant  de  génie,  tant  de  dévouement  au  ser- 
vice d'une  cause  excellente  en  théorie  et  d'une  œuvre  hu- 
manitaire, finiront  par  conquérir  à  la  réforme  de  l'enseigne- 
ment populaire  musical  les  pédagogues  du  monde  entier. 


CHAPITRE  VI. 


ÉVOLUTION  DE  L'ÉCRITURE  EN  RELIEF 

Les  personnes  qui  voudraient  des  détails  circonstanciés 
sur  l'histoire  de  l'écriture  ponctuée  devront  lire  les  deux 
volumes  où  M.  Pagnerre  a  récemment  traité  cette  question. 
Le  manuscrit,  dont  M.  Pagnerre  a  enrichi  la  bibliothèque 
Braille,  est  en  abrégé  orthographique,  et  daté  de  1902.  Il 
s'en  trouve  un  résumé  dans  l'annexe  du  volume  publié  à  la 
suite  du  Congrès  international  pour  l'amélioration  du  sort  des 
aveugles,  tenu  à  Bruxelles,  en  1902. 

L'histoire  de  Valentin  Haùy  qui,  vers  la  fin  du  xvme  siècle, 
enseigna  la  lecture  à  quelques  aveugles  au  moyen  de  lettres 
ordinaires  en  relief,  est  trop  connue  pour  qu'il  soit  utile  de 
la  raconter  ici.  Il  fut  le  fondateur  des  Ecoles  d'aveugles  de 
Paris  et  de  Saint-Pétersbourg.  Peu  à  peu,  dans  différents 
pays,  on  perfectionna  la  fabrication  de  livres  estampés,  à 
l'usage  des  aveugles,  notamment  en  simplifiant  la  forme  des 
caractères  employés.  Parmi  ces  simplifications,  la  plus 
célèbre  est  celle  de  l'anglais  Moon. 

En  1820,  Prony  présentait  à  l'Académie  des  Sciences  un 
rapport  sur  un  système  d'écriture,  inventé  par  le  capitaine 
Barbier  (1).  Dès  cette  époque,  Barbier  indiquait  la  supério- 
rité, pour  l'aveugle,  d'une  écriture  formée  de  points  saillants. 
Il  produisait  cette  écriture  au  moyen  d'un  poinçon  guidé, 
comme  cela  se  fait  encore  aujourd'hui,  par  le  contour  d'une 
cellule  rectangulaire.  Sous  le  papier,  une  plaque  portait 

(1)  Guilbeau.  Notice  sur  Barbier,  journal  de  Valentin  Haùy.  Paris, 
oct.  1891.  Rapport  de  Cuvier  et  Molard,  sur  un  Mémoire  de  Charles  Barbier, 
brochure  in-18  de  24  pages;  se  trouve  à  la  bibliothèque  Braille,  31,  ave- 
nue de  Breteuil,  sous  le  n°  118.  Cette  brochure  renvoie  à  des  rapports 
faits  en  1820  par  M.  de  Prony  et  en  1823  par  M.  Lacépède. 

Barbier.  Notice  sur  les  salles  d'asile,  le  retour  à  la  simplicité  primitive 
de  la  théorie  alphabétique,  l'instruction  familière  des  enfants  du  premier 
âge,  des  aveugles  de  naissance  et  des  sourds-muets.  Brochure  in-8°,  Paris, 
1834.  Cette  brochure  se  trouve  également  à  la  bibliothèque  Braille  et  à 
celle  de  l'Institut,  dans  un  volume  de  Mélanges  de  statistique,  n°  259. 


54 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


un  rayage  dont  l'emploi  s'est  transmis  jusqu'à  nous,  du 
moins  en  France. 

Trois  ans  plus  tard,  MM.  Ampère  et  Lacépède  firent  un 
nouveau  rapport  à  l'Institut.  Barbier  avait  amené  deux 
aveugles  sachant  lire  par  son  système.  Surpris  de  l'excel- 
lence du  résultat,  les  commissaires  firent  sortir  l'un  des 
deux  aveugles  et  dictèrent  une  phrase  à  l'autre.  Aussitôt 
rentré,  le  premier  lut  sans  hésitation  la  phrase  que  son 
camarade  venait  de  poinçonner.  Ainsi  l'écriture  ponctuée  et 
les  moyens  de  la  tracer  régulièrement  sont  l'œuvre  de 
Barbier,  qui,  de  plus,  avait  disposé  la  plaque  rayée  de 
manière  à  pouvoir  être  instantanément  déplacée  pour  que 
l'aveugle  fût  à  même  de  se  corriger.  Braille  lui  a  d'ailleurs 
pleinement  rendu  justice  en  terminant  la  préface  d'un  de 
ses  livres  par  la  phrase  suivante  (1)  :  «  Nous  aimerons  tou- 
jours à  répéter  que  notre  reconnaissance  appartient  à 
M.  Barbier,  qui,  le  premier,  a  inventé  un  procédé  d'écriture 
au  moyen  de  points,  à  l'usage  des  aveugles  ». 

Au  cours  des  vingt  ou  vingt-cinq  ans  qu'il  consacra  au 
perfectionnement  de  l'écriture  en  relief,  Barbier  paraît  avoir 
modifié  à  plusieurs  reprises  la  disposition  de  ses  points 
saillants  avant  d'aboutir  à  la  cellule  rectangulaire  pouvant 
recevoir  six  points.  Dans  une  brochure  qui  se  trouve  à  la 
bibliothèque  Braille,  sous  la  cote  IlOf  du  catalogue,  on 
trouve  l'explication  détaillée  de  la  fabrication  des  tablettes 
de  Barbier  mises  à  la  portée  des  aveugles  (2).  J'indique- 
rai d'abord  l'une  de  ses  notations  ponctuées,  d'après  un 
tableau  et  un  volume  appartenant  à  la  collection  de  M.  Bois- 
sicat,  économe  à  l'Institution  nationale  de  Paris.  L'impres- 
sion en  relief  est  parfaite  et  on  va  voir  que,  dans  ce  système, 
un  illettré  peut  apprendre  à  lire  en  quelques  heures.  La 
pierre  angulaire  du  système  est  le  tableau  en  noir  suivant, 
qu'il  faut  apprendre  par  cœur,  ligne  par  ligne.  Ce  travail  de 
mémoire,  le  seul  exigé  par  Barbier,  est  singulièrement 
facilité  par  la  disposition  logique  et  déductive  des  articu- 
lations inscrites  dans  le  tableau  et  qui  rappellent  les  articu- 

(  (1)  Procédé  pour  écrire  au  moyen  de  points,  2e  édition.  Imprimerie  de 
l'Institution  royale  des  jeunes  aveugles.  Paris,  1837  (Collection  particu- 
lière de  M.  Boissicat). 

(2)  Annales  de  l'Industrie  nationale  et  étrangère  ou  Mercure  technolo- 
gique. Bachelier,  55,  quai  des  Augustins.  Paris,  1822. 


VI.  —  ÉVOLUTION  DE  l'ÉCRITURE  EN  RELIEF.  55 

lations  du  célèbre  Conen  de  Prépéan,  le  père  de  la  sténo- 
graphie française. 


Tableau  de  Ch.  Barbier. 


Ire 

ligne. 

a 

o 

u 

é 

è 

2e 

ligne. 

an 

in 

on 

un 

eu 

ou 

3e 

ligne. 

b 

d 

g 

j 

V 

z 

ligne. 

P 

t 

q 

ch 

f 

s 

5e 

ligne. 

1 

m 

h 

11  (mouillé) 

6e 

ligne. 

oi 

oin 

ian 

ien 

ion 

ieu 

Pour  l'aveugle,  chaque  signe  se  compose  de  deux  files  de 
points,  parallèles  et  verticales.  Le  nombre  des  points  de  la 
file  de  gauche  donne  le  numéro  d'ordre  d'une  des  six  lignes 
horizontales  du  tableau,  et  le  nombre  des  points  de  la  fde 
de  droite  indique,  dans  la  ligne  horizontale  précédemment 
trouvée,  le  rang  de  la  case  du  tableau  en  noir. 

Voici  l'exemple  même  donné  par  Barbier. 


•  •  •  ••        •       •  •        ••  ••••»• 

•  •  •  ••        •  •        •  •••••• 

•  •  ••  e  »     •  •  •  ••• 


•••••  *  •      e  •         •  » 

•«•• 

•••• 

•-  9  •  m  m 

*  • 

Fig.  23. 

S'il  en  a  pris  la  peine,  le  lecteur  a  pu  reconstituer  les  huit 
mots  de  la  phrase  de  Barbier  : 

Lé .  choz  util  n  soré  ètr  tro  simpl.  (Les  choses  utiles  ne 
sauraient  être  trop  simples). 

Voici  maintenant  une  deuxième  notation  de  Barbier  : 
Je  n'ai  pu  en  trouver  la  description  nulle  part,  mais  dans 
un  discours  (1)  qu'il  lut  le  22  février  1844,  lors  de  l'inaugu- 
ration des  bâtiments  affectés,  boulevard  des  Invalides,  à  l'Ins- 
titution des  aveugles,  Guadet  expose  une  notation  de  Bar- 
bier, grâce  à  laquelle  il  suffisait  de  trois  points  pour  dési- 


(1)  Bibliothèque  du  laboratoire  d'ophtalmologie  à  la  Sorbonne.  Cote 
Av.,  12. 


56 


PREMIÈRE  PARTIE. 


  HISTORIQUE. 


gner  chacune  des  cases  du  tableau  en  noir  de  Barbier. 
Guadet  s'exprime  ainsi  : 

«  Chaque  ligne  est  représentée  par  deux  points,  et  c'est  la 
«  position  relative  de  ces  deux  points  qui  leur  donne  leur  signi- 
«  fication.  Ils  se  posent  perpendiculairement,  horizontalement 
«  obliquement,  rapprochés  ou  éloignés  l'un  de  l'autre.  » 


Fig.  24. 

((  Un  troisième  point  se  combine  avec  le  second  de  manière 
«  à  former  avec  lui  un  second  signe  semblable  à  l'un  de  ceux 
«  que  nous  venons  de  tracer,  et  celui-ci  indique  le  rang  que 
«  le  son  occupe  dans  la  ligne.  Par  exemple,  j'écrirai  tous  les 
«  sons  de  la  première  ligne  comme  il  suit  : 


Fig.  25. 

«  et  je  les  lirai  en  prenant  deux  à  deux  les  points  de  chaque 
«  signe.  » 

M.  Guadet  ajoute  en  note  : 

«  M.  Barbier  pensait  que  les  aveugles  pouvaient  bien  lire 
«  cette  dernière  écriture,  mais  il  ne  croyait  pas  qu'ils  pussent 
«  jamais  écrire  d'après  ce  système...  » 

Il  est  à  remarquer  que,  pour  la  représentation  des  sons 
par  trois  points,  Barbier  supprima  la  dernière  ligne  de  son 
tableau  de  trente-six  lignes. 

Le  discours  de  Guadet,  auquel  j'ai  emprunté  ce  qui  pré- 
cède, est  un  tiré  à  part  extrait  des  Annales  de  l'éducation 
des  sourds-muets  et  des  aveugles. 

Une  note  de  la  rédaction  de  ce  journal  (1844),  vol.  1,  p.  81, 
annonce  qu'on  reviendra  plus  tard  sur  l'écriture  de  Barbier. 
Je  crois  quecette  promesse  n'a  pas  été  tenue. 

C'est  à  Louis  Braille,  élève  et  plus  tard  professeur  à 
l'Institution  de  Paris,  qu'on  attribue  avec  juste  raison  le 
choix  de  combinaisons  de  ces  six  points  qui  constituent 
notre  alphabet. 


VI. 


—  ÉVOLUTION  DE  l'ÉCRITURE  EN  RELIEF. 


57 


A  mon  avis,  ce  choix  n'a  pas  été  aussi  heureux  qu'il  eût 
été  possible  de  le  faire.  Braille  n'avait  reçu  que  l'instruction 
tout  à  fait  rudimentaire  que  l'Etat  donnait  alors  aux  aveu- 
gles. Il  lui  fallut  mettre  au  service  d'une  ingéniosité  d'es- 
prit extraordinaire,  une  patience  peu  commune  pour  pro- 
duire ses  systèmes  d'écriture  et  de  musicographie.  Mais, 
réduit  à  tirer  tout  de  son  cerveau,  il  ne  pouvaij;  pas  lui  venir 
à  l'idée  de  tenir  compte  des  nécessités  des  langues  autres  que 
la  française,  ni  de  la  porte  qu'il  aurait  fallu  laisser  ouverte 
pour  les  procédés  abréviatifs.  «  Ces  différents  procédés 
abréviatifs,  dit  M.  Moldenhawer,  furent  conçus,  dans  les 
différents  pays,  sans  avoir  égard  aux  autres  langues  (1)  ». 

C'est  donc  à  l'adoption  de  l'écriture  orthographique  par 
Braille  qu'est  imputable  l'état  navrant  des  relations  interna- 
tionales entre  aveugles,  car  la  lenteur  de  l'alphabet  Braille  a 
été  la  tour  de  Babel  qui  a  fait  surgir  la  confusion  des 
abrégés  nationaux,  et  je  connais  peu  d'aveugles  qui  sachent 
lire  plus  d'une  langue  en  abrégé. 

Voici  le  tableau  en  points  de  Braille.  On  remarquera  que 
les  2e,  3e  et  4e  lignes  dérivent  de  la  première,  que  nous 
appellerons  ligne  type,  par  l'adjonction  de  un  ou  deux 
points. 

Tableau  de  Braille  en  points. 


•  •      •  •  • 


Fig.  26. 

(1)  Compte  rendu  du  Congrès  de  Bruxelles,  de  1902,  p.  162. 


58 


PREMIÈRE  PARTIE.    HISTORIQUE. 


Voici  maintenant,  disposés  d'une  manière  identique,  les 
signes  d'impression  ou  d'écriture  ordinaire,  représentés  par 
le  tableau  précédent.  C'est  le  tableau  en  noir  correspondant 
au  tableau  précédent  en  points  : 

Tableau  de  Braille  en  noir. 

lre  ligne.  abcdefgh  ij 

2e  ligne.  k         1        m        n        o        p        q         r        s  t 

3U  ligne.  u         vx         y         z         ç         é  àèù 

4e  ligne.  à         è  î         ô         ù        ë         ï  û       œ  \v 

5e  ligne.  ,         ;         :         .         ?        !        ()        »      .  *  -  ;  » 


En  prenant  dix  signes  pour  sa  première  ligne  ou  ligne 
type,  Braille  trouvait  l'avantage  d'employer  cette  ligne  en 
totalité  pour  exprimer  les  dix  chiffres. 

L'étude  de  cette  écriture  est  facilitée  par  ce  fait  qu'il  suffit 
à  l'élève  d'apprendre  par  cœur,  d'une  part,  la  forme  des  dix 
premiers  signes  ponctués,  et,  d'autre  part,  l'ordre  des  cin- 
quante signes  du  tableau  en  noir.  Pour  ceux  qui,  comme 
moi,  apprennent  le  Braille  à  un  âge  avancé,  cette  facilité  est 
appréciable,  mais,  pour  l'ensemble  des  aveugles,  elle  est  chè- 
rement payée  par  un  inconvénient. 

Il  se  produit,  en  effet,  pour  la  lecture  du  Braille,  quelque 
chose  d'analogue  à  ce  que  j'ai  signalé  autrefois  (1)  pour  la  lec- 
ture de  l'impression  ordinaire.  Cachez  la  moitié  inférieure 
d'une  ligne  imprimée,  vous  continuerez  à  la  lire  sans  peine, 
tandis  que  vous  ne  la  déchiffrerez  pas  si  vous  cachez  la 
partie  supérieure  des  lettres.  Aussi  le  regard  d'un  lecteur 
exercé  file-t-il  le  long  des  têtes  des  lettres,  bien  plus  carac- 
téristiques et  variées  que  leurs  pieds.  De  même,  quand  je 
lis  de  l'écriture  ponctuée,  mon  doigt  saisit  moins  le  bas  des 
lettres  et  il  m'arrive  de  lire  un  c  au  lieu  d'un  m  ou  d'un  x. 
C'est  que  l'étendue  la  plus  sensible  de  mon  doigt  est  moin- 
dre que  la  hauteur  d'une  écriture  ponctuée  courante.  Je  ne 
crois  pas  être  seul  dans  ce  cas.  Je  pense,  en  effet,  que  la 
fréquence  de  cet  inconvénient  a  été  pour  quelque  chose  dans 

(1)  Revue  scientifique,  25  Juin  1881,  Voir  :  Chapitre  XVI,  Typographie 
compacte. 


VI.  —  ÉVOLUTION  DE  l'ÉCRITURE  EN  RELIEF. 


59 


la  création  du  New  York  point,  où  les  lettres  ponctuées  ne 
comptent  que  deux  points  de  haut,  quitte  à  en  avoir  souvent 
trois  de  large. 

Remarquons  que  le  tableau  régulier  de  Braille  comprend 
seulement  cinquante  des  soixante-trois  signes  que  peut  four- 
nir la  cellule  rectangulaire. 

L'écriture  orthographique  de  Braille  gagna  du  terrain 
grâce  à  l'influence  des  Drs  Guillé  et  Pignier,  directeurs,  et  à 
celle  de  Guadet,  professeur  à  l'Institution  nationale  de  Paris, 
qui,  par  son  journal,  L'Instituteur  des  aveugles,  servit  de  lien 
entre  l'école  de  Paris  et  les  écoles  étrangères. 

Il  me  semble  que  ces  hommes  n'étaient  pas  dans  la  bonne 
voie  en  abandonnant  la  phonographie  de  Barbier. 

Dans  La  première  moitié  du  xixe  siècle,  sans  avoir  con- 
naissance des  travaux  de  Barbier  et  de  Braille,  un  Autri- 
chien du  plus  grand  mérite,  Klein,  combinait  un  alphabet 
formé  de  points,  lisible  pour  les  voyants  aussi  bien  que  pour 
les  aveugles.  Les  lettres  de  Klein  comptaient  cinq  points  sur 
leur  hauteur,  ce  qui  impliquait  trop  de  lenteur  dans  la  lec- 
ture et  surtout  dans  l'écriture. 

Le  trait-point  du  Dr  Vezien  et  le  bel  alphabet  du  Dr  Mas- 
caro  constituent  des  écritures  saillantes,  faciles  en  même 
temps  à  tracer  pour  les  aveugles  et  à  lire  pour  les  clair- 
voyants. 

DR.  .<!.  MrîSCrfRO' 

Fig.  27. 

En  Angleterre,  en  Autriche  et  en  Danemark,  on  a  rem- 
placé les  rayures  de  Barbier  par  des  cupules,  ce  qui  oblige 
l'écrivain  à  tenir  le  poinçon  bien  perpendiculaire  à  la  ta- 
blette, et,  par  suite,  à  former  correctement  les  points. 

Barbieravait  imaginé  le  rayage  pour  des  raisons  d'économie 
de  fabrication  qui  n'existent  plus  aujourd'hui,  et  je  recom- 
mande aux  commençants  d'employer  d'abord,  sauf  à  les 
abandonner  plus  tard,  des  tablettes  à  cupules  pour  être  sûrs 
de  prendre  l'habitude  si  importante  de  tenir  leur  poinçon 
bien  perpendiculairement  au  papier. 

A  la  fin  du  siècle  dernier,  un  Américain,  M.  Hall,  a  cons- 


60 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  HISTORIQUE. 


truit  une  excellente  machine  à  clavier  pour  écrire  le  Braille. 
Trois  touches  sont  actionnées  par  trois  doigts  de  la  main 
gauche,  et  trois  touches  sont  mises  en  mouvement  par  trois 
doigts  de  la  main  droite.  On  conçoit  donc  qu'à  l'aide  de  cette 
machine,  la  rapidité  d'écriture  soit  la  même  pour  les  carac- 
tères les  plus  complexes  que  pour  ceux  formés  d'un  seul 
point.  On  objecte  à  ces  machines  leur  prix  élevé  (125  à 
150  francs),  leurs  poids  de  plusieurs  kilogrammes,  et  le 
bruit  qu'elles  produisent. 

Ces  inconvénients  seront  sans  doute  atténués  un  jour, 
mais  je  ne  pense  pas  que  jamais  la  machine  fasse  disparaître 
l'emploi  de  la  tablette  de  poche. 

Avec  la  machine  américaine  Hall,  ou  ses  similaires,  on 
peut  écrire  au  moins  trois  fois  plus  vite  qu'avec  le  poinçon. 

La  machine  Stainoby-Wayne,  de  Birmingham,  plus 
récente,  écrit  sur  un  ruban  analogue  à  celui  du  télégraphe 
Morse.  D'après  le  prospectus,  la  rapidité  est  augmentée  par 
la  suppression  de  la  manœuvre  que  la  machine  Hall  exige 
pour  passer  d'une  ligne  à  l'autre,  et  aussi  par  ce  fait  que  les 
espaces  entre  les  mots  s'obtiennent  sans  exiger  le  moindre 
temps.  L'écrivain  peut,  sans  difficulté,  lire  les  derniers  mots 
marqués  et  écrire  à  la  suite. 

J'apprends  qu'on  vient  de  construire,  en  Allemagne,  une 
machine  à  sept  touches  pour  écrire  le  Braille.  Cette  machine, 
d'un  prix  très  modéré,  présente  le  grand  avantage  de  fonc- 
tionner par  l'emploi  de  la  main  droite  seule,  grâce  au  dépla- 
cement facile  du  pouce.  L'aveugle  peut  donc,  par  son  em- 
ploi, copier  avec  la  main  droite  un  texte  lu  par  l'index  de 
la  main  gauche. 


DEUXIÈME  PARTIE 


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES 


Les  huit  chapitres  qui  forment  cette  deuxième  partie 
constituent  pour  ainsi  dire  des  «  Mémoires  à  consulter  »  à 
l'usage  des  personnes  qui  voudraient  connaître  les  bases  sur 
lesquelles  s'appuient  les  assertions  et  les  conseils  qui  sont 
exposés  dans  la  troisième  partie  de  ce  volume. 

Tandis  que,  dans  la  première  partie,  on  a  réuni,  pour  ainsi 
dire,  des  pièces  justificatives  historiques,  la  seconde  est  un 
recueil  de  pièces  justificatives  théoriques,  nécessaires  seule- 
ment pour  les  lecteurs  curieux  d'aller  au  fond  des  choses. 


CHAPITRE  VII. 


OPTIQUE   DE  L'OEIL. 

Les  questions  d'hygiène  de  la  vue  et  en  particulier  les 
règles  qui  doivent  présider  à  l'éclairage  des  salles  de  classes, 
à  la  confection  des  cartes  et  des  livres  scolaires  ne  peuvent 
être  étudiées  sans  une  connaissance  préalable  de  l'optique  de 
l'œil  dont  le  présent  chapitre  constitue  un  abrégé  très  som- 
maire. 

Emmétropie  et  presbytie.  —  Comme  leurs  noms  l'in- 
diquent, Y emmétropie  est  l'état  de  l'oeil  optiquement  normal 
et  la  presbytie  est  une  modification  de  l'œil  qui  survient  sur- 
tout chez  les  gens  âgés. 

Depuis  les  mémorables  expériences  de  Thomas  Young, 
on  sait  que  Y  accommodation,  ou  miscau  point  pour  les  objets 
voisins,  se  fait  par  le  moyen  d'une  augmentation  de  réfrin- 
gence du  cristallin  ;  on  a  démontré  depuis  que  cette  défor- 
mation résulte  de  la  contraction  d'un  muscle  circulaire,  logé 
derrière  l'iris,  et  qu'on  nomme  muscle  de  Brùcke,  muscle 
ciliaire  ou  muscle  tenseur  de  la  choroïde.  Le  milieu  du  cris- 
tallin se  bombe  d'autant  plus  que  ce  muscle  se  contracte 
davantage.  Quand  le  muscle  est  entièrement  relâché,  l'action 
réfringente  du  cristallin  est  faible;  elle  atteint  son  maximum 
lorsque  le  muscle  est  le  plus  fortement  contracté.  L'œil  qui 
accommode  peut  donc  voir  nettement  des  objets  d'autant 
plus  voisins  que  le  cristallin  est  plus  souple  ou  que  le  muscle 
ciliaire  est  plus  fort. 

Il  faut  abandonner  l'ancienne  expression  de  distance  de  la 
vision  distincte  ;  en  fait,  nous  voyons  distinctement  entre 
deux  limites,  l'une  très  éloignée  (punctiim  remotnm)  et  l'autre 
très  rapprochée  (punctiim  proximum).  La  distance  entre  ces 
deux  limites  est  le  parcours  de  la  vision  distincte. 


64      DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

J'ai  dit  que  l'œil  emmétrope  est  optiquement  normal,  c'est 
dire  qu'il  n'est  ni  myope,  ni  hypermétrope.  Un  œil  peut  être 
affecté  de  cataracte,  d'amblyopie  (mauvaise  acuité),  etc., 
sans  cesser  d'être  emmétrope. 

On  verra  plus  loin  que  les  hypermétropes  et  que  certains 
myopes  peuvent  devenir  presbytes.  Examinons  d'abord  les 
phénomènes  qui  accompagnent  la  presbytie  chez  les  emmé- 
tropes, c'est-à-dire  chez  les  personnes  dont  les  yeux  sont 
construits  de  manière  à  recevoir  sur  la  rétine,  des  images 
nettes  d'objets  très  éloignés  quand  l'accommodation  est  com- 
plètement au  repos. 

Avec  les  progrès  de  l'âge,  chez  tous  les  hommes,  le  par- 
cours de  l'accommodation  diminue  graduellement,  si  bien 
que,  le  piinctiim  remotum  restant  à  peu  près  invariable,  le 
punctum  proximum  s'éloigne  peu  à  peu. 

Vers  l'âge  de  quarante-cinq  ans,  ce  point  est  déjà  assez 
loin,  chez  l'emmétrope,  pour  que  les  objets  tenus  à  la  main 
soient  situés  en  deçà  du  parcours  de  la  vision  distincte. 

C'est  cette  modification  qui  constitue  la  presbytie. 

On  voit  que  ce  défaut  de  la  vue  est  purement  optique  et 
n'est  point  un  affaiblissement  réel,  et  d'ailleurs  il  est  à  remar- 
quer que  les  yeux  presbytes  sont  généralement  très  solide- 
ment constitués  et  sont  rarement  atteints  d'un  certain  nom- 
bre de  maladies  graves,  telles  que  le  décollement  de  la 
rétine,  la  choroïdite,  etc. 

A  mesure  que  la  presbytie  augmente,  l'emmétrope  est  con- 
traint d'éloigner  les  objets  de  plus  en  plus  pour  les  voir  net- 
tement. Il  arrive  bientôt  un  moment  où  cet  artifice  devient 
insuffisant,  car  un  éloignement  trop  considérable  est  fort 
incommode  pour  le  travail,  et  de  plus,  la  possibilité  de  voir 
nettement  à  condition  de  s'éloigner  est  de  nulle  ressource, 
quand  il  s'agit  de  petits  objets,  tels  qu'une  impression  fine, 
qui  devient  indéchiffrable  pour  le  presbyte  un  peu  avancé. 
En  effet,  il  ne  peut  la  lire  de  près,  car  elle  se  trouverait 
située  en  deçà  du  parcours  de  son  accommodation,  et  il  ne 
gagne  guère  à  s'éloigner,  car  l'image  rétinienne  deviendrait 
trop  petite  pour  qu'il  soit  possible  d'en  faire  usage  pour 
lire. 

Tout  le  monde  sait  comment  et  pourquoi  les  verres  sphé- 
riques  convexes  permettent  aux  presbytes  de  se  tirer  fort 
bien  d'embarras  :  la  convexité  du  verre  vient  suppléer  à 


VII.  —  OPTIQUE  DE  L'ŒIL.  65 

l'impossibilité  où  ils  se  trouvent  de  bomber  d'une  manière 
permanente  leur  cristallin  pendant  la  lecture.  Mais,  par  ce 
moyen,  le  parcours  de  l'accommodation  se  trouve  déplacé  ;  en 
même  temps  que  le  punctum proximum  est  ramené  à  une  dis- 
tance suffisamment  petite,  le  punctum  remotum,  qui  était  à 
l'infini  pour  l'œil  nu,  se  trouve  également  rapproché,  de  telle 
sorte  que  le  presbyte  est  obligé  de  regarder  par-dessus  ses 
lunettes  quand  il  veut  voir  nettement  les  objets  lointains. 

L'augmentation  de  la  presbytie  ne  suit  pas  un  cours  plus 
rapide  chez  les  personnes  qui  se  servent  de  verres  suffi- 
sants que  chez  celles  qui,  sous  l'influence  d'un  préjugé 
populaire,  s'obstinent  à  lutter  et  à  faire  usage  de  verres  trop 
faibles.  Des  maux  de  tête,  des  conjonctivites  et  peut-être 
même  des  glaucomes,  résultent  des  efforts  exagérés  d'accom- 
modation que  certains  presbytes  imposent  à  leurs  yeux,  par 
crainte  de  recourir  aux  lunettes  en  temps  utile. 

Quelques  personnes  évitent  d'augmenter  la  force  de  leurs 
lunettes  quand  le  besoin  s'en  fait  sentir,  par  crainte  de  ne 
plus  trouver  de  verres  assez  forts  quand  elles  seront  vieilles  ; 
mais  cette  crainte  est  chimérique. 

Myopie.  —  Tandis  que  l'œil  emmétrope  mesure  environ 
22  millimètres  d'avant  en  arrière,  l'œil  myope  est  plus  long, 
et  le  degré  de  son  élongation  peut  servir  de  mesure  au  défaut 
de  cet  œil.  Chaque  millimètre  d'élongation  correspond  à  peu 
près  à  trois  dioptries  (1).  Nous  dirons  que  la  myopie  légère 
résulte  d'un  allongement  inférieur  à  1  millimètre  ;  une  aug- 
mentation de  longueur  comprise  entre  1  et  2  millimètres 

(1)  L'umfé  de  réfraction,  nommée  dioptrie,  est  donnée  par  une  lentille 
convexe  dont  la  distance  focale  principale  est  d'un  mètre.  L'action  réfrin- 
gente variant  en  raison  inverse  de  la  distance  focale,  il  en  résulte  le 
tableau  suivant,  qui  donne  la  concordance  entre  les  dioptries  D,  les  dis- 
tances focales  F  et  les  verres  de  commerce  numérotés  d'après  leurs  rayons 
de  courbure  en  pouces,  P  : 

D  =  1  2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12.  .  20 
F  =  lm  0.5  0.33  0.25  0.2  0.166  0.14  0.125  0.11  0.1  0.09  0.083  .  0.05 
P  =   40  20    13    10    8     6  |    5f      5    4       4    3  ^  3 1   .  2 

La  même  unité  sert  pour  mesurer  les  défauts  optiques  de  l'œil  ;  par 
exemple,  une  myopie  de  quatre  dioptries  est  celle  d'un  œil  dont  la  vue 
distincte  est  bornée  à  25  centimètres  et  dont  la  correction  exige  un  verre 
concave  de  10  pouces. 

JAVAL.  5 


66      DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

constituera  la  myopie  moyenne  ;  la  myopie  forte  répondra 
à  un  allongement  de  2  à  3  millimètres  ;  une  déformation 
plus  marquée  constituera  la  myopie  grave  ;  en  d'autres  ter- 
mes, ces  quatre  classes  sont  délimitées  par  les  chiffres  de 
trois,  six  et  neuf  dioptries. 

La  myopie  a  pour  premier  effet  de  nuire  à  la  vision  nette 
des  objets  lointains,  dont  les  images  viennent  se  peindre  en 
avant  de  la  rétine,  à  une  distance  d'autant  plus  grande  de 
cette  membrane  que  la  myopie  est  plus  forte  ;  pour  voir 
distinctement,  le  myope  doit  s'approcher  des  objets.  Pour  la 
myopie  légère,  le  point  le  plus  éloigné  de  la  vision  distincte 
est  au-delà  de  33  centimètres  ;  pour  la  myopie  moyenne,  il 
est  compris  entre  33  et  17  centimètres,  et  enfin,  chez  les  per- 
sonnes affectées  de  myopie  excessive,  le  point  le  plus  éloigné 
de  la  vision  distincte  est  distant  de  moins  de  11  centimètres. 
Tout  ceci  ressort  de  la  comparaison  des  trois  lignes  de  chif- 
fres du  tableau  très  important  contenu  dans  la  note  de  la 
page  précédente. 

De  même  que  les  verres  convexes  permettent  aux  presby- 
tes devoir  nettement  en  deçà  de  leur punctumproximum,  les 
verres  concaves  donnent» aux  myopes  la  possibilité  de  dis- 
tinguer les  objets  situés  au-delà  de  leur  pimctum  remotum  ; 
mais  tandis  que  les  presbytes  sont  obligés  de  quitter  leur 
besicles  pour  voir  au  loin,  les  jeunes  myopes  peuvent  voir 
d'assez  près  à  travers  les  lunettes  qui  corrigent  leur  myopie 
et  qui  ont  pour  effet  d'éloigner  de  leurs  yeux  tout  le  par- 
cours de  la  vision  distincte. 

Supposons  qu'un  myope  porte  d'une  manière  permanente 
les  lunettes  correctrices  exactes  de  son  défaut,  il  cessera  de 
pouvoir  distinguer  les  objets  voisins,  précisément  à  l'âge  où 
les  emmétropes  deviennent  presbytes.  Au  lieu  de  mettre, 
pour  lire,  des  lunettes  convexes  par-dessus  ses  lunettes  con- 
caves, il  sera  conduit  à  quitter  ses  lunettes  ou  à  en  prendre 
de  plus  faibles  pour  le  travail,  et  ce  fait  a  donné  naissance 
au  préjugé  d'après  lequel  les  yeux  myopes  s'amélioreraient 
avec  l'âge.  Ce  n'est  pas  la  myopie  qui  a  diminué,  c'est  le  par- 
cours de  l'accommodation  ;  en  d'autres  termes,  le  punctum 
proximum  s'est  éloigné  sans  qu'il  y  ait  eu  déplacement  du 
remotum. 

Par  suite  de  la  diminution  sénile  du  parcours  d'accommo- 
dation, il  peut  arriver  qu'un  myope  devienne  presbyte,  sans 


VII.           OPTIQUE  DE  L'ŒIL. 


67 


cesser  d'être  myope.  Par  exemple,  un  vieillard  dont  le  remo- 
tum  est  à  1  mètre  et  le  proximum  à  50  centimètres  de  l'œil,  a 
besoin  de  verres  concaves  n°  40  pourvoir  nettement  au  loin, 
et  de  verres  convexes  faibles  pour  distinguer  les  objets  voisins. 

On  ne  connaît  pas  bien  le  mécanisme  par  lequel  certains 
yeux  contractent  la  myopie,  mais  on  sait  que  cette  affection 
se  développe  rarement  chez  les  jeunes  enfants  et  rencontre 
son  terrain  de  prédilection  parmi  les  élèves  de  l'enseignement 
secondaire.  Je  pense  que,  chez  les  sujets  prédisposés,  l'œil 
s'adapte  d'une  manière  permanente  aux  exigences  d'un  travail 
assidu;  au  lieu  de  s'accommoder  transitoirement,  par  une 
augmentation  de  convexité  du  cristallin,  il  s'allonge,  de  ma- 
nière à  rendre  inutiles  les  contractions  du  muscle  ciliaire  (1). 
Cet  allongement  graduel  ne  va  pas  sans  altérations  des  tuni- 
ques oculaires;  la  choroïde  et  la  rétine  en  font  les  frais  et 
l'augmentation  de  la  myopie  est  le  moindre  des  inconvénients 
à  redouter  en  pareil  cas.  C'est  pourquoi,  dans  mon  opinion, 
pour  les  yeux  menacés  de  myopie  progressive,  le  commence- 
ment et  la  fin  de  la  sagesse  consistent  à  supprimer  tout 
effort  d'accommodation,  en  réglant  la  distance  des  yeux  à 
l'ouvrage  et  en  prescrivant  des  verres  strictement  suffisants. 
Depuis  que  je  procède  ainsi,  j'ai  vu  nombre  de  myopies 
progressives  devenir  stationnaires. 

Si  l'on  compulse  les  statistiques,  on  est  conduit  à  admettre 
que  la  utopie,  rare  chez  les  très  jeunes  enfants,  débute 
habituellement  vers  l'âge  de  huit  ou  dix  ans  et  commence 
par  être  légère  ;  j'ai  d'ailleurs  vérifié  le  fait  en  France,  en 
examinant  la  vue  de  nombreux  enfants  dans  plusieurs  écoles 
primaires  publiques  et  dans  deux  grands  établissements 
libres  d'enseignement  secondaire.  C'est  donc  pendant  le  pre- 
mier âge  scolaire  qu'il  faut  apporter  le  plus  grand  soin  à 
empêcher  les  enfants  de  s'approcher  trop  de  leurs  livres  et 
de  leurs  cahiers  et  c'est  pour  leur  en  faciliter  les  moyens 
qu'il  importe  de  veiller  à  l'éclairage  des  classes,  à  la  bonne 
impression  des  livres,  à  la  disposition  convenable  des  tables 
et  des  bancs.  Il  faut  surtout  adopter  des  méthodes  d'écri- 
ture qui  soient  compatibles  avec  une  bonne  attitude  des 
élèves. 


(1)  Pour  plus  de  détails, voir  à  la  fin  de  ce  chapitre,  page  79,  le  paragraphe 
consacré  aux  réglages  de  l'œil. 


68     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Quand  on  a  négligé  de  couper  le  mal  dans  sa  racine  et 
qu'on  a  laissé  la  myopie  apparaître,  il  est  encore  possible,  le 
plus  souvent,  d'en  arrêter  les  progrès.  J'ai  vu  disparaître  un 
commencement  de  myopie  chez  des  enfants  à  qui  j'avais  fait 
porter  des  verres  convexes  pour  supprimer  tout  effort. 

J'ai  souvent  vu  le  défaut  rester  tout  à  fait  stationnaire  chez 
des  écoliers  à  qui  je  recommandais  de  n'employer  qu'un  lor- 
gnon tenu  dans  la  main  gauche  pour  regarder  le  tableau  noir 
ou  les  cartes  géographiques,  de  manière  à  se  servir  de  leurs 
yeux  avec  des  verres  plus  faibles  pour  lire  et  pour  écrire  ;  il 
est  rare,  au  contraire,  que  la  myopie  ne  progresse  pas 
d'année  en  année  chez  les  écoliers  qu'on  arme  de  lunettes  ou 
de  pince-nez  qui  leur  suffisent  pour  voir  au  loin,  mais  qui 
les  obligent  à  faire  des  efforts  en  lisant  ou  en  écrivant. 

Plus  tard,  quand  la  croissance  est  terminée,  on  peut  être 
moins  réservé  ;  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  adultes 
qui  portent  en  permanence  et  sans  inconvénient  les  verres 
correcteurs  exacts. 

Hypermétropie.  —  On  a  vu  plus  haut  qu'une  myopie 
légère  est  compatible  avec  la  presbytie  ;  cette  remarque 
suffit  pour  indiquer  que  la  presbytie  n'est  pas  le  contraire  de 
la  myopie,  comme  on  se  le  figure  souvent.  L'opposé  de  la 
myopie  est  un  état  auquel  Donders  a  donné  le  nom  d'hyper- 
métropie et  qui  a  été  constaté  dès  1772  par  Jean  Janin  dans 
les  termes  suivants  : 

Tous  les  physiologistes  et  les  physiciens  ont  dit  qu'il  y  a 
trois  sortes  de  vue,  savoir  :  la  myope,  la  presbyte  et  la  vue 
parfaite.  De  ces  trois  espèces  de  vue,  il  n'y  en  a  que  deux  de 
naturelles,  qui  sont  :  la  vue  ordinaire  et  la  myope  ;  car  la 
presbytie  n'est  qu'accidentelle,  puisqu'elle  n'affecte  que  les 
vieillards...  Je  ne  sache  pas  qu'aucun  auteur  ait  fait  mention 
d'une  autre  espèce  de  vue  naturelle  ;  cependant  il  en  existe; 
mais  on  doit  les  considérer  comme  des  phénomènes,  ou  des 
écarts  de  la  nature.  L'observation  suivante  en  est  un 
exemple...  Quoique  les  yeux  du  sieur  Silva  représentassent, 
par  leur  grande  sphéricité,  des  yeux  myopes,  ils  ne  l'étaient 
cependant  pas,  puisque  les  lunettes  concaves,  bien  loin  de  lui 
être  favorables,  lui  causaient  au  contraire  une  plus  grande 
confusion  dans  l'objet  aperçu;  il  n'y  avait  que  les  lunettes 
qu'on  appelle  mi-cataractes/ qui  lui  fussent  utiles,  ce  qui  fait 
présumer,  avec  quelque  espèce  de  raison,  que  la  vue  de  son 
organe  a  beaucoup  d'analogie  avec  l'œil  d'une  personne  qui  a 
souffert  l'opération  de  la  cataracte... 


VII.  —  OPTIQUE  DE  L'ŒIL. 


69 


Il  est  difficile  de  mieux  définir  l'hypermétropie.  Depuis 
Janin,  nombre  d'oculistes  et  d'opticiens  ont  constaté  la  fré- 
quence de  ce  défaut  de  vue,  et  lui  ont  donné  les  noms 
d'hyperopie  ou  d'hyperpresbyopie.  Ce  dernier  nom  doit  être 
abandonné,  car  les  yeux  qui,  à  l'inverse  des  myopes, 
trouvent  avantage  à  l'emploi  des  verres  convexes  pour  la 
vision  des  objets  lointains,  sont  affectés,  comme  l'explique 
Janin,  d'un  défaut  naturel,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
la  presbytie,  laquelle  est  une  diminution  de  l'accommodation 
résultant  de  l'âge.  A  l'inverse  des  yeux  myopes,  qui  sont  trop 
longs,  les  yeux  hypermétropes  sont  trop  courts;  il  en  résulte 
que  les  images  des  objets  lointains  viendraient  se  former  en 
arrière  de  la  rétine,  si  ces  yeux  ne  faisaient  pas  des  efforts 
d'accommodation.  Tout  cela  a  été  exposé  en  détail  par 
Stellwag  von  Carion. 

Tandis  que  l'excès  de  longueur  de  l'œil  myope  peut 
dépasser  6  millimètres,  le  défaut  de  développement  de  l'œil 
hypermétrope  se  chiffre  généralement  par  une  fraction  de 
millimètre.  L'hypermétropie  ne  réduit  le  parcours  d'accom- 
modation que  par  son  extrémité  voisine  de  l'œil,  si  bien  que, 
pendant  une  partie  de  la  vie,  la  vision  des  objets  lointains 
reste  nette  et  que,  dans  la  jeunesse,  le  seul  symptôme  de 
l'hypermétropie  est  un  recul  du  punctum  proximum.  Sauf 
dans  les  cas  d'hypermétropie  forte,  ce  recul  passe  inaperçu 
pendant  bien  des  années,  si  bien  que  la  plupart  des  per- 
sonnes exemptes  de  myopie  sont  hypermétropes  sans  s'en 
douter.  Il  est  clair  que  les  hypermétropes  deviennent  pres- 
bytes plus  ou  moins  prématurément,  selon  le  degré  du  vice 
de  construction  de  leurs  yeux.  Il  n'est  pas  très  rare  de  voir 
des  jeunes  gens  donner  un  démenti  à  l'étymologie  et  devenir 
presbytes  :  ce  sont  des  sujets  fortement  hypermétropes. 

Tout  aussi  bien  que  les  presbytes  ont  avantage  à  recou- 
rir à  des  verres  convexes  de  force  suffisante,  il  n'existe 
aucune  raison  pour  priver  les  hypermétropes  de  ce  secours 
dès  que  leur  vue  commence  à  se  fatiguer.  Tant  qu'ils  sont 
jeunes,  il  leur  suffit  de  faire  usage  de  verres  pour  le  travail; 
mais,  à  mesure  que  leur  accommodation  faiblit,  ils  trouvent 
avantage  à  les  garder  pour  voir  au  loin.  Enfin,  vers  l'âge  de 
quarante-cinq  ans,  les  hypermétropes  commencent  à  devoir 
employer  deux  paires  de  verres,  l'une  plus  faible,  pour  voir 
au  loin,  et  l'autre  pour  lire.  Comme  les  emmétropes  devenus 


70      DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

presbytes,  ils  doivent  augmenter  tous  les  cinq  ou  six  ans  la 
force  des  lunettes  qui  leur  servent  pour  leur  travail. 

La  connaissance  de  la  fréquence  de  l'hypermétropie,  la 
pratique,  suivie  maintenant,  de  prescrire  sans  crainte  des 
verres  convexes  de  force  suffisante  pour  en  corriger  les  effets 
fâcheux,  constituent  un  des  plus  utiles  progrès  de  l'ophtal- 
mologie moderne,  car  le  nombre  est  grand  des  personnes 
auxquels  on  rend  ainsi  l'usage  de  la  vue  au  lieu  de  les  décla- 
rer, comme  autrefois,  atteintes  d'asthénopie  incurable.  Cette 
notion  a  été  répandue  dans  le  public  par  Donders. 

Astigmatisme.  —  Tandis  que  le  public  et  les  opticiens 
ont  des  notions  plus  ou  moins  nettes  sur  la  presbytie  et  la 
myopie,  et  que  les  oculistes  savent  tous  reconnaître  l'hyper- 
métropie,  il  faudra  bien  des  années  encore  pour  que  l'astig- 
matisme, le  plus  fréquent  des  défauts  de  l'œil,  soit  connu 
autant  qu'il  importerait  dans  l'intérêt  des  personnes  innom- 
brables qui  en  sont  affectées. 

En  créant  le  nom  d'astigmatisme  pour  désigner  ce  défaut, 
Whewell  voulait  rappeler  que,  dans  les  yeux  qui  en  sont 
affectés,  l'image  d'un  point  lumineux  extérieur  ne  vient  pas 
se  peindre  en  un  point  mathématique  sur  la  rétine. 

La  découverte  de  l'astigmatisme  est  due  au  célèbre  phy- 
sicien et  médecin  anglais  Dr  Thomas  Young  qui  constata 
l'existence  de  ce  défaut  dans  un  de  ses  yeux  et  prouva,  par 
des  expériences  extrêmement  ingénieuses,  que  l'irrégularité 
de  cet  œil  siégeait  dans  le  cristallin.  Le  cas  de  Th.  Young 
était  exceptionnel,  car,  en  général,  l'astigmatisme  reconnaît 
pour  cause  une  déformation  de  la  cornée. 

On  sait  qu'on  appelle  solide  de  révolution  tout  corps  qui 
pourrait  se  fabriquer  sur  un  tour:  une  toupie,  un  gland,  un 
œuf...  sont  autant  de  solides  de  révolution.  Un  œuf,  un  oi- 
gnon sont  des  solides  de  révolution  d'une  forme  particulière  ; 
en  effet,  coupés  par  des  plans  passant  par  leur  axe,  ces  soli- 
des ont  pour  sections  des  ellipses.  Dans  l'œuf,  c'est  le  grand 
axe,  dans  l'oignon,  c'est  le  petit  axe  de  ces  ellipses  qui  coïn- 
cide avec  l'axe  de  révolution.  Tout  solide  de  révolution  qui, 
coupé  par  un  plan  passant  par  l'axe,  a  pour  section  une  el- 
lipse, porte  le  nom  d'ellipsoïde  de  révolution.  —  Il  n'est  pas 
beaucoup  plus  difficile  de  se  figurer  un  ellipsoïde  qui  ne  soit 
pas  de  révolution.  En  effet,  si  les  dômes  de  nos  monu- 


VII.   —   OPTIQUE  DE  L'ŒIL. 


71 


ments  publics  sont  ellipsoïdes  de  révolution,  cela  tient  à  ce 
que  l'espace  à  couvrir  est  circulaire  ;  si  l'on  se  proposait  de 
construire  une  coupole,  de  forme  aussi  simple  que  possible, 
destinée  à  recouvrir  une  aire  elliptique,  la  surface  de  cette 
coupole  cesserait  d'être  celle  d'un  solide  de  révolution,  tout 
en  restant  ellipsoïdale  (ellipsoïde  à  trois  axes  inégaux).  C'est 
précisément  une  surface  de  ce  genre  qui  constitue  la  cornée 
de  l'œil  astigmate. 

En  1818,  M.  Cassas,  élève  du  peintre  Gros,  ennuyé  de 
voir  le  maître  ajouter  toujours  des  traits  horizontaux  sur 
ses  dessins,  constatait  qu'en  effet  ses  yeux  distinguaient  mal 
les  lignes  horizontales.  Après  de  nombreuses  tentatives, 
Cassas  finit  par  se  faire  tailler  à  Rome,  par  Suscipi,  en  1844, 
des  verres  qu'il  me  montra  en  1865  et  qui  lui  donnèrent 
pleine  satisfaction  pendant  bien  des  années.  Ces  verres,  con- 
vexes sphériques  en  avant,  affectaient  du  côté  de  l'œil  la 
figure  d'un  tore  concave.  De  même,  en  1827,  Airy,  le  direc- 
teur de  l'Observatoire  de  Greenwich,  remarquait  que,  malgré 
le  secours  du  verre  concave  le  mieux  approprié,  son  œil 
gauche  voyait  les  étoiles  sous  forme  de  traits  lumineux; 
d'autre  part,  pour  cet  œil,  une  croix  verticale  tracée  sur  un 
papier  n'était  visible  nettement  à  aucune  distance.  A  condi- 
tion de  l'incliner  de  manière  que  l'un  des  bras  de  la  croix 
formât  un  angle  de  35  degrés  avec  la  verticale,  il  pouvait  voir 
alternativement  avec  netteté  l'une  ou  l'autre  des  lignes  en  se 
mettant  plus  ou  moins  loin  du  papier:  il  corrigea  son  défaut 
de  vue  au  nioj^en  d'un  verre  cylindrique. 

C'est  à  Goulier,  alors  capitaine  du  génie  et  professeur  à 
l'Ecole  d'application  de  Metz,  que  revient  l'honneur  d'avoir 
reconnu  la  fréquence  de  l'astigmatisme  et  d'avoir,  le  premier, 
rendu  la  netteté  de  la  vue  à  un  grand  nombre  de  personnes 
par  le  moyen  de  verres  C3dindriques.  Dès  le  12  juillet  1852, 
il  consignait  le  résultat  de  ses  observations  dans  un  pli 
cacheté  qu'il  fit  ouvrir  en  1865,  et  dont  le  contenu  fut 
alors  reproduit  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des 
Sciences.  Le  remarquable  mémoire  de  M.  Goulier  a  été 
reproduit  dans  mon  Histoire  de  l'astigmatisme.  Annales  d'oeu- 
Ustique,  1866,  t.  LV. 

Je  conserve  dans  mon  petit  musée  de  famille  une  feuille 
de  hachures  gravées  sur  pierre,  que  Goulier  m'avait  offerte 
vers  1864  et  dont  je  donne  ici  la  reproduction  ;  les  lignes  que 


72      DEUXIÈME  PARTIE.   —   CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Goulier  traça  sur  cette  épreuve  en  me  la  remettant  ont  pâli 
par  le  temps,  altération  que  la  photogravure  n'a  pas  pu 
rendre  (Fig.  28). 


Fig.  28. 


Dans  une  conférence  faite  dans  le  grand  amphithéâtre  de 
la  Sorbonne  le  1er  avril  1880,  j'avais  fait  distribuer  à  lous 
les  assistants  une  feuille  portant  des  hachures  analogues  à 
celles  de  M.  Goulier  et  reproduite  par  la  fig.  29.  Cette  figure 
permet  à  chacun  de  vérifier  si,  pour  ses  yeux,  l'astigmatisme 
atteint  un  degré  assez  élevé  pour  nécessiter  l'emploi  de  verres 
cylindriques. 

Pour  mesurer  l'astigmatisme,  après  avoir  fermé  un  œil,  on 
fait  tourner  la  figure  dans  un  plan  vertical  jusqu'à  ce  que 
les  carrés  de  l'une  des  deux  lignes  apparaissent  avec  des 
rayures  aussi  tranchées  que  possible.  A  ce  moment,  l'œil 
étant  à  25  centimètres  de  la  figure,  la  force  de  l'astigmatisme 


vu.  — 


OPTIQUE  DE  L  ŒIL. 


est  donnée  par  la  différence  de  rang  entre  les  carrés  des 
deux  files  qui  paraissent  encore  striés. 

On  peut  renouveler  la  même  expérience  à  50  centimètres 
de  distance,  mais  alors  les  rangs  des  carrés  sont  exprimés 
par  les  chiffres  de  la  seconde  ligne  :  une  différence  d'un  rang 
n'indique  plus  qu'une  demi-dioptrie  d'astigmatisme.  —  On 
peut  procéder  de  même  à  un  mètre,  en  se  servant  des  chiffres 


de  la  troisième  ligne.  Suivant  les  cas,  pour  l'une  ou  l'autre 
des  expériences,  qui  se  contrôlent  mutuellement,  il  est  utile 
de  corriger  préalablement  la  myopie  ou  la  presbytie  par  des 
verres  sphériques  appropriés  (1). 

Il  est  utile  de  corriger  l'astigmatisme  à  partir  d'une  demi- 
dioptrie,  d'une  dioptrie  ou  d'une  dioptrie  et  demie,  selon 
l'âge  ou  la  profession  des  personnes  qui  en  sont  affectées  ;  à 
partir  de  deux  dioptries,  le  défaut  cause  toujours  une  gêne 
très  appréciable. 

Cependant,  dès  1854,  une  voie  nouvelle  avait  été  ouverte 
par  Helmholtz  qui,  peu  de  temps  après  son  invention  de 
l'ophtalmoscopc,  mit  aux  mains  des  oculistes  son  ophlalmo- 


(1)  On  verra  plus  loin  que  j'appelle  bonne  une  une  vue  meilleure  que 
celle  qui  correspond  à  la  normale  de  Snellen,  et  cela  dans  le  rapport 
de  7/5.  A  l'éloignement  de  0.75,  une  bonne  vue  distingue  des  hachures 
distantes  de  1/10  m/m.  S'il  y  a  défaut  de  réfraction,  les  hachures  sont 
distantes  d'autant  de  fois  1/10  m/m  en  plus  qu'il  y  a  de  dioptries  de  défaut 
de  réfraction.  En  particulier  pour  l'astigmatisme,  quand  les  hachures 
correspondent  au  méridien  défectueux,  la  distance  des  hachures  cessant 
d'être  visible,  augmente  de  1/10  m/m  pour  chaque  dioptrie  d'astigmatisme. 

La  distance  d'axe  en  axe  des  hachures  est  donc  respectivement  de  0,07, 
0.14,  0.21,  0.28,  0.35,  0.42,  0.49,  0.56  dixièmes. 


74      DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

mètre,  instrument  auquel  il  attacha  une  telle  importance 
qu'il  le  fit  figurer,  vingt  ans  après,  au  premier  plan  des 
accessoires  qu'on  remarque  sur  son  portrait,  peint  par 
Knaus.  Cet  instrument  permet,  en  effet,  de  mesurer  avec  une 
grande  précision  les  rayons  de  courbure  de  la  cornée  sur  le 
vivant,  et  Knapp,  Donders,  Mandelstamm,  Woinow,  v. 
Reuss,  Mauthner,  etc.,  s'en  servirent  successivement  pour 
effectuer  des  mensurations  qui  donnèrent  quelques  rensei- 
gnements sur  la  forme  de  la  cornée  humaine. 

Pendant  plus  de  vingt-cinq  ans,  personne  n'avait 
supposé  que  l'ophtalmomètre  fut  susceptible  de  perfection- 
nement, quand  le  Dr  Schiôtz,  de  Christiania,  vint  passer 
un  an  au  laboratoire  d'ophtalmologie  de  la  Sorbonne  pour 
faire  de  l'ophtalmométrie.  Rebutés  par  les  difficultés  excès- 


VII.   —   OPTIQUE  DE  L'ŒIL.  75 

sives  de  la  manœuvre  de  l'instrument  d'Helmholtz,  nous 
fûmes  conduits  à  y  introduire  successivement  divers  chan- 
gements dont  le  succès  nous  amena  graduellement  à  faire 
construire,  par  l'habile  opticien  Laurent,  un  ophtalmomètre 
(Fig.  30)  si  pratique  qu'en  une  journée  nous  eûmes  la  joie 
d'effectuer  plus  de  mensurations  d'astigmatisme  qu'il  n'en 
avait  été  fait  en  vingt-cinq  ans  par  les  nombreux  obser- 
vateurs qui  ont  employé  l'ophtalmomètre  primitif. —  D'autre 
part,  progrès  non  moins  utile,  un  procédé  d'examen  de  l'œil, 
imaginé  par  le  médecin  militaire  Cuignet,  a  été  perfectionné 
et  introduit  dans  la  pratique  courante  par  le  Dr  Parent,  de 
Paris,  sous  le  nom  de  skiascopie.  Grâce  à  ces  deux  procédés  : 
ophtalmométrie  et  skiascopie,  tout  oculiste  doit  reconnaître 
facilement  l'existence  de  l'astigmatisme,  en  évaluer  aisément 
l'importance,  et  savoir  s'il  doit  procéder  à  une  mesure  sub- 
jective au  moyen  du  cadran  horaire  (Fig.  31),  que  j'emploie 
à  cet  effet,  depuis  1865,  avec  mon  optomètre  (Fig.  32). 

L'introduction  de  la  mesure  de  l'astigmatisme  dans  la  pra- 
tique quotidienne  est  un  bienfait. 

Il  importe,  en  effet,  de  remarquer  que,  dans  l'ordre  naturel 
des  choses,  les  yeux  ont  une  force  de  résistance  tout  à  fait 
extraordinaire  ;  les  personnes  qui  ont  une  bonne  vue  peu- 
vent travailler  indéfiniment,  de  jour  et  de  nuit,  sans  aucune 
fatigue  et  sans  aucun  inconvé- 
nient pour  leurs  yeux,  et  elles 
peuvent  continuer  ainsi  jus- 
qu'à l'âge  le  plus  avancé,  sans 
autre  condition  que  d'avoir  à 
prendre  des  verres  convexes 
quand  elles  deviennent  presby- 
tes. Il  n'en  est  plus  de  même 
pour  celles  dont  la  vue  est  dé- 
fectueuse :  leurs  yeux,  sous 
l'influence  de  la  fatigue,  refu- 
sent plus  ou  moins  le  service 
ou  contractent  des  inflamma- 
tions qui  résistent  à  tous  les 
collyres,  mais  qui  disparaissent  comme 
par  l'emploi  de  verres  appropriés;  or,  parmi  ces  verres,  les 
cylindriques  tiennent  le  premier  rang,  car  c'est  l'absence  d'as- 
tigmatisme qui  caractérise  un  œil  régulièrement  construit.  Tou- 


r  enchantement 


76      DEUXIÈME  PARTIE.   —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

tes  les  fois  qu'une  personne  se  plaint  de  sa  vue,  s'il  ne  s'agit 
pas  du  retentissement  d'une  maladie  générale  de  l'organisme 
ou  d'une  maladie  infectieuse,  il  faut  rechercher  l'astigmatisme. 


Fig.  32. 


La  qualité  d'un  œil  est  si  bien  liée  à  son  astigmatisme 
qu'on  peut  affirmer  presque  à  coup  sûr,  chez  les  strabiques, 
la  présence  d'un  astigmatisme  plus  fort  sur  l'œil  dévié  que 
sur  l'œil  sain. 

On  peut  lire  dans  certains  auteurs  qu'il  existe  dans  la 
plupart  des  yeux  sains  un  astigmatisme  normal  ou  physiolo- 
gique dont  il  est  inutile  de  tenir  compte;  c'est  aussi  faux  que 
si  l'on  parlait  d'un  emphysème  normal  ou  d'une  insuffisance 


VII.   —  OPTIQUE  DE  L'ŒIL.  77 

physiologique  des  valvules  mitrales.  Il  est  vrai  de  dire  que 
de  faibles  degrés  d'astigmatisme  sont  souvent  négligeables  en 
pratique.  Il  est  plus  difficile  de  fixer  à  partir  de  quel  degré 
le  défaut  mérite  d'être  corrigé,  car  ici  une  foule  de  circons- 
tances, telles  que  la  profession,  l'état  général  de  santé  de 
l'individu  et  surtout  son  âge,  viennent  influer  fortement  sur 
nos  déterminations.  Je  transcris  ici  ma  propre  observation 
que  j'ai  publiée  il  y  a  une  vingtaine  d'années. 

«  Jusqu'à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  malgré  un  peu  d'hyper- 
«  métropie,  la  vue  de  notre  sujet  était  restée  tout  à  fait 
«  excellente,  car  il  distinguait  parfaitement  à  l'œil  nu  six  ou 
«  sept  étoiles  dans  le  groupe  des  Pléiades.  Etant  élève  à 
«  l'Ecole  des  Mines,  il  fut  pris  d'une  légère  asthénopic  et 
«  d'une  conjonctivite  tenace  pour  laquelle  les  deux  plus 
«  célèbres  oculistes  de  Paris  lui  infligèrent  les  traitements  les 
«  plus  cuisants  et  une  interruption  d'études.  Un  nouveau 
«  venu,  disciple  de  Dondcrs,  diagnostiqua  un  astigmatisme 
«  physiologique  et  ne  prescrivit  pas  de  verres.  Notre  patient 
«  construisit  alors  un  optomètre  avec  lequel  il  mesura  le  dé- 
«  faut  de  sa  vue,  et,  depuis  qu'il  porte  des  verres  cylin- 
«  driques,  sa  conjonctivite  a  disparu.  Au  lieu  de  se  faire 
«  agriculteur,  comme  on  le  lui  conseillait,  il  a  étudié  la 
«  médecine  et  ne  s'esl  guère  privé  de  passer  des  jours  et 
«  des  nuits  à  travailler  au  bureau  et  au  laboratoire  d'oph- 
«  talmologie  ;  il  est  peut-être  permis  de  lui  pardonner  s'il 
«  parle  avec  trop  d'enthousiasme  des  verres  cylindriques 
«  qui  ont  radicalement  transformé  son  existence  et  l'ont 
«  mis  à  même  de  faire,  sur  la  correction  de  l'astigmatisme 
«  chez  autrui,  des  recherches  dont  il  s'exagère  peut-être 
«  l'utilité  ». 

Il  est  clair  qu'un  faible  degré  d'astigmatisme  peut  être  con- 
sidéré comme  négligeable  chez  un  paysan  illettré  et  mériter 
au  contraire  une  correction  par  les  verres  chez  une  coutu- 
rière, un  savant  ou  un  artiste. 

Mais  l'astigmatisme  est  habituellement  méconnu.  C'est 
ainsi  qu'en  avril  1877,  les  journaux  publiaient  une  lettre  du 
peintre  Marchai  qui  venait  de  se  suicider  et  dont  voici  le 
début  : 

Mon  cher  Paul,  ma  vue  est  dérangée.  Quand  je  veux  peindre 
ou  dessiner,  l'objet  est  doublé  dîme  façon  presque  impercep- 
tible ;  cela  suffit  pour  m'empècher  de  produire  !  C'est  une 


78      DEUXIÈME  PARTIE.   —   CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

espèce  de  taquinerie  nerveuse  de  l'œil,  qui  n'a  l'air  de  rien. 
Pour  un  peintre,  c'est  la  mort.  Voilà  bientôt  un  an  que 
j'éprouve  ce  supplice,  que  je  croyais  voir  cesser.  Il  s'éter- 
nise... Puisque  la  vie  renonce  à  moi,  je  n'ai  pas  le  choix,  il 
faut  renoncer  à  elle,  etc. 

Assurément  les  cas  où  l'astigmatisme  conduit  à  un  dénoû- 
ment  tragique  sont  rares,  mais  le  nombre  de  gens  que  ce 
défaut  de  vue  a  obligés  à  renoncer  à  leur  profession  est 
incalculable,  et,  pour  en  diminuer  le  nombre,  on  ne  saurait 
trop  répéter  que  l'astigmatisme  est  le  plus  fréquent  des 
défauts  de  la  vue. 

Il  importe  de  savoir  aussi  que  l'astigmatisme  est  une 
cause  de  myopie,  car  la  myopie  se  produit  de  préférence 
chez  les  écoliers  qui  regardent  de  trop  près,  et  il  est  conce- 
vable que  l'astigmate  soit  porté  à  rapprocher  les  yeux  des 
objets,  surtout  si  ce  sont  des  livres  imprimés  trop  fin  et  si 
l'éclairage  est  insuffisant.  Les  chiffres  de  la  statistique,  faite 
par  M.  Nordenson  à  Y  Ecole  alsacienne,  viennent  à  l'appui  de 
cette  thèse  ;  en  effet,  pas  un  seul  des  myopes  de  cette  école 
n'était  exempt  d'astigmatisme  (1). 

Par  un  singulier  contraste,  l'astigmatisme  peut  être  un 
préservatif  de  la  myopie  ;  en  effet,  quand  un  sujet  est  affecté 
de  degrés  très  inégaux  d'astigmatisme  aux  deux  yeux,  il  peut 
arriver  que  l'œil  le  moins  astigmate,  étant  seul  capable  de 
vision  nette,  est  seul  employé  pour  l'étude  et  devient  myope, 
tandis  que  l'autre  reste  intact. 

A  première  vue,  les  verres  cylindriques,  montés  en 
lunettes,  ne  diffèrent  pas  des  verres  sphériques  ;  car,  tandis 
que  la  surface  de  ces  derniers  est  empruntée  à  une  sphère 
de  rayon  assez  grand  pour  que  leur  courbure  soit  à  peine 
sensible,  les  verres  cylindriques  sont  taillés  selon  la  surface 
d'un  cylindre  dont  le  rayon  est  assez  grand  pour  qu'il  faille, 
tout  au  moins  pour  les  faibles  numéros,  les  examiner  de 
fort  près  pour  remarquer  leur  convexité  ou  leur  concavité. 

L'emploi  des  verres  cylindriques  n'exclut  en  aucune  façon 
celui  des  verres  sphériques,  convexes  ou  concaves.  Rien 
n'empêche  de  faire  tailler  l'une  des  surfaces  du  verre  sui- 
vant une  forme  sphérique  pour   corriger  la  myopie,  la 

(1)  Pour  plus  de  détail,  voir  la  statistique  très  considérable  de  Steiger. 
Internationale!-  Kongress  fur  Schulhygiene  in  Nurnberg,  April  1904. 


VII.   —  OPTIQUE  DE  L'ŒIL.  79 

presbytie  ou  l'hypermétropie  et  l'autre  surface  suivant  une 
forme  cylindrique,  qu'on  choisira  convexe  ou  concave, 
selon  les  cas. 

C'est  un  physiologiste  hollandais  Donders,  vulgarisateur 
de  premier  ordre  qui,  s'inspirant  d'un  travail  de  Helmholtz, 
révéla  au  monde  médical,  vers  1860,  l'existence  de  l'astig- 
matisme et  l'utilité  des  verres  cylindriques.  Avant  cette 
époque,  quand  un  consultant  leur  semblait  avoir  besoin  de 
lunettes,  les  oculistes  l'envoyaient  se  pourvoir  chez  un 
opticien.  Actuellement,  les  oculistes  mesurent  eux-mêmes, 
tant  bien  que  mal,  les  défauts  optiques  de  l'œil,  et  on  en 
cite,  en  Amérique,  pour  qui  cette  occupation  constitue  la 
part  principale  de  leur  activité  professionnelle. 

En  Amérique,  la  précision  apportée  à  ce  travail  n'a  pas 
cessé  d'augmenter  sous  la  pression  de  clients  méfiants  qui 
consultent  de  plusieurs  côtés,  jusqu'à  ce  que  deux  oculistes 
leur  aient  délivré  des  prescriptions  dont  les  chiffres  soient 
identiques. 

En  Amérique  aussi,  nous  voyons  apparaître  une  organi- 
sation qualifiée  de  retour  en  arrière  par  les  oculistes  et  qui 
constitue,  à  mon  avis,  un  progrès  considérable  :  on  voit 
surgir  de  toutes  parts  des  cours  à  l'usage  des  commis  opti- 
ciens, où  on  leur  enseigne  à  mesurer  la  réfraction  oculaire 
et  à  fournir  au  public  des  verres  et  des  montures  convena- 
blement adaptés. 

Dans  l'intérêt  du  plus  grand  nombre,  il  me  paraît  dési- 
rable de  voir  arracher  le  monopole  de  ce  travail  minutieux 
aux  médecins  qui,  nécessairement,  font  payer  le  public,  en 
raison  de  leur  position  sociale  et  de  leurs  études  anté- 
rieures dont  l'utilité  est  nulle,  dans  l'espèce. 

Si  l'emploi  des  verres  correcteurs  de  l'astigmatisme  est 
encore  infiniment  loin  d'avoir  pris  l'extension  désirable,  cela 
tient  surtout  aux  applications  inexactes  qui  en  sont  faites 
journellement  :  les  mesures,  surtout  les  mesures  d'angles  (1), 
se  font,  le  plus  souvent,  avec  une  inexactitude  déplorable. 
Rien  d'étonnant  si  le  client,  pourvu  de  verres  cylindriques 

(1)  Il  serait  urgent  qu'un  accord  international  intervînt  pour  uniformiser 
la  notation  de  l'angle  des  verres  cylindriques.  Voir,  à  ce  sujet,  Annales 
d'oculistique,  1902,  t.  CXXVII,  p.  10,  dans  mon  article  sur  la  vérification 
des  ophtalmomètres. 


80      DEUXIÈME  PARTIE.   —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

mal  adaptés  et  par  cela  même  inutiles  ou  même  nuisibles, 
jette  le  discrédit  sur  toute  cette  affaire  de  l'astigmatisme. 

La  situation  changera  du  tout  au  tout  quand  le  monde  sera 
doté,  par  centaines  de  mille,  de  modestes  praticiens  moins 
avares  de  leur  temps  qui,  dans  les  boutiques  des  opticiens, 
feront  avec  soin  et  pour  un  prix  modéré  une  besogne  infini- 
ment utile. 

Anisométropie .  —  Il  est  rare  que  les  deux  yeux  d'une 
même  personne  soient  suffisamment  identiques  pour  qu'on 
ne  puisse  trouver  entre  eux  une  différence  mesurable,  mais 
cette  différence  est  généralement  assez  faible  pour  être 
pratiquement  négligeable.  On  peut  classer  les  anisométropes 
en  trois  catégories,  suivant  que  leur  anisométropie  est  acci- 
dentelle, naturelle  ou  acquise. 

Dans  la  première  catégorie  nous  mettrons,  par  exemple, 
les  personnes  dont  l'un  des  yeux  a  été  plus  ou  moins  mutilé 
par  un  traumatisme,  une  opération,  une  affection  aiguë. 

Les  anisométropes  de  la  seconde  catégorie,  qui  consti- 
tuent l'immense  majorité  du  genre  humain,  sont  ceux, 
j'insiste  sur  ce  point,  dont  l'astigmatisme  n'est  pas  exac- 
tement le  même  aux  deux  yeux.  La  différence  est  générale- 
ment légère,  et  chez  la  plupart  des  sujets,  elle  n'est  bien 
démontrable  que  depuis  les  derniers  progrès  de  l'ophtalmo- 
métrie.  Il  est  impossible  de  mesurer  quelques  centaines  de 
cornées  sans  être  frappé  de  la  concordance  extrême  entre  les 
rayons  de  courbure  des  deux  yeux  de  la  même  personne. 
Quand  il  n'y  a  pas  d'astigmatisme,  ou  qu'il  est  le  même  des 
deux  côtés,  les  mensurations  des  rayons  de  courbure  con- 
cordent à  un  cinquantième  de  millimètre  près. 

Enfin,  dans  la  troisième  catégorie,  nous  rangeons  les 
personnes  dont  les  yeux  ont  subi  des  modifications  par  le 
temps  :  celles  par  exemple  dont  l'un  des  yeux  est  devenu 
myope,  l'autre  étant  resté  hypermétrope  ou  emmétrope,  ou 
bien  encore  les  sujets  dont  la  myopie  des  deux  yeux  est 
devenue  inégale  par  suite  de  renonciation  à  la  vision  bino- 
culaire pendant  la  lecture. 

Pour  compléter  ce  chapitre  relatif  à  l'optique  de  l'œil,  je 
reproduis  ici  une  communication  que  j'ai  faite,  en  présence 
de  M.  Helmholtz,  dans  la  section  de  physiologie  au  Congrès 
international  des  sciences  médicales,  tenu  à  Berlin  en  1890. 


VII.  —   OPTIQUE   DE  L'ŒIL. 


81 


Sur  les  réglages  optiques  de  l'œil.  —  Il  y  a  plus  de 
vingt  ans  que,  parlant  des  imperfections  optiques  de  l'œil, 
M.  Helmholtz,  dans  une  boutade  restée  célèbre,  disait  : 

<(  En  présence  d'un  opticien  qui  voudrait  me  livrer  un  ins- 
trument entaché  de  pareils  défauts,  je  me  sentirais  parfaite- 
ment autorisé  à  refuser  son  ouvrage,  et  à  accompagner  mon 
refus  des  expressions  les  plus  dures  ». 

Je  n'ai  pas  reçu  mission  de  plaider  les  circonstances  atté- 
nuantes en  faveur  de  l'opticien,  mais  je  voudrais  dire,  à  sa 
décharge,  que  son  œuvre  est  mieux  agencée  qu'on  ne  pouvait 
le  croire  il  y  a  vingt  ans,  et  c'est  précisément  par  1  emploi 
des  méthodes  créées  par  M.  Helmholtz  que  je  suis  arrivé  à 
cette  conviction. 

Tous  ceux  qui  se  servent  d'instruments  de  précision  ne 
demandent  pas  à  l'artiste  de  leur  fournir  des  instruments 
parfaits.  Ils  préfèrent,  avec  raison,  des  instruments  munis 
de  moyens  de  réglage. 

Dans  mon  opinion,  les  réglages  sont  nombreux  dans  l'œil  ; 
je  n'en  citerai  aujourd'hui  que  quatre,  deux  sphériques  et 
deux  astigmatiques. 

Réglages  sphériques.  —  Vous  connaissez  tous  le  réglage 
intermittent,  qui  constitue  l'accommodation.  —  Il  existe  dans 
l'œil  un  second  réglage  sphérique,  producteur  de  la  myopie, 
qui  fonctionnait  avant  l'an  de  grâce  1299,  date  de  l'invention 
des  lunettes  convexes,  et  dont  on  pourrait  se  passer  aujour- 
d'hui. 

Grâce  à  ce  réglage,  un  très  grand  nombre  de  personnes  qui 
font  emploi  de  leurs  yeux  pendant  leur  jeunesse  pour  exa- 
miner de  petits  objets,  deviennent  myopes  précisément  autant 
qu'il  convient  pour  pouvoir  continuer  leurs  travaux  jusqu'à 
l'âge  le  plus  avancé.  En  général,  ce  réglage  fonctionne  d'une 
quantité  rigoureusement  égale  pour  les  deux  yeux.  —  Quand 
il  dépasse  le  but  et  aboutit  à  une  myopie  excessive,  il  faut 
souvent  en  accuser  quelque  oculiste  ou  opticien  maladroit. 

Réglages  astigmatiques.  —  Ici  encore  un  réglage  intermittent 
et  un  réglage  permanent. 

Le  réglage  intermittent,  annoncé  d'abord  par  Dobrowolsky, 
est  connu  sous  le  nom  d'accommodation  astigmatique  du  cris- 
tallin; son  existence  est  affirmée  maintenant  par  presque  tous 
les  oculistes  qui  font  usage  de  mon  ophtalmomètre. 

J'arrive  enfin  au  point  nouveau  de  ma  communication.  — 
On  appelle  astigmatisme  cornéen  direct  celui  où  le  plus  petit 
rayon  de  courbure  de  l'œil  est  vertical.  —  Je  crois  (je  n'ose 
pas  encore  affirmer)  que  l'ouvrier  de  la  première  heure,  dé- 
sespérant de  faire  un  œil  qui  fût  et  restât  toujours  d'une  ré- 
fraction homocentrique,  a  construit  cet  organe  avec  un  astig- 
matisme direct,  mais  avec  une  résistance  moindre  dans  le 
méridien  vertical,  ce  qui  rend  possible  d'effacer  cette  astigma- 


JAYAL. 


82     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

tisme  par  le  moyen  d'une  augmentation  de  pression  intra- 
oculaire. 

Première  présomption.  —  Le  Dr.  Bull,  en  ophtalmométrant 
une  fillette  dont  j'avais  soumis  l'œil  droit  à  une  occlusion  per- 
manente pendant  plus  d'un  an,  trouva  que  l'astigmatisme  direct 
de  cet  œil  avait  augmenté  d'une  quantité  très  supérieure  aux 
erreurs  possibles  de  mesure,  tandis  que  celui  de  l'œil  gauche 
n'avait  guère  changé.  J'ai  relevé  depuis,  dans  mes  livres,  plu- 
sieurs observations  analogues,  et  j'ai  constaté  avec  certitude 
depuis  la  suppression  de  la  louchette,  une  diminution  dans 
l'astigmatisme  de  l'œil  mesuré  par  M.  Bull. 

Deuxième  présomption.  —  MM.  Martin,  à  Bordeaux,  et  Pfalz, 
à  Kœnigsberg,  ont  constaté  simultanément,  par  des  mesures 
ophtalmométriques,  la  fréquence  de  l'astigmatisme  inverse 
chez  les  glaucomateux,  et  Martin  a  même  pu  constater  une 
coïncidence  entre  l'augmentation  de  pression  intraoculaire  et 
cet  astigmatisme. 

On  est  donc  tenté  d'admettre  que,  chez  les  glaucomateux, 
l'appareil  de  réglage  dépasse  le  but. 

Enfin,  M.  Eissen  a  constaté,  sur  des  yeux  de  lapins,  des 
transformations  dans  le  sens  de  l'astigmatisme  et  ses  belles 
expériences  paraissent  tout  à  fait  concorder  avec  les  obser- 
vations de  Martin. 

Les  travaux  anatomiques  de  M.  Hocquart  sont  venus  con- 
firmer déjà  mes  hypothèses  sur  l'accommodation  astigma- 
tique  du  cristallin.  La  parole  est  à  l'observation  des  malades 
pour  voir  ce  qui  en  est  du  réglage  astigmatique  de  la  cornée. 

Pour  terminer,  j'ajouterai  que  l'œil  présente  probablement 
d'autres  réglages  encore  :  il  est  présumable  que  la  combi- 
naison de  la  forme  de  la  cornée  et  de  la  contraction  de  la 
pupille  joue  un  rôle  dans  l'aplanétisation  de  l'œil  pour  diverses 
distances.  Malgré  les  admirables  travaux  de  nos  devanciers, 
toute  cette  optique  de  l'œil  offre  encore  aux  chercheurs  des 
problèmes  du  plus  haut  intérêt,  et  il  est  fâcheux  que  son  étude 
ait  été  quelque  peu  négligée,  sous  l'influence  de  l'admiration 
légitime  inspirée  par  les  travaux  de  M.  Helmholtz  et  que,  dans 
leur  modestie,  les  contemporains  ont  eu  le  tort  de  considérer 
comme  définitifs. 


CHAPITRE  VIII. 

DE  L'ACUITÉ  VISUELLE  INDÉPENDAMMENT 
DE  L'ÉCLAIRAGE. 

La  vision  indirecte  ne  jouant,  dans  la  lecture,  qu'un  rôle 
accessoire,  nous  ne  nous  occuperons  ici  que  de  la  vision 
directe,  laquelle  ne  paraît  pas  employer  les  bâtonnets,  et 
s'exerce  au  moyen  des  cônes,  terminaisons  nerveuses  sensibles 
dont  la  mosaïque  tapisse  la  macula  hitea  ou  tache  faune  de  la 
rétine,  tout  autour  de  la  fovea  centralis  ou  point  de  fixation. 

Nous  admettons,  avec  tous  les  physiologistes,  que  chaque 
cône  ne  peut  nous  fournir  qu'une  seule  sensation.  En 
d'autres  termes,  nous  admettrons  comme  démontré  que  les 
images  de  deux  points  lumineux  très  voisins,  venant  se 
peindre  sur  un  seul  cône,  produisent  la  même  impression 
qu'un  seul  point  deux  fois  plus  brillant.  Nous  admettrons 
également  que  pour  produire  la  sensation  de  deux  points 
séparés  la  distance  des  centres  des  deux  images  devra 
excéder  le  diamètre  d'un  élément  sensible.  En  effet,  si  les 
images  sont  plus  rapprochées  que  le  diamètre  d'un  cône, 
deux  cas  peuvent  se  présenter  :  elles  se  peignent  sur  un 
même  cône,  et  alors  la  sensation  est  évidemment  unique  ;  ou 
bien  elles  tombent  sur  deux  cônes  contigus,  et  alors  rien  ne 
distingue  la  sensation  obtenue  d'avec  celle  que  produirait 
un  point  unique  dont  l'image  tomberait  précisément  sur  la 
limite  commune  de  deux  cônes. 

Partant  de  ces  idées  théoriques,  on  a  fait  de  nombreuses 
expériences  en  prenant  pour  objets  des  couples  de  points 
lumineux,  des  groupes  de  lignes  parallèles  ou  des  figures  en 
échiquier,  et  ces  recherches  ont  cadré  assez  bien  avec  les 


84     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


résultats  obtenus  par  la  mesure  micrométrique  des  cônes 
rétiniens,  pour  qu'on  puisse  admettre  que  ces  cônes  consti- 
tuent les  éléments  sensibles  de  la  rétine. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'aborder  cette  intéressante 
étude;  nous  devons  nous  borner  à  rechercher  si  les  expé- 
riences dont  nous  venons  de  parler  peuvent  nous  servir  à 
étudier  l'aptitude  de  l'œil  pour  la  lecture,  aptitude  que 
nous  désignerons  provisoirement  par  le  nom  d'acuité 
visuelle. 

Nous  ferons  remarquer  tout  d'abord  que  la  lecture  est  un 
acte  passablement  complexe,  et  que  c'est  aller  un  peu  vite 
en  besogne  que  de  l'assimiler  à  cette  expérience  qui  consiste 
à  rechercher  la  distance  la  plus  grande  où  la  figure  formée 
par  des  traits  parallèles,  alternativement  blancs  et  noirs,  cesse 
de  paraître  rayée  et  prend  l'aspect  d'une  teinte  plate;  il 
nous  semble  donc,  a  priori,  que  les  raisonnements  théori- 
ques sur  lesquels  se  sont  fondés  M.  Giraud-Teulon  et 
M.  Snellen,  lorsqu'ils  ont  construit  leurs  échelles  typogra- 
phiques, ne  reposent  pas  sur  une  base  solide  (1). 

Les  premières  échelles  typographiques  régulières  qui  aient 
été  faites  sont  celles  de  Stellwag  von  Carion  (Sitzungsber. 
der  math,  naturw.  Classe  der  Kais.  Akademie  der  Wissen- 
schaften,  t.  XVI,  p.  187-282),  échelle  gravée  avec  une  éton- 
nante précision. 

D'autre  part,  le  Dr  Hirschmann  (2)  a  pu  distinguer  les 
rayures  d'un  gril  dans  des  conditions  telles  que  l'angle  sous 

(1)  Voici  des  extraits  des  explications  de  M.  Giraud-Teulon  : 

«  Cette  échelle  est  formée  par  une  série  de  caractères  d'imprimerie, 
assemblés  pour  la  lecture  courante,  et  disposés  en  série  régulièrement 
progressive.  La  progression  a  pour  unité  l'intervalle  0mm,10  qui,  à  33  cen- 
timètres (1  pied  de  distance,  sous-tend  un  arc  rétinien  de  1'  ou  de  0mm,005. 
Tous  les  caractères  de  l'échelle,  visés  à  la  distance  marquée  (en  pieds) 
par  leur  numéro  dans  la  série,  sous-tendent  ce  même  angle  de  1',  corres- 
pondant à  cette  même  grandeur  de  l'image  rétinienne  0mm,005. 

»  La  limite  de  gi-andeur  de  l'image  0mm, 005,  et  la  condition  de  présenter 
les  pleins  égaux  aux  clairs  donnent  à  cette  échelle  l'avantage  de  s'appuyer 
sur  le  dernier  terme  de  la  sensibilité  distincte  de  la  rétine  ;  dès  que  l'ob- 
servateur vient  à  sortir  des  limites  du  champ  de  sa  vision  distincte,  le 
cercle  de  diffusion  qui  naît  à  cet  instant  empêche  au  même  moment  de 
distinguer  le  blanc  du  noir. 

»  Pour  mesurer,  chez  chaque  sujet,  le  degré  de  sensibilité  distincte  ou 
l'acuité  de  la  vision,  on  considérera  comme  ayant  une  acuité  égale  à  1 
tout  individu  lisant  couramment  le  n°  1  à  1  pied  de  distance,  le  n°  2  à  2 
pieds,  etc.  ». 

(2)  Helmholtz,  Optique  physiologique,  trad.  française,  p.  296. 


VIII.    DE  L'ACUITÉ  VISUELLE. 


85 


lequel  il  voyait  la  distance  entre  les  axes  de  deux  barreaux 
consécutifs  ne  dépassait  pas  50",  et  rien  ne  prouve  que 
d'autres  observateurs  ne  distingueraient  pas  les  rayures  sous 
un  angle  encore  moindre.  Il  faut  bien  noter  que  c'est  d'axe 
en  axe  que  les  distances  des  barreaux  ont  été  mesurées  dans 
ces  expériences  ;  les  pleins  étant  égaux  aux  vides,  les  bar- 
reaux ne  sous-tendaient  qu'un  angle  de  25". 

Si  l'on  se  basait  sur  ces  expériences,  les  jambages  des 
lettres  employées  dans  les  échelles  typographiques  des  ocu- 
listes devraient  donc  apparaître  sous  un  angle  inférieur  aune 
demi-minute.  Faisant  le  calcul,  on  trouve,  par  exemple, 
que  les  jambages  de  l'ancien  n°  1  de  Snellen  et  du  n°  1  de 
Giraud-Teulon,  qui  sont  destinés  à  être  lus  l'un  et  l'autre  à 
un  pied,  devraient  avoir  une  épaisseur  inférieure  à  cinq 
centièmes  de  millimètre  (0mm,05),  tandis  qu'ils  mesurent 
exactement  0mm,l.  La  même  observation  s'applique  évidem- 
ment à  tous  les  numéros  des  échelles,  de  telle  sorte  que  le 
numéro  1  devrait  être  marqué  2,  le  2  deviendrait  4,  en  un 
mot,  tous  les  numéros  devraient  être  doublés  tout  au  moins, 
si  l'on  voulait  se  conformer  aux  données  de  la  théorie  sur 
laquelle  on  a  voulu  fonder  la  construction  des  échelles. 

Cette  simple  remarque,  mieux  que  tous  les  raisonnements, 
suffit  pour  nous  contraindre  à  laisser  de  côté  les  consi- 
dérations théoriques  sur  lesquelles  on  a  voulu  s'appuyer 
pour  construire  des  échelles  optotypiques  régulières. 

Nous  appellerons  Vision  excellente,  celle  qui  permet  de 
distinguer  des  caractères  moitié  plus  petits  que  ceux  qui  in- 
diquent, d'après  Snellen,  la  Vision  normale. 

Nous  ne  saurions  trop  répéter  que  l'expression  classique 
de  Vision  normale,  introduite  par  Donders  et  Snellen,  doit 
être  abandonnée. 

Nous  allons  procéder  par  modifications  successives  des 
Optotypi  de  Snellen  ;  ces  types  étant  connus  dans  tout  l'uni- 
vers, nous  trouverons,  en  les  prenant  pour  point  de  départ, 
l'avantage  de  procéder  du  connu  pour  aller  au  nouveau. 

1°  Dimension  du  tableau.  —  Réduisons  tout  d'abord  au 
cinquième,  l'échelle  que  M.  Snellen  destine  à  être  éloignée 
de  cinq  mètres  ;  cette  dimension  réduite  nous  donne  un 
tableau  bien  plus  maniable  et  que  nous  regarderons  à  la 
distance  d'un  mètre,  au  lieu  de  cinq,  ce  qui  sera  beaucoup 


86      DEUXIÈME  PARTIE.   —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


plus  commode  et  ne  présente  aucun  inconvénient  pour  notre 
recherche  spéciale  (partie  gauche  de  la  Fig.  33). 


B 

D  E 

0-3®. 

<«  T  B  R 

aï-us. 

F  E  B  D 

20    E  T  L  F  N 

P  Z  E  D  B  G 

©•8. 

10  OLTZBDH 


U  I 

X  L 


112 


80 


56 


T  H  A  40 


X  X  O  U  28 

;      ■  '    A  M  T  X  I  V  20 

:  ;  "  '  '      X  U  A  M  T  H  Z  N  14 

:  :  ;  ■  •    u  hnor  m  a  t  v  i  i  10 

"  '  "  I  *           V  T  U  O  M     HIVXY     NZ I  H  O  J 


2°  Forme  des  lettres.  —  D'après  ce  que  nous  avons  dit  plus 
haut,  les  considérations  théoriques  sur  lesquelles  M.  Snellen 
s'est  fondé  pour  tracer  ses  lettres  dans  des  carrés,  divisés 
chacun   en  vingt-cinq  carrés  plus   petits,  ne  paraissant 


VIII.    DE  LACUITÉ  VISUELLE. 


87 


pas  exactes,  rien  ne  nous  oblige  à  conserver  les  caractères  de 
forme  tout  au  moins  insolite  dont  s'est  servi  notre  éminent 
confrère.  Nous  n'hésiterons  pas  un  instant  à  choisir  les  capi- 
tales antiques,  moins  à  cause  de  leur  facile  exécution,  que  pour 
adopter  celui  de  tous  les  types  qui  est  le  moins  exposé  aux 
caprices  de  la  mode  (Fig.  33).  Parmi  les  antiques,  nous 
choisissons  un  TYPE  CARRÉ  et  non  pas  un  TYPE  ALLONGÉ 
qui  serait  moins  classique.  On  verra  plus  loin  que  le  choix 
de  lettres  de  ce  genre  était  utile  pour  obtenir  des  échelles 
peu  influençables  par  les  variations  de  l'éclairage. 

3°  Point  de  départ.  —  Le  n°  1  figure  33  de  Snellen  mesure 
une  hauteur  de  lmm,5  et  est  formé  de  traits  de  0mm,3,  et  l'on 
dit  que  l'acuité  normale  est  celle  d'un  œil  qui  lit  le  n°  1  à 
un  mètre.  —  Il  faut  bien  nous  expliquer  ici  sur  ce  qu'on 
aurait  dû  entendre  par  acuité  normale.  En  effet,  M.  Snellen 
a  pris  pour  acuité  normale  ce  que  nous  appellerions  plus 
volontiers  acuité  moyenne.  Une  comparaison  fera  immédia- 
tement saisir  la  différence  qui  existe  entre  ces  deux  expres- 
sions :  la  durée  de  la  vie  moyenne  pourra  être  de  trente- 
cinq  ans  dans  un  pays  où  la  durée  de  la  vie  normale  serait 
peut-être  du  double. 

En  regard  de  la  table  de  Snellen,  réduite  au  cinquième 
pour  être  observée  à  un  mètre,  je  reproduis  une  table  faite 
également  pour  être  observée  à  un  mètre  (Fig.  33).  La  der- 
nière ligne  de  cette  table  est  distinguée  à  un  mètre  par  une 
vue  excellente,  l'avant-dernière,  à  la  même  distance,  par  une 
bonne  vue.  La  troisième  ligne  (en  remontant)  dont  les  lettres 
ont  un  millimètre  4  dixièmes  de  haut  et  sont  formées  de 
traits  épais  de  0mm35,  sont  de  la  même  lisibilité  que  la  der- 
nière ligne  de  la  table  de  Snellen. 

Ainsi  les  personnes  qui  lisent  à  un  mètre  la  dernière  ligne 
du  nouveau  tableau  ont  une  acuité  double  de  la  normale  de 
Snellen. 

On  verra  plus  loin  les  relations  entre  les  grandeurs  des 
lettres  et  les  carrés  figurés  entre  ce  tableau  et  celui  de 
Snellen. 

Nous  admettrons  donc  qu'une  bonne  vue  peut  lire  à  la 
distance  d'un  mètre  des  lettres  capitales  antiques  hautes 
d'un  millimètre  et  formées  de  traits  épais  d'un  quart  de 


88     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

millimètre,  dont  on  peut  voirie  spécimen,  deuxième  ligne  en 
remontant  de  la  nouvelle  échelle,  lettres  identiques  à  celles 
du  groupe  jy  de  la  figure  34  ci-dessous. 


IVTOH 

-  YHATMLFNYP 
1  UTXVDPOTZL 

-  TO  A  M  DH  TQ 
*         VH       TU       LF  HV 


VH 


Fisr.  34. 


Les  lettres  de  cette  figure  mesurent  respectivement  8  ;  4  ; 
2,1  et  0,5  millimètres  de  haut  et  les  traits  ont  4;  2  ;  1  ;  0,5; 
0,25;  0,125;  0,0625  millimètres  d'épaisseur.  Il  en  résulte  que 
toutes  les  lettres  d'une  même  horizontale  sont  de  même 
grandeur  et  que  toutes  celles  d'une  même  verticale  sont 
formées  de  traits  de  même  épaisseur. 

Nous  ferons  observer  que  les  lettres  de  la  file  oblique 

YH  TO 

commençant  par  V  continuant  par   y-p  puis  etc., 

sont  semblables  dans  le  sens  géométrique  du  mot  ;  les  traits 
ont  une  épaisseur  égale  au  quart  de  la  hauteur  de  chaque 
lettre  ;  en  un  mot,  dans  toute  cette  file  oblique,  les  lettres 
sont  comme  des  réductions  photographiques  successives 
d'un  type  unique. 

Théoriquement,  l'acuité  visuelle,  au  lieu  d'être  inverse- 
ment proportionnelle  à  la  grandeur  linéaire  des  plus  petites 
lettres  distinguées,  est  en  réalité  inversement  proportionnelle 


VIII.  — 


DE  L'ACUITÉ  VISUELLE. 


89 


au  carré  de  cette  grandeur.  Si  par  conséquent,  on  voulait  se 
servir  de  la  Fig.  34  pour  mesurer  la  sensibilité  rétinienne, 
c'est  plutôt  des  files  horizontales  que  des  files  obliques  qu'il 
faudrait  faire  usage  en  numérotant  les  lettres  1,  2,  4,  8,  etc., 
tandis  que  théoriquement  les  lettres  de  la  file  oblique  seraient 
numérotées  1,  4,  16,  64,  etc.  Cependant,  dans  ce  qui  suit,  il 
sera  bien  plus  commode  de  parler  simplement  de  la  hauteur 
ou  grandeur  linéaire  des  lettres  vues,  sans  rien  préjuger 
relativement  à  la  théorie  de  l'acuité  visuelle. 

4°  Choix  des  degrés  de  l'échelle.  —  La  grandeur  relative  des 
lettres  de  l'échelle  de  M.  Snellen  est  mesurée  par  les  nom- 
bres 1  ;  1,5  ;  2  ;  3  ;  4  ;  6  et  10.  Si  l'on  veut  des  échelons  à 
peu  près  aussi  nombreux,  il  sera  préférable  de  prendre  1  ; 
v  27  2  ;  2  v/2]  4  ;  4  yjY;  8  et  8  sj %  qui  forment  une  progression 
géométrique;  les  hauteurs  des  lettres  seront  respectivement 
1  ;  1,41  ;  2;  2,83;  4;  5,66;  8,  11,31...  Il  serait  tout  aussi 
facile  d'obtenir  une  progression  géométrique  à  intervalles 
aussi  rapprochés  qu'on  voudra.  Pour  le  moment,  nous  de- 
vons nous  borner  à  faire  ressortir  les  avantages  que  pré- 
sente la  progression  géométrique,  et  qui  ont  d'ailleurs  été 
indiqués  par  M.  Green  (1). 

On  remarquera  tout  d'abord  que  les  échelons  en  progres- 
sion géométrique  présentent,  sur  les  intervalles  adoptés 
par  M.  Snellen,  l'avantage  que  l'échelle  est  propre  à  être 
employée  à  autant  de  distances  différentes  qu'elle  compte  de 
lignes  :  nous  avons  supposé  jusqu'ici  qu'on  se  mettait  à  la 
distance  d'un  mètre  ;  rapprochons-nous,  par  exemple,  à 

H  T 

50  centimètres,  c'est  le  groupe  y  y  (Fig.  34)  de  la  dernière 

ligne  qui  devra  être  lu  par  une  bonne  vue. 

Principale  supériorité  de  la  progression  géométrique  : 
l'expression  :  le  malade  lit  une  ligne  de  plus  de  la  fig.  34,  prend 
un  sens  parfaitement  déterminé  :  son  acuité  superficielle  a 
doublé  ;  s'il  lit  deux  lignes  déplus,  son  acuité  linéaire  a  dou- 
blé, mais  son  acuité  superficielle  a  quadruplé. 

(1)  A  New  Séries  of  Test  Letters,  in  Transactions  of  the  American 
Ophthalmological  Society,  1867,  p.  67.  M.  Green  avait  choisi  la  progres- 
sion \J  2.  Je  préfère  \]  2. 


90      DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


En  d'autres  termes,  si  l'on  persiste  à  considérer  l'acuité 
visuelle  comme  inversement  proportionnelle  à  la  grandeur 
linéaire  des  lettres  lues,  c'est  lorsque  le  malade  gagne  deux 
lignes  de  la  fîg.  33  qu'on  dirait  que  son  acuité  a  doublé. 
(D'après  la  théorie  que  j'ai  mentionnée  en  passant,  l'acuité 
superficielle  serait  doublée  en  réalité  quand  le  malade  gagne 
une  ligne  sur  cette  figure  34,  parce  que  le  nombre  des 
éléments  rétiniens  affectés  par  les  lettres  d'une  ligne  est  pré- 
cisément double  du  nombre  de  ceux  affectés  par  les  lettres 
de  la  ligne  immédiatement  inférieure). 

On  sait  que  par  une  coïncidence  très  remarquable,  les 

termes  de  la  progression  1  ;  ^2]  2;  2  \J2;  4  peuvent  être 

exprimés  avec  une  très  grande  approximation  par  les  chiffres 
5;  7;  10;  14;  20;  28;  40,  etc.  Plaçons  ces  chiffres  à  côté  des 
lignes  de  la  figure  33  en  commençant  par  le  bas  ;  on  remar- 
quera que  le  nombre  10  tombe  en  regard  de  la  ligne  qui 
correspond  à  l'acuité  normale  de  Snellen  (1). 

(1)  Le  Congrès  international  de  1900  a  chargé  une  Commission 
composée  de  MM.  Javal,  Hirschberg,  Landolt  et  Parent  d'étudier  la 
réforme  qu'il  pourrait  être  utile  d'apporter  à  la  notation  de  la  faculté 
visuelle. 

La  Commission  s'est  réunie  aussitôt  et,  après  m'avoir  désigné 
comme  président,  elle  m'a  chargé  de  la  conduite  de  ses  opérations. 

En  vertu  du  droit  de  cooptation  qui  lui  avait  été  conféré  par  le 
Congrès,  la  commission  s'est  adjoint  MM.  Reymond,  de  Turin,  et  Châ- 
tiasse, médecin  principal  de  l'Armée  française. 

Il  a  été  impossible  de  réunir  la  Commission  à  Madrid  en  1903,  elle 
se  présentera  à  Lisbonne  en  1906.  La  présente  rédaction  provisoire 
résulte  de  correspondances  échangées  avec  mes  collègues.  Nous  n'avions 
pas  connaissance  de  l'ingénieux  mémoire  présenté  au  Congrès  spécial 
de  Lucerne,  en  septembre  1904,  par  le  Dr  von  Siklossy  (Buda-Pesth). 

Il  a  été  reconnu  tout  d'abord  qu'en  présence  des  lois  relatives  aux 
accidents  du  travail,  il  importe  de  fonder  une  notation  sur  une  base 
théorique  incontestable  et  qui  soit  intelligible  pour  les  magistrats.  Cette 
dernière  nécessité  exclut  l'emploi  du  terme  d'acuité  normale  qui,  l'expé- 
rience l'a  démontré,  apporte  un  obstacle  parfois  insurmontable  à  l'é- 
change d'explications  entre  le  juge  et  l'expert. 

Car  ce  n'est  pas  une  petite  affaire  d'expliquer  au  juge  comment  on  a 
été  conduit  à  prendre,  pour  la  mesure  de  la  fonction  visuelle,  une  cer- 
taine unité  arbitraire  et  d'employer  des  fractions  de  cette  unité. 

La  difficulté  disparaît  si,  au  lieu  de  s'exprimer  par  fractions  et 
de  partir  d'une  unité  arbitraire,  l'expert  parle  d'iMPERFECTiON  vi- 
suelle, cette  Imperfection  étant  définie  par  la  grandeur  de  l'objet  que 
l'ouvrier  peut  voir  après  l'accident.  La  comparaison  entre  V imperfection 
antérieure  à  l'accident  et  ï Imperfection  actuelle  donne  l'idée  de  la  dété- 
rioration. 

Il  est  clair  que  la  perfection  visuelle,  imaginable,  permettrait  de 
discerner  un  objet  infiniment  petit.  Une  vue  infiniment  bonne  s'inscri- 
rait :  /  =  0.  {imperfection  nulle.)  L'impossibilité  .de  rienjdistinguer  s'é- 


VIII.  — 


DE  L'ACUITÉ  VISUELLE. 


91 


On  peut  voir  Fig  33,  les  rapports  entre  la  lisibilité  de  carac- 

crirait  :  I  =  co  .  L'imperfection  pourrait  se  chiffrer,  par  exemple,  en  faisant 
usage  de  l'un  des  dix  nombres  inscrits  à  droite  de  la  figure  33  (p.  86). 

Gomme  il  est  pratiquement  impossible  d'abandonner  l'emploi  des 
lettres,  nous  définissons  leur  lisibilité  par  comparaison  avec  la  visibilité 
de  carrés  noirs  sur  fond  blanc  tels  qu'ils  cessent  d'être  vus  à  la  même 
distance  où  les  lettres  cessent  d'être  lues  (a). 

Guillery  a  admis  pour  la  distance  de  5  mètres  que  le  cercle  noir  sur 
fond  blanc  dont  la  visibilité  correspond  à  la  lisibilité  normale  de  Snellen 
a  un  diamètre  de  1  mm  2.  Or  un  carré  de  1  mm  de  côté  a  une  surface  à 
peine  plus  petite  que  ce  cercle;  donc,  si  Guillery  avait  pris  des  carrés, 
il  aurait  pris  sans  doute  1  mm  de  côté  comme  équivalent  à  la  normale  ù 
5  mètres.  D'après  Groenouw  une  excellente  vue  distingue  sur  fond  blanc 
un  carré  noir  dont  le  côté  sous-tend  un  angle  de  29". 

On  construira  donc  une  échelle  étalon  composée  de  petits  carrés  noirs 
de  dimensions  variées  {Fig.  35).  Cette  échelle  ne  sera  pas  présentée  aux 
malades  ;  elle  servira  uniquement  à  la  construction  des  optotypes. 

L'expérience  nous  a  appris  qu'il  faut  une  vue  extrêmement  bonne  et 
un  éclairage  favorable  [b)  pour  pouvoir  distinguer  un  carré  dont  le  côté 
mesure  un  dix-millième  de  la  distance  à  laquelle  il  est  vu.  Cette  vue 
correspond  approximativement  à  l'acuité  2  de  Snellen,  l'acuité  normale 
correspondant  à  un  carré  dont  le  côté  serait  deux  dix-millièmes  de  la  dis- 
tance. A  la  distance  de  1  mètre,  le  plus  petit  carré  visible  aurait  donc 
un  côté  de  un  dixième  de  millimètre,  et  l'acuité  normale  correspon- 
drait à  un  carré  de  deux  dixièmes  (<?)  de  côté. 

Nous  proposons  de  faire  l'examen  à  une  distance  de  5  m.  et  d'inscrire 
simplement  la  longueur  mesurée  en  dixièmes  du  côté  du  carré  vu  à 
cette  distance.  Choisissons  la  lettre  I,  comme  initiale  du  mot  imperfec- 
tion. Pour  l'acuité  normale,  on  aurait  alors  1=10  et  la  correspondance 
entre  l'ancienne  et  la  nouvelle  numération  se  voit  dans  le  tableau  de 
chiffres  de  la  figure  35. 

Les  avantages  de  notre  système  sont  les  suivants  : 

1°  On  évite  de  choisir  une  unité  arbitraire  ; 

2°  On  évite  l'idée  abstraite  à' angle  visuel  ; 

3°  On  évite  les  nombres  fractionnaires  ; 

4°  On  ne  présume  rien  sur  la  progression  des  échelles; 

5°  La  lisibilité  des  différentes  lettres  portant  le  même  numéro  sera 
toujours  la  même  quelle  qu'en  soit  la  forme,  puisqu'elle  a  été  déter- 
minée expérimentalement.  On  peut  constituer  les  échelles  avec  des 
lettres  latines  du  type  Snellen  ou  de  tout  autre  type,  des  lettres  gothi- 

(a)  On  a  beaucoup  discuté  la  question  de  savoir  s'il  faut  se  servir  du  principe 
du  minimum  separabile  ou  de  celui  du  minimum  visïbile  pour  la  construction 
des  optotypes.  Il  est  actuellement  établi  qu'ils  conduisent  pratiquement  à  des 
résultats  identiques.  Si  nous  sommes  partis  du  minimum  visibile,  c'est  parce  que 
cette  manière  de  faire  présente  plus  de  simplicité  ;  nos  propositions  restent 
identiques  avec  celles  qui  découleraient  du  minimum  separabile .  Quant  aux 
objets  à  employer,  nous  avons  choisi  des  points  et  non  pas  des  lignes  pour  éviter, 
autant  que  possible,  l'influence  de  l'astigmatisme.  La  forme  des  points  importe 
peu,  car  son  influence  disparait  absolument  lorsqu'on  se  rapproche  de  la  limite 
de  visibilité,  le  seul  facteur  qui  joue  un  rôle  étant  l  etendue  superficielle  des 
points.  Nous  avons  choisi  la  forme  carrée  qui  permet  d'exprimer  cette  étendue 
d'une  manière  très  simple. 

(b)  La  visibilité  des  points  varie  dans  une  certaine  mesure  avec  l'éclairage. 
Nous  nous  réservons  de  définir  celui-ci  ultérieurement. 

(c)  Dans  la  suite,  nous  emploierons  l'expression  de  dixième  pour  désigner  le 
dixième  de  millimètre,  comme  cela  se  fait  souvent  dans  l'industrie. 


92       DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


tères  typographiques  et  la  visibilité  des  points  constituant 
l'échelle  étalon  mentionnée  dans  la  note  ci-dessous. 


ques,  persanes  ou  même  avec  des  images  de  différents  objets  comme  l'a 
fait  dernièrement  Ewing  {Fig.  36). 

Conclusion.  —  La  théorie  et  les  besoins  de  la  pratique  sont  d'accord 
pour  exiger  la  substitution  à  la  notation  fractionnaire  actuelle  d'une 
notation,  exprimant  la  grandeur  des  objets  vus,  c'est-à-dire  l'imperfec- 
tion visuelle. 

L'utilité  de  cette  réforme  est  aussi  grande  et  aussi  évidente  que  celle 
de  la  substitution  des  dioptries  aux  fractions  qui  désignaient  les  amé- 
tropies,  et  sa  mise  en  pratique  rencontrerait  des  difficultés  moindres 
que  celles  qui  s'opposèrent  longtemps  à  l'introduction  de  la  dioptrie. 


TABLE  ETALON 

CONSTRUITE  POUR  LA  DISTANCE  DE  5  MÈTRES,  REDUITE  AU  CINQUIÈME 


•  •  •  * 
*»  »  »  • 

Wl  ; 

• 

* 
• 

• 

t 

• 
• 

■ 

Côtés  des  car- 
rés en  dixiè- 
mes de  mil- 
limètres. 

1  1,4  2  %i 

i  4 

5,6 

8 

44,2 

46 

Surface  en  di- 
xièmes de 
mill.  carrés. 

12  4  8 

46 

32 

64 

428 

500 

V  = 

7  1 
2—4  — . 
5  4,4 

4 

4 

4 

4 

4 

2 

4 

5,6 

8 

I  = 

5  7  40  44 

20 

28 

40 

56 

80 

Fig.  35. 


Le  choix  d'une  progression  pour  les  échelles  d'acuité  ne  fait  pas  partie 
de  la  tâche  qui  nous  a  été  confiée  et  nous  considérons  comme  un  avan- 
tage de  notre  système  de  ne  rien  présumer  à  cet  égard,  de  manière  à 
laisser  chacun  libre  de  choisir  la  progression  qui  lui  plaît.  On  trouvera 


VIII.  —  DE  L'ACUITÉ  VISUELLE. 


93 


Une  comparaison  analogue  entre  le  même  tableau  étalon  et 
une  échelle  d'objets  dessinée  par  M.  Ewing,  assistant  de  M. 


dans  ce  qui  suit  la  justification  du  choix  que  nous  avons  fait  de  la 
distance  de  5  m.  pour  définir  ce  que  nous  avons  appelé  I. 

Snellen  a  choisi  pour  sa  table  la  série  des  inverses  des  chiffres 
entiers,  1,  1/2,  1/3,  1/4,  etc.  Mais  comme  cette  série  donnait  un  nombre 
trop  grand  d'échelons  composés  de  grandes  lettres,  et  un  nombre  trop 
petit  de  petites,  il  a  supprimé  les  lignes  correspondant  à  1/5,  1/7,  1/8  et 
1/9,  et  intercalé  2/3  entre  1  et  1/2.  Sa  série  ne  correspond  donc  à  au- 
cune formule  mathématique.  Le  système  de  Snellen  a  encore  un  autre 
inconvénient,  c'est  qu'une  table  donnée  ne  peut  servir  commodément 
qu'à  la  distance  pour  laquelle  elle  a  été  construite.  Si  par  exemple  par 
défaut  d'espace  on  place  les  examinés  à  5  mètres  d'une  table  qui  a  été 
construite  pour  une  distance  de  6  mètres,  on  obtient  les  expressions 
V=5/6,  5/9,  5/12,  etc.,  bien  incommodes  à  comparer  avec  celles  de  la 
série  6/6,  6/9,  6/12,  etc.  Une  critique  tout  à  fait  analogue  s'applique  à 
l'échelle  décimale  Monoyer,  dont  les  inconvénients  sont  bien  plus  grands. 

M.  Green,  de  Saint-Louis,  a  exposé  en  1867  les  avantages  théoriques 
que  présente  une  progression  géométrique.  On  sait  que,  dans  une  pro- 
gression géométrique,  on  obtient  chaque  terme  en  multipliant  le  précé- 
dent par  un  facteur  constant.  Dans  la  série  que  nous  préférons,  ce  fac- 
teur est  \J!T=  1,41  et  la  série  est  1  ;  ^27  2  ;  2  ^2;  4;  etc.  Green  avait 

choisi  \/  2  =  1,26,  chiffre  que  Sulzer  a  dernièrement  adopté.  La  série  de 

Green  était  par  conséquent  \\\J  2  ;  (\/  2  ;  )  \  2  ;  2\/  2 ;         2)  2;  4,etc. 

Le  petit  tableau  suivant  indique  la  valeur  des  I  dans  les  différents 
systèmes. 


Snellen. 

5 

6.7 

10 

15 

20 

.  30 

40 

60 

80 

100 

Proposition. 

5 

7.1 

10 

14.1 

20 

28.3 

40 

56.6 

80 

113 

160 

Green  et  Sulzer. 

5 

6.3  7.9 

10 

12.6  15.9 

20 

25.2  31.7 

40 

50.3  63.4 

80 

101.7  127 

160 

La  série  proposée  et  celle  de  Snellen  se  ressemblent,  l'expérience 
ayant  conduit  ce  dernier  à  se  rapprocher  beaucoup  d'une  progression 
géométrique.  La  série  de  Green  donne  un  plus  grand  nombre  d'inter- 
médiaires, trop  grand  semble-t-il  pour  l'emploi  journalier,  puisque  l'un 
de  ses  élèves  a  dernièrement  publié  des  tables  suivant  la  progression  de 
racine  carrée  de  2.  Légèrement  modifiée,  cette  dernière  devient  très  simple. 

On  ne  commet  en  effet  qu'une  erreur  très  faible  en  mettant  sj  2  ~  ^  »^  ~  "5  » 
on  tombe,  en  représentant  par  5  le  premier  terme  de  la  progression,  sur 
la  série 

5-7-10-14-20-28-40-56-80-112-160, 

connue  depuis  vingt  siècles.  Elle  se  compose  uniquement  de  nombres 
entiers  qui  sont  alternativement  des  multiples  de  5  et  de  7.  C'est  juste- 


94     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


Green,  à  Saint-Louis,  pour  mesurer  l'acuité  visuelle  des 
enfants,  est  représentée  par  la  Fig.  36,  ci-dessous. 


56 


40 


t  o  □  o 

□  o  o  t 


28  o  □  H  f  t  o  l 

14  t^POijiîr^oVinCP^ 

10        v  □  ?  k     o  o  #     ;b  □>  t 

Fig.  36. 


ment  pour  tomber  sur  cette  série  que  nous  avons  proposé  la  distance  de 
5  mètres  pour  la  détermination  de  I. 

Outre  les  avantages  théoriques  que  présentent  les  échelles  géométri- 
ques, elles  ont  aussi  l'avantage  pratique  de  pouvoir  servir  à  différentes 
distances.  La  table  qu'on  voit  à  droite  de  la  Fig.  33  construite  pour 
5  mètres  peut  ainsi  servir  à  3  m.  50,  à  7  mètres,  à  10  mètres,  etc.  Si  par 
exemple  on  observe  à  7  mètres,  toutes  les  lettres  apparaissent  diminuées 
dans  le  rapport  5/7;  une  personne  qui  à  5  mètres  pouvait  lire  le  n°  5, 
ne  peut  lire  que  le  n°  7,  celle  qui  pouvait  lire  le  n°  7  ne  peut  plus  lire 
que  le  n°  10  et  ainsi  de  suite.  En  plaçant  d'une  manière  permanente  les 
observés  à  7  mètres,  l'oculiste  n'a  donc  qu'à  se  rappeler,  une  fois  pour 
toutes,  que  pour  noter  une  ligne  lue,  il  doit  se  servir  du  numéro  de  la 
ligne  au-dessous.  Si  au  contraire,  ne  disposant  pas  d'un  recul  suffi- 
sant, il  met  les  observés  à  3  m.  50  de  la  table,  c'est  le  numéro  de  la 
ligne  au-dessus  qui  doit  servir. 

P.  S.  C'est  par  accident  que,  dans  les  figures  33,  35  et  36,  les  carrés 
constituant  les  plus  petits  échelons  de  la  table  étalon,  ont  été  disposés 
sur  deux  lignes  au  lieu  d'une. 


CHAPITRE  IX. 


INFLUENCE   DE   L'ÉCLAIRAGE  SUR  L'ACUITÉ 
VISUELLE.  —  PHOTOMÉTRIE. 
VISIBILITÉ  DES  POINTS  ET  DES  LIGNES. 

Visibilité  d'un  point.  —  Examinons  d'abord  le  cas  le  plus 
simple  qui  puisse  se  présenter  :  Quelles  sont  les  conditions 
de  visibilité  d'un  point  blanc  sur  fond  noir? 

Par  point  lumineux,  nous  désignerons  ici,  non  pas  un  point 
mathématique,  mais  un  cercle  assez  petit  pour  que  son 
image  sur  la  rétine  ne  soit  pas  plus  grande  que  ne  serait 
celle  d'un  point  lumineux  mathématique.  Cette  dérogation 
à  la  rigueur  d'expression  géométrique  est  admissible,  car,  par 
un  effet  d'irradiation,  l'image  du  point  lumineux  le  plus 
petit  prend  l'apparence  d'un  petit  disque,  dont  le  diamètre 
augmente  avec  l'intensité  lumineuse  du  point.  Aussi,  les 
astronomes  rangent-ils  par  grandeurs  les  étoiles  fixes,  bien  que 
ces  astres,  sans  aucune  exception,  soient  tous  assez  distants 
pour  jouer  le  rôle  de  points  lumineux  mathématiques.  En 
réalité,  les  étoiles  n'ont  aucune  grandeur  et  ne  diffèrent 
entre  elles  que  par  l'éclat  (1)  :  un  coup  d'œil  dans  un  téles- 
cope suffit  pour  s'en  assurer. 

Les  planètes,  au  contraire,  possèdent  un  diamètre  angu- 
laire appréciable.  Mais  ce  diamètre  est  assez  petit  pour  qu'il 
soit  légitime  de  n'en  pas  tenir  compte  dans  l'évaluation  de 
leur  intensité  lumineuse  :  il  est  parfaitement  correct  de  dire 
qu'à  un  certain  moment  l'intensité  de  Saturne  est  égale  à 
celle  d'une  étoile  de  deuxième  grandeur. 

Mais  il  ne  faut  pas  confondre  Yintensité  avec  Yéclat  lumi- 
neux. —  Nous  appellerons  éclat  l'intensité  de  l'unité  de  sur- 
face. Alors,  l'éclat  de  Vénus  sera  pour  nous  infiniment 

(1)  Les  étoiles  de  6e  et  7e  grandeur  sont  les  plus  petites  perceptibles 
à  l'œil  nu.  La  photographie  découvre  jusqu'à  la  17e  grandeur;  pour  les 
petites,  le  rapport  d'intensité  d'une  grandeur  à  l'autre  est  de  deux  cin- 
quième. Les  étoiles  de  première  grandeur  sont  très  inégales  entre  elles. 


96      DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

moindre  que  celui  d'une  étoile  de  première  grandeur,  quand 
même  l'intensité  totale  de  cette  planète  serait  assez  forte  pour 
la  faire  apparaître  plus  lumineuse  que  l'étoile  la  plus  bril- 
lante. 

Un  exemple  nous  suffira  pour  mieux  faire  comprendre 
cette  distinction  :  Il  est  actuellement  possible  de  produire 
une  lumière  électrique  dont  l'éclat  soit  comparable  à  celui 
du  soleil.  Cela  veut  dire  que  la  surface,  extrêmement  petite, 
occupée  par  cette  source  lumineuse,  est  à  peu  près  aussi 
brillante  que  serait  un  fragment,  de  même  diamètre  angu- 
laire, découpé  dans  la  surface  du  soleil. 

De  notre  définition  il  résulte  que,  lorsqu'on  s'éloigne  gra- 
duellement d'une  surface  lumineuse  de  grandeur  appréciable, 
son  éclat  reste  constant,  tandis  que  son  intensité  diminue 
en  raison  inverse  du  carré  de  la  distance. 

Quant  à  Yéclat  apparent,  il  reste  constant  pendant  que 
l'observateur  s'éloigne,  mais  seulement  dans  certaines  limi- 
tes :  si  l'observateur,  qui  était  d'abord  à  une  distance  d'un 
mètre,  s'éloigne  à  deux  mètres,  l'éclat  de  l'image  formée  sur 
la  rétine  ne  diminue  pas,  car,  si  la  surface  de  cette  image 
est  devenue  quatre  fois  moindre,  et  si  l'intensité  totale  est 
devenue  aussi  quatre  fois  moindre,  l'intensité  de  chaque  élé- 
ment de  l'image,  c'est-à-dire  l'éclat,  n'a  pas  varié.  Mais,  à 
partir  d'une  distance  telle  que  la  grandeur  apparente  de  la 
surface  lumineuse  devienne  négligeable,  il  arrive  que  la 
surface  de  l'image  rétinienne  cesse  de  décroître  en  raison 
inverse  du  carré  de  la  distance,  et  alors  l'éclat  de  la  source 
lumineuse  paraît  diminuer  ;  c'est  pour  ce  motif  que  les  étoi- 
les des  dernières  grandeurs  paraissent  moins  éclatantes  que 
les  autres,  bien  que  leur  éclat  réel  puisse  être  égal  ou  supé- 
rieur. 

Ces  principes  une  fois  posés,  on  voit  que  la  visibilité  d'un 
point  lumineux  de  dimensions  appréciables  peut  s'exprimer 
de  plusieurs  manières  :  on  peut  dire  que  la  visibilité  est 
proportionnelle  à  l'intensité  lumineuse  totale;  on  peut  dire 
également  qu'elle  est  proportionnelle  au  produit  de  la  sur- 
face par  l'éclat  de  l'élément  de  surface. 

Nous  pouvons  encore,  sans  inconvénient,  introduire  l'ex- 
pression de  quantité  de  lumière,  et  dire  que  la  visibilité  d'un 
point  est  proportionnelle  à  la  quantité  de  lumière  qui,  de  ce 
point,  parvient  à  la  rétine. 


IX.  —  INFLUENCE  DE  l'ÉCLAIRAGE  SUR  LACUITÉ  VISUELLE.  97 

Imaginons  dans  une  chambre  parfaitement  obscure  une 
plaque  opaque  verticale  percée  d'une  série  de  trous  mesurant 
respectivement  1,  2,  4,  8,  16,  32,  64   millièmes  de  mil- 

limètre de  diamètre,  et  distribués  sur  une  ligne  droite  hori- 
zontale. Derrière  chacun  de  ces  trous,  disposons  une  bou- 
gie, et  supposons  que,  pour  un  œil  normal,  le  trou  1  soit 
visible  à  un  mètre  de  distance  ;  il  est  évident  que  le  trou  2 
sera  visible  à  deux  mètres,  le  trou  de  4  millièmes  de  milli- 
mètre sera  visible  à  4  mètres,  et  ainsi  de  suite.  En  règle 
générale,  chaque  trou  sera  visible  deux  fois  plus  loin  que  le 
précédent,  car,  par  exemple,  le  trou  dont  le  diamètre  est 
8  [j.  donnera  à  8m  de  distance  une  image  rétinienne  dont  la 
dimension  sera  exactement  la  même  que  celle  de  l'image 
fournie  par  le  trou  de  4  [l  vu  à  une  distance  de  4  mètres; 
comme,  d'autre  part,  l'éclat  des  deux  trous  est  le  même,  l'é- 
clat des  deux  images  rétiniennes  sera  égal  ;  la  visibilité  sera 
donc  identique. 

Nous  pouvons  arriver  aux  mêmes  conclusions  par  un  autre 
raisonnement  tout  aussi  rigoureux,  en  remarquant  que,  dans 
les  deux  cas,  la  quantité  de  lumière  qui  parvient  à  la  rétine 
est  la  même. 

Il  est  très  important  d'observer  que,  dans  notre  série  de 
trous  les  surfaces  des  sources  lumineuses  croissent  comme 
les  carrés  des  diamètres,  de  telle  sorte  que  les  trous  de  dia- 
mètre 1,  2,  4,  8...  ont  des  surfaces  1,  4,  16,  64... 

Si  nous  appelons  sensibilité  rétinienne  la  faculté  de  perce- 
voir un  point  lumineux,  notre  dispositif  nous  permet  de 
mesurer  approximativement  cette  sensibilité.  En  effet,  nous 
avons  admis  que  l'œil  normal  voit  le  trou  1  à  lm  de  distance 
et  pas  au-delà,  le  trou  2  jusqu'à  2m,  et  ainsi  de  suite.  Il  est 
évident  que,  si  un  œil,  dont  les  milieux  réfringents  sont  irré- 
prochables, ne  peut  pas  voir  le  trou  2  au-delà  de  la  distance 
de  lm,  la  sensibilité  rétinienne  de  cet  œil  est  1/4  de  la  nor- 
male. 

Nous  disons  1/4  et  non  pas  1/2,  car  un  trou  de  diamètre 
double  laisse  passer  quatre  fois  plus  de  lumière. 

L'expérience  que  nous  avons  imaginée  pourrait  se  conce- 
voir tout  aussi  bien,  en  remplaçant  nos  trous  inégaux  par 
des  trous  égaux,  derrière  lesquels  nous  placerions  des  flam- 
mes dont  l'éclat  serait  respectivement  1,  4,  16,  64,  256...; 
nous  aurions  alors  des  objets  lumineux  tout  à  fait  analogues 

JAVAL.  1 


98      DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

aux  étoiles,  et  dont  la  série  réaliserait  au  besoin  un  photo- 
mètre. 

Supposons  maintenant  qu'on  réussisse  à  marquer,  sur  un 
fond  parfaitement  noir,  des  points  blancs  dont  les  diamètres 
soient  respectivement  1,  2,  4,  8...  dixièmes  de  millimètre, 
c'est-à-dire  des  points  cent  fois  plus  grands  que  les  précé- 
dents; leur  surface  sera  dix  mille  fois  plus  grande.  Si  nous 
éclairons  ce  tableau,  de  telle  sorte  que  l'éclat  des  parties 
blanches  soit  dix  mille  fois  plus  faible  que  celui  d'une  bou- 
gie, ce  qui  serait  encore  un  éclairage  fort  brillant,  il  nous 
sera  permis  de  répéter  tous  les  raisonnements,  et  nos  points 
blancs  pourront  donner  la  sensibilité  rétinienne,  comme  les 
points  lumineux  de  tout  à  l'heure. 

Mais  l'expérience  se  heurtera  contre  de  nombreuses  diffi- 
cultés: l'impossibilité  d'avoir  un  éclairage  suffisamment 
intense  pour  pouvoir  opérer  avec  des  points  assez  petits, 
l'impossibilité  de  tracer  des  points  blancs  de  petite  dimen- 
sion et  pourtant  du  diamètre  voulu,  l'impossibilité  d'avoir 
un  fond  réellement  noir.  Mais  peu  importe,  car  il  nous  suffit 
d'avoir  poussé  la  série  de  nos  inductions  assez  loin  pour 
qu'on  admette  avec  nous  ce  postulatum  :  la  visibilité  d'un 

POINT  BLANC  SUR  FOND  ABSOLUMENT  NOIR  EST  PROPORTIONNELLE 
AU  CARRÉ  DU  DIAMÈTRE  DE  CE  POINT  et  elle  est  aussi  PROPOR- 
TIONNELLE A  L'ÉCLAIRAGE. 

Examinons  de  plus  près  l'une  des  difficultés  que  rencontre 
la  réalisation  de  l'expérience  précédente,  et  qui  consiste  dans 
l'impossibilité  d'obtenir  un  fond  réellement  noir.  —  Les  sur- 
faces les  plus  foncées  renvoient  à  l'œil  une  quantité  de 
lumière  très  appréciable  et  même  beaucoup  plus  grande 
qu'on  ne  l'imaginerait  au  premier  abord;  tel  papier  noir 
renvoie  de  la  lumière  dans  la  proportion  de  30  à  40  °/0  de  la 
quantité  qui  est  renvoyée  par  du  papier  blanc.  S'il  n'en  était 
pas  ainsi,  rien  ne  nous  permettrait  de  distinguer  la  forme 
des  objets  noirs,  ni  d'apercevoir,  par  exemple,  les  plis  du 
velours  noir,  matière  qui,  entre  toutes,  refléchit  le  moins  de 
lumière.  Il  en  résulte  que  si,  au  lieu  d'obtenir  des  points 
blancs  au  moyen  de  trous  percés  dans  un  écran  opaque 
éclairé  par  derrière,  nous  observons  des  points  blancs  tracés 
sur  une  feuille  noire  éclairée  par  devant,  le  problème  de 
leur  visibilité  se  complique,  par  suite  de  l'éclairage  du 
fond,  lequel  varie  dans  la  même  proportion  que  celui  des 


IX.  —  INFLUENCE  DE  L'ÉCLAIRAGE  SUR  L  ACUITÉ  VISUELLE.  99 

points,  quand  nous  faisons  varier  l'éclairage  général  de  la 
feuille. 

Nous  avons  supposé  tout  à  l'heure  qu'on  faisait  varier 
l'éclairage  des  points  lumineux.  Supposons  maintenant  qu'on 
fasse  varier  l'éclairement  du  fond,  sans  faire  subir  aucune 
variation  à  celui  des  points  blancs  :  c'est  ce  qui  aura  lieu  si 
l'on  fait  usage  d'un  écran  opaque,  blanc,  percé  de  trous  de 
dimensions  diverses,  derrière  lesquels  brûleront  des  bougies, 
et  qu'on  éclairera  par  devant  au  moyen  d'une  lumière 
variable. 

Sans  chercher  aussi  loin,  le  ciel  étoilé  nous  donne  un 
exemple  parfait  de  cette  expérience  :  la  visibilité  des  étoiles 
ne  varie,  en  effet,  que  par  suite  de  la  variation  dans  l'éclai- 
rage de  la  voûte  céleste.  Soit  1  l'éclat  d'une  étoile  à  peine 
visible  dans  un  ciel  parfaitement  noir,  et  considérons  une 
série  d'étoiles  dont  les  éclats  soient  respectivement  1,  4,  16, 

64,  256  et  soit  e  l'éclat  du  ciel  pour  lequel  l'étoile  4  est 

à  la  limite  de  la  visibilité;  dans  les  limites  de  la  loi  de 
Fechner,  les  étoiles  16,  64,  256....  seront  tout  juste  visibles 
dans  un  ciel  dont  les  éclats  seront  respectivement  e2,  e3, 

e''        On  conçoit  donc  pourquoi  la  voûte  étoilée  réalise  un 

photomètre  assez  sensible  :  plus  il  fait  sombre,  plus  on  voit 
d'étoiles,  ce  qui  donne  raison  au  poète,  quand  il  parle  de 

  l'obscure  clarté  qui  tombe  des  étoiles. 

D'après  ce  qui  précède,  on  comprend  fort  bien  pourquoi 
les  variations  de  l'éclairage  n'auront  qu'une  influence  relati- 
vement faible  sur  la  visibilité  de  points  blancs  marqués  sur 
un  fond  noir.  Bien  plus,  il  ne  faut  pas  oublier  que,  si  la  loi 
de  Fechner  était  absolument  exacte,  la  visibilité  de  ces 
points  serait  tout  à  fait  indépendante  de  l'éclairage  ;  la 
recherche  de  l'influence  de  l'éclairage  sur  la  visibilité  de 
points  blancs  sur  fond  noir  équivaut  à  la  recherche  de 
la  discordance  entre  la  réalité  et  la  loi  de  Fechner. 

Dans  la  vie  de  tous  les  jours,  l'éclairage  n'exerce  donc  sur 
la  visibilité  qu'une  influence  très  restreinte,  car  ce  que  nous 
venons  de  dire  s'applique  aussi  à  des  points  noirs  sur 
fond  blanc  et  généralement  à  des  objets  quelconques,  tout  au 
moins  dans  certaines  limites  assez  étendues.  Et  il  est  fort 
heureux  qu'il  en  soit  ainsi,  car  il  serait  tout  à  fait  déplorable 
que  les  variations  de  l'éclairage  vinssent  modifier  profondé- 


100 


DEUXIEME  PARTIE. 


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


ment  les  rapports  d'ombre  et  de  lumière  sur  les  objets  exté- 
rieurs. On  dirait  qu'à  tous  égards  l'œil  ait  été  construit  pour 
fonctionner  sans  s'apercevoir  des  variations  colossales 
d'éclairage  auxquelles  il  est  soumis  ;  nous  pouvons  lire  en 
plein  soleil,  c'est-à-dire  avec  un  éclairage  un  million  de  fois 
plus  intense  que  celui  d'une  bougie  à  un  mètre,  suffisante 
pour  nous  permettre  de  distinguer  à  merveille  les  caractères 
d'impression  ;  mais  cette  précieuse  faculté  d'adaptation  de 
l'organe,  qui  en  assure  le  fonctionnement  dans  les  circons- 
tances les  plus  variées,  a  pour  effet  de  rendre  singulièrement 
difficile  le  problème  de  la  photométrie  (1). 


(1)  Ce  qui  précède  nous  permet  d'aborder  d'une  manière  toute  nouvelle 
le  problème  de  la  photométrie.  —  Il  est  important  de  savoir  mesurer 
l'éclairage  qui  parvient  en  tel  ou  tel  point  d'une  classe  ou  d'une  salle  de 
spectacle,  quel  que  soit  le  nombre  des  sources  lumineuses  qui  concourent  à 


Fig.  31. 


cet  éclairage,  et  le  premier  essai  qui  ait  été  fait  jusqu'ici  dans  ce  sens  a  été 
relaté  dans  la  thèse  de  doctorat  de  N.  Th.  Klein.  Lapait  que  j'ai  prise  aux 
recherches  de  M.  Klein  me  met  fort  à  l'aise  pour  dire  que  la  solution 


X.  —  INFLUENCE  DE  L'ÉCLAIRAGE  SUR  L  ACUITÉ  VISUELLE.  101 

Visibilité  des  lignes.  —  Etant  acquis  que  la  visibilité  d'un 
point  blanc  sur  fond  absolument  noir  est  proportionnelle  au 

contenue  dans  sa  thèse  est  bien  moins  élégante  et  probablement  moins  pra- 
tique que  celle  dont  je  vais  parler. 

Imaginons  une  lanterne  contenant  une  bougie  allumée,  et,  sur  l'une  des 
faces  de  la  lanterne,  une  plaque  blanche  percée  d'une  série  de  trous,  et 
doublée  de  papier  transparent  pour  diffuser  la  lumière  de  la  bougie.  Il  est 
clair,  d'après  ce  qui  précède,  que  la  grandeur  du  plus  petit  trou  qui 
paraîtra  lumineux  en  un  endroit  de  la  salle  où  l'on  aura  posé  la  lanterne, 
pourra  servir  de  mesure  à  l'éclairage  de  cette  partie  de  la  salle  :  c'est,  en 
somme,  un  ciel  étoilé  artificiel  qui  nous  sert  ici  de  photomètre. 

Au  lieu  de  disposer  ces  petits  trous  au  hasard,  rien  n'empêcherait,  pour 
mieux  s'y  reconnaître,  de  leur  faire  figurer  des  lettres  (fig.  37). 

Il  est  non  moins  évident  que,  si  l'on  place  sur  une  table  une  feuille  de 
papier  blanc,  et  qu'on  regarde  cette  feuille  à  travers  une  plaque  percée  de 
trous  de  diverses  grandeurs,  si  l'on  a  le  soin  de  disposer  cette  plaque  au 
fond  d'un  sac  opaque  dans  lequel  l'observateur  enveloppe  sa  tête,  on  a 
encore  un  photomètre,  fondé  cette  fois  sur  la  différence  d'éclat  des  points 
blancs  qui  se  détachent  sur  un  fond  absolument  noir.  Cette  disposition 
présente,  sur  la  précédente,  l'avantage  de  n'exiger  l'emploi  d'aucune  source 
lumineuse  type,  ce  qui  n'existe  que  dans  les  photomètres  chimiques  ;  mais 
l'observation  ne  pourra  se  faire  que  fort  lentement,  à  cause  du  temps  con- 
sidérable employé  par  la  rétine  pour  s'adapter  à  l'obscurité. 

Nous  ne  voulons  pas  insister  ici  sur  les  applications  pratiques,  le  temps 
nous  ayant  fait,  défaut  pour  mettre  à  l'épreuve  les  résultats  théoriques  que 
nous  venons  d'indiquer.  Pour  plus  de  détails  voir  notre  communication 
au  congrès  d'oculistique  à  Lucerne,  septembre  1904. 

On  remarquera  que  l'intervalle  entre  les  points  qui  constituent  les 
lettres  ci-dessus  est  suffisant  pour  que  la  visibilité  de  chacun  de  ces 
points  ne  soit  pas  renforcée  par  celle  des  voisins,  ainsi  que  cela  aurait 
lieu  s'ils  étaient  trop  rapprochés.  Pour    s'en  convaincre  nous  figurons 


Fig.  38. 

ici  (Fig.  38)  deux  lettres  T.,  de  même  dimension  que  le  premier  T  de 
la  figure  précédente  :  qu'on  s'éloigne  d'environ  quatre  mètres  du  livre, 
et  qu'on  compare  la  visibilité  de  ces  trois  T. 

J'ai  construit  un  autre  photomètre  fondé  sur  un  principe  tout  différent 
et  qui  consiste  en  une  petite  feuille  de  papier  portant  sept  teintes  plates 
graduées  du  gris  clair  au  noir.  Au  milieu  de  chaque  teinte,  un  trou  de 
2mm  de  diamètre.  L'observateur,  placé  près  d'une  fenêtre,  tenant  cette 
feuille  verticalement  à  30  ou  40  centimètres  de  l'œil,  cherche  celui  des 


102      DEUXIÈME  PARTIE.  — 


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


carré  de  son  diamètre,  nous  allons  démontrer  qu'il  n'en  est 
pas  ainsi  pour  une  ligne  droite,  dont  la  visibilité  est  seule- 
ment proportionnelle  à  son  épaisseur.  Pour  passer  de  l'étude 
de  la  visibilité  d'un  point  à  celle  de  la  visibilité  d'une  ligne, 
nous  devons  faire  remarquer  tout  d'abord  que  les  conditions 
de  visibilité  d'un  point  carré  (sit  venia  verbo)  sont  tout  à  fait 
les  mêmes  que  celles  d'un  point  rond  ;  en  effet,  l'expression 
de  point  n'a  été  employée  par  nous  que  par  abréviation, 
lorsque  nous  voulions  désigner  des  surfaces  lumineuses 
assez  petites  pour  que  leur  image  sur  la  rétine  fût  beaucoup 
plus  petite  que  la  dimension  d'un  élément  photesthésique. 
Dans  ces  conditions,  peu  importe  la  forme  de  la  petite  sur- 
face lumineuse.  Puisqu'un  seul  élément  rétinien  est  atteint, 
il  ne  peut  se  produire  qu'une  sensation  lumineuse,  et  l'ob- 
servateur n'a,  en  aucune  façon,  conscience  de  la  forme  du 
point  lumineux  qu'il  aperçoit.  Poussons  ce  raisonnement 
plus  loin,  et  remplaçons  successivement  une  image  rétinienne 
carrée,  mesurant  par  exemple  0mm,00Q8,  par  des  rectangles 
mesurant  respectivement  0mm,0004  X  0mm,0016,  ou  0mm,0Q02 
X  0mm,0032.  Ces  divers  rectangles,  ayant  précisément  la 
même  surface  que  le  carré  précédent,  produiront  exactement 
la  même  impression  sur  l'œil,  tant  que  leur  plus  grande  di- 
mension sera  inférieure  au  diamètre  d'un  élément  rétinien  ; 

trous  à  travers  lequel  un  objet  quelconque  situé  dans  la  chambre  paraît 
aussi  foncé  que  la  teinte  environnante  :  il  voit  ainsi  instantanément  la 
différence  entre  l'intensité  lumineuse  des  objets  vus  à  travers  les  trous. 
En  vente  chez  M.  Cornet,  opticien,  66,  rue  de  Rennes. 


1  Vz  V*         Va  Vie        Vaz  %* 

Fig.  39. 


Enfin,  l'étude  de  l'acuité  visuelle  m'a  conduit  forcément  à  la  construc- 
tion d'échelles  photométriques  parlantes.  En  effet,  si,  pour  la  mesure  de 
l'acuité,  il  importe  d'employer  des  caractères  typographiques  dont  la 
lisibilité  soit  influencée  le  moins  possible  par  les  variations  de  l'éclai- 
rage, des  caractères  gradués  dont  la  lisibilité  varie  avec  l'éclairage 
constituent  un  photomètre  assurément  grossier,  mais  qui  pourrait  être 
perfectionné  en  employant  des  caractères  formés  de  points  isolés  et  peu 
nombreux. 


IX.  —  INFLUENCE  DE  L'ÉCLAIRAGE  SUR  l' ACUITÉ  VISUELLE.  103 

mais  il  n'en  sera  plus  de  même  si  nous  produisons,  sur  la 
rétine,  une  image  dont  les  dimensions  soient  par  exemple 
0mm,0001  X  0,0064,  car  alors  l'impression,  se  divisant  entre 
plusieurs  éléments  rétiniens,  ne  se  totalisera  plus  comme 
dans  les  exemples  précédents.  Si,  par  exemple,  le  carré  de 
0mm,0008  était  à  peine  perceptible,  à  la  même  distance,  une 
ligne  produisant  sur  la  rétine  une  image  large  de  0mm,0001 
et  longue  de  0mm,0064  disparaîtra  complètement,  et  la  con- 
dition de  visibilité  d'une  pareille  ligne  ne  peut  se  déduire, 
par  le  raisonnement  des  conditions  de  visibilité  d'un  point. 

Mais  si  nous  franchissons  cette  transition,  et  si  nous  pas- 
sons immédiatement  à  l'examen  des  conditions  de  visibilité 
des  lignes  droites,  dont  la  longueur  dépasse  de  beaucoup  les 
dimensions  des  éléments  rétiniens,  un  raisonnement,  tout  à 
fait  analogue  à  celui  que  nous  avons  fait  pour  la  visibilité 
du  point,  conduit  à  admettre  que  la  visibilité  dépend  unique- 
ment de  la  largeur  de  la  ligne  et  en  aucune  façon  de  la  lon- 
gueur. L'expérience  confirme  d'ailleurs  cette  manière  de  voir. 


I 


1 


T 

□  H 

A 

\y 

YH 

A  T  M  L 

r  n 

YP 

UT 

X  VDP 

O  T 

Z  L 

1 

TO  AM 
VH  TU 

□  H 
L  F 

T  0 

H  V 

Fig.  40.  (Duplicata  de  la  Fig.  34). 


En  effet,  j'ai  obtenu,  par  la  photographie,  une  image  néga- 
tive transparente  de  la  figure  34  (page  88),  et  j'ai  éclairé  ce 
cliché  par  transparence  :  dès  que  l'éclairage  était  suffisant 


104     DEUXIÈME  PARTIE.  -—  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

pour  permettre  de  lire  la  grande  lettre  X  de  la  colonne  de 

r  \        •  u-     !  YP  TO 

droite,  on  lisait  tout  aussi  bien  les  groupes  et 

La  conséquence  de  tout  ce  qui  vient  d'être  dit,  dans  ce 
chapitre,  c'est  que  la  visibilité  des  points  et  des  lignes  se 
détachant  en  blanc  sur  fond  noir  absolu,  est  rigoureusement 
proportionnelle  à  l'éclairage. 

Il  suffit  d'un  instant  de  réflexion  pour  s'assurer  qu'il  ne 
saurait  en  être  de  même  pour  la  lisibilité  des  lettres  tracées 
dans  les  mêmes  conditions  ;  en  effet,  une  lettre  peut  être  vi- 
sible sans  être  lisible.  En  éclairant  par  transparence,  par  la 
lumière  directe  du  soleil,  un  cliché  photographique  ana- 
logue à  celui  dont  je  viens  de  parler,  et  qui  serait  exécuté 
dans  des  conditions  de  perfection  idéales  quant  à  la  netteté 
des  lettres  et  à  l'opacité  du  fond,  des  lettres  d'une  surface 
un  million  de  fois  moindre  que  celle  des  plus  petits  carac- 
tères d'imprimerie  existants  produiront  encore,  sur  la  ré- 
tine, une  impression  lumineuse,  mais  nous  n'aurions  aucune 
notion  de  leur  forme.  La  lisibilité  des  lettres  résulte,  en  effet, 
de  la  combinaison  d'impressions  produites  sur  un  certain 
nombre  d'éléments  rétiniens,  et  il  y  aurait  à  faire  une  étude 
géométrique  fort  intéressante,  qui  consisterait  à  rechercher 
le  nombre  des  éléments  de  la  mosaïque  photesthésique  dont 
l'intervention  est  nécessaire  pour  reconnaître  la  forme  des 
diverses  lettres  de  l'alphabet.  Nous  tenterons  peut-être  un 
jour  d'aborder  cette  analyse  ;  quant  à  présent,  nous  nous 
bornerons  à  faire  remarquer  que  la  faculté  de  lire  des  lettres 
ne  repose  pas,  comme  on  le  dit  dans  tous  les  livres  classi- 
ques, sur  la  faculté  de  distinguer  l'un  de  l'autre  deux  points 
lumineux.  Pour  s'en  assurer,  il  suffit  de  percer,  au  moyen 
d'une  épingle,  une  série  de  trous  équidistants  dans  une  carte 
opaque,  d'éclairer  cette  carte  par  derrière,  et  de  s'éloigner 
jusqu'à  ce  qu'on  ne  puisse  plus  compter  les  trous  :  à  cette 
distance,  on  pourra  encore  distinguer  la  forme  des  courbes 
suivant  lesquelles  les  points  sont  alignés,  et  si,  par  exemple 
on  a  piqué  de  manière  à  figurer  des  lettres  au  moyen  du 
moindre  nombre  de  points  nécessaire  pour  définir  leur 
forme,  on  pourra  lire  les  lettres  à  une  distance  où  les  points 
ne  se  distingueront  plus  les  uns  des  autres  (1). 


(1)  De  nombreuses  recherches  ont  été  faites  pour  déterminer  le  mini- 


IX.  —  INFLUENCE  DE  L'ÉCLAIRAGE  SUR  L  ACUITÉ  VISUELLE.  105 

En  faisant  cette  expérience,  il  me  semblait  avoir  la  per- 
ception, non  pas  des  points  eux  mêmes,  mais  des  change- 
ments de  direction  subis  par  les  lignes  qu'ils  jalonnent.  Or, 
il  est  évident  qu'un  changement  de  direction  ne  peut  se  pro- 
duire que  par  la  sensation  de  trois  points,  au  minimum  :  il 
faut  donc  que  trois  éléments  rétiniens  au  moins  soient  affectés 
pour  que  nous  percevions  la  forme  d'un  fragment  de  lettre. 

De  ce  principe  découlent  des  conséquences  importantes, 
qui  seront  exposées  dans  le  prochain  chapitre  ;  nous  n'avons 
ici  qu'à  en  tirer  des  conclusions  relativement  à  l'influence 
de  l'éclairage  sur  l'acuité  visuelle. 

De  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  résulte  que,  tandis  que 
la  visibilité  d  une  lettre  croît  indéfiniment  avec  l'éclairage,  sa 
lisibilité  atteint  nécessairement,  avec  un  certain  éclairage  suf- 
fisant, une  limite  qu'elle  ne  peut  plus  dépasser,  car  elle 
résulte  de  la  composition  mosaïque  de  la  rétine.  Il  nous 
importe  de  rechercher  cette  limite.  —  En  gros,  nous  dirons 
que,  tandis  que  la  visibilité  dépend  essentiellement  de  l'éclai- 
rage, de  telle  sorte  qu'en  faisant  diminuer  graduellement 
l'éclairage  nous  faisons  disparaître,  de  droite  à  gauche  et  par 
colonnes  verticales  successives,  les  lettres  qui  constituent  la 
figure  34,  la  lisibilité  dépend,  au  contraire,  essentiellement  de 
la  grandeur  des  caractères,  de  telle  sorte  qu'en  s'éloignant 
peu  à  peu  de  cette  figure,  suffisamment  éclairée,  les  lettres 
disparaissent  à  peu  près  par  lignes  horizontales,  de  bas  en 
haut.  Mais,  si  nous  examinons  les  choses  d'un  peu  plus  près, 
nous  voyons  bientôt  que,  sur  une  même  ligne  horizontale, 
avec  un  très  fort  éclairage,  ce  sont  les  lettres  situées  le  plus 
à  droite  quisont  les  plus  lisibles,  et  l'explication  en  estfacile. 
Avec  un  éclairage  suffisant,  la  visibilité  des  traits  constitu- 
tifs des  lettres  ne  diminue  pas  quand  ils  sont  plus  minces  : 
quelque  mince  que  soit  un  trait  blanc  sur  fond  noir  absolu, 
il  suffit  de  l'éclairer  assez  fortement  pour  que  sa  visibilité 
atteigne  tel  degré  qu'on  voudra.  Cela  étant  compris,  il  est 
évident  que,  lorsque  nous  regardons  la  figure  en  question, 
très  fortement  éclairée,  d'une  distance  telle  que  les  lettres 
d'une  même  ligne  horizontale  soient  précisément  à  la  limite 
de  la  lisibilité,  ce  sont  celles  formées  des  traits  les  plus  minces 

muni  du  nombre  de  points  nécessaires  pour  définir  plus  ou  moins  exacte" 
ment  la  forme  des  lettres.  Ce  problème  est  traité  à  propos  de  l'écriture 
des  aveugles.  (Voir  chap.  VI,  XI  et  XXV). 


106      DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

qui,  étant  le  moins  empâtées,  présentent,  avec  le  plus  de 
pureté,  ce  que  j'appellerai  la  forme  schématique  des  carac- 
tères d'impression  ;  j'en  conclus  qu'il  faut  recourir  à  des  let- 
tres maigres  très  fortement  éclairées,  quand  on  veut  exécuter 
des  caractères  typographiques  de  la  plus  petite  dimension 
perceptible  pour  une  vue  excellente  (Voir  p.  232  et  233). 

Arrivé  à  ce  point,  nous  pouvons  enfin  nous  demander 
quelle  doit  être  l'influence  de  l'éclairage  sur  la  lisibilité  des 
caractères  imprimés  en  blanc  sur  noir  absolu,  et  nous  voyons 
que  la  diminution  d'éclairage  ne  peut  avoir  qu'une  influence 
indirecte  sur  la  grandeur  que  doivent  posséder  les  lettres 
pour  être  distinguées.  Supposons,  en  effet,  que  certains 
caractères  blancs  très  maigres  soient  lus  très  facilement  avec 
un  éclairage  donné;  si  nous  diminuons  l'éclairage  jusqu'à  ce 
que  la  lecture  devienne  impossible,  il  nous  suffira  évidem- 
ment d'augmenter  l'épaisseur  des  traits  jusqu'à  ce  qu'ils  rede- 
viennent visibles,  et  cela  sans  augmenter  en  quoi  que  ce  soit 
les  dimensions  des  lettres.  Mais  cet  artifice  rencontre  bientôt 
une  limite  dans  l'empâtement  qui  en  résulterait  ;  il  arrive 
donc  qu'avec  un  éclairage  trop  faible,- il  nous  faudra  de  toute 
nécessité  recourir  à  des  lettres  plus  grandes,  pour  disposer 
d'un  espace  suffisant,  où  nous  puissions  loger  sans  confusion 
des  jambages  assez  gros  pour  être  perçus. 

J'ai  exposé  ailleurs  (Ann.  d'ocuL,  t.  LXXIX,  mai  à 
août  1898)  un  programme  de  recherches  relatives  à  la  dis- 
tinction entre  l'abaissement  de  l'acuité  visuelle  qui  résulte- 
rait de  la  diminution  de  la  sensibilité  des  éléments  rétiniens, 
et  l'abaissement  que  produirait  la  diminution  du  nombre  de 
ces  éléments.  D'après  ces  recherches  combinées  avec  les 
observations  qu'on  verra  dans  le  chapitre  suivant  on  com- 
prend pourquoi,  en  présence  d'impressions  typographiques 
différentes  dont  la  lisibilité  est  la  même  pour  certaines  per- 
sonnes, il  doit  arriver  que  pour  d'autres  observateurs,  la 
lisibilité  des  deux  textes  à  comparer  est  différente. 

On  remarquera  que,  dans  tout  ce  chapitre,  pour  la  facilité 
du  raisonnement,  nous  avons  supposé  qu'il  s'agissait  de  points , 
de  lignes  et  de  lettres  se  détachant  en  blanc  sur  fond  noir  ; 
l'expérience  et  le  raisonnement  montrent  que  les  résultats 
seraient  les  mêmes  en  opérant  avec  des  objets  dessinés  en 
noir  sur  fond  blanc  ;  mais  le  raisonnement  qui  autorise  cette 
assimilation  ne  me  paraît  exact  qu'en  tant  que  les  dimensions 


IX.          INFLUENCE  DE  L'ÉCLAIRAGE  SUR  L'ACUITÉ  VISUELLE.  107 


des  images  de  ces  objets  ne  sont  pas  trop  petites  par  rapport 
à  celles  des  éléments  rétiniens  :  il  y  a  là  encore  matière  à 
d'intéressantes  études. 

Enfin,  des  expériences  sont  nécessaires  pour  rechercher 
dans  quelle  mesure  nos  résultats  peuvent  être  altérés  par  les 
mouvements  des  yeux:  c'est  là  une  question  fort  complexe  (1). 

Nous  pouvons,  grâce  à  ce  qui  précède,  aborder  l'étude  des 
épaisseurs  qu'il  importe  de  donner  aux  traits  des  caractères 
d'imprimerie. 


(1)  Extrait  du  compte  rendu  de  la  Société  de  Biologie,  séance  du 
28  février  1880,  dans  la  Tribune  médicale 

M.  Javal  propose  de  mesurer  la  sensibilité  de  la  rétine  par  les  rapports  d'inten- 
sité lumineuse,  et  tout  porte  à  croire  qu'il  y  a  là  les  éléments  d'un  nouveau 
moyen  de  diagnostic  applicable,  par  exemple,  aux  ahesthésies  hystériques. 

Supposons  qu'on  trace  sur  une  feuille  de  papier  huit  lettres  d'assez  grande 
dimension  et  qu'on  les  couvre  de  teintes  d'encre  de  Chine  dont  les  intensités 
seraient  respectivement  1,  2,  4,  8,  16,  23,  64,  128,  le  rapport  entre  le  blanc  du  pa- 
pier et  la  teinte  la  plus  pâle  étant  précisément  1  :  128,  on  conçoit  fort  bien  que 
si,  pour  un  œil  anormal,  la  teinte  64  est  précisément  assez  visible  pour  que  la 
lettre  soit  reconnue,  tel  œil  dont  la  sensibilité  aux  rapports  d'intensité  sera  du 
quart,  ne  pourra  distignuer  que  la  teinte  16,  et  on  comprend  aussi  que  l'œil  ainsi 
affecté  aura  pu  paraître  normal,  si  on  l'a  examiné  successivement  par  tous  les 
procédés  énumérés  plus  haut. 

Il  y  aurait  une  étude  à  faire  relativement  à  l'influence  de  la  teinte 
plus  ou  moins  foncée  de  l'encre  et  du  papier  sur  la  visibilité  des  carac- 
tères typographiques,  on  trouvera  certainement  que,  l'influence  de  la 
teinte  plus  ou  moins  foncée  de  l'encre  est  extrêmement  faible.  On  verra 
plus  loin  que  la  lisibilité  la  meilleure  n'est  pas  celle  que  donne  le  papier 
très  blanc  et  qu'une  teinte  jaunâtre  est  préférable. 


CHAPITRE  X. 


LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE 


L'étude  de  l'épaisseur  qu'il  convient  de  donner  aux  traits 
constitutifs  des  caractères,  se  fonde  sur  ce  qu'on  a  vu  dans 
le  chapitre  précédent.  Elle  y  est  implicitement  contenue. 

Il  est  évident,  en  effet,  qu'il  suffit  de  former  les  lettres  au 
moyen  de  traits  qui  soient  parfaitement  distincts,  et  qu'une 
épaisseur  plus  grande  de  ces  traits,  sans  rien  ajouter  à  la 
lisibilité  fait  perdre  de  la  place  inutilement.  Mais  nous  avons 
vu  que  l'œil  peut  distinguer  des  traits  extrêmement  fins 
quand  l'éclairage  est  suffisant  :  rien  ne  nous  empêcherait 
donc  d'employer  des  caractères  maigres  ou  filiformes  si  nous 
devions  jouir  toujours  d'un  éclairage  excellent,  et  nous  n'au- 
rions aucune  raison  de  faire  varier  l'épaisseur  du  trait  qui 
constituerait  ces  caractères.  Mais  pour  qu'on  puisse  lire  par 
les  temps  sombres  et  à  la  lumière(artificielle,  il  faut  nous  éloi- 
gner de  la  limite  extrême  dont  nous  venons  de  parler,  et  don- 
ner aux  traits  une  épaisseur  assez  forte  pour  qu'ils  ne  cessent 
pas  d'être  vus  à  la  lueur  d'une  bougie  ou  d'une  mauvaise  lampe. 
On  a  vu,  dans  la  partie  historique,  comment  cette  condition  a 
été  à  peu  près  remplie  dès  le  début  par  les  imprimeurs,  sans 
doute  à  cause  de  la  difficulté  que  présentait  l'exécution  de 
poinçons  très  fins,  et  aussi  par  économie,  car  des  caractères 
trop  maigres  sont  évidemment  très  fragiles.  Ces  types 
anciens,  improprement  nommés  elzéviriens,  plaisent  beau- 
coup à  certaines  personnes,  soit  à  cause  de  leur  cachet 
archaïque,  soit  parce  qu'étant  formés  d'un  trait  à  peu  près 
uniforme,  ils  sont  également  visibles  dans  toutes  leurs  par- 
ties. En  ce  qui  me  concerne,  si  j'avais  à  imprimer  un  livre 
de  luxe  en  gros  caractères  de  onze  ou  douze  points,  j'aime- 
rais assez  l'emploi  d'un  type  de  ce  genre.  Quand  il  s'agit  de 
gros  caractères,  la  visibilité  n'est  pas  en  jeu,  et  l'on  peut 


110     DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

sacrifier  davantage  à  la  grâce  des  formes  et  même  à  l'uni- 
formité de  l'aspect. 

Mais  à  mesure  que  nous  descendons  dans  l'échelle  des 
grandeurs,  d'autres  considérations  s'imposent  d'une  manière 
d'autant  plus  impérieuse  qu'il  s'agit  de  caractères  plus 
petits. 

L'expérience  et  la  théorie  sont  d'accord  pour  nous 
conseiller  d'employer  des  traits  relativement  de  plus  en  plus 
épais  à  mesure  que  nous  passons  à  des  types  plus  fins,  et 
nous  donnons  ainsi  l'explication  de  la  recommandation  que 
les  photograveurs  ne  manquent  jamais  de  faire*aux  artistes, 
à  savoir  de  forcer  l'épaisseur  des  traits  dans  les  dessins  qui 
sont  destinés  à  être  réduits  par  la  photographie,  conseil  dont 
la  nécessité  ne  repose  pas  exclusivement,  comme  on  le  croit 
généralement,  sur  la  connaissance  des  imperfections  des 
procédés  de  réduction. 

Mais  cette  augmentation  d'épaisseur  des  traits  cons- 
titutifs des  lettres  rencontre  certaines  limites  dans  le  goût, 
qui  se  trouve  fortement  choqué  lorsqu'on  fait  usage  de 
lettres  antiques  un  peu  grasses,  comme  celles  qui  sont  par- 
fois employées  en  Allemagne,  car  il  en  résulte  des  masses 
noires  fort  déplaisantes,  dans  les  parties  où  les  traits  se 
rencontrent  à  angles  aigus,  dans  le  haut  des  m,  par  exemple. 
Je  me  figure  que  c'est  pour  avoir  le  bénéfice  de  jam- 
bages épais,  visibles  malgré  un  éclairage  insuffisant,  tout  en 
évitant  l'inconvénient  de  la  lourdeur  des  points  de  jonction 
des  traits,  que  furent  créés  les  célèbres  caractères  de  Didot, 
qui  ont  fait  le  tour  du  monde  pendant  la  première  moitié  du 
xixe  siècle.  La  solution  est  en  effet  assez  ingénieuse  :  par 
un  bel  éclairage,  le  caractère  Didot  est  visible  dans  toutes 
ses  parties;  il  réalise  donc,  pour  la  confection  des  livres, 
les  avantages  qui  ont  fait  adopter  les  capitales  ivois- 
mamdes  pour  les  plaques  indicatrices  des  rues  de  Paris, 
de  telle  sorte  que  les  lettres,  qui  sont  réellement  vues  quand 
elles  sont  en  pleine  lumière,  peuvent  être  devinées  quand 
l'éclairage  devient  insuffisant  (1). 

C'est  en  se  fondant  sur  ces  raisonnements  que  nous  avons 

(1)  Voir  plus  loin,  chapitre  XVII  (typographie  compacte)  l'application  de 
ces  principes  faite  par  M.  Dreyfuss  à  l'exécution  de  caractères  lisibles 
de  très  petites  dimensions. 


X.  —  LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  111 


pu  dire  notre  mot,  dès  1878,  dans  la  grande  querelle  qui 
s'était  élevée  entre  partisans  et  adversaires  de  la  renaissance 
des  elzéviriens. 

Pour  le  mode  de  répartition  des  pleins  et  des  déliés,  nous 
partions  volontiers  de  l'égalité  des  traits  constitutifs, 
qui  peut  être  conservée  sans  inconvénient  pour  les  carac- 
tères un  peu  grands,  et  nous  formions  ces  caractères 
de  traits  relativement  grêles,  ce  qui  leur  donnait  un  aspect 
net  dans  toutes  leurs  parties;  puis,  à  mesure  que  nous  pas- 
sions à  des  caractères  plus  fins,  nous  augmentions  l'épais- 
seur relative  des  pleins,  et  nous  finissions,  pour  les  numéros 
les  plus  faibles,  par  prendre  des  types  assez  voisins  des 
Didot,  qui  n'ont  aucune  raison  d'être  pour  les  numéros 
élevés. 

Tels  sont  les  procédés  qui  nous  paraissent  découler  de 
toute  l'étude  à  laquelle  nous  nous  sommes  livré  jusqu'ici, 
et  tout  particulièrement  de  la  recherche  de  l'influence  exer- 
cée par  l'éclairage  sur  l'acuité  visuelle.  Dès  maintenant, 
nous  voyons  que,  pour  l'épaisseur  relative  des  pleins  et  des 
déliés,  on  doit  suivre  une  règle  précisément  inverse  de  celle 
qui  avait  été  adoptée  par  Didot  ;  en  effet,  si  l'on  examine 
une  série  de  caractères,  soit  de  Didot,  soit  de  l'Imprimerie 
nationale,  soit  anglais,  en  un  mot,  une  série  de  ces  caractères 
modernes  où  le  contraste  entre  les  pleins  et  les  déliés  est 
poussé  à  son  extrême  limite,  on  peut  voir  que  les  déliés  ne 
diminuent  pas  d'épaisseur  à  beaucoup  près  aussi  vite  que 
les  pleins,  quand  on  passe  des  gros  aux  petits  numéros  ; 
cela  tient  à  ce  que  les  déliés  des  plus  petits  numéros  seraient 
à  peu  près  invisibles  et  aussi  excessivement  fragiles  si  on 
les  avait  faits,  à  proportion,  aussi  minces  que  pour  les 
caractères  les  plus  gros  de  la  série. 

Quand  un  système  a  existé  aussi  longtemps  que  celui  des 
caractères  de  Didot,  il  ne  suffit  pas  de  donner  de  bonnes 
raisons  dans  une  monographie  si  l'on  veut  porter  dans  l'esprit 
du  lecteur  une  conviction  suffisamment  robuste  pour  le  faire 
abandonner  ;  il  faudrait,  de  plus,  montrer  les  raisons  qui 
avaient  fait  adopter  ce  système,  et  rechercher  si  ces  raisons 
existent  encore.  Il  nous  a  été  impossible,  malgré  toutes  nos 
recherches,  de  trouver,  dans  les  auteurs  ou  dans  la  tradi- 
tion, les  raisons  qui  ont  décidé  Didot  à  faire  un  pas  plus 
avant  dans  la  voie  qui  avait  été  suivie  successivement,  depuis 


112     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Garamond,  par  Grandjean  et  par  Luce,  et  qui  consiste  en 
une  diminution  successive  de  l'épaisseur  des  déliés  ;  il  faut 
donc  nous  en  tenir  aux  hypothèses.  L'exagération  des  déliés 
a  probablement  reconnu  pour  cause,  non  pas  les  considéra- 
tions théoriques  exposées  tout  à  l'heure,  mais  plutôt  l'habi- 
leté croissante  des  graveurs  et  des  fondeurs;  qui  ont  trouvé 
graduellement  les  moyens  de  graver  et  de  fondre  correctement 
des  types  avec  une  finesse  d'exécution  dont  leurs  prédéces- 
seurs eussent  été  incapables  :  il  se  serait  produit  un  mouve- 
ment analogue  à  celui  qui  a  donné  naissance  à  l'écriture 
anglaise,  dont  les  fins  déliés  auraient  été  difficiles  à  exécuter 
couramment  avant  l'invention  des  plumes  de  fer  ;  si  telle 
est  la  cause  de  l'invasion  des  déliés  minces  dans  la  typogra- 
phie, il  va  de  soi  qu'il  n'y  a  pas  là  de  quoi  décider  personne 
à  persévérer  dans  la  voie  où  les  Didot  se  sont  engagés.  — 
Si,  au  contraire,  l'exagération  des  déliés  a  été  adoptée  pour 
permettre  de  grossir  les  pleins  et  obtenir  une  lisibilité 
suffisante  pour  les  petits  caractères,  cette  raison  ne  saurait 
nous  influencer  quand  il  s'agit  de  caractères  un  peu  gros  ;  et 
elle  perd  même  journellement  de  son  importance  pour  les 
types  qui  ne  sont  pas  d'une  finesse  excessive,  car,  depuis  le 
commencement  du  siècle,  les  moyens  d'éclairage  ont  été 
singulièrement  perfectionnés  ;  il  n'est  pas  logique  de  conser- 
ver des  types  qui  avaient  leur  raisond'être  quand  on  se  servait 
de  chandelles  ou  de  lampes  fumeuses.  La  bougie  stéarique, 
le  quinquet  de  nos  pères,  la  lampe  Carcel,  le  modérateur,  le 
gaz,  l'éclairage  électrique  sont  postérieurs  à  l'apparition 
des  caractères  Didot  ;  c'est  pourquoi  nous  proposons  de 
faire,  pour  les  caractères  de  dimension  usuelle,  les  pleins 
moins  gros  que  ceux  dont  l'usage  était  justifié  vers  la  fin  du 
xvme  siècle,  et  de  réserver  pour  les  caractères  les  plus  fins 
l'artifice  qui  consiste  à  grossir  les  pleins  à  un  degré  incom- 
patible avec  la  conservation  d'une  épaisseur  assez  grande 
pour  les  liaisons  qui  les  réunissent  (1). 

Influence  des  défauts  optiques  de  l'œil.  —  Considé- 
rant non  seulement  qu'il  n'existe  pas  d'yeux  absolument  par- 
faits, mais  qu'il  est  rare  qu'un  œil  ne  présente  pas  de  défauts 

(1)  Pour  plus]de  détails,  voir  plus  loin  au  chapitre  XVII  «Typographie 
compacte  ». 


X.  —  LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  118 

optiques  assez  grands  pour  pouvoir  être  mesurés,  ce  serait 
une  erreur  capitale  que  d'adopter  des  caractères  appropriés 
à  une  vue  parfaite  :  la  lecture  doit  être  accessible  sans  fati- 
gue au  plus  grand  nombre.  Bien  que  la  plupart  des  défauts 
optiques  de  l'œil  puissent  être  corrigés  au  moyen  de  verres 
convenables,  nous  devons  admettre  que  la  masse  du  public 
n'emploie  que  des  lunettes  fort  mal  appropriées.  Il  faut  donc, 
dans  la  construction  des  caractères  typographiques,  tenir  un 
assez  grand  compte  des  défauts  optiques  de  la  vue. 

Nous  intercalons  ici  une  table  d'acuité  visuelle  (fig.  Ai) 
destinée  à  être  employée  à  la  distance  de  25  centimètres, 
fondée  sur  les  mêmes  principes  que  celle  qu'on  a  vue  plus 
haut  (fig.  34-). 

La  partie  supérieure  de  cette  table  a  été  obtenue  typogra- 
phiquement,  en  faisant  usage  de  Latines  nouvelles  de  la 
maison  Deberny,  lettres  qui  avaient  déjà  été  choisies  par 
notre  confrère  Parinaud  pour  l'exécution  de  ses  belles 
échelles  typographiques.  Les  cinq  groupes  inférieurs,  d'une 
justification  plus  étroite,  ont  été  obtenus  par  une  réduction 
photographiqne  de  caractères  de  même  provenance.  Ces 
caractères  sont  d'un  genre  déjà  signalé  tel  que  la  lisibilité 
est  peu  influencée  par  les  variations  de  l'éclairage;  la  pro- 
gression n'est  pas  rigoureusement  géométrique,  mais  on  re- 
marquera que  le  spécimen  de  fondeur  contenait  les  termes 
d'une  progression  très  peu  différente  de  la  nôtre. 

Les  caractères  désignés  à  leur  droite  par  les  chiffres  : 

1,  2,  3,  4,  5,  6,  7,  8,  9,  10,  11,  12  mesurent  respective- 
ment en  points  typographiques  : 

1  1/8,  1  1/2,  2  1/4,  3,  4  1/2,  6,  9,  12,  18,  24,  36,  48;  pour 
une  vue  dite  normale,  ils  peuvent  être  vus  aux  distances  res- 
pectives de  : 

0m17,  0m25,  0m35,  0m5,  0m7,  lm,  lm40,  2m,  2m80,  4m5, 
5m60,  8m. 

Enfin,  les  chiffres  de  la  colonne  de  gauche 

0.75,    1,    1.5,    2,    3,    4,    6,    8,    12,    16,    24,  32, 

sont  les  dénominateurs  des  fractions  employées  par  Snellen 
pour  désigner  l'acuité  visuelle. 

L'exécution  de  cette  figure  est  très  défectueuse  pour  les 
trois  premiers  numéros. 

JAVAL.  8 


32 


cartons 

servant 

D  =  4" 

au  traitement 

D  =  2™8 

du  strabisme  par  le 

D  =  2- 

stéréoscope.  -  Voir  leur  emploi 


12 


D  =  l«,4 

fi  dans  le  Manuel  du  Strabisme,  par  J aval,  7 


D  =  l» 

Librairie  G.  Masson,  Paris  1894.- La  guérison  parfaite  du 
4  strabisme  est  une  entreprise  qui  peut  presque  toujours 


D  =  0™,7 

ÔUe  conduite  a  bonne  fin  en  y  consacrant  des  effort* 
tmmsniiiiiieiil  intelliuents  et  piolonuéH.  Malgré  cette 
possibilité,  il  tant  avouer  que,  souvent,  le  traitement 


1,5 


D  =  0-,25 
_  D  =  0«\i7 

o.75  ^m^Mm^mmm^m^ 

Fig,  kU 


X.    LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  115 

En  ce  qui  concerne  la  grandeur  des  lettres  qui  pourront 
être  employées  sans  inconvénient,  il  nous  suffirait  de  recher- 
cher la  grandeur  des  types  qui  sont  perçus  avec  facilité  par 
un  œil  normal,  à  la  distance  la  plus  grande  où  Ton  ait  inté- 
rêt à  pouvoir  lire,  et  nous  aurions  accompli  notre  tâche.  Or, 
il  est  inutile  de  pouvoir  lire  au  delà  de  la  portée  du  bras, 
lequel  ne  s'étend  pas  commodément  à  une  distance  supé- 
rieure à  cinquante  centimètres.  Dans  ces  conditions,  de  bons 
yeux  lisent  aisément  des  caractères  de  trois  points  gravés 
convenablement  et  fortement  éclairés. 

Mais  l'expérience  de  tous  les  jours  nous  enseigne  que  le 
public  repousse  généralement  les  caractères  de  quatre,  cinq, 
six  et  sept  points,  et  que  ceux  de  huit  points  ne  trouvent  pas 
grâce  auprès  de  tout  le  monde  :  les  amétropies  les  plus 
répandues  nous  contraignent  donc  à  employer  des  caractères 
de  dimensions  linéaires  triples,  et  de  surface  neuf  fois  supé- 
rieure à  celles  qui  suffiraient  si  tous  les  yeux  étaient  rigou- 
reusement corrects  (1),  ou  rigoureusement  corrigés  par  des 
lunettes  appropriées. 

Nous  pourrions  nous  en  tenir  là  et  adopter  ces  résultats, 
fournis  par  l'expérience  quotidienne  des  éditeurs  de  jour- 
naux, parfaitement  compétents  en  pareille  matière  ;  mais 
nous  préférons  analyser  les  causes  du  verdict  rendu  par  la 
masse  des  lecteurs. 

On  sait,  depuis  des  siècles,  que  ce  sont  les  presbytes  et 
jamais  les  myopes  qui  réclament  contre  la  finesse  exagérée 
des  caractères,  et  que  leurs  plaintes  reconnaissent  pour 
cause  la  formation  d'images  de  diffusion  sur  leur  rétine. 

Calculons  la  dimension  de  ces  images  de  diffusion,  en 
nous  servant  de  l'œil  réduit  de  Listing.  Soit  p  le  diamètre 
de  la  pupille,  d  celui  du  cercle  de  diffusion,  /  la  distance  du 
livre  au  foyer  antérieur  de  l'œil,  on  a 

300  p         15 p 
d  -"300  +  20  Z~  15+/ 
00 

et  pour  p  =  4mm  il  vient  d  =  A  la  simple  inspection 


(1)  Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  il  faut  quadrupler  le  format  d'un 
livre  si  on  doit  l'imprimer  en  huit  qui  soit  rigoureusement  double  d'un 
quatre  donné,  et,  par  exemple,  recourir  à  l'in-4°  au  lieu  de  l'in-16  ou  à 


116     DEUXIÈME  PARTIE.    CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

de  cette  formule  on  voit  que  les  diamètres  des  cercles  de 
diffusion  sont  à  peu  près  inversement  proportionnels  à  la 
distance  qui  sépare  l'œil  de  l'objet,  mais  que,  pour  les 
objets  très  voisins,  ils  croissent  un  peu  moins  rapidement  à 
proportion  que  la  distance  diminue.  Effectuant  le  calcul, 
nous  trouvons  pour  des  points  lumineux  situés  respective- 
ment en  avant  du  foyer  antérieur  à 

4*  2*        lm       0^50      0,25     0,125  0,0625 

des  cercles  de  0mm015      0,03      0,06      0,12      0,23      0,43  0,77 

Ces  chiffres  ont  été  calculés,  je  le  répète,  en  mesurant  la 
distance  du  point  lumineux  au  foyer  antérieur  de  l'œil,  ainsi 
que  l'avait  fait  Listing  pour  son  petit  tableau,  reproduit  dans 
l'Optique  physiologique,  p.  101  (137  de  la  traduction).  On  voit 
que,  lorsque  l'objet  se  rapproche  de  l'œil,  les  cercles  de 
diffusion  croissent  moins  rapidement  que  la  valeur  inverse 
de  /,  et  c'est  sur  ce  fait  que  de  Graefe  s'était  fondé  pour 
expliquer  pourquoi  certains  hypermétropes  ont  avantage  à 
tenir  les  objets  très  près  de  l'œil,  de  manière  à  faire  croître 
la  dimension  des  images  rétiniennes  plus  rapidement  que 
celles  des  cercles  de  diffusion. 

En  pratique,  c'est  la  distance  des  objets  à  la  cornée  qui 
nous  intéresse  ;  la  cornée  étant  située  à  13  millimètres  en 
arrière  du  foyer  antérieur,  si  nous  nommons  X  la  distance 
de  l'objet  à  la  cornée,  on  a  X  =  /— (— 13  et  notre  formule  ci- 

15  p 

dessus  deviendra  d  =        ,  .    -,Q   .  Dans  un  but  de  simpli- 
lo-j-X — 13  1 

fication,  je  préfère  mesurer  la  distance  de  l'objet  au  plan 

principal,  qu'on  peut,  sans  erreur  notable,  confondre  avec 

l'iris.  Nommons  D  cette  distance  ;  puisque  nous  plaçons  le 

foyer  antérieur  à  15mm  en  avant  du  plan  principal,  notre 

formule  se  réduit  à  la  plus  excessive  simplicité  ;  il  vient,  en 

a  l    j      15  p  A  ,60 

ettet,  ci  =  — — — ,  et  pour  p  =  4  on  a  a  =  — -  ce  qui  nous 

donne  les  valeurs  suivantes  : 

D  étant  4"'  .  2  1         0,50         0,25        0,125  0,0625 

d  sera  =  0>™015      0,03       0,06        0,12  0,24         0,48  0,96 


l'in-8°  au  lieu  de  l'in-32.  —  Cette  proportion  est  diminuée  si  les  dimen- 
sions horizontales  des  lettres  décroissent  moins  vite  que  les  verticales, 
ce  qui  est  le  cas  général. 


X.  —  LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  117 


Nous  allons  comparer  ces  chiffres  avec  la  grandeur  des 
images  formées  par  les  objets  sur  la  rétine.  —  Supposons, 
par  exemple,  qu'un  œil  examine  deux  traits  blancs  sur  fond 
noir,  dont  les  milieux  soient  écartés  d'un  angle  de  50"  et 
dont  l'épaisseur  soit  égale  à  la  distance  qui  les  sépare.  Cette 
distance  de  50"  correspond,  sur  la  rétine,  à  une  étendue  de 
0mm, 00365,  et  une  excellente  vue  permet  encore  de  distinguer 
ces  traits  l'un  de  l'autre  (1). 

Or,  on  admet  généralement  que  cette  distinction  cesserait 
d'être  possible  si  les  cercles  de  diffusion  se  touchaient  ; 
mais,  si  l'espace  noir  compris  entre  les  traits  est  supposé 
égal  à  l'épaisseur  des  traits,  c'est-à-dire  à  0,00182,  il  suffira 
que  le  rayon  des  cercles  de  diffusion  soit  égal  à  la  moitié  de 
cette  quantité,  ou  que  leur  diamètre  soit  précisément  de 

15  p 

0,00182.  Dans  la  formule  d  =  — jy- ,  posons  p  =  1  et  d 

—  0,00182  ;  il  vient  environ  8m  pour  la  valeur  de  D,  c'est-à- 
dire  que,  pour  cesser  de  distinguer  les  deux  traits  l'un  de 
l'autre,  il  suffit  d'une  inexactitude  d'accomodation  d'un  hui- 
tième de  dioptrie  (2). 

Admettons  qu'on  veuille  distinguer  les  traits,  malgré  une 
erreur  d'accommodation  d'une  dioptrie  :  il  faudra  les  écarter 
huit  fois  plus,  ce  qui  conduit  à  les  écarter  de  6'  40",  en 
d'autres  termes,  la  distance  des  traits,  d'axe  en  axe,  devra 
être  de  près  d'un  millimètre  si  l'objet  est  à  un  mètre  ;  elle 
devra  être  d'environ  un  quart  de  millimètre  si  l'objet  est  à 


(1)  Optique  physiologique,  p.  296  de  l'édition  française. 

(2)  Si  l'on  veut  pousser  l'exactitude  un  peu  plus  loin,  pour  calculer  la 
dimension  des  images  nettes  sur  la  rétine,  il  faut  se  servir  de  triangles 
semblables  opposés  par  le  sommet  au  point  nodal.  On  voit  alors  que 
lorsque  l'objet  se  rapproche,  la  grandeur  de  l'image  croît  un  peu  moins 
vite  que  celle  des  cercles  de  diffusion,  ce  qui  met  à  néant  le  raisonnement 
de  de  Graefe,  cité  tout  à  l'heure.  J'avais  cru  trouver  dans  cette  circons- 
tance l'explication  du  fait  connu  d'après  lequel  la  pupille  se  contracte 
légèrement  pendant  l'accommodation  ?  Cependant  le  calcul  de  la  varia- 
tion de  diamètre  de  la  pupille,  nécessaire  pour  que  le  rapport  du  dia- 
mètre du  cercle  de  diffusion  au  diamètre  de  l'image  reste  constant,  ne 
me  paraissait  pas  conduire  à  une  contraction  de  la  pupille  aussi  grande 
que  celle  qui  accompagne  en  réalité  les  efforts  d'accommodation.  Des 
recherches  plus  récentes  de  Tscherning,  qui  sont  relatées  en  note  dans 
son  excellente  traduction  française  de  Tbomas  Young,  paraissent  avoir 
démontré  que  la  contraction  de  la  pupille,  qui  se  produit  lorsqu'on 
regarde  des  objets  voisins,  a  pour  but  principal  de  compenser  les  phé- 
nomènes d'aplanétisme. 


118     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

vingt-cinq  centimètres.  Il  suffit  d'énoncer  ce  résultat  pour 
faire  naître  un  doute  sur  les  données  généralement  admises 
pour  la  lisibilité  des  caractères  ;  en  effet,  les  chiffres  qu'on 
vient  de  voir  reviennent  à  dire  que,  pour  un  excellent  éclai- 
rage, le  plus  fin  caractère,  lisible  sans  lunettes  à  vingt-cinq 
centimètres  pour  une  personne  dont  le  punctum  proximum 
est  à  trente-trois  centimètres,  sera  plus  grand  que  le  n°  1 
ancien  de  Snellen. 

Si  les  calculs  que  nous  venons  de  faire  conduisent  à  des 
résultats  concordant  peu  avec  l'expérience,  cela  ne  peut 
tenir  qu'à  l'inexactitude  des  données  que  nous  avons  soumi- 
ses au  calcul.  Examinons  ces  données. 

Je  ferai  remarquer  tout  d'abord  qu'il  est  contraire  à  la 
réalité  des  faits  observés  d'admettre,  comme  on  le  fait  géné- 
ralement, que  deux  lignes  blanches  cessent  de  pouvoir  être 
distinguées  l'une  de  l'autre  dès  que  leurs  images  de  diffusion 
arrivent  au  contact.  En  effet,  l'image  de  diffusion  d'une  ligne 
de  largeur  appréciable  ne  forme  pas  une  teinte  plate  sur  la 
rétine.  Loin  de  là,  les  cercles  de  diffusion,  qui  entourent 
chacun  des  points  qui  constituent  la  bande  blanche  se  super- 
posent, de  telle  sorte  que  l'image  formée  sur  la  rétine  est 
bien  plus  claire  en  son  milieu  que  sur  ses  bords.  Prenons 
l'exemple  de  deux  bandes  blanches,  larges  d'un  millimètre 
et  séparées  par  un  intervalle  d'un  millimètre,  et  supposons 
que  les  cercles  de  diffusion  aient,  sur  la  rétine,  un  diamètre 
précisément  égal  à  l'épaisseur  de  l'image  formée  par  la  bande 
sur  cette  membrane  ;  dans  ces  conditions,  les  images  de  dif- 
fusion des  deux  bandes  se  touchent  précisément  par  leurs 
bords,  mais  les  intensités  de  ces  images  ne  seront  conservées 
intactes  que  pour  une  ligne  dessinant  précisément  le  milieu 
de  chaque  bande,  et,  sur  les  bords  de  ces  images,  l'in- 
tensité ira  en  décroissant  suivant  une  certaine  loi,  donc  il  est 
évident  que  des  lignes  pourront  être  distinguées  les  unes  des 
autres,  malgré  une  inexactitude  d'accommodation  plus  grande 
qu'il  ne  semblerait  d'après  le  calcul  ci-dessus  :  il  suffit,  en 
effet,  que  la  différence  d'éclairage  entre  les  lignes  claires  et 
le  milieu  de  la  partie  sombre  qui  les  sépare  puisse  être 
perçue. 

Il  nous  est  impossible  d'exposer  ici  les  lois  mathéma- 
tiques des  variations  de  l'intensité  lumineuse  sur  les 
bords  des  objets  entourés  de  cercles  de  diffusion  :  c'est 


X.    LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  119 

une  discussion  qui  est  d'ailleurs  du  domaine  du  calcul  inté- 
gral (1);  bornons-nous  à  noter  :  1°  que  l'image  de  diffusion 
d'une  ligne  d'épaisseur  négligeable  possède,  en  ses  divers 
points,  des  intensités  proportionnelles  aux  ordonnées  d'un 
cercle  ;  2°  que  la  courbe  des  intensités  monte  bien  plus  rapi- 
dement quand  l'épaisseur  de  la  ligne  n'est  pas  négligeable 
par  rapport  au  diamètre  des  cercles  de  diffusion. 

L'inspection  de  cette  courbe  permet  de  voir  très  clairement 
dans  quelle  mesure  les  cercles  de  diffusion  portent  obstacle 
à  la  possibilité  de  distinguer  les  lignes  les  unes  des  autres. 

Cette  étude  suffit  pour  expliquer  comment,  avec  une  accom- 
modation inexacte,  on  peut  lire  des  caractères  notablement 
plus  fins  que  cela  n'aurait  lieu  si  la  lisibilité  cessait  dès  que 
les  cercles  de  diffusion  se  touchent. 

L'examen  des  courbes  nous  fournit  cet  autre  résultat,  fort 
important,  que,  lorsque  la  vision  d'une  série  de  droites  paral- 
lèles cesse  d'être  possible  par  suite  de  l'augmentation  de 
diamètre  des  cercles  de  diffusion,  la  condition  la  plus  favo- 
rable à  la  vision  est  celle  où  les  pleins  sont  égaux  aux 
vides. 

D'où  cette  conclusion  que,  si  la  lecture  consistait  simple- 
ment à  distinguer  les  uns  des  autres  les  jambages  verticaux 
des  lettres,  il  faudrait  faire  les  vides  égaux  à  l'épaisseur  des 
jambages,  toutes  les  fois  qu'on  voudrait  obtenir  une  impres- 
sion qui  restât  lisible  malgré  une  accommodation  inexacte  de 
la  vue. 

15  p 

D'autre  part,  notre  formule  d  =      — nous  enseigne  que, 

dans  le  cas  d'accommodation  imparfaite,  le  diamètre  /;  de  la 
pupille  exerce  une  influence  énorme  sur  la  netteté  de  la 
vision;  en  effet,  on  admet  généralement  que  le  diamètre  delà 
pupille  peut  descendre  au-dessous  d'un  millimètre  et  dépas- 
ser largement  quatre  millimètres  ;  ces  variations  suffisent 
pour  expliquer  comment  un  presbyte,  qui  ne  peut  pas  déchif- 
frer sans  lunettes,  à  un  faible  éclairage,  un  texte  imprimé  en 
très  gros  caractères,  lira  un  texte  beaucoup  plus  fin  quand 
il  sera  en  présence  d'une  forte  lumière  :  aussi  voit-on  des 
presbytes  mettre  une  bougie  entre  eux  et  le  livre  pour  obte- 
nir une  constriction  suffisante  de  leurs  pupilles.  C'est  certai- 


(1)  Voir  Helmholtz.  Optique  physiologique,  §  13. 


120     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

nement  pour  la  même  raison  que,  bien  souvent,  les  presbytes 
se  plaignent  de  voir  plus  mal  à  la  lumière  artificielle  qu'en 
plein  jour  (1). 

L'expérience  nous  apprend  que  les  presbytes  ne  recourent 
guère  aux  lunettes  avant  que  le  déficit  de  leur  accomodation 
ne  dépasse  une  dioptrie,  et  que,  bien  souvent,  ils  attendent 
davantage  encore.  D'après  le  calcul  que  nous  avons  fait 
tout  à  l'heure,  avec  une  pupille  d'un  millimètre  de  diamètre, 
c'est-à-dire  avec  un  très  bon  éclairage,  il  leur  faudrait,  pour 
lire  facilement  à  25  centimètres,  des  lettres  dont  les  traits 
fussent  écartés  d'environ  un  quart  de  millimètre,  d'axe  en 
axe,  ce  qui  correspondrait  aux  caractères  de  2  points  1/4, 
groupe  3  de  la  fîg.  iî  p.  114.  En  d'autres  termes,  une  inexac- 
titude d'une  dioptrie  dans  l'accommodation  réduirait  l'acuité 
visuelle  des  trois  quarts,  dans  le  cas  d'un  éclairage  précisé- 
ment assez  fort  pour  réduire  à  un  millimètre  le  diamètre  de 
la  pupille.  Nous  avons  déjà  dit  que  ces  résultats  du  calcul 
dépassent  sans  doute  un  peu  la  réalité;  en  attendant,  on  nous 
accordera  que  la  théorie  conduit  à  n'admettre  des  lettres  de 
cinq  points  typographiques  que  dans  le  cas  où  les  pleins 
seraient  égaux  aux  vides. 

Mais  cela  ne  serait  encore  vrai  que  si  la  lecture  ne  consis- 
tait qu'à  compter  les  jambages  des  lettres  ;  pour  que  les 
détails  de  leur  forme  soient  perçus,  pour  qu'on  voit  suffi- 
samment une  partie  des  déliés,  il  faut  aller  bien  au  delà,  et 
ce  n'est  guère  trop  de  demander,  pour  les  presbytes  impar- 
faitement corrigés,  une  dimension  double,  c'est-à-dire  des 
lettres  de  dix  points  typographiques,  dont  les  pleins  auraient 
un  demi-millimètre  d'épaisseur  et  les  déliés  un  quart  de  mil- 
limètre. 

Pour  apporter  quelque  précision  sur  ce  point,  il  faudra 
remarquer  que  le  cas  où  l'on  doit  distinguer  l'un  de  l'autre 
deux  traits  parallèles  ne  se  présente,  en  somme,  qu'excep- 
tionnellement. Pour  lire,  il  faut  distinguer  des  points  et  des 
lignes  de  différentes  formes,  et  c'est  dans  les  conditions  de 

(1)  Dans  ce  qui^  précède,  nous  trouvons  l'explication  de  ce  fait,  bien 
connu,  que  la  pupille  des  myopes  est  généralement  plus  grande  que  celle 
des  presbytes.  En  plein  air,  les  uns  et  les  autres  contractent  leur  pupille 
pour  arrêter  l'excès  de  lumière,  mais,  tandis  que,  pour  lire,  le  soir,  le 
presbyte  s'approcbe  de  la  lumière  et  trouve  avantage  à  contracter  sa 
pupille,  le  myope,  qui  n'est  pas  gêné  par  les  cercles  de  diffusion,  dilate 
sa  pupille  au  maximum  et  se  contente  de  l'éclairage  le  plus  médiocre. 


X.  —  LES  PLEINS  ET  LES  DÉLIÉS  EN  TYPOGRAPHIE.  121 


visibilité  de  points  et  de  lignes  qu'on  pourra  puiser  des  règles, 
tant  soit  peu  précises,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe  actuelle- 
ment. Après  avoir  recherché  les  qualités  que  doivent  posséder 
les  caractères  typographiques  pour  être  appropriés  aux  exi- 
gences des  presbytes,  nous  allons  examiner  ce  qu'il  faut 
faire  pour  tenir  compte  des  convenances  des  myopes. 

Les  personnes  qui  ont  la  vue  basse  préfèrent  générale- 
ment les  impressions  fines,  et  cette  prédilection  est  tout  à  fait 
justifiée,  car  la  proximité  du  livre  leur  fait  paraître  suffi- 
samment grands  les  plus  fins  parmi  les  caractères  usités  géné- 
ralement, tandis  que  les  lettres  de  dimension  un  peu  grande 
viennent  occuper  sur  leur  rétine  une  étendue  bien  supé- 
rieure à  celle  qui  est  nécessaire  pour  qu'elles  soient  vues 
nettement.  Si  une  impression  trop  fine  est  insupportable 
pour  les  presbytes,  une  impression  trop  grosse  est  incommode 
pour  tout  le  monde,  surtout  pour  les  myopes,  car  l'étendue 
relativement  considérable  occupée  par  chaque  mot  oblige  le 
lecteur  à  faire  des  mouvements  rapides  avec  les  yeux  et 
même  avec  la  tête  si  sa  myopie  est  tant  soit  peu  forte. 

Il  ne  saurait  être  question  de  confectionner  des  livres  spé- 
cialement pour  l'usage  des  myopes,  mais,  par  considération 
pour  eux,  on  ne  doit  pas  employer  de  caractères  plus  grands 
qu'il  n'est  nécessaire  pour  donner  à  peu  près  satisfaction  aux 
presbytes.  Or,  nous  avons  vu  que  les  caractères  de  dix 
points  peuvent  être  lus  par  les  presbytes  avec  un  déficit 
d'accommodation  d'une  dioptrie  ;  nous  pouvons  admettre  que 
les  verres  convexes  sont  d'un  usage  assez  répandu  pour 
qu'il  soit  légitime  de  faire  choix  de  types  tels  que  les  pres- 
bytes ne  pourront  les  lire  qu'en  corrigeant  à  peu  près  le 
défaut  de  leur  vue,  et  ceci  nous  amène  à  faire  choix  de  carac- 
tères d'environ  huit  points,  sauf  à  mécontenter  un  certain 
nombre  de  presbytes,  qui  résistent  trop  longtemps  à  la  né- 
cessité de  prendre  des  verres. 

Chez  les  peuples  Européens,  l'astigmatisme  a  généralement 
pour  effet  de  faire  voir  les  traits  horizontaux  plus  distincte- 
ment que  les  verticaux  (1).  Il  se  peut  fort  bien  que  cette  cir- 

(1)  Dès  1865,  j'avais  fait  observer  que  si,  dans  les  caractères  hébraïques 
dits  «  carrés  »  les  pleins  sont  horizontaux,  cela  tient  sans  doute  à  ce  que 
l'astigmatisme  inverse  est  fréquent  cbez  les  Juifs.  (Voir  Bulletin  de  la  So- 
ciétéd'Anthropologie,  deWECKER,  15  juillet  1869,  p.  545  et  Javal,  1er  mars 
1877,  p.  157). 


122     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

constance  soit  pour  quelque  chose  dans  la  distribution  des 
pleins  et  des  déliés  dans  leur  écriture  et  dans  leur  typogra- 
phie. —  On  verra  plus  loin,  dans  le  chapitre  consacré  au 
mécanisme  de  l'écriture,  comment  cette  distribution  résulte 
de  notre  tenue  de  plume  ;  mais  on  peut  se  demander  si 
ce  n'est  pas,  au  contraire,  notre  tenue  de  plume  qui 
résulte  du  désir  que  nous  avons  de  faire  des  pleins  ver- 
ticaux. En  effet,  ceux  qui  écrivent  de  l'hébreu  à  pleins 
horizontaux  y  parviennent  aisément  en  tenant  la  plume 
dans  un  plan  parallèle  aux  bords  supérieur  et  inférieur 
du  papier,  c'est-à-dire  à  90°  de  notre  position  usuelle. 


CHAPITRE  XL 


ACUITÉ  TACTILE. 

Nous  disions  «  acuité  »  et  non  «  sensibilité  »  tactile 
pour  marquer  l'analogie  entre  le  sujet  qui  nous  occupe  et 
1'  «  acuité  visuelle  »  étudiée  précédemment.  En  effet,  la  lec- 
ture des  caractères  en  points  saillants,  à  l'usage  des  aveugles, 
repose  sur  la  faculté  de  percevoir  le  nombre  et  les  positions 
des  points  et  non  pas  sur  la  sensibilité,  qui  permet  de 
reconnaître  leur  existence. 

On  trouve  dans  tous  les  traités  de  physiologie  la  descrip- 
tion du  procédé  qui  consiste  à  explorer  la  tactilité  des  diffé- 
rentes parties  de  la  peau  à  l'aide  d'un  compas  à  pointes 
mousses.  La  personne  soumise  à  l'expérience  doit  recon- 
naître si  l'expérimentateur  applique  une  pointe  ou  en  applique 
deux  sur  sa  peau;  ainsi  que  cela  était  facile  à  prévoir,  l'ou- 
verture du  compas  employé  diffère  considérablement  suivant 
la  région  explorée.  Les  réponses  diffèrent  aussi  suivant  que 
la  pression  exercée  par  l'expérimentateur  est  plus  ou  moins 
forte.  Sans  entrer  dans  plus  de  détails,  il  suffit  de  dire  ici 
que  l'extrémité  du  doigt  perçoit  généralement  la  simultanéité 
de  deux  pointes  écartées  d'environ  deux  millimètres.  Nous 
ne  serons  donc  pas  surpris  de  voir  employer,  suivant  les 
pays,  pour  l'écriture  en  points  saillants,  des  rayages  variant 
de  2  millimètres  (Belgique)  à  2  millimètres  et  demi  (France). 

Mais  où  notre  surprise  commence,  c'est  quand  nous  cons- 
tatons que  l'acuité  tactile  est  moindre  chez  les  aveugles  que 
chez  les  clairvoyants,  et  cela  dans  une  assez  forte  mesure.  On 
trouvera,  par  exemple,  que,  si  l'on  examine  l'index  d'un 
aveugle  grand  lecteur,  pour  que  les  pointes  du  compas 
donnent  nettement  deux  sensations,  il  faut  les  écarter  de 
3  millimètres  au  lieu  de  2  qui  suffisent  au  clairvoyant  pour 
reconnaître  la  double  sensation. 

Ce  sujet  comporterait  une  série  d'expériences  dont  le  pro- 
gramme est  facile  à  tracer  et  dont  les  résultats  seraient  de 
nature  à  donner  une  assez  grande  étendue  au  présent  chapitre 


124     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

dans  le  cas  d'une  seconde  édition.  Dès  maintenant,  je  puis 
affirmer  que  l'acuité  tactile  de  mon  index  droit  est  devenue 
très  inférieure  à  celle  de  mon  index  gauche,  depuis  que  je 
pratique  la  lecture  du  Braille,  et  ce  n'est  pas  une  affaire 
d'augmentation  d'épaisseur  de  l'épidémie.  Bien  plus,  et  je  ne 
suis  pas  le  seul  aveugle  dans  ce  cas,  après  quelques  heures 
de  lecture,  la  sensibilité  de  mon  index  diminue  au  point  de 
devenir  insuffisante.  Si,  alors,  je  pose  sur  les  caractères 
l'extrémité  d'un  doigt  inemployé  pour  lire,  les  points  sem- 
blent beaucoup  plus  nets.  Cette  diminution  de  sensibilité 
est  comparable  à  l'éblouissement  visuel.  La  pratique  de  la 
lecture  émousse  l'acuité  tactile,  et  il  me  semble  subjective- 
ment qu'il  y  a  diminution  d'acuité  par  diminution  de  sensi- 
bilité. 

Paradoxe  apparent  :  les  doigts  dont  l'aveugle  ne  fait  pas 
usage  habituellement  pour  lire,  et  dont  la  sensibilité  est 
notablement  plus  forte,  sont  incapables  de  lire  aussi  bien 
que  l'index,  présentant  un  phénomène  analogue  à  celui  de 
tant  de  clairvoyants,  familiers  avec  le  Braille,  et  qui  sont 
incapables  de  lire  par  le  toucher. 

L'explication  de  ce  dernier  fait  me  paraît  résider  en  ce  que 
la  lecture  de  notre  écriture  en  relief  ne  se  fait  pas  par  contact 
immobile,  mais  en  tâtant  ou  frôlant  les  caractères,  ce  qui 
exige  une  adresse  spéciale,  que  la  pratique  développe  incons- 
ciemment. 

Pour  étudier  les  mouvements  que  doit  faire  l'aveugle  pour 
lire  le  Braille,  il  faudrait  mettre  en  œuvre  un  des  ingénieux 
procédés  d'enregistrement  créés  par  Marey.  Par  exemple, 
après  avoir  noirci  l'index  d'un  lecteur  habile  et  fixé  sur  son 
ongle  une  perle  brillante,  on  lui  ferait  lire  du  Braille  tracé 
sur  papier  noir.  On  mettrait  ainsi  en  évidence  les  variations 
de  vitesse  dans  le  sens  horizontal,  les  arrêts,  les  petits  mou- 
vements verticaux.  Dans  un  livre  qui  me  parvient  au  moment 
de  corriger  la  présente  épreuve.  M.  Th.  Heller  (1)  dit  que 
les  aveugles  grands  lecteurs  exécutent  constamment  avec  la 
pointe  du  doigt  de  petits  mouvements  presque  imperceptible, 
dans  le  sens  vertical.  Cette  sorte  de  trépidation  rapide  aurait 
son  siège  dans  les  pointures  des  phalanges.  Cette  manière 
d'agir  me  paraît  reposer  sur  un  phénomène  tout  à  fait 

(1)  Studien  zur  Blindenpsychologie,  Leipzig,  Eugelmann,  1904. 


XI.  —  ACUITÉ  TACTILE. 


125 


analogue  à  celui  qui  oblige  nos  yeux  à  être  constamment  en 
mouvement  pour  empêcher  la  vision  de  s'émousser  par  la 
production  d'images  accidentelles. 

L'étude  de  la  performance  de  lecteurs  habiles  donnerait 
des  indications  pour  l'éducation  des  novices. 

De  cette  étude  on  pourrait  déduire  aussi  des  indications 
pour  le  perfectionnement  des  signes  en  relief.  Par  exemple, 
en  ce  qui  me  concerne,  le  b  du  Braille  est  plus  lisible  que  le 
c,  car,  lorsque  mon  doigt  se  promène  horizontalement,  il 
m'arrive  de  n'éprouver  qu'une  sensation  pour  les  deux 
points  juxtaposés  qui  constituent  le  c,  tandis  que  cela 
n'a  pas  lieu  pour  les  deux  points  superposés  verticalement 
qui  forment  le  Z).Pour  cette  raison  et  pour  d'autres  analogues, 
reposant  sur  la  direction  horizontale  suivie  par  le  doigt,  il 
me  semble  donc  qu'il  y  aurait  intérêt  à  diminuer  la  hauteur 
des  lettres  et  à  augmenter  leur  largeur  ainsi  que  celle  des 
intervalles  qui  les  séparent. 

M.  Kunz,  Directeur  de  l'institution  d'aveugles  d'Illzach 
près  de  Mulhouse,  a  étudié  avec  détails  la  comparaison  entre 
la  sensibilité  tactile  chez  les  voyants  et  les  aveugles  ;  clans 
une  brochure  in-8°  de  34  pages  intitulée  Zur  Blinde nphysio- 
logie  (Das  Sinnenvicariat)  Edit.  Moritz  Perles,  Vienne, 
1902,  il  a  analysé  longuement  les  expériences  de  sensibilité 
faites  par  M.Griesbach  à  Illzach  et  plus  récemment,  en  1902, 
à  l'institution  des  sourds  et  des  aveugles  de  Weimar. 

M.  Kunz  a  examiné  un  autre  aspect  de  la  question,  et  il  a 
trouvé  avantageux,  pour  les  adultes  qui  apprennent  le  Braille 
de  se  départir  d'un  des  principes  fondamentaux  de  Barbier, 
et  de  remplacer,  peut-être  plus  souvent  qu'il  ne  conviendrait, 
la  figure  formée  de  deux  points  par  un  petit  trait  de  même 
longueur  ;  il  a  imprimé  des  livres  d'après  ce  système. 

La  diminution  de  sensibilité  pendant  la  lecture,  dont  j'ai 
parlé  plus  haut,  ne  me  paraît  être  un  fait  ni  anormal,  ni 
isolé.  En  effet,  chez  un  aveugle  dont  le  front  jouissait  de  ce 
qu'on  nomme  «  le  sens  des  obstacles  »  (1),  je  crois  avoir 
constaté  que  la  finesse  de  ce  sens  s'émoussait  très  rapi- 
dement. D'ailleurs  sans  chercher  aussi  loin,  à  qui  n'est-il 
pas  arrivé  de  continuer  à  marcher  presque  sans  douleur, 

(1)  Voir,  dans  mon  livre  :  Entre  aveugles,  le  chapitre  intitulé  :  Le 
sixième  sens. 


126     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

malgré  la  présence,  sous  le  pied,  d'un  petit  caillou  ou  d'une 
pointe  de  clou,  dont  le  contact  avait  commencé  par  être  très 
pénible.  Quelqu'incomplet  que  soit  malheureusement  l'état 
actuel  de  nos  connaissances  sur  l'acuité  tactile,  ce  qui  vient 
d'en  être  exposé  trouvera  son  application  dans  le  chap.  XXV 
consacré  à  l'accélération  de  la  lecture  des  aveugles. 


CHAPITRE  XII. 
LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


Dans  un  important  travail  exécuté  par  M.  Lamare  à  mon 
laboratoire  (1),  il  a  été  démontré  que,  loin  d'être  continu,  le 
mouvement  horizontal  des  yeux  pendant  la  lecture  se  fait 
par  saccades.  Le  lecteur  divise  la  ligne  en  un  certain  nombre 
de  sections  d'environ  dix  lettres,  qui  sont  vues  grâce  à  des 
temps  de  repos  rythmés  ;  le  passage  d'une  section  à  la 
suivante  se  fait  par  une  saccade  très  vive,  pendant  laquelle 
la  vision  ne  s'exerce  pas.  M.  Lamare  a  fait  de  nombreuses 
expériences  pour  compter  le  nombre  de  saccades  exécutées 
par  ses  yeux  pour  lire  des  caractères  plus  ou  moins  fins  ;  le 
comptage  se  faisait  au  moyen  d'un  microphone  construit  à 
cet  effet  par  M.  Verdin. 

Une  pointe  mousse,  posée  sur  la  paupière  supérieure  du 
sujet  en  expérience,  actionnait  un  microphone  dont  le  son, 
transmis  par  un  tube  en  caoutchouc,  parvenait  à  l'oreille  de 
l'observateur.  Chaque  saccade  se  traduisait  par  un  bruit 
bref,  tandis  que  le  grand  mouvement  fait  pour  passer  de 
la  fin  d'une  ligne  au  commencement  de  la  suivante  pro- 
duisait un  bruit  plus  prolongé.  Avec  un  peu  d'habitude,  on 
arrivait  ainsi  à  compter  les  saccades. 

A  notre  grande  surprise,  il  se  trouva  que  le  nombre  des 
saccades  restait  le  même,  quelle  que  fût  la  distance  de 
l'observateur  au  livre.  Cette  distance  n'avait  donc  aucune 
influence  sur  la  grandeur  absolue  des  sections,  mais  la 
grandeur  angulaire  des  sections  de  ligne  imprimée  dont  la 
lecture  se  faisait  sans  mouvement  des  yeux  était  inver- 
sement proportionnelle  à  la  distance  du  livre.  Or,  cette 
relation  est  identique  à  celle  qui  régit  la  visibilité  des  objets  ; 
il  paraissait  donc  probable  que  le  lecteur  divise  la  ligne  im- 

(1)  Lamare.  Des  mouvements  des  yeux  pendant  la  lecture.  Compte  î-endu 
de  la  Société  française  d'Ophtalmologie. 


128     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

primée  en  sections  précisément  aussi  grandes  qu'il  convient 
pour  que  l'œil,  dirigé  vers  le  milieu  de  la  section,  puisse 
encore  distinguer  en  vision  indirecte  les  lettres  qui  en 
forment  le  commencement  et  la  fin. 

Certaines  observations  faites  par  M.  Lamare  font  naître 
un  doute  sur  mes  conclusions  antérieures,  relatives  à 
la  longueur  qu'il  convient  de  donner  aux  lettres  lon- 
gues de  la  typographie,  car,  dans  mes  raisonnements,  je 
n'ai  tenu  compte  que  de  la  vision  directe.  Or,  si  l'on  admet 
qu'en  lecture  rapide,  un  lecteur  exercé  s'arrange  pour  dimi- 
nuer le  nombre  des  saccades  par  l'emploi  de  sections  de  plus 
de  dix  lettres,  dont  les  premières  et  les  dernières  seraient 
plutôt  devinées  que  lues,  on  conçoit  que  le  raccourcis- 
sement démesuré  des  lettres  longues  serait  défavorable  à  ce 
mode  de  procéder.  Il  est  clair  qu'aux  extrémités  des  sec- 
tions, des  lettres  longues  seront  plus  reconnaissables  que 
des  lettres  courtes.  De  plus,  les  lettres  longues  contribuent 
à  donner  aux  mots  qui  en  contiennent  des  physionomies 
reconnaissables  dans  leur  ensemble.  J'incline  donc  à  croire 
que,  pour  l'agrément  de  la  lecture,  il  ne  faudrait  pas  pousser 
aux  dernières  limites  le  raccourcissement  des  lettres  longues 
que  j'ai  préconisé  pour  le  cas  où  l'éditeur  veut  pousser  à 
l'extrême  l'utilisation  de  la  surface  du  papier. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  raccourcissement  des  lettres  longues 
n'a  de  raison  d'être  que  si  l'on  ne  met  pas  d'interlignes  : 
quand  on  se  donne  le  luxe  de  ménager  entre  les  lignes  un 
espace  blanc  assez  large,  il  est  logique  d'en  profiter  pour 
recevoir  les  saillies,  aussi  importantes  que  possible,  faites 
par  les  lettres  longues  au-dessus  et  au-dessous  de  l'aligne- 
ment des  lettres  courtes. 

Voici  des  extraits  du  mémoire  de  M.  Lamare  : 

Je  viens  vous  présenter  le  court  résumé  des  longues  recher- 
ches que  j'ai  faites  il  y  a  treize  ans,  au  laboratoire  d'ophtal- 
mologie de  la  Sorbone,  sur  les  mouvements  des  yeux  dans  la 
lecture,  mais  que  je  n'ai  pas  eu  le  loisir  de  faire  aussi  éten- 
dues que  j'aurais  voulu,  malgré  les  conseils  et  l'aide  éclairée 
que  m'a  prodigués  M.  Javal. 

La  récente  publication  de  M.  Landolt  sur  ce  sujet  me 
fait  un  devoir  d'exposer  tels  quels  les  résultats  de  mes  expé- 
riences. 

Ces  recherches  devaient  compléter  les  études  sur  la  phy- 


XII.  —  LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


129 


siologie  de  la  lecture  publiées  par  M.  Javal  dans  les  Annales 
d'Ociilistique  en  1878  et  1879. 

L'œil  ne  peut  voir  distinctement  à  la  fois  qu'une  petite  éten- 
due du  champ  visuel  ;  pour  toute  une  ligne,  l'œil  doit  la  par- 
courir successivement,  et,  exécutant  un  certain  nombre  de 
mouvements,  la  partager  en  un  nombre  égal  de  sections  plus 
une. 

Ainsi  dans  l'article  de  tête  d'un  journal,  je  fais,  pour  lire 
une  ligne,  trois  saccades  des  yeux  :  car  mon  œil  partage  cette 
ligne  en  quatre  sections. 

Le  but  que  j'ai  poursuivi  a  été  de  rechercher  le  nombre  de 
lettres  contenu  dans  une  section,  et  l'étendue  de  cette  section, 
c'est-à-dire  de  savoir  le  nombre  de  lettres  qu'on  peut  lire  en 
une  fois  et  l'étendue  qu'elles  occupent  ;  puis,  de  connaître  les 
influences  qu'exercent  sur  ces  deux  quantités  les  modifica- 
tions éprouvées  par  la  forme  des  caractères  dans  des  textes 
divers. 

Le  procédé  le  plus  rationnel  consiste  à  rechercher  la  vitesse 
totale  de  la  lecture,  et  à  calculer  la  durée  employée  à  lire  les 
lettres  d'une  section. 


J'ai,  par  un  autre  procédé,  recherché  combien  de  lettres 
on  peut  lire  et  déchiffrer  par  vision  périphérique,  l'œil  restant 
fixé  sur  une  lettre  quelconque  au  milieu  d'une  ligne:  cette 
étendue  lisible,  pour  des  caractères  de  11  points,  est  d'environ 
34  millimètres,  contenant  21.7  lettres.  Mais,  dans  cette  étendue, 
il  y  a  des  lettres  qui  ne  sont  vues  en  réalité  qu'imparfaite- 
ment, et  plutôt  devinées.  Quand  je  ne  tiens  compte,  dans  une 
autre  série  d'expériences,  que  des  lettres  qui  m'apparaissent 
à  l'instant  même  très  distinctement,  l'étendue  lisible  se  réduit 
à  la  moitié,  c'est-à-dire  une  moyenne  de  17  millimètres,  con- 
tenant 10.8  lettres. 

Enfin,  j'ai  employé  une  troisième  méthode,  qui  consiste  à 
compter  les  mouvements  qu'exécutent  les  yeux  le  long  d'une 
ligne. 

Un  aide  peut  voir  ces  mouvements  ;  il  peut  les  sentir  avec 
les  doigts  posés  sur  la  paupière  fermée  d'un  œil. 

Mais  le  procédé  qui  donne  les  meilleurs  résultats  est  celui 
par  lequel  on  entend  ces  mouvements  au  moyen  d'un  petit 
tambour,  dont  la  membrane  d'ébonite  supporte  à  son  centre 
une  petite  tige  qui  s'applique  sur  un  point  du  globe  oculaire 
(conjonctive  ou  paupière),  sans  aucun  inconvénient  et  dont 
la  caisse  communique  avec  les  oreilles  de  l'aide  par  deux 
tuyaux  de  caoutchouc. 


J'ai  enfin  tenté,  dans  le  laboratoire  de  M.  Fr.  Franck,  d'en- 
registrer les  mouvements  des  yeux;  les  quelques  expériences 
que  j'y  ai  faites  me  permettent  d'espérer  qu'on  pourra  par 
ce  procédé  arriver  à  des  résultats  intéressants. 

Je  ne  me  suis  pas  contenté  d'une  seule  lecture  pour  une 
ligne.  En  effet,  par  suite  d'états  d'attention  différents,  la 


JAVAL, 


9 


130     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

même  ligne  peut  être  lue,  à  des  moments  divers,  en  un 
nombre  de  sections  variable.  Et  d'ailleurs,  les  variations  que 
j'ai  constatées  plus  haut  font  aussi  penser  que  dans  chaque 
section,  les  yeux  n'embrassent  pas  le  maximum  de  ce  qu'ils 
pourraient  lire  ;  ils  ont  une  sorte  de  liberté  d'allure,  dont  ils 
semblent  user  avec  indifférence,  tout  en  se  tenant  dans  une 
moyenne  assez  régulière,  autour  de  laquelle  oscillent  les 
nombres  de  sections  faites  par  lignes. 

On  peut  comparer  le£  mouvements  des  yeux  aux  pas  que 
fait  un  individu  qui  descend  le  lit  d'un  torrent  à  sec  parsemé 
de  pierres  :  il  est  plus  que  douteux  qu'à  chaque  descente 
renouvelée  du  même  point  de  départ  il  mette  le  même  pied  au 
même  endroit,  qu'il  fasse  chaque  fois  le  même  nombre  exact 
d'enjambées.  Mais,  en  fin  de  compte,  une  moyenne  pourra 
servir  à  apprécier  avec  justesse  la  façon  dont  le  phénomène 
s'est  accompli. 

J'ai  appliqué  ce  raisonnement  aux  nombres  de  sections  dif- 
férents faits  à  divers  moments  dans  la  même  ligne;  et  j'ai 
défini  la  lecture  de  cette  ligne  par  un  nombre  représentant  la 
moyenne  des  sections  trouvées. 

J  ai  fait  de  même  pour  les  groupes  de  lignes  lues  consécu- 
tivement ;  et  j'ai  caractérisé  chacun  de  ces  groupes  par  une 
moyenne  de  sections. 

Mes  expériences  n'ont  été  faites  que  le  soir,  à  la  lumière 
d'une  lampe  de  quatre  à  cinq  bougies,  distante  de  80  centi- 
mètres. Et  j'ai  placé  le  livre  lu  à  34  centimètres  de  mes  yeux. 

J'ai  lu  des  vers  et  de  la  prose.  Les  vers  ont  cet  avantage 
de  présenter  des  lignes  écrites  avec  les  mêmes  caractères, 
mais  de  différentes  longueurs.  J'en  ai  pu  tirer  une  loi  qui 
montre  l'influence  de  l'augmentation  de  longueur  d'une  ligne 
sur  l'étendue  des  sections. 

I*  Diverses  étendues  de  lignes  sont  lues  en  un  même  nombre 
de  sections:  une  section  offre  donc  des  étendues  diverses.  Au 
moment  où  la  section  acquiert  une  certaine  étendue  (16  milli- 
mètres,'avec  des  lettres  de  10  points),  l'œil  a  une  tendance  à 
faire  une  section  de  plus  par  ligne,  et  par  suite  à  diminuer 
l'étendue  des  sections,  de  façon  à  ce  qu'elle  ne  soit  plus  que  de 
12  à  13,6  millimètres. 

En  outre,  plus  les  lignes  sont  longues,  moins  facilement 
elles  admettent  de  sections  nouvelles,  les  sections  tendant 
alors  plus  facilement  à  avoir  leur  étendue  maxima. 

Dans  les  expériences  que  j'ai  faites  en  lisant  de  la  prose,  je 
me  suis  appliqué  à  rechercher  à  quel  degré  les  différents  élé- 
ments, dont  sont  composés  les  caractères,  peuvent  influer  sur 
rétendue  d'une  section  et  sur  le  nombre  de  lettres  qu'elle  con- 
tient. 

Ces  éléments  sont  surtout  la  hauteur  et  la  largeur. 

La  hauteur  est  évaluée  en  points  typographiques  de  376 
millièmes  de  1  millimètre  ;  la  largeur  doit  être  considérée  sur 
une  lettre  qui  représente  la  largeur  moyenne  des  lettres  d'un 
même  alphabet  (sur  Yo,  d'après  nos  calculs). 


XII.  — 


LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


131 


Il  faut  tout  d'abord  remarquer,  que  la  largeur  des  lettres 
ne  diminue  pas  en  rapport  avec  leur  hauteur.  Les  graveurs 
font  les  petites  lettres  plus  larges  qu'elles  n'auraient  été 

Î proportionnellement  ;  ils  diminuent  les  caractères  moins  en 
argeur  qu'en  hauteur.  Mais  dans  les  textes  que  nous  avons 
étudiés,  il  se  trouve  que  les  petits  caractères  (de  2,  3,  5  points) 
sont  des  reproductions  photographiques  de  caractères  plus 
grands  :  de  sorte  qu'en  définitive  les  caractères  hauts  de  2  à 
9  points  avaient  une  largeur  proportionnelle  à  la  hauteur  (tout 
près  de  la  moitié),  tandis  que  les  lettres  de  10  et  11  points 
avaient  une  largeur  égale  à  celle  des  lettres  de  9  points. 

Quelle  est  l'influence  de  la  hauteur  des  lettres,  ainsi  cons- 
truites sur  l'étendue  d'une  section  ? 

Pour  les  lettres  de  5,  7,  8,  9,  10,  11  points,  l'étendue  de  sec- 
tion est  proportionnelle  à  la  hauteur  (un  peu  moins  de  cinq 
fois  cette  hauteur,  exprimée  en  millimètres). 

Mais  nous  savons  que  la  largeur  des  lettres  de  9,  10,  11 
points  que  nous  avons  employées  est  identiquement  la 
même  ;  nous  devons  alors  penser  que  l'augmentation  de 
l'étendue  de  section,  pour  ces  grandes  lettres,  est  due  à 
l'augmentation  de  leurs  seules  dimensions  verticales. 

Entre  la  largeur  des  lettres  et  l'étendue  de  section,  j'ai  pu 
établir  la  fonction  suivante  : 

L'étendue  d'une  section  est  égale  à  9  fois  la  largeur 
moyenne  des  lettres,  plus  2  millimètres. 

La  moyenne  des  nombres  de  lettres  par  section  n'est  pas  I 
la  même  pour  chaque  hauteur.  Mais,  pour  la  plupart,  et 
même  pour  quelques  caractères  d'annonces,  ces  nombres  se 
ressemblent  tellement  qu'il  faut  bien  les  considérer  comme 
identiques,  et  dire  qu'en  général  le  nombre  de  lettres  par 
section  ne  change  pas  quand  on  lit  des  caractères  de  gran- 
deurs différentes,  et  se  trouve  égal  en  moyenne  à  10,5. 

Nous  avons  pu,  grâce  au  grand  nombre  de  nos  expérien- 
ces, étudier  l'influence  qu'ont  séparément  les  variations  de  la 
largeur  et  celles  de  la  hauteur  des  caractères  sur  le  nombre 
des  lettres  contenues  dans  une  section  et  sur  l'étendue  de 
celle-ci. 

Pour  les  caractères  de  8,  9,  10,  11  points,  l'étendue  de  la 
section  augmente,  quand  la  largeur  de  ces  lettres  s'approche 
de  la  largeur  moyenne  correspondant  à  chacune  de  ces  hau- 
teurs (lmm,47  —  lram564  —  1^69).  Une  augmentation  de 

1  point  de  hauteur  augmente  l'étendue  de  la  section  de  1  à 

2  millimètres. 

Pour  les  caractères  d'une  même  hauteur  quelconque, 
l'augmentation  de  la  largeur  entraîne  une  diminution  du 
nombre  de  lettres  par  section. 

Si  des  lettres  de  différentes  hauteurs  ont  la  même  largeur, 
ce  sont  les  lettres  les  plus  hautes  qui  fournissent  le  plus 
grand  nombre  de  lettres  par  section  (une  augmentation  de 
1  point  dans  la  hauteur  des  lettres  produit,  pour  des  lar- 
geurs identiques,  une  augmentation  d'environ  une  demi  à 


132     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


trois  quarts  de  lettre  dans  le  nombre  de  lettres  par  section). 

Aussi,  on  aura  avantage  à  prendre  de  grandes  lettres  étroi- 
tes, si  l'on  veut  obtenir  le  plus  grand  nombre  possible  de 
lettres  par  section. 

Enfin,  je  crois  que  l'on  peut  représenter  les  rapports  exis- 
tant entre  le  nombre  de  lettres  par  section,  la  hauteur  H  et 
la  largeur  de  ces  lettres,  par  la  formule  suivante,  construite 
d'après  maints  schémas  et  calculs  : 

at     u     a   i  u  r  16  —  0,9  H  —  4  Larg. 

Nombre  de  lettres  par  section  —  —  .  .  TT  „  ,  T  ■ 

^  1,5  —  0,1  H  —  0,4  Larg. 


Une  des  lois  les  plus  importantes  que  nous  ayons  trouvées 
est  celle  qui  est  relative  à  l'influence  de  la  distance  sur  le 
nombre  de  lettres  par  section.  Quelle  que  soit  la  distance  à 
laquelle  s'effectue  la  lecture  d'un  même  texte  (de  0in,30  à  lm),  le 
nombre  de  lettres  par  section  ne  varie  pas. 

On  voit  immédiatement  les  conséquences  de  cette  loi,  en 
particulier,  au  point  de  vue  de  l'acuité  visuelle  périphérique 
de  la  macula  lutea,  sur  laquelle  se  projette  exclusivement 
l'image  de  l'étendue  d'une  section  :  cette  acuité  visuelle  va  en 
diminuant  du  centre  à  la  périphérie  sur  la  macula  lutea, 
comme  sur  le  reste  de  la  rétine. 

Voilà,  sommairement  énumérés,  les  résultats  de  mes  recher- 
ches. Je  n'ai  pas  osé  poser  de  conclusions  en  un  sujet  dont 
la  portée  et  les  éléments  ne  sont  pas  encore  assez  bien  défi- 
nis. En  tout  cas,  je  ne  crois  pas  que  le  grand  nombre  de 
mouvements  exécutés  par  des  yeux  sains  dans  la  lecture 
ordinaire,  soit  une  cause  de  fatigue  pour  eux  ;  suivant  même 
quelques-unes  de  mes  expériences,  l'augmentation  du  nom- 
bre de  ces  mouvements,  pour  un  même  nombre  de  lettres 
accroît  la  vitesse  de  la  lecture.  La  fatigue  surviendrait,  si 
ces  mouvements  ne  s'effectuaient  pas  avec  la  régularité,  la 
cadence,  qui  est  nécessaire  à  tout  mouvement  qui  se  répète 
un  grand  nombre  de  fois  ;  et,  dans  ce  cas,  l'œil,  exécutant 
des  mouvements  rapides,  non  coordonnés,  éprouverait  une 
fatigue  particulière,  l'asthénopie,  de  même  que  le  manque 
de  rythme  dans  les  mouvements  des  membres  amène  la  cho- 
rée,  et  que  l'absence  de  coordination,  de  cadence  dans  les 
mouvements  des  organes  de  la  parole  amène  le  bégaiement. 

Bien  que  les  résultats  de  ce  travail  soient  incomplets,  et 
non  étayés  par  une  théorie,  ils  .peuvent  être  utiles  à  ceux 
qui  voudront  poursuivre  cette  intéressante  étude  et  je 
tiens  mes  nombreux  calculs,  notes  et  schémas,  à  leur 
disposition. 


Je  viens  de  me  faire  relire  le  travail  de  M.  Lamare  et 
deux  points  me  paraissent  appeler  des  rectifications. 


XII. 


  LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


133 


En  premier  lieu,  nous  comptions  comme  lettre  chaque 
espace  séparant  les  mots  ;  en  effet,  il  est  probable  que  ce  qui 
détermine  la  longueur  des  sections,  c'est  l'étendue  qu'elles 
occupent  sur  la  rétine  et  les  blancs  y  occupent  chacun  à  peu 
près  autant  de  place  qu'une  lettre. 

En  second  lieu,  nous  avions  commis  une  faute  de  raison- 
nement en  faisant  des  moyennes  pour  établir  la  longueur 
des  sections.  Admettons,  en  effet,  que  pour  une  certaine 
typographie,  un  certain  lecteur  fasse  habituellement,  et,  bien 
entendu,  sans  que  nous  le  sachions,  des  sections  de  12  let- 
tres, si  nous  comptons  les  saccades  qu'il  fait  en  lisant  des 
lignes  où  le  nombre  des  lettres  soit  un  multiple  de  12,  nous 
avons  des  chances  de  rencontrer  pour  toutes  les  lignes  le 
même  nombre  de  saccades.  Par  exemple  :  des  lignes  de 
48  lettres  seront  partagées  régulièrement  en  4  sections; 
mais  si  ce  même  lecteur  fait  l'expérience  en  lisant  un  livre 
où  le  nombre  des  lettres  de  chaque  ligne  ne  soit  plus  un  mul- 
tiple de  12,  les  résultats  devront  être  irréguliers  ;  si  par 
exemple,  ce  lecteur  qui  fait  couramment  des  sections  de  12 
lettres,  lit  des  lignes  contenant  30  lettres,  il  y  a  des  chances 
pour  qu'il  les  décompose  en  3  sections  et  on  aurait  tort, 
après  avoir  compté  les  saccades  de  conclure  qu'il  fait  des 
sections  de  10  lettres  ;  il  est  fort  possible  qu'en  lisant  ces 
lignes  de  30  lettres,  il  commence  par  faire,  par  exemple, 
2  sections  de  12  lettres  pour  terminer  par  une  de  six  lettres 
et  si,  ce  que  nous  ignorons,  il  a  lu  cette  ligne  en  3  sections 
de  10  lettres  chacune,  il  n'en  faut  pas  conclure  que  la  sec- 
tion qu'il  est  capable  de  voir  d'un  seul  coup  n'est  que  de 
10  lettres. 

Le  problème  que  nous  nous  sommes  posé  est  de  rechercher 
la  grandeur  des  sections  dont  fait  usage  l'homme  qui  lit  et 
après  avoir  établi  que  cette  grandeur  se  mesure  par  le  nombre 
des  lettres,  en  comptant  pour  une  lettre  l'espace  entre  deux 
mots,  nous  avons  vu  que,  quelle  que  soit  la  grosseur  de  l'im- 
pression, nos  expérimentateurs  de  la  Sorbonne  faisaient  des 
sections  d'environ  dix  lettres,  en  moj^enne. 

Pour  qui  voudra  pousser  ces  recherches  plus  loin,  je  ré- 
pète que  nous  avons  eu  tort  de  prendre  des  moyennes  ;  cette 
manière  de  combiner  les  chiffres,  si  communément  employée, 
n'est  pas  logique,  et,  pour  m'en  expliquer,  je  vais  reprendre 
une  comparaison  employée  ci-dessus  par  M.  Lamare. 


134     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Je  suppose  qu'on  veuille  connaître  la  grandeur  des  pas  ou 
plutôt  des  bonds  que  fait  un  alpiniste  en  descendant  à  toute 
vitesse  une  montagne  abrupte.  Si  ce  chemin  parcouru  était 
constitué  par  un  éboulis  uniforme,  pour  avoir  la  longueur  du 
pas,  il  suffirait  de  diviser  la  longueur  du  chemin  par  le  nom- 
bre de  pas.  —  Supposons  maintenant  que  le  chemin  soit 
accidenté,  qu'il  s'y  rencontre,  disséminés,  de  nombreux 
morceaux  de  roche  sur  lesquels  l'homme  puisse  poser  le 
pied  avec  sécurité.  S'aidant  parfois  de  son  alpenstock  s'il 
craint,  par  exemple,  qu'une  pierre  soit  rendue  glissante  parle 
suintement  d'une  source,  etc.,  il  fera  des  pas  inégaux,  sou- 
vent plus  courts  que  le  pas  régulier  qu'il  faisait  dans 
l'éboulis,  et  parfois  plus  longs  ;  son  vrai  pas  est  sûrement 
plus  long  que  celui  exprimé  par  la  moyenne  obtenue  en  divi- 
sant le  chemin  parcouru  par  le  nombre  de  pas. 

De  même,  pour  la  lecture,  le  calcul  de  la  moyenne  doit 
donner,  pour  la  section,  un  chiffre  trop  faible. 

Admettant,  avec  M.  Lamare,  que  les  adultes  lisent  habi- 
tuellement par  section  de  10  lettres  environ,  pour  fabriquer 
un  livre  qui  pût  être  lu  en  supprimant  les  saccades  horizon- 
tales et  en  profitant,  dans  le  sens  vertical,  des  renseignements 
fournis  par  la  vision  indirecte,  il'  faudrait  imprimer  par 
colonnes  ne  comportant  guère  plus  de  dix  lettres.  Je  suis 
loin  de  recommander  cette  disposition,  dont  l'un  des  incon- 
vénients est  le  grand  nombre  de  mots  coupés  en  fin  de  ligne. 

Dans  Y  Année  psychologique  de  1899,  M.  Victor  Henry 
analyse  longuement  et  avec  compétence  un  livre  de  MM.  Erd- 
mann  et  Dodge,  intitulé  :  Psychologische  Untersiichungen  ue- 
ber  das  Lesen  auf  experimenteller  Grundlage,  paru  en  1898  à 
Halle  (Niemeyer).  Sans  avoir  eu  connaissance  des  travaux 
ci-dessus  rappelés,  les  auteurs  ont  fait  de  nombreuses  expé- 
riences pour  démontrer  que  la  lecture  s'opère  par  saccades, 
et  que  la  vision  n'a  lieu  que  pendant  les  temps  de  repos  des 
yeux,  et  ils  ont  accumulé  des  observations  intéressantes,  qui 
eussent  été  plus  clairement  groupées,  s'ils  avaient  remarqué, 
comme  nous,  que  le  nombre  de  lettres  par  section  ne  dépend 
ni  de  la  grosseur  du  texte,  ni  de  la  distance  à  laquelle  se  fait 
la  lecture. 

Notons  que,  d'après  eux,  le  nombre  de  lettres  par  section 
diminue  de  près  de  moitié  si  on  lit  «  en  correcteur  »,  c'est-à- 
dire  comme  pour  relever  les  fautes  typographiques. 


XII.    LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


135 


Ils  ont  observé  que  le  nombre  des  mouvements  effectués 
pour  lire  était  plus  grand  chez  un  jeune  garçon  n'ayant  appris 
à  lire  que  depuis  un  an,  et  ils  ont  fait  la  même  observation 
chez  des  adultes  lisant  une  langue  étrangère. 

Dans  deux  séries  d'expériences,  les  auteurs  ont  observé 
que  les  sections  étaient  un  peu  plus  grandes  que  l'étendue 
de  la  vision  nette  et  que,  par  conséquent,  dans  son  besoin 
de  réduire  au  minimum  le  nombre  des  saccades,  le  lecteur 
exercé  s'arrange  pour  deviner  quelques  lettres.  Ces  expé- 
riences ayant  été  faites  sur  un  livre  allemand,  les  parties 
devinées  étaient  principalement  constituées  par  des  fins  de 
mots  ;  la  différence  était  d'ailleurs  assez  marquée  pour  que 
nous  puissions  admettre  le  fait  comme  s'appliquant  à  toutes 
les  langues.  Ils  ont  remarqué  également  que  le  point  de 
fixation  se  porte  de  préférence  sur  la  troisième  ou  quatrième 
lettre  des  mots  longs. 

Ce  qui  est  le  plus  intéressant,  c'est  l'idée  qu'ils  ont  eue  de 
lire,  après  avoir  produit  sur  la  rétine  une  petite  image  acci- 
dentelle sous  forme  d'un  fer  de  flèche  dirigé  vers  le  haut, 
et  dont  on  voyait  la  pointe  se  poser,  après  chaque  saccade, 
en  un  point  généralement  situé  à  gauche  du  milieu  de  cha- 
que section.  Je  me  figure  les  gambades  de  l'image  acciden- 
telle tout-à-fait  analogues  aux  bonds  de  l'alpiniste  dont  il  a 
été  question  plus  haut. 

Enfin,  MM.  Erdmann  et  Dodge  ont  remarqué  que,  lorsque 
l'impression  est  trop  fine  pour  être  lue  facilement,  il 
arrive  que  des  mots  sont  reconnus  d'après  leur  configu- 
ration générale.  Comme  cette  configuration  dépend  en 
partie  de  la  présence  de  lettres  longues,  il  faudrait  peut- 
être  en  tenir  compte  dans  la  forme  à  donner  à  des  carac- 
tères d'imprimerie,  ce  qui  est  en  opposition  avec  les  in- 
dications contenues  dans  le  chap.  XVII  relatif  à  l'impression 
compacte. 

Dans  la  livraison  de  juillet  1898  de  American  Journal  of 
Psychology  (Stanley  Hall, Worcester,  Mass.,  A.  Orpha,  édi- 
teur), M.  Delabarre  a  publié  une  note  sur  un  procédé  qu'il  a 
employé  pour  enregistrer  le  mouvement  des  yeux.  Sur  la  cor- 
née rendue  insensible  par  la  cocaïne,  il  applique  une  cupule 
de  plâtre  percée  d'un  trou  correspondant  au  centre  de  la 
pupille,  et  sur  laquelle  il  fixe,  pour  l'étude  des  mouvements 
lents,  un  fil  qui  va  passer  sur  une  poulie  de  renvoi,  et  pour 


136     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

celle  des  mouvements  rapides,  un  style  qui  peut  tracer  une 
courbe  sur  une  feuille  enfumée. 

L'œil  supporte  sans  dommage  des  séances  de  plus  d'une 
heure  à  condition  de  laisser  plusieurs  jours  d'intervalle. 

Dans  la  même  livraison  se  trouve  un  important  article  de 
M.  Edmond  B.  Huey  intitulé  :  Preliminary  experiments  in 
the  physiology  and  psychology  of  reading. 

Par  des  procédés  tout  à  fait  différents  de  ceux  employés 
en  Allemagne  par  MM.  Erdmann  et  Dodge,  M..  Huey  a  été 
amené  à  conclure  que  l'attention  se  porte  plus  volontiers  sur 
la  première  moitié  des  mots  que  sur  la  seconde.  Il  a  présenté 
successivement  à  plusieurs  personnes  des  textes  imprimés 
altérés  suivant  deux  types.  Dans  le  premier, les  mots  étaient 
tronqués  par  la  suppression  des  premières  lettres,  et  dans  le 
second,  les  dernières  lettres  des  mots  manquaient.  Il  recom- 
mandait de  lire  assez  vite,  mais  sans  précipitation,  et  il  a 
noté  que  les  textes  du  premier  type  étaient  compris  plus 
rapidement  que  ceux  du  second.  Il  fait  observer  judicieu- 
sement qu'en  anglais  la  première  moitié  des  mots  est  plus 
caractéristique  que  la  seconde.  S'il  avait  eu  l'expérience  de 
la  lecture  au  toucher,  pratiquée  par  les  aveugles,  il  aurait 
remarqué  aussi  qu'en  lisant  vite,  les  clairvoyants  comme  les 
aveugles  doivent  avoir  la  tentation  de  sauter  la  fin  des  mots, 
dès  qu'ils  ont  lu  assez  de  lettres  pour  deviner  le  reste. 

D'autre  part  M.  Huey  a  fait  de  nombreuses  expériences 
pour  voir  si,  comme  je  l'avais  présumé,  il  y  aurait  avantage, 
sous  certains  rapports,  à  disposer  les  mots  par  colonnes 
verticales.  Il  a  disposé  des  colonnes  formées  respectivement 
de  mots  de  deux,  trois,  quatre...  jusqu'à  seize  lettres  et, 
malgré  ce  que  ce  mode  de  lecture  a  d'insolite,  il  a  trouvé 
une  rapidité  presque  égale  à  celle  de  la  lecture  ordinaire 
pour  les  colonnes  formées  de  mots  de  dix  à  douze  lettres, 
c'est-à-dire  telles  que  la  lecture  se  fasse  sans  saccades  horizon- 
tales. Je  présume  que  la  lecture  rapide  de  mots  ainsi  dispo- 
sés résultait  moins  de  la  substitution  de  petites  saccades 
verticales  aux  grandes  saccades  horizontales,  que  du  fait 
de  l'entrée  en  jeu  de  la  vision  périphérique  permettant  de 
lire  deux  ou  trois  fois  plus  de  lettres  sans  aucun  mouvement: 
on  conçoit  qu'avec  de  l'exercice,  il  se  forme  des  sections 
verticales  de  plusieurs  mots.  Supposons  un  moment  qu'on 
mette  l'un  sous  l'autre  dix  mots  formés  chacun  de  dix  lettres  ; 


XII.  —  LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE.  137 


il  semblerait  que  ces  cent  lettres  pourraient  être  perçues 
sans  aucun  déplacement  de  l'œil.  Mais  notre  typographie 
emploie  des  lettres  plus  hautes  que  larges,  si  bien  que,  par 
exemple,  dix  lettres  imprimées  en  colonnes  verticales  occu- 
pent au  moins  deux  fois  plus  de  longueur  que  dix  lettres  en 
ligne  horizontale  ;  d'autre  part,  l'étendue  de  la  vision  nette 
occupe,  sur  la  rétine,  un  peu  moins  de  hauteur  que  de  largeur  ; 
il  est  donc  clair  qu'un  œil  qui  voit,  sans  mouvement,  dix 
lettres  rangées  horizontalement,  n'en  voyant  pas  moitié 
autant  rangées  verticalement,  la  disposition  en  colonnes, 
pour  le  sujet  le  plus  exercé,  sera  loin  de  décupler  le  nombre 
de  lettres  lues  d'un  seul  coup  d'œil,  mais  elle  pourrait  l'aug- 
menter considérablement.  Il  serait  intéressant  de  connaître 
sur  ce  sujet  l'opinion  d'un  sinologue. 


Dans  ce  qui  précède,  il  n'a  été  question  que  des  mouve- 
ments des  yeux  ;  examinons  maintenant  les  variations 
d'accommodation  qui  sont  la  conséquence  de  ces  mouve- 
ments. —  Quand  les  lignes  sont  longues,  il  n'est  pas  permis 
de  négliger  la  différence  entre  la  longueur  de  la  perpendi- 
culaire menée  de  l'œil  au  papier  et  celle  des  obliques  qui 
vont  de  l'œil  au  commencement  et  à  la  fin  des  lignes.  La  dif- 
férence entre  ces  longueurs  est  d'autant  plus  marquée  que  le 
lecteur  se  tient  plus  près  du  livre,  et  elle  doit  obliger  les  per- 
sonnes qui  lisent  de  près  à  faire  varier  constamment  leur 
accommodation. 

Soit,  par  exemple,  un  lecteur  affecté  d'une  myopie  de 
10  dioptries,  la  distance  GD  entre  ses  yeux  étant  de  0 111 06 
(Fig.  4-2).  Pour  lire  une  ligne  d'impression  A  A'  longue 
de  0m12,  s'il  veut  voir  nettement  le  commencement  et  la  fin 
de  la  ligne,  notre  myope  devra  s'approcher  assez  pour  que 
les  lignes  G  A  et  D  A'  ne  mesurent  l'une  et  l'autre  que  0m10. 
Voici  ce  qui  se  passera  : 

Le  commencement  de  la  ligne  est  vu  nettement  de  l'œil 
gauche,  mais  la  ligne  AD  étant  de  0m12,  il  s'en  faut  de  plus 
de  deux  dioptries  pour  que  l'œil  D  voie  nettement.  Pour 
voir  B,  l'œil  G  accommode  d'environ  une  demi-dioptrie  et, 


138     DEUXIÈME  PARTIE.   


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


même  s'il  n'a  pas  accommodé  par  un  mouvement  associé, 
l'œil  D  est  encore  loin  devoir  nettement.  Passant  de  B  en  C, 
nous  voyons  que  l'œil  G  doit  relâcher  son  accommodation 
totalement.  Puis,  à  partir  de  G,  il  faut  que  l'œil  D  se  mette 
à  accommoder,  pendant  le  parcours  de  G  à  B',  puis  à  relâ- 

A  B  C  B'  A* 

S  K  7.  7!  7< 


G  D 

Fig.  42. 


cher  depuis  B'  jusqu'à  la  fin  de  la  ligne  A',  avec  cette  diffi- 
culté que,  pendant  le  parcours  de  G  à  B',  il  serait  désirable 
que  G  n'accommodât  pas. 

En  réalité,  je  doute  que  le  myope  de  dix  dioptries,  pris 
pour  exemple,  résiste  à  la  tentation  de  se  mettre  un  peu  plus 
près,  et  alors  les  deux  yeux  accommoderont  tout  le  temps  et 
il  faudrait  que,  pendant  le  parcours  d'A  en  B,  leur  accom- 
modation augmentât  inégalement,  que  de  B  en  B'  celle  de 
l'œil  G  diminuât  pendant  que  celle  de  l'œil  D  augmenterait, 
puis  enfin  que  l'accommodation  de  l'un  et  de  l'autre  diminuât 
inégalement  pour  passer  de  B'  en  A'. 

Quelle  que  soit  la  distance  adoptée,  je  me  figure  difficile- 
ment, pendant  une  lecture  rapide,  les  yeux  réussissant,  à 
chaque  ligne,  à  passer  chacun  successivement  par  un  maxi- 
mum d'accommodation —  l'œil  G  au  moment  où  tous  les  deux 
regardent  en  B  et  l'œil  D  au  moment  où  tous  les  deux  regar- 
dent B',—  et  je  pense  qu'au  lieu  d'exécuter  la  manœuvre  que  je 
viens  de  décrire,  plus  d'un  myope  se  rapprochera  davantage, 
assez  pour  que  l'un  des  yeux  puisse  voir  nettement  toute  la 
ligne  en  faisant  varier  son  accommodation.  Alors  cet  œil  se 


XII.  — 


LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


139 


mettra  en  face  du  milieu  de  la  ligne,  en  O.  Dans  ces  condi- 
tions, la  ligne  AO  étant  de  0m10  et  A  C  de  0m06,  on  a 
OC  =  0m08,  et  la  variation  d'accommodation  pour  passer  de 
A  en  G  sera  de  2,5  dioptries,  chiffre  obtenu  par.  un  calcul 
dont  il  sera  question  tout-à-l'heure. 

Il  est  présumable  que  les  changements  d'accommodation 
dont  il  vient  d'être  question  se  produisent  synchroniquement 
avec  les  saccades  décrites  plus  haut,  mais  cette  question  me 
paraît  difficile  à  élucider. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  lit  aisément  cent  lignes  par  minute, 
soit  six  mille  lignes  par  heure.  Les  nombreuses  variations 
d'accommodation  qui  en  résultent  sont  d'autant  plus  impor- 
tantes que  les  lignes  sont  plus  longues;  on  conçoit  donc  que, 
surtout  dans  l'intérêt  des  myopes,  j'aie  protesté  contre  de 
larges  justifications,  et  ma  voix  a  trouvé  de  l'écho,  surtout  en 
Allemagne. 

J'avais  remarqué  la  fréquence  extrême  de  la  myopie  chez 
les  personnes  qui  lisent  beaucoup  et  sa  rareté  relative  chez 
les  couturières,  qui  appliquent  leurs  yeux  avec  bien  plus 
d'assiduité  :  la  particularité  principale  de  la  lecture  m'a 
paru  résider  dans  les  variations  de  l'accommodation. 

Soit  /  la  demi-longueur  de  la  ligne  imprimée,  m  la  dis- 
tance du panctum  remotum  pour  le  myope,  et  d  la  distance  de 
l'œil  au  milieu  de  la  ligne,  on  a,  dans  un  triangle  rectangle, 

d2  =  m2  —  l1  ;  la  variation  d'accommodation  -i  —  —  s'en 

d  m 

déduit  aisément. 

Pour  épargner  au  lecteur  tout  calcul,  j'ai  construit  la 
Fig.  45  ci-après,  qui  permet  de  résoudre  instantanément 
toutes  les  questions  où  est  engagée  la  relation  entre  la 
myopie,  la  longueur  des  lignes  et  l'accommodation.  Les 
abscisses  sont,  en  grandeur  naturelle,  les  demi-longueurs 
de  lignes  d'impression  ;  les  ordonnées  mesurent  la  myopie, 
en  dioptries,  et  les  courbes  correspondent  aux  variations 
d'accommodation. 

1er  exemple  :  pour  une  ligne  de  10  centimètres,  quels  sont 
les  degrés  de  myopie  qui  nécessitent  des  variations  d'accom- 
modation de  0.25....,  0.50....,  0.75...,  1..., 2...,  3...  dioptries? 
Il  suffit  de  remarquer  que  l'ordonnée  5  coupe  les  courbes 
en  des  points  répondant  sur  l'axe  vertical  à  4  1/2...,  5  3/4..., 
7  1/4...,  9...,  11...,  12...  dioptries. 


Fig. 


43. 


XII.  — 


LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE. 


141 


2e  exemple  :  si  l'on  admet,  avec  M.  Badal,  qu'une  varia- 
tion d'accommodation  de  0.125  D,  est  très  appréciable, 
quelles  sont  les  longueurs  de  lignes  que  les  myopes  de  4,  5, 
6,  7,  8...  dioptries  peuvent  accepter  sans  trop  grande  varia- 
tion d'accommodation?  Il  suffit  de  suivre  la  courbe  0,125  D, 
et  sa  rencontre  avec  les  horizontales  4,  5,  6,  7,  8...  nous  fait 
remonter  aux  chiffres  6...,  4.25...,  3.25...,  2.66...,  2.15...; 
les  lignes  seront  donc  respectivement  de  12...,  8.5...,  6.5..., 
5.33...,  4.33...,  centimètres. 

Sans  multiplier  les  exemples,  reprenons  celui  que  nous 
avions  choisi  en  1877  ;  on  voit  que,  pour  un  myope  de 
15  dioptries,  une  ligne  de  10  centimètres  exige  une  variation 
d'accommodation  d'environ  7  dioptries  (1). 

11  était  nécessaire  d'exposer  avec  quelques  détails  mes 
idées  sur  les  variations  de  l'accommodation  pendant  la  lec- 
ture, car  elles  trouveront  dans  la  troisième  partie  de  ce  vo- 
lume leur  application  à  la  prophylaxie  de  la  myopie  par  la 
proscription  des  justifications  trop  larges. 

La  prophylaxie  du  strabisme,  bien  moins  importante,  de- 
mande également  qu'il  ne  soit  pas  fait  usage  de  lignes  trop 
longues  par  les  jeunes  hypermétropes,  ainsi  que  cela  va  être 
expliqué  dans  la  citation  suivante  extraite  de  mon  manuel  du 
Strabisme. 

«  §41.  —  Lecture  contrôlée.  —  Cet  exercice  consiste  à 
«  lire  binoculairement  dans  des  conditions  analogues  à 
«  celles  de  l'expérience  précédente  ;  on  interpose  une  barre 
«  perpendiculairement  à  la  ligne  des  yeux  (Fig.  44-)  entre 
«  une  page  imprimée  en  gros  caractères  et  le  strabique, 
«  lequel  doit  réussir  sans  aucun  mouvement  de  tête  à 
«  lire  d'une  manière  continue,  sans  qu'aucune  lettre  soit 
«  cachée  par  l'obstacle  (2).  Peu  à  peu  on  passe  à  desimpres- 
«  sions  de  plus  en  plus  fines.  —  Même  quand  la  guérison 
«  paraît  définitivement  obtenue,  il  importe  de  recom- 
«  mander  au  strabique  honoraire  de  continuer  pendant 

(1)  Communication  faite  au  Congrès  international  de  Genève  en  1877, 
et  qui  a  été  reproduite  dans  les  Annales  d'oculistiqiie,  1877,  t.  LXXVIII, 
p .  164. 

(2)  La  tige  forme  deux  images  qui  paraissent  transparentes  :  celle  de 
gauche  appartenant  à  l'œil  droit  et  celle  de  droite  étant  perçue  par  l'œil 
gauche. 


142     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


«  bien  des  mois  à  toujours  interposer  un  crayon  ou  un 
«  porte  plume  entre  ses  yeux  et  son  livre. 

«  Quand  la  lecture  est  bien  binoculaire  :  1°  la  première 
«  section  de  la  ligne  d'impression  est  vue  binoculairement  ; 
«  2°  l'œil  gauche  seul  voit  les  lettres  situées  derrière  l'image 
«  de  gauche  de  la  tige  (vue  par  l'œil  droit);  3°  la  partie 
«  médiane  de  la  ligne  est  vue  binoculairement;  4° l'œil  droit 
«  seul  lit  les  lettres  situées  derrière  l'image  de  droite  de  la 
«  tige  ;  et  5°  la  fin  de  la  ligne  est  lue  binoculairement.  Si  les 
«  yeux  sont  inégaux,  les  lettres  qui  ne  sont  vues  que  par 
«  l'œil  le  moins  bon  sont  moins  distinctes  que  le  reste,  et 
«  le  strabique  remarque,  sur  toute  la  page  imprimée,  une 
«  colonne  verticale  où,  dans  chaque  ligne,  les  lettres  vues  à 


«  travers  l'une  des  deux  images  de  la  barre  de  contrôle 
«  sont  moins  visibles  que  le  reste. 

«  Pour  bien  analyser  cette  expérience,  qu'on  mette 
«  devant  les  deux  yeux  des  verres  de  couleur  différente, 
«  par  exemple,  un  bleu  et  un  rouge  :  le  papier  paraîtra 
«  nettement  bleu  et  rouge  derrière  les  deux  images  de  la  barre, 
«  et  sur  le  reste  de  la  page  la  coloration  bleue  ou  rouge 


XII.  — 


LE  MÉCANISME  DE  LA  LECTURE 


143 


«  dominera  suivant  que  l'un  ou  l'autre  œil  joue  un  rôle  pré- 
«  pondérant  dans  la  vision. 

«  Souvenons-nous  d'autre  part  que,  d'après  les  expé- 
«  riences  de  Lamare,  les  yeux,  bien  loin  de  se  déplacer 
«  d'une  manière  continue  pendant  la  lecture,  exécutent  un 
«  certain  nombre  de  saccades,  et  partagent  ainsi  la  ligne 
«  d'impression  en  un  certain  nombre  de  sections  qui  sont 
«  lues  successivement,  les  yeux  restant  en  repos  pour 
«  chacune  d'elles.  On  conçoit  dès  lors  qu'un  strabique 
«  pourra,  par  exemple,  commencer  par  lire  de  l'œil  droit 
«  deux  sections  de  la  ligne  imprimée,  depuis  le  début  de 
«  la  ligne  jusqu'à  l'image  gauche  de  la  barre  de  contrôle 
«  et,  à  ce  moment,  par  une  même  saccade,  alterner  son 
«  strabisme  et  lire  de  l'œil  gauche  en  trois  ou  quatre  sec- 
«  tionsle  reste  de  la  ligne,  si  bien  qu'une  fois  par  ligne,  il  fera 
«  coïncider  un  changement  d'œil  avec  une  saccade,  et  lira  les 
«  lignes  d'un  bout  à  l'autre,  sans  omettre  une  seule  lettre 
«  et  cependant  sans  avoir  un  instant  regardé  binoculaire- 
«  ment.  Dans  ce  cas,  le  résultat  est  manqué. 

«  J'ai  fait  construire  récemment  un  contrôleur  multiple 


Fig.  45. 


«  (Fig.  45).  C'est  un  gril  métallique  formé  de  cinq  barreaux, 
«  qu'on  pose  sur  la  page  à  lire.  Les  vides  sont  cinq  fois 
«  plus  larges  que  les  pleins.  Il  en  résulte  que,  pour  chaque 
«  œil,  un  cinquième  de  l'impression  est  caché  et  trois  cin- 
«  quièmes  sont  vus  binoculairement.  Surtout  si  l'on  s'aide 
«  de  deux  verres,  bleu  et  rouge,  mis  devant  les  yeux,  on 
«  voit  assez  nettement,  pendant  la  lecture,  deux  grils  trans- 
«  parents  qui  s'approchent  ou  s'éloignent  l'un  de  l'autre 
«  quand  on  fait  varier  la  distance  du  livre.  Les  pieds  du  gril 
«  sont  d'une  hauteur  telle  que  les  dix  barreaux  paraissent 
«  équidistants  à  un  observateur  dont  les  yeux  ont  un  écarte- 


144     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

«  ment  de  60  millimètres  et  qui  se  tient  à  25  centimètres  du 

«  papier.   Les   sections  étant  beaucoup  plus  nombreuses 

«  qu'avec  une  simple  barre  de  contrôle,  le  sujet  qui  se  sert 

«  de  ce  gril  n'est  guère  tenté  de  recourir,  pour  lire,  à  des 

«  alternances  réitérées  de  strabisme.  » 

Par  cette  longue  citation  on  voit  comment  les  connais- 
sances théoriques  relatives  aux  mouvements  des  yeux  peuvent 
être  utilisés  dans  le  traitement  du  strabisme.  On  peut  en 
tirer  aussi  cette  conséquence  d'une  utilité  plus  générale,  que 
l'emploi  de  livres  à  large  justification,  nuisibles  aux  myopes, 
comme  on  l'a  vu  plus  haut,  peut  être  défavorable  aussi  aux 
jeunes  hypermétropes,  en  les  prédisposant  au  strabisme. 


CHAPITRE  XIII. 
LE  MÉCANISME  DE  L'ÉCRITURE. 


Nous  emploierons,  dans  la  présente  étude,  la  méthode 
qui  doit  guider  tous  ceux  qui  veulent  tracer  les  règles  à 
suivre  pour  bien  exécuter  les  exercices  corporels.  Cette 
méthode,  créée  par  Marey,  consiste  à  observer  la  ma- 
nière de  faire  des  sujets  les  mieux  doués,  qui,  soit  par  apti- 
tude naturelle,  soit  par  tradition,  sont  en  possession  d'une 
exceptionnelle  virtuosité. 

Examinons  donc  les  mouvements  d'un  habile  écrivain, 
par  exemple  d'un  secrétaire-rédacteur  de  la  Chambre  des 
députés,  qui,  tout  en  regardant  constamment  autour  de  lui, 
rédige,  séance  tenante,  le  procès-verbal  analytique.  Son 
écriture  est  fine,  penchée,  régulière  et  assez  lisible  pour  ne 
laisser  aucune  hésitation  aux  typographes. 

Nous  remarquons  tout  d'abord  une  oscillation  continuelle 
de  la  main  entière;  c'est  l'articulation  du  poignet  qui  fait  un 
mouvement  d'extension  pour  chaque  délié,  un  mouvement 
de  flexion  pour  chaque  jambage.  De  plus,  les  trois  doigts 
qui  tiennent  la  plume  exécutent  en  même  temps  des  mou- 
vements d'extension  quand  le  poignet  s'étend  et  de  flexion 
quand  il  revient  ;  ces  mouvements  des  doigts  ont  pour  effet 
de  diminuer  un  peu  la  pente  des  déliés  et  davantage  celle 
des  pleins.  Les  doigts  font  encore  d'autres  petits  mouve- 
ments, pour  parfaire  la  forme  de  certaines  lettres  et  pour 
soulever  la  plume.  L'écriture  la  plus  rapide  et  la  plus  régu- 
lière est  celle  qui  réduit  au  minimum  les  mouvements  des 
doigts,  et  se  fonde  le  plus  possible  sur  les  mouvements  du 
poignet,  lesquels,  par  leur  isochronisme  et  leuridentité,  sont 
un  gage  de  célérité  ;  ces  mouvements  du  poignet  forment  une 
espèce  de  vibration,  de  tremblement  absolument  régulier, 
qui  se  produit  sans  fatigue  et  en  quelque  sorte  sans  que  la 
volonté  ait  à  intervenir  :  c'est  pour  ainsi  dire  la  base  de 
l'écriture  rapide  ;  mais  il  faut  que,  sur  ce  mouvement,  se 

JA.VAL.  10 


146     DEUXIÈME  PARTIE.  — 


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


greffent  d'autres  mouvements  variés  qui  ont  pour  but  de 
différencier  les  lettres  entre  elles.  Le  mouvement  en  ques- 
tion donne  la  rapidité  et  la  régularité  :  les  autres  mouve- 
ments donnent  la  lisibilité. 

Mais  les  mouvements  du  poignet  et  des  doigts,  assistés, 
chez  certaines  personnes,  d'un  mouvement  du  bras  suivant 
sa  longueurpour  former  les  lettres  longues,  ne  permettraient 
que  d'écrire  en  place  ;  il  faut  encore  un  mouvement  de  trans- 
lation. C'est  un  point  sur  lequel  nous  devons  insister  tout 
particulièrement. 

L'écrivain  habile,  s'il  a  oublié  les  préceptes  de  son  maî- 
tre d'écriture,  appuie  son  coude  sur  le  bord  de  la  table,  si 
bien  que,  tant  qu'il  écrit  sur  une  feuille  étroite,  le  coude 
reste  absolument  immobile  et  la  ligne  d'écriture  est  non  pas 
une  ligne  droite,  mais  un  arc  de  cercle  ayant  pour  rayon  la 
longueur  de  l'avant-bras,  augmentée  de  celle  de  la  main  et 
de  la  partie  de  la  plume  qui  dépasse  les  doigts  (1).  Pour  en 
acquérir  la  preuve,  après  vous  être  installé  commodément 
pour  écrire  sur  la  feuille  de  papier  que  vous  avez  placée 
obliquement  par  instinct,  posez  la  pointe  de  la  plume  au 
commencement  d'une  ligne  et  faites  mouvoir  l'avant-bras 
autour  du  coude  pris  comme  centre  ;  la  plume  tracera  sur  la 
feuille  un  arc  de  cercle  de  rayon  assez  grand  pour  pouvoir 
être  confondu  avec  une  ligne  droite  parallèle  au  bord  supé- 
rieur de  votre  papier.  Cette  immobilité  du  coude  est  favo- 


Fig.  46  (tracée  en  1881). 


(1)  Comme  exemple  à  l'appui,  voici  le  fac  similê  (Fig.  47)  d'une  circu- 
laire émanant  d'un  écrivain  illustre  ;  la  courbure  est  un  peu  augmentée 
par  le  fait  de  la  réduction  photographique  de  ces  lignes  qui  avaient  été 
écrites  sur  une  feuille  extrêmement  large. 


XIII.  —  LE  MÉCANISME  DE  LÉCRITURE 


148     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

rable  à  la  rapidité  de  l'écriture,  car  la  rotation  de  l'avant- 
bras  se  fait  graduellement,  sans  exiger  le  moindre  temps, 
tandis  qu'il  se  produit  nécessairement  un  arrêt  quand  on 
déplace  le  bras  en  totalité  pour  mener  la  plume  tout  le  long 
de  la  ligne.  Un  autre  avantage  de  ce  système,  c'est  que  la 
rectitude  de  la  ligne  se  conserve,  pour  ainsi  dire,  automati- 
quement; avec  le  coude  bien  appuyé,  rien  n'est  plus  facile 
que  d'écrire  des  lignes  parfaitement  régulières  avec  les  yeux 
fermés. 

L'emploi  du  coude  comme  pivot  entraîne  d'autres  consé- 
quences. —  La  première  est  la  position  oblique  du  papier, 
qui  est  adoptée  par  tous  les  écrivains  rapides,  la  diagonale 
qui  joint  l'angle  supérieur  droit  à  l'angle  inférieur  gauche  de 
la  feuille  se  trouvant  à  peu  près  perpendiculaire  au  bord  de 
la  table. —  La  seconde  est  la  pente  de  l'écriture;  du  moment 
que  la  ligne  qu'on  écrit  est  perpendiculaire  à  l'avant-bras, 
les  mouvements  du  poignet  produisent  forcément  une  pente 
qui  serait  supérieure  à  45°,  si  les  mouvements  des  doigts  et  le 
mouvement  de  translation  de  la  main  ne  venaient  pas  l'atté- 
nuer très  notablement,  surtout  pour  les  pleins. 

La  méthode  graphique  permet  d'analyser  les  mouvements 
de  l'écriture;  mettez  au  poignet  et  au  petit  doigt  de  l'écrivain 
un  bracelet  et  une  bague  munis  chacun  d'un  crayon.  Pen- 
dant que  sa  plume  trace  l'écriture,  qui  est  une  résultante, 
ces  crayons  tracent  sur  le  même  papier  les  mouvements  de 
l'avant-bras  et  de  la  main,  qui  en  sont  deux  composantes. 

Avec  la  position  du  bras  et  du  papier  telles  que  nous  ve- 
nons de  les  décrire,  les  pleins  viennent  naturellement  pren- 
dre une  position  à  peu  près  perpendiculaire  au  bord  de  la 
table.  Il  en  résulte  que,  pour  écrire  sans  pente,  l'écrivain 
habile  qui  se  tient  comme  nous  avons  dit,  n'a  qu'à  mettre  la 
feuille  droit  devant  lui  :  aussitôt  les  mouvements  du  poignet 
dont  nous  avons  parlé  cesseront  de  produire  la  pente  et, 
sans  aucun  apprentissage,  il  écrira  droit  avec  une  assez 
grande  rapidité  et  tout  à  fait  involontairement  ;  la  seule 
difficulté,  c'est  que  pour  chaque  mot  et  même  plusieurs  fois 
dans  le  courant  d'un  mot  un  peu  long,  il  devient  nécessaire 
de  déplacer  l'avant  bras,  et,  par  conséquent,  le  bras,  vers 
la  droite,  sous  peine  de  tracer  des  lignes  montantes,  comme 
le  font  bien  des  personnes  qui  s'obstinent  à  tenir  leur 
papier  droit  devant  elles,  ainsi  qu'on  le  leur  a  enseigné  dans 


XIII.    LE   MÉCANISME  DE  L'ÉCRITURE. 


149 


leur  enfance.  Cette  remarque  trouvera  son  application  au 
chapitre  XXIV  des  expertises  en  écritures. 

Ainsi,  en  observant  la  manière  de  faire  des  écrivains  ha- 
biles,—  qui  n'est  pas  celle  des  calligraphes,  —  nous  sommes 
arrivé  à  cette  conséquence  qu'il  faut  incliner  le  papier  vers 
la  gauche  d'un  angle  à  peu  près  égal  à  la  pente  de  l'écriture 
et  qu'il  faut  écrire  penché.  C'est  pour  plus  de  clarté  que  nous 
avons  supposé  le  coude  appuyé  sur  la  table  ;  on  peut,  sans 
inconvénient,  n'y  placer  qu'une  partie  de  l'avant-bras;  bien 
que  n'ayant  pas  de  point  d'appui,  le  coude  peut  parfaitement 
servir  de  pivot  immobile  pour  les  mouvements  de  l'avant- 
bras. 

Il  faut  l'avouer  immédiatement  ;  sous  le  rapport  de  l'atti- 
tude du  corps,  la  position  que  nous  adoptons  n'est  pas  tout 
à  fait  sans  inconvénient;  bien  qu'elle  permette  d'écrire  les 
yeux  fermés,  on  regarde  volontiers  ce  qu'on  fait,  et  cela  est 
même  nécessaire  pour  mettre  les  points  et  les  accents 
(Fig.  46).  Or,  pour  des  raisons  physiologiques  fort  complexes, 
les  yeux  sont  ainsi  faits  qu'il  leur  est  désagréable  de  par- 
courir des  lignes  obliques.  Aussi,  les  personnes  qui  écrivent 
comme  nous  le  conseillons  sont-elles  portées  invinciblement 
à  pencher  la  tête  à  gauche,  de  manière  à  mettre  à  peu  près 
dans  un  même  plan  la  ligne  d'écriture  et  les  deux  yeux;  c'est 
un  faible  inconvénient  pour  les  adultes,  chez  qui  les  défor- 
mations du  corps  ne  sont  plus  guère  à  craindre. 

Un  défaut  d'écriture,  très  répandu,  résulte  du  déplorable 
usage  des  points  sur  les  i  et  des  accents.  La  plupart  des 
personnes  n'attendent  pas  que  le  mot  soit  terminé  pour  met- 
tre les  points,  les  accents  et  les  barres  de  t.  Il  en  découle 
toute  une  série  d'inconvénients.  D'abord,  une  interruption 
des  déliés,  qui  devraient  réunir,  à  peu  près  sans  solution  de 
continuité,  toutes  les  lettres  d'un  même  mot.  Ensuite,  un 
retard  extrêmement  considérable,  car  il  faut  plus  de  temps 
pour  s'interrompre,  mettre  un  point  sur  un  i  et  reprendre  le 
cours  du  mouvement  régulier  de  la  plume,  qu'il  n'en  faut 
pour  écrire  deux  ou  trois  jambages.  Enfin,  bien  des  per- 
sonnes, surtout  en  Allemagne,  ne  lèvent  pas  la  plume  pour 
faire  les  points  sur  les  z,  et  certains  accents,  d'où  résulte  des 
liaisons  qui  réunissent  les  accents  aux  lettres  et  nuisent 
considérablement  à  la  lisibilité.  D'autres,  dans  la  rapidité  de 
l'action,  jettent  les  points  et  les  accents  un  peu  au  hasard, 


150     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

généralement  trop  à  droite,  tandis  qu'avec  le  système  dont 
nous  allons  parler,  ces  signes  sont  toujours  posés  à  leur 
place. 

Les  calligraphes  conseillent  de  ne  poser  les  accents  et  les 
points  sur  les  z  qu'après  avoir  terminé  le  mot  qui  doit  les 
recevoir;  c'est  une  habitude  difficile  à  inculquer  aux  enfants 
et  qu'ils  ne  conservent  pas  souvent.  Le  mieux  serait  d'inter- 
dire absolument  l'usage  des  points  et  des  accents  pendant 
l'écriture,  et  d'exiger  qu'il  ne  soient  placés  qu'ultérieurement, 
en  relisant;  tandis  que  la  ponctuation  doit  être  mise  scru- 
puleusement du  premier  abord.  Par  ce  système,  on  peut 
écrire  extrêmement  vite,  et  régulièrement.  Si  l'on  écrit  pour 
soi-même  ou  pour  les  imprimeurs,  il  est  complètement  inu- 
tile d'ajouter  les  points  et  les  accents,  qui  ne  sont  néces- 
saires que  pour  rendre  l'écriture  lisible  malgré  ses  défauts 
et  pour  les  personnes  les  moins  exercées.  En  supprimant 
les  points  et  les  accents,  il  est  facile  de  prendre  currente  ca- 
lamo  des  notes  à  un  cours,  de  dresser  le  procès-verbal  com- 
plet de  la  discussion  la  plus  animée,  et  il  reste  loisible  d'a- 
jouter tous  ces  signes  en  se  relisant,  ou  de  les  faire  mettre 
par  un  secrétaire.  Ce  système  présente  même  le  très  grand 
avantage  qu'un  seul  coup  d'œil  nous  permet  de  constater  si 
une  page  de  notre  écriture  a  été  relue  ou  non  ;  nous  écrivons 
avec  régularité  et  rapidité,  et  nous  augmentons  ensuite  la 
lisibilité,  sans  perte  de  temps,  au  moment  où  nous  relisons, 
par  l'addition  des  points  et  des  accents,  que  la  politesse 
nous  défend  d'ailleurs  d'omettre  dans  les  écrits  que  nous  ne 
réservons  pas  exclusivement  pour  notre  usage  personnel. 

La  rapidité  exige  ensuite  que  les  pleins  soient  produits 
par  une  dépense  de  force  extrêmement  faible,  et  plutôt  par 
la  largeur  du  bec  de  plume  que  par  la  pression.  Nous  rejet- 
terons donc  les  plumes  à  pointes  fines  et  extra  fines,  et  adop- 
terons les  becs  médium. 

La  vitesse  exclut  les  queues  démesurément  longues,  ce 
n'est  pas  un  mal,  car  le  caprice  de  la  mode  empêche  seul  de 
les  trouver  aussi  disgracieuses  qu'elles  le  sont  en  réalité  ; 
dans  les  belles  bâtardes,  les  longues  ont  une  dimension  totale 
qui  ne  dépasse  guère  deux  corps. 

Enfin,  pour  écrire  rapidement,  il  importe  de  réduire 
le  nombre  des  levées  de  plume  qui  constituent  une  perte 
de  temps  considérable.  Or,  si  nous  voulons  écrire  d'une 


XIII.  —  LE  MÉCANISME  DE  l'ÉCRITURE. 


151 


seule  traite,  nous  remarquons  que  sept  lettres  nous  obligent 
à  lever  la  plume  ;  il  faut  quitter  le  papier  avant  les  lettres  a, 
c,  d,  g,  o,  q,  au  milieu  des  lettres  a,  g  et  q  et  après  les  q  et 
s.  Un  grand  nombre  de  défauts  d'écriture  proviennent  de 
liaisons  qui  se  produisent  pour  éviter  ces  solutions  de  conti- 
nuité :  introduisons  systématiquement  ces  liaisons  où  cela 
sera  possible,  en  formant  la  panse  de  l'a  au  moyen  d'une  sorte 
d'e  très  ouvert,  et  appliquons  le  même  système  au  d,  au  g 
et  au  a,  et  voilà  quatre  lettres  qui  se  feront  d'un  seul  trait 
de  plume.  Quant  à  l's,  autorisons  la  liaison,  et  il  prendra 
une  forme  analogue  à  un  e  renversé,  facile  à  tracer  rapide- 
ment, et  ne  pouvant  se  confondre  avec  aucune  autre  lettre. 

En  résumé,  si  l'on  veut  que  l'homme  des  professions 
libérales  ait  une  bonne  écriture  quand  il  aura  quitté  les 
bancs  du  lycée,  il  faut  lui  enseigner,  à  un  moment  donné, 
une  écriture  telle  que  la  vitesse  ne  la  déforme  pas  trop  désa- 
gréablement. Si  l'on  recherche  une  très  grande  rapidité, 
cette  écriture  sera  penchée,  tracée  sur  papier  incliné,  et  son 
mécanisme  reposera  sur  un  mouvement  de  trépidation  régu- 
lière du  poignet. 

Tout  ce  qui  précède  s'applique  à  l'écriture  expédiée,  ou  à 
main  levée,  dans  laquelle  les  mouvements  du  poignet  jouent 
un  rôle  prépondérant,  écriture  dont  les  principes  ont  été 
parfaitement  posés  par  Taupier  et  par  Grimai.  Si  les  mé- 
thodes de  ces  calligraphes  sont  tombées  dans  un  oubli  immé- 
rité, c'est  qu'ils  ont  eu  le  tort  de  vouloir  appliquer  à  l'ensei- 
gnement de  l'enfance  des  principes  qui  leur  avaient  réussi 
pour  rectifier  des  écritures  d'adultes  destinés  à  se  faire  expé- 
ditionnaires. Ils  ont  oublié  que  l'immense  majorité  de  la 
nation  n'a  pas  besoin  d'écrire  à  grande  vitesse.  Que  le 
peuple  tout  entier  écrive  posément  et  lisiblement,  et  réservons 
aux  virtuoses  de  la  plume,  et  à  eux  seuls,  les  méthodes  Tau- 
pier et  Grimai. 

Les  principes  de  la  calligraphie  à  main  posée  sont  tout 
différents.  Il  ne  manque  pas  de  méthodes  où  l'on  trouvera 
des  indications  pour  la  tenue  de  plume  qui  convient  pour 
tracer  la  ronde,  la  coulée  et  la  bâtarde.  Nous  dirons  seule- 
ment en  passant  que,  parmi  ces  écritures  qui  se  tracent 
au  moyen  de  plumes  à  bec  large,  il  en  est  une,  non 
dénommée,  qui  nous  paraît  préférable  à  toutes  :  c'est  une 
ronde  dans  laquelle  les  n  diffèrent  des  u  comme  dans  la 


152     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

bâtarde  et  où  les  /,  les  b,  etc.,  sont  bouclés.  Cette  écriture, 
tracée  avec  une  plume  à  bec  moyen,  devrait  devenir  l'écri- 
ture nationale. 

Après  avoir  sommairement  fait  connaître  les  raisons  qui 
conduisent  certaines  personnes  à  préférerl'écriture  penchée, 
nous  allons  démontrer  que,  pour  les  enfants,  l'enseignement 
de  l'écriture  droite  est  préférable  à  tous  égards. 

L'écriture  à  main  posée.  —  Il  ne  peut  venir  à  l'idée  d'une 
personne  raisonnable  de  vouloir  enseigner  à  un  enfant  de 
six  ans,  qui  ne  connaît  à  peine  la  forme  des  lettres,  le  méca- 
nisme si  compliqué  dont  font  usage  certains  adultes  pour 
écrire  rapidement.  D'ailleurs,  le  voulût-on,  que  son  organisa- 
tion ne  s'y  prêterait  pas,  car,  son  avant-bras  étant  beaucoup 
plus  court  que  celui  de  l'adulte,  le  pivotement  autour  du 
coude  ferait  tracer  à  la  plume  un  arc  de  cercle  très  différent 
d'une  ligne  droite,  et  son  écriture  est  beaucoup  trop  hésitante 
pour  pouvoir  faire  usage  du  mouvement  de  trépidation  du 
poignet.  Il  faut  donc  renoncer  à  ces  mouvements,  laisser 
l'enfant  déplacer  son  avant-bras  en  totalité,  presque  pour 
chaque  lettre,  et  lui  permettre  de  se  servir  à  peu  près  uni- 
quement de  ses  doigts  pour  mouvoir  la  plume  :  il  n'y  a  qu'à 
le  laisser  faire  à  cet  égard. 

D'autre  part,  comme  on  donne  toujours  aux  enfants  du 
papier  réglé,  il  n'existe  aucune  raison  pour  mettre  le  cahier 
de  travers  :  la  rectitude  des  lignes  d'écriture  est  assurée  par 
la  réglure  et  ne  peut  pas  être  obtenue  par  la  rotation  de 
l'avant-bras  autour  du  coude.  Nous  posons  donc  le  cahier 
droit  devant  l'enfant. 

On  a  vu  plus  haut  que,  même  pour  l'adulte  habitué  à 
écrire  penché,  la  position  droite  du  cahier  a  pour  consé- 
quence l'écriture  droite.  Pour  s'assurer  qu'il  en  est  ainsi 
pour  l'enfant,  faites-lui  copier  un  modèle  d'écriture  penchée: 
si  vous  le  laissez  faire,  son  cahier  étant  droit,  il  écrira  droit, 
malgré  la  pente  du  modèle.  Pourquoi  contrarier  cette  ten- 
dance naturelle?  Donnez-lui  des  modèles  d'écriture  droite, 
il  les  copiera  plus  facilement,  ce  qui  n'est  pas  un  mal,  et  en 
écrivant  droit,  il  se  tiendra  plus  volontiers  droit,  ce  qui  est 
utile  pour  éviter  la  déviation  de  la  colonne  vertébrale,  ou 
scoliose,  et  surtout  la  myopie,  qui  reconnaît  souvent  pour 
cause  une  mauvaise  attitude  en  écrivant. 

Si,  méprisant  la  tendance  instinctive  de  l'enfant,  qui  est 


XIII.  — 


LE  MÉCANISME  DE  l'ÉCRITURE. 


153 


bonne,  on  vent  lui  enseigner  l'écriture  penchée,  on  est  en 
présence  de  deux  solutions  :  cahier  incliné  à  gauche  ou  ca- 
hier droit  (posé  en  face  ou  repoussé  un  peu  vers  la  droite). 

Quant  on  prescrit  la  position  inclinée  du  cahier,  la  posi- 
tion oblique  des  lignes  entraîne  la  position  inclinée  de  la 
tête,  laquelle  réagit  de  proche  en  proche  sur  la  position  de 
tout  le  corps.  Le  cahier  tenu  obliquement  vers  la  gauche  a 
pour  effet  de  faire  pencher  la  tête  à  gauche  et  le  reste  du 
corps  suit  le  mouvement  pour  éviter  une  flexion  trop  consi- 
dérable du  cou  et  pour  ramener  adroite  le  centre  de  gravité, 
si  bien  que  le  cahier  tenu  obliquement  produit  la  scoliose  à 
concavité  gauche,  telle  qu'on  l'observait  il  y  a  trente  ans. 

Quand,  au  contraire,  ils  exigent  une  écriture  penchée 
tracée  sur  un  cahier  tenu  droit,  les  maîtres  demandent  une 
chose  contre  nature  :  il  ne  suffit  pas  de  mettre  le  coude 
contre  le  corps  :  il  faudrait  le  mettre  dans  le  corps,  et  le 
malheureux  écolier  est  obligé  de  se  creuser  le  flanc  droit 
pour  y  loger  son  coude,  ce  qui  l'amène  à  baisser  l'épaule 
droite  et  à  porter  tout  le  poids  de  son  corps  sur  la  fesse 
gauche,  ce  qui  produit  la  scoliose  à  concavité  droite  (1).  Un 
calligraphe  éminent  nous  vantait  cette  attitude  en  présence 
de  la  Commission  réunie  au  ministère  de  l'Instruction 
publique. 

Notre  réponse  fut  topique  : 

Mais  tournez-vous,  de  grâce,  et  l'on  vous  répondra. 

Le  calligraphe  célèbre  avait  lui-même  une  belle  dévia- 
tion de  la  colonne  vertébrale  qui,  vue  de  dos,  affectait 
.la  forme  d'un  C  :  l'épaule  droite  était  bien  plus  bas  que  la 
gauche. 

Mais  la  scoliose  est  un  mal  relativement  insignifiant  :  incon- 
vénient plus  grave,  l'une  et  l'autre  des  attitudes  précédentes 
entraînent  la  tête  en  avant,  après  quelques  minutes,  et  cela 
par  un  mécanisme  dont  la  description  occuperait  trop  de 
de  place  ici,  et  contre  lequel  les  exhortations  du  maître  le 
plus  attentif  viennent  échouer  forcément. 

(1)  La  scoliose  en  question  est  moins  fréquente  et  moins  marquée  chez 
les  garçons  que  chez  les  filles,  parce  que  ces  dernières  se  calent,  pour 
ainsi  dire,  en  amenant  instinctivement  une  épaisseur  de  jupes  et  jupons 
entre  les  bancs  et  la  partie  droite  de  leur  individu. 


154      DEUXIÈME  PARTIE.   


CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


Nous  avons  exposé  ailleurs  (1)  en  détail  le  mécanisme 
physiologique  par  lequel  l'écriture  penchée  est  une  cause  de 
scoliose  et  de  myopie  ;  on  peut  s'y  reporter  et  étudier  les 
nombreux  auteurs  qui  ont  écrit  sur  ce  sujet,  surtout  en  Alle- 
magne. 

Schubert  photographia  deux  groupes  de  dix  filles  dans 
deux  classes  d'une  même  école  de  Nurenberg  :  les  élèves  du 
premier  groupe  écrivaient  penché;  celles  du  second  groupe 
pratiquaient  l'écriture  droite  depuis  un  an. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  photographies  de  Schubert 
et  il  est  certain  que  les  attitudes  des  enfants  du  second 
groupe  étaient  beaucoup  meilleures  que  celles  des  enfants 
du  premier. 

En  résumé  tout  en  préconisant  l'enseignement  exclusif  de 
l'écriture  droite  aux  jeunes  enfants,  nous  ne  proscrivons 
aucunement  l'emploi  de  l'écriture  penchée  pour  les  adultes. 

Les  personnes  qui  savent  nos  efforts  pour  faire  adopter 
l'écriture  droite  dans  les  écoles  primaires  éprouveront 
quelque  surprise  à  nous  voir  accepter  l'écriture  penchée 
pour  les  adultes  des  professions  libérales.  Nous  leur  répon- 
drons qu'on  n'obtient  rien  quand  on  demande  trop.  Aux 
personnes  qui  écrivent  rapidement  avec  pente,  et  qui  s'en 
trouvent  bien,  on  démontrerait  difficilement  qu'elles  ont 
tort,  alors  qu'elles  ont  raison.  Vouloir  obliger  tous  les  adultes 
à  écrire  droit  serait  aussi  absurde  que  de  faire  écrire  les 
jeunes  enfants  avec  pente.  Notre  espoir  de  faire  adopter  l'é- 
criture droite  dans  les  écoles  primaires  repose  précisément 
sur  la  distinction,  subtile  en  apparence,  mais  fondée  sur  la 
physiologie,  que  nous  avons  établie  entre  le  mécanisme  de 
l'écriture  enfantine  et  celui  de  l'écriture  expédiée  des  adultes. 


Ecriture  en  miroir,  écriture  lithographique,  écriture  des 
gauchers.  —  Ce  qui  suit  ressort  des  observations  de  mon 
collaborateur  M.  Dreyfuss. 

La  structure  de  nos  écritures  résulte,  en  grande  partie, 
de  l'anatomie  de  la  main  et  du  bras.  Jamais  un  gaucher, 

(1)  Javal,  Attitudes  scolaires  vicieuses,  Revue  d'hygiène,  1881,p.  500 et  570. 


XIII. 


—  LE  MÉCANISME  DE  l'ÉCRITURE. 


155 


jamais  une  personne  qu'une  amputation  oblige  à  écrire  de 
la  main  gauche,  n'écriront  nos  écritures  cursives  avec  la 
même  aisance  que  nous,  puisque  l'allure  générale,  et  cer- 
tains détails  de  nos  écritures  résultant  des  mouvements 
qui  sont  adéquats  au  membre  qui  les  exécute.  Pour  n'en 
citer  qu'un  seul  exemple,  dans  la  grande  rapidité,  l'écriture 
anglaise  se  déforme  pour  devenir  analogue  à  la  coulée  : 
les  n  s'identifient  aux  u  tandis  que  ce  ne  sont  presque  jamais 
les  u  qui  s'identifient  aux  n.  La  main  droite  a,  de  plus,  une 
tendance  à  tracer,  à  la  descente,  des  pleins  dont  la  conca- 
vité est  tournée  vers  la  droite.  C'est  par  des  raisons  physio- 
logiques qu'on  attaque  l'o  par  son  côté  gauche  et  non  en 
descendant  d'abord  par  la  droite  et  remontant  en  délié  par 
la  gauche.  Si  donc  une  personne  frappée  subitement  de 
paralysie,  ou  de  crampe  de  la  main  droite,  voulait  acquérir 
de  la  main  gauche,  une  écriture  aussi  rapide  que  possible 
elle  ne  saurait  mieux  faire  que  d'écrire  de  droite  à  gauche, 
sauf  à  se  servir  de  papier  pelure,  l'écriture  étant  destinée  à 
être  lue  au  verso,  ou  bien  à  engager  ses  amis  à  lire  ses  écrits, 
dans  un  miroir.  —  On  possède  de  nombreux  manuscrits  de 
Léonard  de  Vinci  présentant  cette  disposition  et  tracés,  très 
vraisemblablement,  au  moyen  de  la  main  gauche. 

La  symétrie  naturelle  de  nos  mouvements  est  telle  que, 
pour  réussir  à  tracer,  de  la  main  gauche,  une  écriture  en 
miroir,  on  se  trouvera  bien,  pour  les  premiers  essais, 
d'écrire  en  même  temps  avec  la  main  droite,  de  gauche  à 
droite;  l'expérience  est  très  démonstrative. 

On  comprend  maintenant  certaines  attitudes  de  l'écrivain 
lithographe.  —  Pour  écrire  de  la  ronde  il  la  trace  renversée, 


Fig.  48. 


comme  la  seconde  ligne  de  la  figure  48.  —  Pour  écrire  de 
l'anglaise,  le  lithographe  la  trace  de  haut  en  bas,  dans  la 
position  représentée  ci-après  par  la  figure  49.  Cette  attitude, 


156     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 


étrange  en  apparence,  a  pour  but  de  mettre  les 
une  position  où  ils  tracent 
presque  spontanément  des 
courbes  analogues  à  celles 
de  l'écriture  courante,  sur  pa- 
pier. 

Cette  bizarrerie  d'une  écri- 
ture tracée  verticalement  et 
destinée  à  être  lue  horizonta- 
lement, m'ayant  mis  en  mé- 
moire l'écriture  syriaque  du 
vie  siècle,  j'ai  prié  M.  Drey- 
fuss  d'en  faire  un  croquis,  qui 
est  reproduit  fig.  50  et  il  me 
dit  que  son  flair  de  litho- 
graphe lui  a  commandé  d'exé- 
cuter ce  croquis  dans  la  position  où  il  est 
reproduit  et  non  pas  suivant  la  direction  hori- 
zontale destinée  à  la  lecture,  laquelle  se  fait 
de  droite  à  gauche. 

Au  cours  de  sa  collaboration  au  présent 
chapitre,  M.  Dreyfuss  a  remarqué  que,  pour 
écrire  de  la  main  gauche  à  main  posée  il  faut 
placer  le  papier  dans  une  direction  perpendi- 
culaire à  celle  habituellement  usitée  ;  quand 
on  écrit  ainsi  avec  la  main  gauche,  en  co- 
lonnes verticales  de  haut  en  bas,  les  pleins  et 
les  déliés  se  forment  régulièrement  sans  la 
moindre  difficulté. 


Fis.  49. 


doigts  dans 

i 

/X/ 

X 
h 

0 

T 

y 

Fis.  50. 


CHAPITRE  XIV 


RAPIDITÉ  DE  L'ÉCRITURE  ET  DE  LA  LECTURE. 

Le  but  principal  des  recherches  exposées  dans  ce  qui  pré- 
cède est  de  rendre  plus  faciles  et  plus  rapides  la  lecture  et 
l'écriture.  Le  terme  d'écriture  étant  pris  ici  dans  son  sens  le 
plus  large  et  comprenant  les  différents  moyens  d'inscrire 
l'expression  de  la  pensée  humaine. 

Quoiqu'on  ait  pu  dire,  la  parole  n'est  pas  le  substratum 
nécessaire  de  la  pensée  dont  elle  n'atteint  pas  la  rapidité  : 
pour  s'en  assurer  il  suffit  par  exemple  de  faire  l'essai  d'ex- 
primer en  paroles  la  suite  des  parades,  des  feintes  et  des 
ripostes  qui  constituent  une  reprise  d'escrime,  ou  bien  encore 
de  décrire,  en  paroles,  tout  ce  qu'on  a  pu  percevoir  la  nuit, 
pendant  la  lueur  à  peu  près  instantanée  d'un  éclair. 

Il  ne  semble  pas  que  la  vitesse  de  la  pensée  soit  très  diffé- 
rente chez  les  différents  peuples  bien  que  les  langues  soient 
très  inégales  quant  à  la  concision  ;  par  exemple  le  latin  qui 
manque  de  précision  est  plus  concis  que  le  grec  qui  l'a  pré- 
cédé et  que  le  français  et  l'italien  auxquels  il  a  donné  nais- 
sance. On  raconte  que  Rousseau,  ayant  parié  d'écrire  plus 
laconiquement  que  Voltaire,  lui  adressa  cette  courte  missive  : 
«  Eo  rus  »  (je  vais  à  la  campagne)  et  que  Voltaire,  par  retour 
du  courrier,  répondit  simplement  «  I  »  (allez-y). 

De  même  en  anglais,  les  mots  omnibus,  cabriolet  sont 
devenus  bus  et  cab  ;  le  verbe  allemand  gehen  s'est  transformé 
en  go.  Les  mots  de  nouvelle  formation  tel  que  lift  (ascen- 
seur) sont  plus  courts  que  les  nôtres.  Cette  remarque  ne 
devra  pas  être  oubliée  quand  nous  comparerons  tout  à 
l'heure  les  records  de  rapidité  de  dactylographie  ou  de 
lecture. 

Quand  il  s'agit  d'écrire,  la  rapidité  moindre  du  français 
n'est  pas  attribuable  seulement  à  la  longueur  des  mots  mais 
aussi  à  l'encombrement  produit  par  les  lettres  inutiles  ;  il  y 


158     DEUXIÈME  PARTIE.           CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

a  donc  lieu  de  mentionner  ici  la  grande  accélération  d'écri- 
ture qui  serait  un  des  bénéfices^  de  la  réforme  orthogra- 
phique. 

Il  paraîtrait,  d'après  des  comptages  sérieux,  que  dans 
notre  orthographe  les  lettres  inutiles  se  montent  à  treize 
pour  cent. 

Parmi  les  protagonistes  les  plus  radicaux  de  la  réforme 
orthographique,  après  avoir  cité  Appius  Claudius  l'aveugle, 
qui  réforma  l'orthographe  latine,  et  qui  est  plus  connu  par  sa 
résistance  à  Pyrrhus  et  par  la  voie  Romaine  qui  porte  son 
nom,  je  fais  une  enjambée  de  vingt-et-un  siècles  pour  arriver 
à  Charles  Barbier,  mentionné  dans  le  chap.  VI  de  ce  volume 
et  qui  commence  sa  brochure  de  1834  par  les  lignes  sui- 
vantes: 

«  L'écriture  de  prononciation  est  celle  que  nous  pratiquons 
tous  avant  d'avoir  étudié  l'orthographe  et  la  grammaire  ; 
beaucoup  de  personnes  n'en  sauront  jamais  d'autres». 

Barbier  avait  démontré  magistralement  dès  1820  que,  pour 
tous  les  illettrés,  y  compris  les  aveugles  et  les  sourds-muets, 
il  est  beaucoup  plus  facile  d'apprendre  une  écriture  phoné- 
tique bien  comprise  qu'une  écriture  orthographique.  Au  len- 
demain de  la  célèbre  loi  Guizot  de  1833,  qui  organisa  l'ins- 
truction primaire  en  France,  et  en  présence  du  nombre 
immense  des  adultes  illettrés,  il  revint  à  la  charge.  Il  pen- 
sait que  ce  serait  chose  sage  que  de  réduire  le  premier  effort 
des  instituteurs  à  enseigner  une  phonographie  à  la  masse 
des  enfants,  réservant  à  une  minorité  les  difficultés  de  la 
grammaire  et  de  l'orthographe. 

Le  temps  a  marché,  mais  la  nature  de  l'esprit  humain  est 
restée  la  même.  Aujourd'hui  encore,  dans  les  pays  de  langue 
française  ou  anglaise,  il  est  toujours  vrai  que  le  moyen  le 
plus  rapide  d'enseignement  de  la  lecture  usuelle  consiste  à 
passer  par  la  phonographie. 

On  avait  objecté  à  Barbier  que  la  pratique  de  la  phono- 
graphie devait  nuire  à  celle  de  l'orthographe.  Avec  autant  de 
bon  sens  que  d'esprit,  Barbier  répondait  que  la  parole  est 
une  phonographie  par  excellence,  et  que,  pour  être  logi- 
ques, ses  contradicteurs  devraient  interdire  la  parole  aux 
enfants  jusqu'au  moment  où  ils  apprendraient  l'ortho- 
graphe. 

Tandis  que  Barbier  proposait  pour  une  partie  de  la 


XIV.          RAPIDITÉ  DE  LA  LECTURE  ET  DE  l'ÉCRITURE.  159 

nation  l'adoption  immédiate  d'une  écriture  phonétique, 
depuis  Voltaire  une  évolution  lente  tend  vers  la  simplifi- 
cation de  notre  orthographe  suivant  une  marche  méthodique 
précisément  inverse  à  l'évolution  historique  dont  Ronsard 
marque  le  point  culminant. 

De  ses  transformations,  notre  langue  a  gardé,  comme 
témoins,  des  lettres  muettes  qui,  malgré  la  résistance  des 
grammairiens,  ont  une  tendance  à  disparaître.  L'Académie 
française  en  supprime  quelques-unes  à  chaque  réédition  de 
son  vocabulaire,  si  bien  que  la  connaissance  des  étymologies 
est  devenue  une  source  de  fautes  d'orthographe.  Un  hellé- 
niste n'hésiterait  pas  à  écrire  «  ophthalmie  »,  «  anhémie  », 
«  rhythme  »,etc.  contrairement  aux  dernières  décisions  aca- 
démiques. 

L'orthographe  étymologique  a  vécu  et  depuis  qu'on  nous 
oblige  à  écrire  «  philantropie  »  au  lieu  de  «  philanthropie  », 
nous  roulons  sur  une  pente  au  bas  de  laquelle  sont  parvenus 
les  Italiens,  qui  écrivent  «fotografo»  où  nous  écrivons  encore 
«  photographe  ». 

Ce  même  mouvement  de  simplification  se  produit  en 
Allemagne  avec  une  telle  vitesse  qu'on  peut  présumer  par- 
fois l'âge  d'une  personne  d'après  le  nombre  des  lettres 
muettes  dont  elle  fait  usage  en  écrivant. 

La  simplification  de  l'orthographe  aura  pour  effet  d'accé- 
lérer un  peu  l'écriture  des  générations  futures,  à  condition 
qu'on  ne  commette  pas  l'erreur  d'augmenter  le  nombre  des 
accents,  ce  qui,  on  l'a  vu,  ralentirait  et  gâterait  l'écriture, 
car  les  levées  de  plume  sont  fâcheuses  à  tous  égards  et  on 
perd  plus  de  temps  qu'on  n'en  gagne  à  écrire,  avec  Monsieur 
Malvezin,  «  cèle»  au  lieu  de  «  celle  »,  etc.  L'usage  des  accents 
est  un  des  grands  obstacles  à  la  diffusion  de  Y  Espéranto. 

Pendant  qu'en  France  et  en  Allemagne  on  voit  évoluer 
l'orthographe  pour  se  rapprocher  de  la  représentation  pho- 
nétique de  la  langue,  en  Amérique,  des  Sociétés,  dites  phi- 
lologiques, font  une  active  propagande  pour  rendre  plus 
logique  l'orthographe  anglaise,  malgré  le  misonéisme  si 
obstiné  de  la  race  anglo-saxonne.  Les  langues  évoluent  donc 
vers  une  simplification  de  l'orthographe. 

La  situation  de  nos  écritures  modernes,  dit  M.  Philippe 
Berger,  rappelle  assez  celle  des  écritures  de  l'ancien  monde 
au  moment  de  l'invention  de  l'alphabet.  A  cette  époque  aussi, 


160     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

le  monde  était  partagé  entre  deux  ou  trois  systèmes  d'écri- 
ture différents,  dont  l'un  surtout,  l'écriture  Egyptienne,  avait 
porté  au  plus  haut  degré  de  perfection  l'expression  de  toutes 
les  formes  de  langage. 

Qu'ont  fait  les  Phéniciens  ?  Ils  ont  pris  dans  cet  arsenal  une 
vingtaine  de  signes,  ceux  qui  leur  étaient  strictement  néces- 
saires, et  ils  en  ont  tiré  une  écriture  nouvelle,  sans  aucun 
souci  de  toutes  les  finesses  de  l'orthographe,  sabrant  dans  les 
désinences  vocaliques  des  verbes,  jetant  au  panier  tous  les 
compléments  phonétiques. 

Mais  cette  écriture,  quelque  grossière  qu'elle  fût,  reposait 
sur  un  principe  nouveau  et  fécond,  le  principe  de  l'écriture 
alphabétique,  c'est-à-dire  d'une  écriture  dans  laquelle  chaque 
lettre  répond  à  un  son  ! 

Il  faut  reconnaître  que  nous  nous  en  sommes  singulière- 
ment écartés  et  que  cette  définition  ne  saurait  s'appliquer 
rigoureusement  à  nos  écritures  modernes.  Elles  ne  sont  plus 
phonétiques  que  dans  une  très  faible  mesure  ;  elles  sont  deve- 
nues des  écritures  savantes,  qui  ne  sont  pas  sans  quelque 
analogie  avec  les  hiéroglyphiques  des  Egyptiens  ;  chaque 
mot  forme  un  petit  ensemble,  dans  lequel,  à  côté  d'éléments 
phonétiques,  il  y  en  a  d'autres  qui  ne  se  prononcent  pas  et 
qui  servent,  soit  à  distinguer  à  l'œil  un  mot  d'un  autre  et  à 
en  marquer  l'origine  et  la  signification,  soit  à  en  indiquer  la 
forme  grammaticale.  Ce  défaut,  commun  à  presque  toutes 
nos  langues,  est  particulièrement  sensible  en  Français  : 
il  faut  six  lettres  pour  écrire  le  mot  «  aiment  »,  où  la  pronon- 
ciation ne  fait  entendre  que  deux  sons  ;  encore  le  premier  de 
ces  sons  ne  répond-il  à  aucune  des  deux  lettres  qui  servent 
à  le  rendre  :  beaucoup  d'autres  mots  sont  dans  le  même  cas. 
De  là  vient,  entre  l'écriture  et  la  prononciation,  un  écart 
toujours  plus  grand,  qui  crée  une  difficulté,  souvent  presque 
insurmontable,  pour  ceux  qui  veulent  apprendre  à  écrire  nos 
langues,  et  contribue  encore  à  séparer  les  peuples. 

Le  sentiment  des  inconvénients  de  cet  état  de  chose  et  des 
dangers  qu'il  présente  pour  l'avenir  de  notre  écriture  et,  par 
suite,  de  notre  langue,  a  provoqué  un  mouvement  en  faveur 
d'une  réforme  de  l'orthographe  qui  en  ferait  disparaître  les 
anomalies  et  la  rapprocherait,  dans  la  mesure  du  possible, 
du  langage  parlé.  A  la  tête  du  mouvement  s'est  placé  réso- 
lument un  des  maîtres  des  études  linguistiques  en  France, 
M.  Louis  Havet. 

L'entreprise  n'est  pas  nouvelle,  et,  depuis  trois  cents  ans, 
elle  a  été  tentée  plus  d'une  fois  ;  mais  le  trait  caractéristique 
du  mouvement  actuel,  c'est  qu'il  est  parti  des  hommes  qui 
ont  le  plus  étudié  l'histoire  de  notre  langue  et  les  lois  qui  pré- 
sident aux  transformations  du  langage.  Elle  est  la  consé- 
quence des  travaux  accomplis  depuis  le  commencement  du 
siècle  dans  le  domaine  de  la  linguistique  et  de  la  philologie 
comparée.  C'est  une  réforme  demandée  au  nom  de  la  science, 
qui  cette  fois  est  allée  au-devant  du  sentiment  public,  et 


XIV. 


  RAPIDITÉ  DE  LÉCRITURE  ET  DE  LA  LECTURE.  161 


l'accueil  qu'elle  a  reçu  dès  l'abord  dans  l'Université  et  parmi 
ceux  qui  sont  chargés  d'enseigner  la  langue  française,  sem- 
ble prouver  qu'elle  répond  à  un  besoin  réel. 

«  Le  phonétisme  pour  but  idéal,  la  modération  comme 
règle  immédiate  »,  voilà  ce  que  réclame  M.  Havet,  de  l'Ins- 
titut, dans  un  article  du  Journal  des  Débats  du  4  mars  1890, 
article  reproduit  en  tête  de  sa  brochure,  aujourd'hui  introu- 
vable, intitulée  :  La  simplification  de  l'orthographe,  par  Louis 
Havet,  professeur  au  Collège  de  France  (1890). 

Cette  brochure  est  un  modèle  de  dialectique  réformiste. 
L'auteur  fait  ressortir,  avec  beaucoup  d'esprit,  les  incohé- 
rences de  notre  orthographe,  dont  l'étude  coûte,  à  nos  éco- 
liers, un  temps  qui  pourrait  être  beaucoup  mieux  employé. 
Il  démontre,  d'accord  avec  nos  linguistes  les  plus  compé- 
tents, Gaston  Paris,  Darmsteter,  Michel  Bréal,  etc.,  l'inanité 
de  l'argument  d'après  lequel  notre  orthographe  serait  systé- 
matiquement étymologique.  Elle  ne  l'est  que  par  accès.  Il 
expose  comment  les  simplifications  désirables,  loin  d'offen- 
ser l'histoire  de  notre  langue,  seraient  bien  souvent  un  retour 
à  ce  qui  se  pratiquait  au  moyen  âge.  Quand  à  l'objection 
d'après  laquelle  on  créerait  des  confusions  en  écrivant  de 
la  même  façon  des  mots  dont  le  sens  est  différent,  tels  que 
vers,  verre  et  vert,  c'est  dans  un  article  paru  le  1er  août  1889 
dans  la  Revue  de  l'enseignement  secondaire  et  de  l'enseigne- 
ment supérieur,  et  reproduit  dans  cette  brochure,  qu'il  faut 
voir  combien  elle  est  insoutenable  (1). 

Les  indications  qui  précèdent,  relatives  à  la  rapidité  res- 
pective des  diverses  langues  et  à  la  simplification  de  leur 
orthographe,  ainsi  que  les  notions  relatives  à  la  sténographie 
(Chap.  IV)  et  au  mécanisme  de  l'écriture  (Chap.  XIII), 
prêtent  de  l'intérêt  à  la  réunion  de  données  numériques  qui 
vont  suivre. 

Voici  quelques  indications  sur  la  rapidité  des  divers 
moyens  que  l'homme  emploie  pour  exprimer  sa  pensée. 

Quand  je  ne  dirai  pas  le  contraire,  j'admettrai,  avec  les 
dactylographes,  que  les  mots  entiers  entrent  seuls  en  ligne 
de  compte.  Par  exemple  ((-l'homme  )),  compte  pour  un  mot. 

(1)  Un  rapport  tout  récent  de  M.  P.  Meyer  au  ministre  de  l'Instruction 
publique  (Imp.  Nat.  1904)  fait  au  nom  d'une  commission  spéciale,  est 
soumis  au  jugement  très  conservateur  de  l'Académie  française  (Me  Faguet 
rapporteur;. 


JAVAL. 


11 


162     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Pour  l'écriture  ou  la  dactylographie  j'admets  que  l'écrivain 
doit  mettre  les  majuscules,  les  accents  et  la  ponctuation  ; 
de  même  pour  le  Braille. 

Il  ne  serait  pas  difficile  de  réunir  quelques  chiffres  sur  la 
rapidité  de  la  lecture  mentale,  celle  qui  importe  réellement 
à  l'homme  lettré.  On  trouverait  des  différences  individuelles 
considérables.  Faute  de  renseignements  précis,  j'admettrai 
qu'on  lit  aisément,  sans  rien  laisser  passer,  cinq  cents  mots 
par  minute. 

Un  de  mes  amis,  lecteur  très  rapide,  a  pris  la  peine,  à  mon 
intention,  de  lire,  sans  rien  passer,  le  roman  de  Paul  Bour- 
get,  Cruelle  énigme.  Cette  lecture  lui  demanda  une  heure,  et, 
faisant  le  calcul,  il  en  a  conclu  qu'il  avait  lu  550  mots  par 
minute. 

Pour  la  lecture  de  l'anglais,  d'après  un  mémoire  remar- 
quable de  M.  Edmond  B.  Huey  (american  journal  of  psycho- 
logie, vol.  XI  et  XII)  on  voit  qu'une  personne  a  pu  lire 
mentalement  plus  de  huit  cents  mots  par  minute,  et  trois 
cent  soixante  à  haute  voix. 

Pour  l'exécution  musicale,  il  paraît  qu'un  bon  pianiste 
peut  exécuter  près  de  700  notes  égales  par  minute. 

Nous  sommes  mieux  renseignés  sur  la  rapidité  de  la  pa- 
role. D'après  ce  qui  m'a  été  dit  à  Y  Institut  sténo  graphique 
(150,  boulevard  Saint-Germain,  à  Paris),  l'orateur  le  plus 
lent  prononce  plus  de  cent  mots  par  minute,  et  le  plus  rapide 
en  dit  rarement  plus  de  deux  cents.  Une  bonne  moyenne 
paraît  être  cent  soixante  mots  par  minute. 

Un  dactylographe  exercé  écrit  facilement,  pendant  des 
heures,  quarante  mots  par  minute.  Le  record  de  dactylo- 
graphie, obtenu  lors  de  l'Exposition  de  1900,  est  de  soixante- 
sept  mots.  On  peut  donc  dire  que  la  rapidité  de  la  dactylo- 
graphie est  à  peu  près  quatre  fois  moindre  que  celle  de  la 
lecture  à  haute  voix.  A  l'Exposition  de  Chicago  en  1892,  le 
record  en  langue  anglaise  avait  été  de  quatre-vingt-dix-sept 
mots. 

J'estime  que  la  rapidité  d'une  écriture  parfaitement  lisible 
est  de  vingt  mots,  soit  environ  moitié  de  celle  obtenue  cou- 
ramment par  les  dactylographes.  Une  écriture  extrêmement 
rapide,  en  supprimant  les  accents  et  les  points  sur  les  z, 
mais  pas  la  ponctuation,  lisible  sans  hésitation  pour  celui  qui 
l'a  tracée,  peut  atteindre  trente-cinq  mots. 


XIV.  —  RAPIDITÉ  DE  l'ÉCRITURE  ET  DE  LA  LECTURE.  163 

Les  télégraphistes  exercés  transmettent,  en  Morse,  vingt- 
cinq  mots  de  cinq  lettres  par  minute,  mais  ils  se  dispensent 
de  différencier  les  lettres  majuscules  ou  accentuées.  C'est 
donc  une  vitesse  comparable  à  celle  de  l'écriture  ordinaire. 
L'employé  récepteur  d'une  transmission  Morse,  qui  perçoit 
la  dépêche  par  l'audition,  l'écrit  donc  aisément  à  la  plume. 
Tous  sont  d'accord  pour  dire  qu'à  l'oreille  ils  compren- 
draient encore  les  télégrammes  sans  hésitation,  si  la  vitesse 
était  beaucoup  plus  grande.  Le  phototélégraphe  de  Siemens 
et  Halske  transmet  2.000  lettres  à  la  minute. 

Arrivons  au  Braille.  De  toutes  les  écritures,  c'est  la 
moins  rapide,  surtout  pour  qui  s'y  met  sur  le  tard.  J'écris 
quatre  mots  par  minute.  L'aveugle  le  plus  exercé  ne  dé- 
passe guère  huit  mots  ;  à  l'aide  de  l'abrégé,  bien  peu  arrivent 
à  dépasser  dix,  et  encore,  aux  dépens  de  la  lisibilité,  car  en 
se  pressant  trop,  on  fait  des  fautes  et  on  écrit  mal  en  points 
saillants.  Cependant  M.  Villey,  agrégé  des  lettres,  m'affirme 
qu'il  dépasse  20  mots  par  minute. 

La  lenteur  du  Braille  est  encore  plus  marquée  quand  il 
s'agit  de  la  lecture.  J'arrive  à  lire  vingt-cinq  mots  ;  beaucoup 
d'aveugles-nés  en  lisent  soixante,  un  petit  nombre  arrive  à 
cent,  quelques-uns  arrivent  à  cent  vingt.  M.  Deménieux,  le 
bibliothécaire  de  l'Association  Valentin  Haûy,  a  lu  en  ma 
présence  à  haute  voix,  tout  près  de  deux  cents  mots  à  la 
minute.  Au  moment  où  son  index  droit  atteint  la  fin  d'une 
ligne,  l'index  de  sa  main  gauche  a  déjà  parcouru  la  moitié 
environ  de  la  ligne  suivante;  si  bien  que  presque  tout  le 
temps,  la  lecture  mentale  de  la  main  gauche  précède  d'une 
quantité  variable  la  lecture  de  la  main  droite,  laquelle 
précède  probablement  plus  ou  moins  la  parole. 

Après  avoir  récapitulé  les  vitesses  obtenues  actuellement, 
il  est  intéressant  de  se  demander  si  l'avenir  ne  nous  réserve 
pas  des  progrès  dans  la  facilité  et  la  rapidité  des  procédés 
d'inscription  de  la  parole. 

L'un  des  procédés  de  la  sténographie  réside  dans  le  retour 
à  l'artifice  qu'emploient  encore  aujourd'hui  les  langues  sémi- 
tiques, et  qui  consiste  à  supprimer  la  plus  grande  partie  des 
voyelles.  Une  accélération  plus  grande  encore  peut  être  obte- 
nue par  un  retour  à  un  passé  encore  plus  lointain;  je  veux 
parler  de  l'écriture  syllabique  dérivée  de  l'hiéroglyphique  : 
c'est  quelque  chose  d'analogue  à  nos  rébus. 


164     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

Supposons  un  signe  hiéroglyphique  représentant  un  chat 
et  un  autre  représentant  un  pot,  la  succession  de  ces  deux 
signes  représentera  le  mot  «  chapeau  ».  Une  écriture  sylla- 
bique  est  évidemment  bien  plus  rapide  à  tracer,  mais  bien 
plus  lente  à  apprendre,  qu'une  écriture  phonétique.  La  ma- 
chine à  sténographier  Lafaurie  et  celle  de  Bivort,  si  rapides, 
font  usage  de  signes  syllabiques. 

On  est  donc  tenté  de  formuler  ce  paradoxe  apparent,  que, 
dans  certains  cas  plus  une  écriture  est  rapide  et  plus  l'acqui- 
sition des  signes  qui  la  constituent  doit  demander  de  temps  ; 
et,  en  effet,  aucune  écriture  n'est  plus  simple  et  plus  vite 
apprise  que  la  phonographie  pour  aveugles  de  Barbier 
(page  55),  tandis  qu'il  faut  un  apprentissage  excessivement 
long  pour  employer  avec  aisance  la  sténographie  Prévost- 
Delaunay,  ou  la  machine  sténodactyle  de  Lafaurie. 

Les  peuples  d'Extrême-Orient  possèdent  deux  écritures, 
l'une  idéographique  à  l'usage  des  lettrés,  internationale  à  tel 
point  que,  commune  à  un  grand  nombre  de  peuples  asiati- 
ques, aux  Chinois  et  aux  Japonais,  etc.,  elle  est  également 
lisible  pour  ces  deux  peuples  dont  les  langues  sont  profon- 
dément différentes,  et  l'autre,  phonétique,  si  facile  que  les 
Européens  se  l'assimilent  après  un  court  séjour  au  Japon  ; 
de  même,  nous  devrions  peut-être  avoir  deux  écritures, 
l'une  phonétique,  facile  à  apprendre  et  suffisante  pour  la 
masse  profonde  de  la  population  et  l'autre,  étymologique  et 
compliquée,  à  l'usage  des  érudits. 

En  résumé,  dans  les  temps  modernes,  l'écriture  s'accélère 
par  l'évolution  des  langues,  par  celle  de  l'orthographe,  et, 
pour  les  professionnels,  par  le  progrès  de  la  sténographie  et 
des  machines,  lesquelles  étendent  même  leur  domaine  aux 
dépens  des  ouvriers  typographes. 

Quant  à  la  lecture,  il  ne  semble  pas  utile  de  rechercher 
les  "moyens  de  la  rendre  plus  rapide,  car  la  rapidité  de  la 
lecture  mentale  est  bien  supérieure  à  celle  de  la  parole,  sauf 
pour  la  lecture  des  aveugles,  à  l'accélération  de  laquelle  je 
consacrerai  un  chapitre  spécial. 


L'une  des  plus  frappantes  manifestations  du  progrès 
consiste  dans  l'amélioration  du  rendement  du  travail  hu- 


XIV.  —  RAPIDITÉ  DE  L'ÉCRITURE  ET  DE  LA  LECTURE.  165 


main.  Le  souci  de  cette  amélioration,  en  ce  qui  concerne 
l'écriture,  constitue  un  lien  entre  la  plupart  des  chapitres 
qui  précèdent;  mais,  tandis  que  notre  attention  se  portait 
sur  les  progrès  scientifiques  obtenus  ou  à  obtenir,  il  ne  faut 
pas  oublier  qu'une  évolution  naturelle  agit  dans  le  même 
sens. 

Dans  l'Introduction  de  son  Histoire  de  l'Ecriture  dans 
l'Antiquité,  livre  déjà  cité  plus  haut.  M.  Philippe  Berger 
s'exprime  ainsi  : 

Le  grand  facteur  des  transformations  de  l'écriture  qui  ont 
abouti  à  la  création  de  nos  alphabets  modernes,  c  est  la 
paresse  de  la  main,  qui  cherche  à  se  soulever  le  moins  sou- 
vent possible  et  à  faire  en  un  seul  trait,  ce  qu'on  faisait  en  plu- 
sieurs ;  ou  plutôt,  à  prendre  les  choses  de  plus  haut,  c'est  la 
loi  du  moindre  effort,  par  laquelle  s'expliquent  tous  les  pro- 
grès de  l'industrie  humaine  et  qui  consiste  à  produire  le  même 
travail  en  dépensant  moins  de  force. 

La  loi  du  moindre  effort  régit  non  moins  utilement  la 
lecture  que  l'écriture.  On  en  a  vu  des  applications  dans 
plusieurs  des  paragraphes  précédents. 

Cette  préoccupation  a  dominé  également,  sans  que  cela 
fût  dit  explicitement,  dans  l'exposé  que  j'ai  fait  des  écritures 
sténographique  et  musicale,  et  elle  est  la  base  des  considé- 
rations qu'on  trouvera  dans  la  troisième  partie,  sur  les 
moyens  d'accélérer  la  lecture  des  aveugles. 

Nos  écritures  liées  et  penchées,  plus  rapides  que  leurs 
devancières,  sont  distancées  par  la  dactylographie  et  surtout 
par  la  sténographie,  et  l'inscription  sténographique  est  bat- 
tue par  l'inscription  phonographique,  dont  la  vitesse  est  égale 
à  celle  de  la  parole. 

* 

S'il  est  intéressant  d'étudier  les  procédés  qui  permettent 
de  rendre  la  lecture  et  l'écriture  aussi  faciles  et  aussi  ra- 
pides que  possible,  il  est  plus  intéressant  encore  de  recher- 
cher les  moyens  d'accélérer  l'enseignement  de  l'une  et  de 
l'autre.  Cette  question  pédagogique  dont  la  solution  a  pour 
effet  d'augmenter  le  rendement  de  l'école,  ou,  en  d'autres 


166     DEUXIÈME  PARTIE.  —  CONSIDÉRATIONS  THÉORIQUES. 

termes,  de  demander  le  moindre  effort  aux  maîtres  et  aux 
élèves,  préoccupe  à  juste  titre  les  pédadogues. 

Les  développements  dont  elle  a  été  l'objet,  dans  les  cha- 
pitres IV  et  V,  ne  nous  ont  pas  dispensé  de  l'examiner  sous 
un  autre  aspect  dans  le  présent  chapitre,  où  nous  avons 
donné  à  l'examen  de  la  réforme  orthographique  une  place 
considérable,  ce  qui  nous  permettra  d'être  plus  bref  dans 
les  chapitres  que  nous  consacrons,  plus  loin,  à  l'enseigne- 
ment de  la  lecture  et  de  l'écriture. 


TROISIÈME  PARTIE 


DÉDUCTIONS  PRATIQUES 


Les  personnes  qui  s'occupent  d'hygiène  scolaire  trouveront 
ici,  sous  une  forme  tout  à  fait  familière,  des  conseils  relatifs 
à  l'éclairage  diurne  et  nocturne,  à  la  confection  des  livres  et 
atlas,  enfin  à  l'enseignement  de  l'écriture,  conseils  fondés  sur 
les  notions  théoriques  relatives  à  l'optique  de  l'œil,  à  la  pho- 
tométrie,  à  l'acuité  visuelle,  et  aux  mécanismes  physiologi- 
ques de  l'écriture  et  de  la  lecture. 

C'est  sur  ces  mêmes  théories  que  s'appuient  les  chapitres  où 
il  sera  traité  du  déchiffrement  des  écritures,  des  expertises  et 
de  la  planchette  à  écrire  pour  aveugles. 

C'est  également  en  se  fondant  sur  les  théories  exposées 
dans  la  précédente  partie  de  ce  volume  qu'a  été  écrit  en 
1880,  et  remanié  avec  le  concours  de  M.  Dreyfuss,  le  cha- 
pitre XVII,  sur  la  typographie  compacte. 


CHAPITRE  XV. 


L'ÉCLAIRAGE  PURL1G  ET  PRIVE 
AU  POINT  DE  VUE  DE  L'HYGIÈNE  DES  YEUX. 

Vers  1880,  les  progrès  des  procédés  d'éclairage  ont  vive- 
ment sollicité  l'attention  du  public  ;  et,  notamment  d'ardentes 
discussions  se  sont  élevées  au  sujet  du  meilleur  mode  d'é- 
clairage diurne  des  écoles  ;  depuis  cette  époque  nous  n'avons 
pas  cessé  de  porter  notre  attention  sur  les  questions  d'éclai- 
rage, en  tenant  compte  des  enseignements  de  la  physiologie 
et  de  la  pathologie  oculaires. 

Eclairage  diurne.  —  On  est  généralement  d'accord  pour 
préférer  la  lumière  du  jour  à  toutes  les  autres.  Malgré  les  va- 
riations colossales  de  son  intensité,  et  même  de  sa  coloration, 
il  ne  vient  guère  à  l'idée  de  personne,  dans  nos  climats, 
d'en  modifier  la  composition,  en  s'affublant  de  lunettes  co- 
lorées ou  de  voiles,  ni  d'en  amortir  l'éclat  par  des  verres 
fumés  :  ces  tutamina  ne  deviennent  nécessaires  que  lorsque 
nous  mettons  l'organe  dans  des  conditions  tout  à  fait  inso- 
lites ;  l'oeil  sain  ne  réclame  de  verres  protecteurs  que  pour  les 
courses  dans  les  glaciers  ou  pour  les  voyages  dans  les  con- 
trées où  le  soleil  brille  avec  un  éclat  inaccoutumé  pour 
nous. 

Il  est  impossible  de  se  défendre  d'un  étonnement  extrême 
quand  on  réfléchit  aux  variations  colossales  que  subit  l'adap- 
tation de  l'œil  ;  la  lumière  du  soleil  est  environ  un  million 
de  fois  plus  intense  que  celle  de  la  pleine  lune,  et  cependant 
l'œil  permet  de  distinguer  les  objets  éclairés  par  l'un  ou  par 
l'autre  de  ces  astres.  Les  variations  de  diamètre  de  la  pupille 
contribuent  pour  une  faible  part  à  cette  précieuse  faculté 
d'adaptation  de  l'œil;  c'est  à  peine  en  effet  si,  entre  la  dila- 
tation et  la  contraction  extrêmes  de  l'iris,  la  surface  du 
diaphragme  formé  par  cette  membrane  varie  dans  la  propor- 


170         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


tion  de  1  à  100.  C'est  dans  la  rétine,  dont  la  sensibilité 
s'émousse  au  grand  jour,  et  s'exalte  dans  l'obscurité,  que 
réside,  pour  la  grosse  part,  la  faculté  d'adaptation  de  l'œil  à 
l'éclairage. 

Grâce  à  cette  remarquable  aptitude,  l'œil  est  précisément 
le  contraire  d'un  bon  appareil  photométrique  ;  pour  lui,  des 
variations  d'éclairage  énormes  passent  tout  à  fait  inaper- 
çues, et  c'est  ce  qui  nous  permet  de  vaquer  à  nos  occupa- 
tions, malgré  les  variations  inimaginables  de  l'éclairage 
diurne. 

Il  ne  faut  cependant  pas  demander  à  nos  organes  le  maxi- 
mum d'adaptation  dont  ils  sont  susceptibles  ;  c'est  ainsi  que 
la  lecture  d'un  livre  éclairé  par  les  rayons  directs  du  soleil 
aura  sûrement  pour  effet,  sinon  de  nuire  à  la  vue,  tout  au 
moins  de  déplacer  le  parcours  de  l'adaptation  au  point  de 
nous  rendre  incapables,  pour  un  temps  plus  ou  moins  long, 
de  voir  clair  dans  une  demi-obscurité.  Des  recherches  très 
précises  sur  les  variations  de  l'adaptation  ont  été  faites  par 
le  professeur  Aubert  ;  bornons-nous  à  citer  en  note  (1), 
comme  plus  pittoresque,  un  passage  de  Théophile  Gautier 
sur  les  maisons  de  Madrid. 

Inversement,  le  séjour  prolongé  dans  l'obscurité  peut 
exalter  la  sensibilité  de  la  rétine  au  point  de  rendre  pénible 
un  retour  brusque  à  la  lumière  du  jour. 

Comme  conséquence  de  ce  qui  précède,  dans  les  ateliers, 
dans  les  écoles,  partout  où  la  place  de  chaque  individu  est 
marquée,  nous  devons  éviter  l'accès  de  la  lumière  directe  du 
soleil,  et,  d'autre  part,  nous  ne  mettrons  pas  aux  chambres 
à  coucher  des  volets  pleins,  qui  exposeraient  les  yeux  à  pas- 
ser brusquement  de  l'obsBurité  complète  à  la  pleine  lumière 
du  jour. 

La  notion  du  mécanisme  par  lequel  se  fait  l'adaptation, 
nous  conduit  aussi  à  inonder  de  lumière  les  salles  desti- 
nées à  recevoir  de  nombreux  travailleurs,  dont  une  partie 

(1)  Les  stores  sont  toujours  baissés,  les  volets  à  moitié  fermés,  de  sorte 
qu'il  reste  dans  les  appartements  une  espèce  de  tiers  de  jour  auquel  il  faut 
s'accoutumer,  pour  savoir  discerner  les  objets,  surtout  lorsque  l'on  vient 
du  dehors.  Ceux  qui  sont  dans  la  chambre  voient  parfaitement,  mais  ceux 
qui  arrivent  sont  aveuglés  pour  huit  ou  dix  minutes,  surtout  lorsqu'une 
des  pièces  précédentes  est  éclairée.  On  dit  que  d'habiles  mathématiciennes 
ont  fait  sur  cette  combinaison  d'optique  des  calculs  dont  il  résulte  une  sécu- 
rité parfaite  pour  un  tête-à-tête  intime  dans  un  appartement  ainsi  disposé. 


xv.  —  l'éclairage  public  et  privé. 


171 


sera  nécessairement  éloignée  des  fenêtres,  et  elle  nous  expli- 
que pourquoi  l'insuffisance  de  l'éclairage  est  surtout  préju- 
diciable aux  enfants.  En  effet,  avec  un  bon  éclairage,  équi- 
valant à  plusieurs  milliers  de  bougies  à  un  mètre  de  dis- 
tance, on  ne  se  sert,  pour  lire,  que  d'une  bien  petite  fraction 
de  la  cornée  ;  la  contraction  de  la  pupille  a  pour  effet  de 
diminuer  dans  une  énorme  proportion  le  diamètre  des  cer- 
cles de  diffusion  que  peuvent  produire  sur  la  rétine  les  dif- 
férents défauts  optiques  de  l'œil,  dont  la  description  a  fait 
l'objet  du  Chap.  VII.  Dans  ces  conditions,  un  œil  mal 
conformé  rend  des  services  très  suffisants,  et  se  fatigue  mo- 
dérément. L'éclairage  peut  varier  dans  des  limites  excessi- 
vement étendues,  sans  qu'on  perde  le  bénéfice  de  la  netteté 
que  procure  la  contraction  extrême  de  la  pupille.  Mais, 
quand  le  jour  baisse,  la  scène  change  :  dès  que  l'image  réti- 
nienne n'est  plus  assez  lumineuse  pour  permettre  une  vision 
nette,  la  pupille  se  dilate,  et  l'inégalité  entre  les  différents 
yeux  devient  de  plus  en  plus  manifeste.  Pour  les  yeux  dont 
la  construction  optique  ne  laisse  rien  à  désirer,  la  diminu- 
tion d'éclairage  passe  à  peu  près  inaperçue,  car  elle  est  com- 
pensée par  l'augmentation  de  surface  utile  de  la  cornée.  Au 
contraire,  les  yeux  moins  parfaits  ne  pouvant  plus  fonction- 
ner convenablement,  les  hypermétropes,  suivant  le  degré  de 
l'affection,  sont  obligés  de  se  livrer  à  des  efforts  d'accomo- 
dation  fatigants,  ou  même  de  quitter  la  partie  ;  les  astigmates 
se  fatiguent  également,  ou,  ce  qui  est  pis  encore,  deviennent 
myopes  par  suite  de  l'habitude  qu'ils  prennent  de  compenser 
le  trouble  de  leur  vue  par  un  rapprochement  plus  grand  de 
l'objet,  ce  qui  entraîne  des  efforts  considérables  suivis 
souvent  de  l'élongation  de  l'œil  qui  caractérise  la  myopie  ; 
enfin,  ceux  qui  sont  déjà  myopes  voient  augmenter  rapide- 
ment cette  infirmité,  pour  peu  qu'ils  s'obstinent  à  lire  malgré 
l'insuffisance  de  l'éclairage  (Voyez  la  note  de  la  p.  189). 

Pour  les  adultes,  les  inconvénients  d'un  éclairage  insuffi- 
sant sont  bien  moins  graves  que  pour  les  enfants,  et  cela 
pour  plusieurs  raisons.  D'abord  leur  pupille  est  moins  dila- 
table, ce  qui  a  pour  effet  de  les  obliger  plus  rapidement  à 
s'abstenir  de  tout  travail  quand  il  ne  fait  pas  assez  clair  ; 
ensuite  ils  font  bien  plus  fréquemment  usage  de  verres  cor- 
recteurs plus  ou  moins  exacts  ;  de  plus  ils  sont  rarement 
parqués  comme  des  écoliers  et  contraints  de  continuer  leur 


172         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

travail  quand  l'éclairage  devient  trop  défectueux  ;  enfin  les 
enveloppes  de  l'œil  sont  bien  moins  extensibles,  et  s'ils  ont 
échappé  à  la  myopie  dans  leur  enfance,  malgré  les  déplora- 
bles conditions  d'hygiène  oùl'on  place  les  yeux  des  écoliers, 
ils  ont  des  chances  sérieuses  de  rester  indemnes. 

On  le  voit,  c'est  surtout  au  point  de  vue  de  la  construction 
des  maisons  d'école  qu'il  faut  se  préoccuper  du  bon  aména- 
gement de  l'éclairage  diurne.  Bien  que  la  mauvaise  disposi- 
tion des  classes  ne  soit  pas  la  seule  cause  de  la  myopie  sco- 
laire, il  importe  de  formuler  des  règles  qui  puissent  guider 
les  architectes  et  les  municipalités  dans  la  confection  des 
plans.  Le  nombre  considérable  d'écoles  qu'on  est  sur  le  point 
d'édifier  en  France,  nous  engage  à  donner  quelque  dévelop- 
pement à  cette  partie  de  notre  sujet.  Nous  nous  occuperons 
plus  particulièrement  des  écoles  rurales,  de  beaucoup  les 
plus  nombreuses,  et  dont  l'édification  est  souvent  confiée  à 
des  architectes  inexpérimentés  ;  nos  propositions  seront 
aisément  modifiées  en  tant  que  de  besoin,  par  les  autorités 
qui  président  à  l'édification  des  écoles  urbaines. 

Les  hygiénistes  d'un  pays  voisin,  avaient  posé  des  règles  éta- 
blissant un  rapport  entre  le  nombre  des  élèves  que  doit  rece- 
voir une  classe,  et  la  surface  qu'il  convient  de  donner  au 
vitrage,  comme  si  la  lumière  qui  pénètre  dans  la  salle  se 
partageait  entre  les  enfants  un  peu  de  réflexion  suffit 
pour  remarquer  que  le  même  carreau  de  vitre  laisse  arriver, 
suivant  plusieurs  directions,  la  lumière  à  un  grand  nombre 
d'élèves  :  il  n'y  a  aucune  proportionnalité  à  établir  entre  la 
dimension  des  baies  et  le  nombre  des  écoliers.  A  la  suite  de 
mes  publications,  les  Allemands  ont  abandonné  la  célèbre 
règle  par  laquelle,  leurs  hygiénistes  conseillaient  :  «  Trente 
pouces  carrés  de  vitrage,  par  pied  carré  de  plancher  ». 

Le  problème  est  plus  simple  :  il  faut  que  le  point  le  plus 
sombre  de  la  classe  soit  suffisamment  clair,  et  cette  condi- 
tion sera  remplie,  si  chaque  pupitre  reçoit  suffisamment  la 
lumière  directe  du  ciel.  Toutes  les  personnes  qui  ont  fait  de 
la  photographie  savent  combien,  par  tous  les  temps,  le  ciel 
agit  plus  vivement  sur  la  couche  sensible  qu'aucun  corps 
terrestre  :  il  importe  que  les  rayons  partis  de  cette  voûte 
lumineuse  arrivent  abondamment  à  la  place  la  moins  favo- 
risée de  toute  la  classe  (1). 


Pour  la  photométrie,  voir  plus  haut  chapitre  IX  (p.  100). 


XV.  — 


l'éclairage  public  et  privé. 


173 


Mais  s'il  est  bon  que  la  lumière  du  ciel  pénètre  largement 
dans  la  salle,  nous  n'en  dirons  pas  autant  de  la  lumière 
directe  du  soleil,  qui  est  trop  vive  et  qu'il  convient  d'éviter. 
—  Si  cette  disposition  ne  présentait  pas  d'autres  inconvé- 
nients, il  serait  facile  d'obtenir  un  éclairage  suffisant,  par  la 
lumière  diffuse,  en  n'ouvrant  de  fenêtres  que  du  côté  nord; 
avec  un  pareil  éclairage  latéral,  on  mettrait  les  bancs  per- 
pendiculairement au  mur  occupé  parles  baies;  les  élèves 
recevraient  le  jour  de  haut  en  bas  et  de  gauche  à  droite,  ce 
qui  est  très  convenable  pour  écrire,  et  le  résultat  serait  assez 
satisfaisant,  si  le  ciel  n'était  pas  caché  par  une  construction 
voisine.  Pour  les  élèves  placés  le  plus  loin  des  fenêtres,  il  faut 
ouvrir  de  nouvelles  baies  qui  devront  être  situées  de  pré- 
férence dans  la  paroi  opposée,  et,  à  la  rigueur,  derrière  les 
élèves.  Dans  tous  les  cas,  il  faut  éviter  de  mettre  des  jours 
en  face  des  élèves,  règle  dont  les  architectes  se  soucient 
médiocrement,  mais  dont  la  justesse  est  incontestable. 

Les  statistiques,  d'accord  avec  la  théorie,  démontrent  que 
l'éclairage  bilatéral  ne  présente  aucun  inconvénient  pour  la 
conservation  de  la  vue  ;  il  n'y  a  nulle  part  moins  dè  myopes 
que  dans  une  école  libre,  dont  j'ai  examiné  tous  les  élèves, 
et  où  les  classes  reçoivent  largement  le  jour  des  deux  côtés 
et  aucune  école  ne  fournit  de  plus  tristes  résultats  que  les 
constructions  neuves  de  Zittau,  où  les  classes  ne  reçoivent 
le  jour  que  d'un  côté,  pour  obéir  à  certaines  idées  théori- 
ques. 

Du  moment  où  l'éclairage  devient  bilatéral,  il  faut  renoncer 
à  l'orientation  que  nous  avons  supposée  jusqu'ici,  parce 
qu'elle  amènerait  à  pratiquer  une  partie  des  jours  vers  le  Sud, 
ce  qui  est  intolérable  à  cause  de  l'éclat  très  grand  du  soleil 
au  milieu  de  la  journée.  On  est  donc  conduit,  sous  le  climat 
de  Paris,  à  demander  que  l'axe  de  la  classe  soit  dirigé  du 
nord  au  sud,  sauf  à  tempérer  par  des  rideaux  transparents 
l'éclat  du  soleil  du  matin  et  du  soir.  Ce  système  présente  de 
plus  l'avantage  d'éclairer  au  mieux  le  matin  et  le  soir,  pen- 
dant les  courtes  journées  d'hiver. 

Dans  cette  orientation  de  la  classe,  nous  admettrons  une 
certaine  latitude  ;  en  l'accordant  de  quarante  degrés  de  part 
et  d'autre,  c'est-à-dire  en  acceptant  pour  l'axe  toutes  les 
positions  comprises  entre  le  nord-ouest  et  le  nord-est,  ce 
qui  suffit  pour  se  prêter  à  toutes  les  dispositions  possibles 


174         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


du  terrain,  on  recommanderait  d'incliner  l'axe  plutôt  vers  le 
nord-est  que  vers  le  nord-ouest,  pour  des  raisons  d'hygiène 
générale,  de  manière  à  recevoir  le  soleil  plus  longtemps  le 
matin  que  le  soir.  Autant  que  possible,  le  maître  fera  face  au 
midi,  afin  que,  pendant  les  jours  courts,  les  élèves  reçoivent 
la  lumière  plutôt  par  derrière  que  par  devant. 

Dans  le  nord  de  la  France,  nous  admettrons  l'ouverture 
au  haut  de  la  paroi  sud  d'un  jour  qu'on  pourra  tempérer  par 
un  rideau  quand  le  soleil  donnera  et  qui  rendra  dés  services 
pendant  les  temps  sombres. 

Il  est  absolument  indispensable  d'assurer,  non  seulement 
pour  le  présent,  mais  encore  pour  l'avenir,  en  prévoyant  les 
constructions  voisines,  le  libre  accès  de  la  lumière  dans 
les  classes, et  pour  atteindre  ce  but  il  suffît  de  le  vouloir;  en 
effet  la  dépense  se  réduit  à  l'acquisition  d'un  terrain  assez 
grand  pour  isoler  convenablement  l'école,  dépense  tout  à 
fait  insignifiante,  car  ce  terrain  est  de  peu  de  valeur  dans  les 
communes  rurales. 

Et  d'ailleurs  ne  faut-il  pas  ménager  un  préau  pour  les 
élèves,  un  jardin  pour  l'instituteur?  La  question  se  réduit 
donc  à  placer  la  construction  dans  une  partie  convenable  du 
terrain  destiné  à  recevoir  l'école  et  ses  dépendances. 

Admettons  que  la  largeur  de  la  partie  de  classe  éclairée 
par  des  baies  situées  d'un  côté  soit  égale  à  la  distance  du 
haut  des  fenêtres  au  sol  ;  l'élève  le  plus  mal  placé  ne  recevra 
de  jour  que  par  la  moitié  supérieure  des  fenêtres,  s'il  existe 
une  construction  voisine  dont  la  hauteur  soit  précisément 
égale  à  la  moitié  de  la  distance  qui  sépare  l'axe  de  la  classe 
du  pied  de  cette  construction  voisine.  En  posant  donc  sim- 
plement la  règle  qu'on  devra  toujours  réserver,  de  part  et 
d'autre  de  l'axe  de  l'école,  un  espace  libre  d'une  largeur  au 
moins  égale  au  double  de  la  hauteur  des  plus  grandes  cons- 
tructions en  usage  dans  la  contrée,  on  aura  amplement  satis- 
fait aux  nécessités,  étant  bien  entendu  qu'on  a  adopté  l'éclai- 
rage bilatéral  pour  les  classes  dont  la  largeur  dépasse 
4  mètres  (1). 

(1)  D'après  le  décret  du  27  juillet  1859,  la  hauteur  des  maisons  neuves 
ne  devait  pas  dépasser  à  Paris  : 

llm,70  dans  les  rues  où  la  largeur  est  inférieure  à  7m,80 
14    60  L  _  9  75 

17    55  —  —         supérieure  à  9  75 

20    00  _  r  _        20  00 


xv.  —  l'éclairage  public  et  privé. 


175 


Quant  à  l'ombre  que  peuvent  apporter  les  arbres  plantés 
par  les  voisins,  il  me  paraît  difficile  de  poser  des  règles  fixes 

Transportons  la  classe  unilatérale  du  type  officiel,  large  de  6  mètres 
et  haute  de  4  mètres,  au  rez-de-chaussée  d'une  maison  bordant  la  rue,  et, 
sans  tenir  compte  de  l'épaisseur  des  murs  ni  de  la  hauteur  des  tables, 
recherchons  si,  dans    cette   classe,   représentée  en  coupe  par  le  rectan- 


gle ABCD,  le  point  A  reçoit  la  lumière  directe  du  ciel.  Dans  ce  but, 
mesurons  à  partir  du  point  B  des  distances  de  7m,80  9m,75  et  20  mètres 
et  aux  points  G,  H  et  I,  ainsi  déterminés,  élevons  des  verticales  mesurant 
respectivement  llm,70,  14m,60,  17m,55  et  20  mètres,  puis  par  les  points  K, 
L,  M  et  N  ainsi  obtenus,  menons  des  horizontales  ;  enfin  .prolongeons  la 
verticale  GK  jusqu'en  O.  Nous  obtenons  alors  une  sorte  de  gradin 
JKOLMPN  ;  la  prolongation  de  l'oblique  AC  se  trouve  entièrement  sous 
ce  gradin,  jusqu'à  l'abcisse  24  ;  le  point  A  ne  verra  donc  le  ciel  que  si 
la  classe  est  située  sur  une  avenue  d'une  largeur  supérieure  à  24  mètres. 

Passons  au  premier  étage  et  supposons  qu'on  ait  sacrifié  le  rez-de- 
chaussée  pour  d'autres  services  et  que  le  plancher  soit  à  4  mètres  au- 
dessus  du  sol  ;  la  classe  sera  figurée  par  le  rectangle  CDEF.  Sauf  une 
exception  pour  les  rues  dont  la  largeur  est  comprise  entre  6  et  8  mètres, 
ce  n'est  qu'à  partir  de  la  largeur  de  14m,20  qu'il  parviendra  une  parcelle 
de  lumière  directe  en  D,  et  encore  avons-nous  négligé  les  lucarnes  qui 
peuvent  s'élever  au-dessus  de  la  hauteur  accordée  pour  les  façades  des 
maisons.  Même  sur  un  boulevard  de  20  mètres,  l'éclairage  d'une  classe 
située  au  premier  étage  sera  compromis.  On  voit  donc  qu'il  ne  sera 
possible  que  très  exceptionnellement,  dans  les  villes,  de  disposer  d'un 
jour  suffisant  pour  permettre  l'emploi  de  l'éclairage  unilatéral,  heureux 
si  l'on  parvient  toujours  à  obtenir  assez  de  lumière  au  moyen  de  baies 
percées  dans  les  deux  faces. 

Pour  que  l'éclairage  soit  véritablement  bon,  il  faut  au  moins  faire  voir 
le  ciel  à  travers  les  impostes,  auxquels  nous  donnons  une  hauteur  de 


176         TROISIÈME  PARTIE.  — ■ 


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


pour  en  éviter  les  inconvénients,  qui  sont  bien  atténués  par 
l'absence  des  feuilles  pendant  les  courtes  journées  de  l'hiver 
et  par  l'intensité  de  la  lumière  dont  on  jouit  généralement 
en  été  ;  il  faudrait  cependant  attirer  sur  ce  point  l'attention 
des  autorités  locales. 

Je  ne  me  dissimule  pas  les  résistances  que  les  municipalités 
et  les  architectes  opposeront  à  la  mise  en  pratique  des  règles 
que  je  viens  de  formuler.  Les  amours-propres  locaux  ne 
céderont  pas  aisément  quand  on  leur  demandera  de  cons- 
truire l'école  obliquement  par  rapport  à  l'alignement  de  la 
rue.  Pour  les  amener  à  ne  laisser  en  façade  qu'un  pignon  sans 
fenêtres,  ce  qui  est  nécessaire  quand  le  terrain  est  au  sud 
d'une  rue  dirigée  de  l'est  à  l'ouest,  il  ne  faudra  rien  moins 
qu'un  refus  de  subvention  du  département  et  de  l'Etat. 

L'énergie  des  résistances  auxquelles  les  principes  que  je 
viens  d'exposer  se  sont  heurtés  et  se  heurteront  encore,  ser- 
vira d'excuse  à  la  vivacité  de  mon  langage. 

Au  moment  où  paraît  devoir  s'ouvrir  une  nouvelle  ère  de 
constructions  d'écoles  il  m'a  semblé  utile  de  répéter  ici, 
presque  dans  les  mêmes  termes,  les  indications  dont  j'avais 
saisi  les  autorités  scolaires  à  la  veille  du  grand  mouvement 
de  1881. 


1  mètre  ;  on  obtient  ainsi  les  obliques  AC  et  DF'  qui  démontrent  qu'à 
Paris  une  classe  de  6  mètres,  au  rez-de-chaussée,  ne  sera  vraiment  claire 
qu'en  face  d'un  espace  libre  large  de  30  mètres  ;  au  premier  étage,  il  faut 
encore  une  avenue  de  25 'mètres,  plus  large  que  bien  des  boulevards. 

Pour  plus  de  détails,  consulter,  dans  la  Revue  d'hygiène  (15  août  1879) 
une  discussion  où  l'on  trouvera  un  plaidoyer  de  M.  Emile  Trélat  en  faveur 
de  l'éclairage  unilatéral,  une  excellente  réplique  de  M.  Gariel,  et,  à  titre 
de  curiosité,  la  communication  suivante  : 

«  M.  Leroy  des  Barres.  —  J'ai  l'honneur  de  mettre  sous  les  yeux  des 
membres  de  la  Société  les  plans  de  l'Ecole  communale  du  cours  Chavigny, 
à  Saint-Denis,  dans  laquelle  l'éclairage  des  classes  est  unilatéral. 

«  L'école  comprend  trois  corps  de  bâtiments  :  l'éclairage  du  bâtiment 
médian  est  sud,  celui  des  bâtiments  latéraux  est  est  et  ouest.  Chaque 
classe  est  carrée  (7,70  sur  7,70)  et  est  éclairée  par  deux  baies  dont  cha- 
cune a  2  mètres  de  largeur  et  4  mètres  de  hauteur.  La  hauteur  du  linteau 
est  à  5  mètres  du  sol.  —  Grâce  à  la  hauteur  des  baies  d'éclairage,  la  sur- 
face lumineuse  est  très  étendue,  et  l'éclairage  est  très  satisfaisant,  à  en 
juger  dans  cette  saison,  même  dans  la  partie  profonde  de  la  classe.  Le 
mobilier  est  disposé  pour  que  chaque  enfant  reçoive  la  lumière  par  le 
plan  latéral  gauche.  —  Toutes  les  classes  prennent  jour  sur  une  cour  inté- 
rieure de  récréation  de  1500  mètres  ;  par  conséquent  ces  bonnes  conditions 
d'éclairage  ne  seront  jamais  compromises. 

«  Je  dois  à  M.  Laynaûd,  architecte  de  la  ville  de  Saint-Denis,  de  pou- 
voir mettre  sous  les  yeux  de  nos  collègues  ces  plans  si  intéressants.  » 

Voilà  donc,  à  la  porte  de  Paris,  une  immense  école,  presque  terminée, 


XV. 


—  l'éclairage  public  et  privé. 


177 


Éclairage  artificiel.  —  La  différence  capitale  entre  l'éclai- 
rage naturel  et  l'éclairage  artificiel  réside  dans  l'excessive 
faiblesse  de  ce  dernier.  Pour  prouver  combien  le  plus  bril- 
lant éclairage  artificiel  est  faible,  il  suffit  de  remarquer 
combien  est  insignifiante  la  clarté  produite  en  plein  jour 
par  une  lampe  ou  un  bec  de  gaz.  Autre  preuve  :  ainsi 
qu'il  est  facile  de  s'en  convaincre,  dans  les  lieux  de  réunion 
les  plus  brillamment  éclairés,  les  pupilles  ont  un  diamètre 
beaucoup  plus  considérable  qu'en  plein  jour. 

Le  sentiment  du  public,  pour  lequel  un  éclairage  à  giorno  est 
toujours  une  forte  attraction,  confirme  pleinement  nos  vues 
théoriques.  D'année  en  année  nous  voyons,  par  un  effet  de 
la  concurrence,  les  lieux  publics  s'éclairer  de  plus  en  plus 
vivement  ;  il  faudra  bien  que  les  municipalités  suivent  le  mou- 
vement, et  nos  petits-enfants,  en  nous  entendant  parler  des 
lanternes  que  la  police  oblige  de  mettre  aux  voitures,  seront 
bien  plus  surpris  que  nous  ne  le  sommes  en  pensant  qu'il  y 
a  cent  ans  les  piétons  ne  circulaient  pas  la  nuit  sans  lan- 
ternes dans  les  rues  de  Paris. 

Si  ce  mouvement  vers  un  éclairage  plus  vif  se  produit 
plus  lentement  dans  les  habitations,  il  n'en  faut  accuser  que 
le  haut  prix  des  matières  éclairantes.  Tandis  qu'avec  une 
dépense  relativement  minime  nous  chauffons  nos  habita- 
tions au  point  d'en  bannir  totalement  le  froid,  il  faudrait 
une  dépense  folle  pour  éclairer  les  appartements  dans  toutes 
leurs  parties  ;  c'est  pourquoi  sans  pousser  les  choses  aussi 
loin  que  l'horloger  qui  fait  converger  les  rayons  lumineux 
au  foyer  d'une  grande  lentille,  nous  avons  soin  de  placer  sur 
notre  lampe  un  abat-jour  pour  concentrer  la  lumière,  et  de 
mettre  à  profit  la  loi  inverse  du  carré  des  distances  pour 
obtenir  un  éclairage  suffisant  au  moyen  d'un  rapproche- 
ment extrême  de  la  source  lumineuse  qui  éclaire  notre 
papier.  Dans  le  cas  de  certains  défauts  optiques  de  l'œil 
dont  la  correction  ne  peut  se  faire  exactement  par  des 
verres,  il  m'est  arrivé  de  conseiller  l'emploi  de  plusieurs 
lampes  du  plus  fort  calibre  pour  permettre  de  lire  la  nuit 


dit-on,  qui  sera  dans  des  conditions  absolument  défectueuses  et  que  ses 
auteurs  présentent  naïvement  comme  un  modèle  !  les  hygiénistes  n'ont  pas 
la  prétention  de  donner  aux  architectes  des  leçons  d'art  décoratifs  ;  ne 
serait-il  pas  équitable  que  les  architectes  consentissent  à  se  laisser  diriger 
par  les  médecins  en  matière  d'hygiène? 

javal.  12 


178         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

aussi  facilement  et  avec  aussi  peu  de  fatigue  qu'en  plein 
jour. 

La  lumière  artificielle  ne  diffère  pas  uniquement  de  la 
lumière  du  jour  par  le  degré  bien  moins  élevé  de  son  inten- 
sité :  chaque  source  de  lumière  artificielle  possède  une  com- 
position spectrale  différente.  Sauf  pour  la  lumière  électrique, 
pour  celle  du  magnésium,  tous  ces  spectres  sont  très  som- 
bres du  côté  le  plus  réfracté  ;  les  rayons  chimiques,  les  vio- 
lets et  les  bleus,  y  présentent  une  très  faible  intensité.  On 
en  a  conclu  que  la  lumière  des  flammes,  bien  plus  pauvre 
en  rayons  chimiques  que  la  lumière  solaire,  devrait  lui  être 
préférée  par  les  travailleurs.  Peut-être  trouvons-nous  là 
l'explication  du  cas  de  Barthélémy  Saint-Hilaire  qui  ne 
pouvait  travailler  aisément  le  jour  qu'à  condition  de  fermer 
ses  volets  et  d'allumer  sa  lampe  ;  s'il  en  est  ainsi,  des  lunet- 
tes taillées  dans  ce  verre  jaune  que  les  photographes  emploient 
pour  éclairer  leurs  laboratoires,  et  qui  élimine  fort  passable- 
ment les  rayons  chimiques,  aurait  pu  permettre  à  ce  savant 
de  renoncer  à  son  singulier  système. 

Si  l'absence  de  rayons  chimiques  est  un  avantage,  ce  qui 
est  possible,  il  ne  semble  pas  que  cette  supériorité  de  la 
lumière  des  flammes  soit  bien  généralement  appréciée,  caria 
plupart  des  personnes  préfèrent,  et  de  beaucoup,  la  lumière 
blanche  du  jour.  Je  serais  tenté  d'attribuer  une  utilité  plus 
grande  à  la  pâleur  des  rayons  bleus  et  violets  dans  les  spectres 
de  certaines  flammes;  en  effet,  quand  la  lumière  est  faible,  la 
dilatation  de  la  pupille  doit  avoir  pour  effet  de  rendre  plus 
sensible  le  chromatisme  de  l'œil,  et  il  est  heureux  que 
cet  inconvénient  des  lumières  artificielles  soit  compensé  par 
un  raccourcissement  considérable  de  leur  spectre,  circons- 
tance sans  laquelle  l'œil  aurait  besoin  d'être  achromatisé  pour 
donner  des  images  nettes  le  soir.  Cette  considération  vient 
à  l'appui  de  la  proposition  que  j'ai  faite  de  prescrire  l'em- 
ploi de  verres  jaunes  aux  personnes  dont  la  pupille  est  for- 
tement dilatée  en  plein  jour  et  qui  sont  affectées  de  certaines 
formes  rebelles  d'asthénopie  ;  proposition  introduite  avec 
succès  dans  la  pratique  par  Fieuzal.  En  tout  cas,  si  la 
lumière  électrique  produisait  de  mauvais  effets  sur  la  rétine 
par  suite  de  ses  rayons  chimiques,  rien  n'empêcherait 
de  remédier  à  cet  inconvénient  en  donnant  aux  globes 
qui  l'entourent   une  teinte  jaune   dont  l'interposition  ne 


XV.  — 


l'éclairage  public  et  privé. 


179 


ferait  pas  perdre  une  quantité  de  lumière  bien  notable  (1). 

Tous  nos  éclairages  artificiels  sont  d'une  pauvreté  misé- 
rable, et  ce  n'est  pas  dans  l'éclat  excessif  des  sources  lumi- 
neuses mais  bien  dans  leur  insuffisance  qu'il  faut  chercher 
le  motif  de  la  fatigue  qui  accompagne  souvent  le  travail  du 
soir. 

Combien  n'entend-on  pas  de  personnes  dire  qu'elles  se 
sont  brûlé  la  vue  en  travaillant  à  la  lumière  du  gaz  ou  de 
l'électricité?  et  de  ne  pouvoir  plus  lire  à  la  lueur  d'une  bou- 
gie ou  d'une  petite  lampe  ;  elles  devraient  comprendre  que 
la  même  gêne  se  serait  produite,  avec  les  progrès  de  l'âge, 
si  elles  n'avaient  pas  fait  usage  de  gaz  ou  d'électricité  et 
qu'en  réalité,  grâce  à  un  éclairage  meilleur,  elles  ont  été 
mises  à  même  de  continuer,  pendant  des  années,  des  travaux 
auxquels  elles  auraient  dû  renoncer  si  elles  avaient  été 
réduites  au  chétif  luminaire  qui  leur  suffisait  dans  leur 
jeunesse. 

En  résumé,  pour  l'éclairage  artificiel,  privé  ou  public, 
comme  pour  l'éclairage  diurne  des  vastes  salles  dont  toute  la 
superficie  doit  être  occupée  par  des  travailleurs,  l'hygiéniste 
peut  s'approprier  le  mot  de  Gœthe  mourant  :  «  Apportez  de 
la  lumière,  encore  plus  de  lumière  !  » 

(1)  On  trouve  dans  le  commerce  des  lampes  à  incandescence  à  ampoule 
jaune,  auquelle  certaines  personnes,  donnent  instinctivement  la  préfé- 
rence. 


CHAPITRE  XVI. 


LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


Nous  nous  proposons  dans  ce  chapitre  d'étudier  l'influence 
que  la  mauvaise  confection  typographique  des  livres  exerce 
sur  le  développement  de  la  myopie. 

Nous  commencerons  par  donner  quelques  notions  très 
sommaires  sur  certains  points  de  l'anatomie  et  de  la  physio- 
logie de  l'œil,  et  plus  particulièrement  de  l'œil  myope  (1). 

Nous  rechercherons  ensuite  les  causes  qui  font  de  la  lec- 
ture une  occupation  particulièrement  fatigante. 

En  nous  fondant  sur  les  données  que  nous  aurons  ainsi 
réunies,  nous  indiquerons  les  modifications  qu'il  nous 
paraît  urgent  d'apporter  à  la  confection  des  livres  clas- 
siques. 

Enfin  nous  terminerons  par  quelques  considérations  sur 
la  myopie  progressive. 

Anatomie  et  Physiologie.  —  Nous  avons  dit  plus  haut 
(p.  65),  que  l'œil  myope  est  celui  dont  la  longueur  est  trop 
grande.  Dans  un  organe  affecté  de  ce  défaut,  l'image  renversée 
des  objets  extérieurs  éloignés,  au  lieu  de  se  peindre  sur  la 
rétine,  est  située  plus  en  avant  ;  il  en  résulte  que  la  mem- 
brane sensible  reçoit  une  image  d'autant  moins  nette  que 
la  myopie  est  plus  considérable. 

De  nombreuses  observations  nécroscopiques  concordent 
pour  démontrer  que  la  myopie  n'existe  presque  jamais  chez 
les  enfants  nouveau-nés.  L'examen  fonctionnel  démontre 
aussi  que  la  myopie  ne  se  présente  guère  chez  les  jeunes 

(1)  Il  a  été  traité  des  origines  de  la  myopie  avec  quelques  détails 
dans  le  chapitre  VII  ci-dessus,  p.  65  ;  on  rencontrera  ici  quelques  redites 
à  l'usage  des  personnes  qui,  rebutées  par  sa  longueur  et  son  caractère 
abstrait,  auraient  laissé  de  côté  ce  chapitre  VII. 


182         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

enfants.  Nous  n'avons  pas  de  statistiques  précises  à  cet 
égard,  mais  je  ne  me  souviens  pas  d'avoir  jamais  été  consulté 
pourdes  myopes  âgés  de  moins  de  sept  ans,  et  cependant  les 
enfants  de  cinq  ou  six  ans  sont  bien  assez  développés  pour 
que  leur  myopie,  si  elle  existait,  se  traduise  par  des  faits  pal- 
pables et  assez  accentués  pour  attirer  l'attention  d'une  mère 
tant  soit  peu  anxieuse.  D'autre  part,  je  ne  manque  jamais 
d'interroger  patiemment  les  jeunes  myopes  qui  me  sont 
amenés,  et  quand  ces  enfants  ont  des  souvenirs  un  peu  loin- 
tains, l'interrogatoire  permet  souvent  de  remonter  à  l'époque 
où  ils  voyaient  parfaitement  bien  au  loin. 

Ces  résultats  d'expérience  concordent  tout  à  fait  avec 
ceux  des  nécropsies  et  avec  les  renseignements  fournis  par 
l'examen  ophtalmoscopique  des  myopes.  —  On  sait,  en  effet, 
que  l'élongation  de  l'œil  myope  s'accompagne  générale- 
ment de  la  production  d'un  staphylôme  postérieur,  c'est- 
à-dire  d'une  distension  dont  la  partie  postérieure  est  le 
siège. 

L'examen  posl  mortem  a  démontré  que  le  staphylôme  de  la 
partie  postérieure  de  l'œil  siège  habituellement  au  voisinage 
du  point  d'entrée,  ou  papille,  du  nerf  optique.  La  sclérotique 
a. cédé  en  se  distendant,  mais  la  choroïde,  le  plus  souvent, 
s'est  rompue  de  telle  manière  qu'elle  cesse  de  tapisser  la 
partie  de  la  sclérotique  qui  avoisine  le  nerf  optique.  Cette 
altération  s'aperçoit  très  aisément  sur  le  vivant,  lorsqu'on 
explore  le  fond  de  l'œil  en  faisant  usage  de  l'ophtalmoscope  : 
on  aperçoit  la  sclérotique  sous  forme  d'un  croissant  ou 
même  d'un  anneau  blanc,  plus  ou  moins  large,  le  long  de 
l'image  ophtalmoscopique  de  la  pupille.  Il  n'y  a  pas  de  forte 
myopie  sans  staphylôme,  ët  on  ne  voit  guère  de  staphylôme 
dans  des  yeux  exempts  de  myopie.  Nous  avons  donc  en  notre 
pouvoir  un  moyen  simple  et  rapide  de  reconnaître  la  myopie 
chez  les  enfants  qui  ne  savent  pas  encore  lire. 

Autre  moyen  d'étude  :  certains  ophtalmoscopes  présentent 
une  disposition  qui  permet  à  l'observateur  de  mesurer  la 
myopie  sans  recourir  à  aucun  interrogatoire.  J'ai  dû,  en  qua- 
lité de  médecin-major  auxiliaire,  examiner  ainsi,  en  1870,  un 
assez  grand  nombre  de  mobilisés  qui,  lors  d'une  première 
révision,  avaient  réussi  à  se  faire  exempter  en  simulant  la 
myopie;  ce  procédé  ou  mieux  encore  la  skiascopie  permet- 
tent d'atteindre  une  grande  précision.  On  voit  donc  que 


XVI. 


  LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


183 


les  moyens  de  constater  la  myopie  chez  les  jeunes  enfants 
ne  nous  font  pas  défaut  et  que  nous  avons  le  droit  d'affirmer 
de  visu  que  l'élongation  du  globe  oculaire  n'est  presque 
jamais  congénitale  et  ne  se  produit  le  plus  souvent  qu'à  partir 
de  l'âge  où  les  enfants  apprennent  à  lire. 

Quel  est  le  mécanisme  de  cette  élongation?  —  Nous  ne 
pouvons  adopter,  sur  ce  point,  l'opinion  la  plus  répandue, 
d'après  laquelle  l'œil  s'allongerait  par  suite  du  tiraillement 
exercé  sur  lui  par  les  muscles  moteurs  pendant  l'acte  de 
la  convergence;  aux  auteurs  de  cette  explication  il  nous 
suffira  de  répondre  que  les  borgnes,  qui  n'ont  pas  be- 
soin de  converger  pour  regarder  de  près,  n'échappent  en 
aucune  façon  à  la  myopie.  Voici,  suivant  nous,  comment  se 
produit  cette  affection.  Il  existe,  derrière  l'iris,  autour  du 
cristallin,  un  muscle  circulaire,  connu  sous  le  nom  de  mus- 
cle  ciliaire,  auquel  Brucke,  lorsqu'il  le  découvrit,  donna  le 
nom  de  tenseur  de  la  choroïde.  Ce  muscle  contient  des 
fibres  qui,  par  l'intermédiaire  de  la  zonule  de  Zinn,  agissent 
sur  le  cristallin  et  dont  la  contraction  a  pour  effet  d'aug- 
menter la  convexité  de  cette  lentille,  et,  par  suite,  la  réfrin- 
gence de  l'appareil  dioptrique  oculaire.  Il  n'importe  pas  ici 
d'entrer  dans  le  détail  de  ce  mécanisme,  par  lequel  se  fait 
l'accommodation  de  l'œil  aux  distances  ;  mais  il  est  néces- 
saire, au  contraire,  pour  notre  objet,  de  faire  entrer  en 
scène  certaines  fibres  du  muscle  ciliaire  qui,  dirigés  d'avant 
en  arrière,  vont  se  noyer  dans  la  choroïde  et  de  citer  les 
belles  expériences  de  Hensen  et  Voelkers,  d'après  lesquelles 
pendant  l'accommodation,  ces  fibres  se  contractent  de  ma- 
nière à  exercer  sur  la  choroïde  la  tension  pressentie  par 
Brucke  quand  il  découvrit  le  muscle  accommodateur.  Il  nous 
semble  légitime  d'admettre  que,  dans  certains  yeux,  lors  des 
efforts  d'accommodation,  le  muscle  ciliaire  exerce  sur  la 
choroïde  une  traction  assez  énergique  pour  produire  la  dis- 
tension et  la  rupture  de  cette  membrane  en  son  point  le  plus 
faible,  c'est-à-dire  au  pourtour  du  nerf  optique.  Nous  ne  se- 
rons pas  surpris  de  voir  se  produire  ultérieurement  une 
ectasie  postérieure  de  la  sclérotique  :  dans  l'organisme  on 
voit  assez  souvent  le  contenant  s'adapter  aux  changements 
de  forme  du  contenu,  malgré  des  différences  de  résistance 
considérables.  Il  suffit  de  penser  aux  déformations  des  os 
auprès  des  anévrismes  pour  ne  pas  être  surpris  de  voir  la 


184         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

sclérotique  se  modeler  sur  les  membranes  dont  elle  est 
l'enveloppe. 

Si  donc  on  nous  parle  de  myopie  héréditaire,  nous  répon- 
drons qu'il  peut  seulement  exister  une  prédisposition  hérédi- 
taire à  la  myopie;  on  conçoit  assez  bien  qu'un  excès  de  force 
des  fibres  choroïdiennes  du  muscle  ciliaire  puisse  prédis- 
poser à  la  myopie,  et  c'est  même  ce  qui  paraît  résulter  des 
recherches  d'Iwanoff  sur  la  structure  de  ce  muscle.  Il  se 
peut  aussi  que,  dans  certaines  familles,  ou  dans  certaines 
races,  la  résistance  de  la  choroïde  soit  plus  grande  que  dans 
d'autres.  Mais  les  résultats  statistiques  sont  là  pour  nous 
empêcher  d'attribuer  une  importance  exagérée  à  ces  prédis- 
positions natives  :  les  relevés  que  j'ai  faits  d'après  mes 
observations  personnelles  concordent  avec  des  travaux 
analogues,  faits  en  Allemagne,  pour  n'attribuer  à  la  prédispo- 
sition héréditaire  qu'une  influence  tout  à  fait  restreinte  dans 
la  production  de  la  myopie. 

Il  m'a  paru  nécessaire  de  faire  ressortir  la  faible  impor- 
tance du  rôle  joué  par  l'hérédité  dans  la  production  de  la 
myopie,  car  si  l'hérédité  exerçait  une  action  prépondérante 
dans  l'affaire,  nous  aurions  peu  de  chance  d'obtenir  des  ré- 
sultats considérables  en  nous  occupant  de  modifier  l'influence 
du  milieu  et  celle  de  l'objet. 

C'est  à  cette  dernière  que  nous  devons  nous  attaquer 
maintenant,  et  nous  pensons  que  c'est  dans  une  modification 
de  l'impression  des  livres  classiques  qu'il  faut  chercher  un 
des  principaux  moyens  préventifs  contre  le  développement 
de  la  myopie  chez  les  écoliers  et  même  chez  les  adultes. 

Causes  qui  rendent  la  lecture  fatigante. —  Ce  n'est  pas  sans 
raison  que  la  lecture  passe  pour  l'une  des  occupations  les 
plus  fatigantes  qu'on  puisse  imposer  à  la  vue  ;  nous  allons 
rechercher  les  causes  spéciales  de  la  fatigue  éprouvée  par 
tant  de  personnes,  lorsqu'elles  lisent  pendant  longtemps  sans 
désemparer,  et  déduire  de  cette  étude  les  conditions  qu'il 
faut  remplir  pour  pouvoir  lire  impunément  pendant  un 
temps  presque  indéfini. 

Il  faut  remarquer  tout  d'abord  que  la  rétine  peut  fonction- 
ner sans  interruption  toute  la  journée,  sans  qu'il  se  produise 
le  moindre  symptôme  de  fatigue.  En  effet,  à  la  chasse  ou  en 
voyage,  nous  pouvons  regarder  autour  de  nous  pendant  des 


XVI.  — 


LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


185 


journées  entières  sans  que  nos  yeux  éprouvent  jamais  le 
moindre  sentiment  de  lassitude. 

Il  n'en  est  plus  de  même,  quand  nous  appliquons  notre 
vue  à  distinguer  des  objets  très  rapprochés  :  dessinateurs, 
écrivains,  ouvriers  de  précision  ou  couturières,  ceux  qui 
passent  de  nombreuses  heures  tous  les  jours  à  leur  table  de 
travail,  sont  sujets  à  se  fatiguer  plus  ou  moins  et  à  devenir 
myopes.  L'application  prolongée  de  la  vue  sur  des  objets  voi- 
sins est  donc  une  cause  de  fatigue  si  généralement  reconnue, 
qu'elle  n'est  mise  en  doute  par  personne.  Ce  n'est  pas  une 
raison  pour  poser  en  axiome  l'influence  nocive  de  la  vision 
des  objets  voisins  ;  à  priori,  rien  ne  permettait  de  prévoir  ce 
fait,  qu'il  nous  faut  accepter  tout  d'abord  comme  purement 
expérimental. 

Nous  avons  réfuté  tout  à  l'heure  l'opinion,  généralement 
accréditée,  qui  attribue  à  la  tension  des  muscles  oculomo- 
teurs  droits  internes  une  bonne  part,  sinon  la  totalité  de  la 
fatigue  occasionnée  par  la  vision  prolongée  d'objets  voisins. 
Molière  nous  paraît  avoir  fait  justice,  par  avance,  de  cette 
théorie,  par  la  bouche  de  Toinette;  si  elle  était  exacte,  les 
borgnes  seraient  bien  mieux  lotis  que  le  commun  des  mor- 
tels. C'est  par  une  tension  permanente  interne  que  nous 
avons  expliqué  la  fatigue  de  l'homme  de  lettres,  de  l'artiste 
et  de  l'ouvrier  de  précision. 

Mais  cette  fatigue,  et  la  myopie  qui  en  résulte  si  souvent, 
atteignent  un  degré  d'intensité  et  de  fréquence  bien  plus  re- 
marquable chez  le  lecteur  que  chez  les  ouvriers  qui  se  livrent 
au  travail  le  plus  assidu  ;  pour  le  démontrer  il  n'est  même 
pas  besoin  de  recourir  aux  statistiques,  dont  les  résultats 
confirment  d'ailleurs  nos  assertions.  Passez  en  revue  les 
artisans,  les  couturières,  les  artistes  les  plus  laborieux  que 
vous  connaissez,  et  si  vous  prenez  la  peine  de  mettre  en 
parallèle  le  nombre  des  myopes  que  vous  remarquez  parmi 
eux  et  celui  des  myopes  que  vous  comptez  parmi  les  savants 
de  votre  connaissance,  c'est  parmi  ces  derniers  que  la  pro- 
portion des  myopes  est  la  plus  grande,  et  de  beaucoup.  Con- 
naissez-vous beaucoup  de  bibliothécaires  qui  ne  soient  pas 
myopes  ?  Comptez-vous  beaucoup  de  myopes  parmi  les  cou- 
turières? 

Autre  exemple  :  entrez  dans  la  salle  de  rédaction  d'un 
journal,  les  myopes  sont  en  majorité  ;  passez  dans  l'atelier 


186         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


des  compositeurs,  la  proportion  est  retournée;  et  cependant 
les  compositeurs,  tout  comme  les  couturières,  fournissent 
généralement  un  nombre  effectif  d'heures  de  travail  bien 
plus  grand  que  les  littérateurs  les  plus  laborieux. 

Remarquons  encore,  parmi  les  littérateurs,  la  fréquence 
plus  grande  de  la  myopie  chez  ceux  qui  lisent  beaucoup  : 
le  compilateur  a  bien  plus  de  chances  d'être  myope  que  le 
poète,  l'auteur  dramatique  ou  le  compositeur  de  musique. 

Si  nous  voulons  remonter  aux  causes,  nous  remarquerons 
tout  d'abord  que  la  myopie  date  souvent  de  l'enfance  :  nous 
consacrerons  plus  loin  un  paragraphe  spécial  à  la  myopie 
des  écoliers.  Mais  nous  ferons  observer  dès  à  présent  que, 
de  tous  les  apprentissages  exigeant  une  vision  exacte,  celui 
de  la  lecture  et  de  l'écriture  est  le  seul  qui  soit  pratiqué  dès 
l'âge  de  six  ou  sept  ans. 

Nous  noterons  ensuite  que  la  lecture  exige  une  appli- 
cation absolument  permanente  de  la  vue.  L'artiste,  l'écrivain, 
l'artisan  même,  interrompent  à  tout  instant  leur  travail 
pour  réfléchir;  tandis  que  le  lecteur  n'accorde  pas  un  instant 
de  repos  à  l'organe.  La  couturière  n'a  besoin  de  toute  son 
attention  qu'au  moment  où  elle  pique  dans  l'étoffe,  le  typo- 
graphe ne  regarde  la  lettre  que,  tout  au  plus,  au  moment  où 
il  la  saisit,  tandis  que  le  lecteur  voit  défiler  les  mots  sans 
trêve  ni  relâche  pendant  des  heures.  Cette  application  con- 
tinue est  accompagnée  nécessairement  d'une  tension  perma- 
nente du  muscle  ciliaire,  tension  dont  nous  avons  signalé 
les  inconvénients  dans  le  paragraphe  précédent. 

En  troisième  lieu,  les  livres  sont  imprimés  en  noir  sur  fond 
blanc  ;  devant  eux,  l'œil  est  donc  en  présence  du  contraste 
le  plus  absolu  qu'on  puisse  imaginer,  et  il  n'est  guère  de 
profession  où  cette  circonstance  se  présente  à  un  aussi 
haut  degré.  —  Nous  proposons  d'atténuer  les  inconvénients 
de  ce  contraste  en  faisant  usage  de  papier  jaune  pour  l'im- 
pression des  livres.  La  nature  du  jaune  à  employer  n'est 
pas  chose  indifférente.  Nous  préférerons  du  jaune  résultant 
de  l'absence  des  rayons  bleus  et  violets,  analogue  à  celui 
que  donnent  les  pâtes  de  bois  et  qu'on  corrige  bien  à  tort 
par  une  addition  de  bleu  d'outremer,  ce  qui  donne  du  gris 
et  non  pas  du  blanc.  —  En  effet,  l'œil  n'étant  pas 
achromatique,  la  vision  doit  être    plus  nette  quand  on 


XVI. 


—  LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


187 


supprime  l'une  des  extrémités  du  spectre  fourni  par  la  cou- 
leur du  papier;  ne  pouvant  amortir  le  rouge,  sous  peine 
d'avoir  une  teinte  d'un  vert  foncé  qui  serait  insupportable, 
surtout  à  la  lumière  du  gaz,  il  faut  recourir  à  un  papier 
qui  réfléchisse  le  bleu  et  le  violet  plus  faiblement  que  les 
autres  couleurs  ;  le  papier  jaune,  de  la  teinte  produite  par 
la  pâte  de  bois,  remplit  bien  ces  conditions  (Voy.  p.  178 
et  179). 

Pour  l'encre  d'impression  nous  ne  voyons  pas  de  raison 
pour  choisir  une  couleur  autre  que  le  noir.  Chose  étrange  : 
il  n'est  pas  utile  que  ce  noir  soit  parfait,  car,  d'après  Grœ- 
nouw,  si  au  lieu  de  tracer  sur  un  fond  blanc  un  dessin  avec 
un  noir  intense  cinquante-huit  fois  moins  lumineux  que  ce 
fond,  on  les  trace  avec  du  gris  seulement  seize  fois  moins 
lumineux  la  visibilité  est  à  peine  diminuée. 

Une  quatrième  particularité  de  la  lecture  réside  dans  la 
disposition  des  caractères  en  lignes  horizontales  que  nous 
parcourons  du  regard.  Si  nous  conservons,  pendant  la  lec- 
ture, une  immobilité  parfaite  du  livre  et  de  la  tête,  les  lignes 
imprimées  viennent  se  peindre  successivement  sur  les 
mêmes  parties  de  la  rétine,  tandis  que  les  interlignes,  plus 
claires,  affectent  constamment  aussi  des  parties  de  la  rétine 
toujours  les  mêmes  ;  il  doit  en  résulter  une  fatigue  analogue 
à  celle  qu'on  éprouve  quand  on  fait  des  expériences  sur  les 
images  accidentelles  (1)  et  très  certainement  les  physiciens 
ne  nous  contrediront  pas  si  nous  affirmons  que  rien  n'est 
plus  funeste  pour  la  vue  que  la  contemplation  prolongée  de 
ces  images.  —  Ceci  nous  amène  à  donner  la  préférence  aux 
petits  volumes,  qu'on  peut  tenir  à  la  main,  ce  qui  suffit 
pour  éviter  la  fixité  absolue  du  livre  et  la  fatigue  résultant 
des  images  accidentelles. 

Il  est  enfin  une  cinquième  cause  de  fatigue,  résultant  des 
variations  que  subit  l'accommodation  des  myopes  pendant  la 

(1)  On  nomme  images  accidentelles  des  images  subjectives  qu'on  aperçoit 
lorsqu'après  avoir  fixé  pendant  quelques  secondes  des  objets  extérieurs,  on 
vient  à  fermer  subitement  les  yeux.  Ces  images  se  développent  avec  une 
extrême  facilité  lorsqu'on  regarde  un  objet  très  lumineux,  tel  que  le  soleil 
ou  une  lumière  électrique.  En  s'y  exerçant,  on  peut  les  voir  après  avoir 
regardé  fixement  un  objet  quelconque.  Mais  les  images  accidentelles  ne 
peuvent  avoir  de  contours  nets  que  si,  pendant  la  période  où  l'impression 
s'est  faite,  l'expérimentateur  a  su  conserver  une  immobilité  parfaite  du 
regard. 


188         TROISIÈME  PARTIE.   


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


lecture  et  que  nous  avons  mentionné  ailleurs  (Voir  ci-dessus, 
Chap.  XII,  page  137). 

La  Myopie  des  Ecoliers  et  la  Réforme  des  Livres  scolaires. 
—  D'après  tout  ce  qui  précède,  on  doit  s'attendre  à  voir  la 
myopie  surgir  généralement  à  l'âge  où  les  enfants  commen- 
cent leurs  études.  On  concevrait,  en  effet,  difficilement  que 
cette  affection  se  produisît  plus  tard,  sur  des  yeux  qui  sont 
restés  indemnes  pendant  l'enfance,  à  l'époque  de  la  vie  où 
le  muscle  ciliaire  est  le  plus  énergique,  où  la  lecture 
demande  une  plus  forte  dose  d'attention  que  plus  tard,  et  où 
les  écoliers  sont  soumis  à  l'influence  du  mauvais  éclairage 
des  classes.  —  Voyons  si  les  faits  confirment  cette  pré- 
somption. 

Au  premier  abord,  les  statistiques  si  nombreuses  relatives 
à  la  myopie  scolaire,  amèneraient  à  penser,  au  contraire, 
que,  dans  tous  les  pays  le  nombre  des  myopes  va  en  augmen- 
tant colossalement  pendant  toute  la  durée  des  études. 
Nous  ferons  remarquer  que  ce  résultat,  généralement  admis, 
repose  sur  un  de  ces  mirages  si  fréquents  quand  on  examine 
superficiellement  les  statistiques.  C'est  la  proportion  et  non 
pas  le  nombre  des  myopes  qui  va  en  augmentant.  Les  statis- 
ticiens ont  oublié,  dans  la  circonstance,  qu'une  fraction  peut 
augmenter  par  suite  de  la  diminution  du  dénominateur,  et, 
c'est  ce  qui  a  lieu  ici  dans  une  mesure  considérable.  Chaque 
année,  un  certain  nombre  d'emmétropes,  et  surtout  d'hyper- 
métropes, quittent  les  bancs  pour  se  livrer  à  l'agriculture, 
au  commerce  ou  à  l'industrie,  tandis  que  la  plupart  des 
myopes  continuent  leurs  études,  soit  parce  qu'ils  sont  géné- 
ralement studieux,  soit  parce  que  leurs  parents  les  jugent 
impropres  à  la  vie  du  dehors.  En  réalité,  la  myopie  n'appa- 
raît pas  bien  souvent  avant  l'âge  de  dix  à  douze  ans,  et  c'est 
par  un  trompe-l'œil  de  la  statistique  qu'on  a  été  conduit  à 
dire  qu'elle  se  produit  avec  une  fréquence  croissante  pendant 
toute  la  durée  des  études.  J'ai  vu  la  myopie  débuter  chez 
des  adultes,  mais  c'est  un  fait  tout  à  fait  exceptionnel  :  en 
règle  générale  il  faut  placer  le  début  du  mal  aux  environs 
du  moment  où  les  enfants  commencent  à  lire  couramment. 

Nous  pouvons  même  préciser  davantage  encore  et  dire 
que  la  myopie  se  produit  chez  les  enfants  auxquels  on  donne 
des  livres  imprimés  en  caractère  fins  avant  qu'ils  sachent 


XVI.  —  LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE.  189 

lire  aisément.  Pour  m'assurer  que  les  choses  se  passent 
réellement  ainsi,  j'ai  examiné  les  yeux  des  525  élèves  de 
l'Ecole  Monge  à  Paris  où  les  conditions  d'éclairage  des 
classes  et  la  disposition  des  bancs  et  des  tables  étaient  d'une 
perfection  vraiment  exceptionnelle.  Ces  enfants  appartenaient 
tous  à  des  familles  aisées,  l'éclairage  dont  ils  jouissaient 
chez  eux  le  soir  ne  devait  donc  pas  être  incriminé  (1);  j'avais 
ainsi  l'avantage  d'éliminer  les  myopies  résultant  d'un  mau- 
vais éclairage  ou  d'un  mobilier  scolaire  défectueux.  Après 
avoir  noté  l'âge  de  chacun,  j'ai  partagé  les  enfants  de  chaque 
classe  en  deux  catégories  d'égal  nombre,  comprenant  d'une 
part  les  plus  jeunes,  et  de  l'autre  les  plus  âgés.  Comme  je 
l'avais  présumé,  il  s'est  trouvé  que,  dans  les  petites  classes, 
le  plus  grand  nombre  des  myopes  appartenait  à  la  moitié  la 
plus  jeune  :  j'en  conclus  que  la  myopie  se  produit  surtout 
chez  les  enfants  relativement  précoces,  et  qui  ont  dû  lire 
trop  tôt  des  livres  imprimés  en  caractères  ordinaires. 

On  sait  que  les  pédagogues  ont  été  conduits  à  employer 
des  livres  imprimés  en  très  gros  caractères  pour  enseigner 
la  lecture  aux  enfants.  Puis,  graduellement,  à  mesure  que  la 
mémoire  et  la  vue  des  élèves  se  sont  familiarisées  avec  la 
forme  des  lettres,  on  passe  à  des  impressions  de  plus  en 
plus  fines.  Ce  serait  parfait  si  cette  échelle  descendante  n'é- 
tait pas  trop  rapide  et  n'aboutissait  pas  à  des  types  d'une 
trop  grande  ténuité.  Pendant  des  années,  l'enfant  ne  lit  pas 
avec  cette  sorte  de  divination  qui  nous  fait  reconnaître  les 
mots  à  leur  configuration  générale,  si  bien  que  les  fautes 
d'impression  nous  échappent  avec  une  étonnante  facilité; 
pendant  bien  longtemps  il  envisage,  il  dévisage,  pour  ainsi 
dire,  chaque  lettre  et  éprouve  le  besoin  d'en  distinguer  tous 
les  détails.  Aussi  en  dépit  des  admonestations  et  malgré 
l'emploi  du  mobilier  scolaire  le  mieux  conditionné,  voit-on 
les  pauvres  petits  écoliers  se  pencher  pour  mieux  voir  pen- 
dant cette  période  qui  suit  la  première  étude  de  la  lecture  et 

(1)  Le  Docteur  Romiée  a  remarqué,  avec  beaucoup  de  raison,  que  le 
mauvais  éclairage  domestique  est  beaucoup  plus  pernicieux  que  le 
mauvais  éclairage  des  salles  de  classe,  puisque  les  enfants,  pour  faire 
leur  devoir,  travaillent  plus  à  la  lumière  chez  leurs  parents  qu'à 
l'école.  Il  a  remarqué,  eu  outre,  l'extrême  rareté  de  la  myopie  chez 
les  écoliers  de  Liège  et  il  l'explique  par  le  bas  prix  du  pétrole  qui, 
dans  cette  ville,  permet  aux  ménages  les  plus  pauvres  d'employer 
des  lampes  d'assez  fort  calibre. 


190         TROISIÈME  PARTIE.  — 


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


où  on  les  oblige  à  faire  usage  de  livres  imprimés  trop  fin 
pour  eux.  Qui  s'étonnera  de  voir  la  myopie  faire  son  appa- 
rition au  moment  précis  que  nous  venons  de  définir? 

S'il  en  est  ainsi,  la  voie  qu'il  faut  suivre  pour  combattre 
la  myopie  des  écoles  serait  tout  indiquée.  Dans  une  classe 
nombreuse,  choisie  comme  champ  d'expériences  on  exa- 
minerait avec  soin  l'attitude  des  enfants,  et,  dans  chaque 
division,  on  remplacerait  les  livres  par  d'autres,  imprimés 
de  plus  en  plus  gros,  jusqu'à  ce  qu'on  ait  atteint  un  degré 
suffisant  pour  que  tous  les  élèves,  y  compris  ceux  qui  sont 
affectés  d'astigmatisme,  et  même  pendant  les  heures  où  l'é- 
clairage est  le  plus  mauvais,  renoncent  spontanément  à  s'ap- 
procher trop  de  leurs  livres  pour  mieux  voir.  Le  résultat  de 
cette  étude  expérimentale  serait  une  échelle  de  caractères 
décroissants,  dont  chaque  numéro  correspondrait  à  un  cer- 
tain âge  moyen  des  enfants.  Il  est  certain  qu'en  interdisant, 
pour  chaque  division  successive,  l'emploi  de  livres  imprimés 
avec  des  caractères  plus  fins  que  ceux  de  l'échelle  dont  nous 
venons  de  parler,  on  aurait  entièrement  supprimé  une  im- 
portante cause  de  myopie. 

Mais  cette  solution  du  problème  se  heurte  à  une  sérieuse 
difficulté  économique.  Avec  le  tirage  colossal  des  livres 
classiques,  et  surtout  de  ceux  employés  clans  les  écoles  pri- 
maires, le  prix  de  revient  de  ces  produits  de  nos  grandes 
librairies  se  réduit  à  peu  près  exactement  au  coût  du  papier 
employé:  la  dépense  fixe,  constituée  par  la  composition,  est 
négligeable,  si  bien  que  les  livres  se  vendent  à  peu  près  au 
poids.  Il  en  résulte  que,  pour  soutenirAla  concurrence  et  ven- 
dre suffisamment  bon  marché,  les  éditeurs  sont  obligés  d'u- 
tiliser le  plus  complètement  possible  la  surface  du  papier  en 
réduisant  au  minimum  les  marges,  les  interlignes  et  surtout 
la  surface  occupée  par  chaque  lettre.  Il  nous  incombe  de 
trouver  le  moyen  de  concilier  une  impression  suffisamment 
lisible  avec  les  nécessités  de  l'industrie  des  éditeurs.  En 
d'autres  termes,  étant  donnés  la  surface  d'une  feuille  de  pa- 
pier et  le  nombre  des  lettres  qu'on  y  veut  entasser,  nous  de- 
vons nous  poser  le  problème  d'obtenir,  pour  la  page,  le  ma- 
ximum de  lisibilité.  On  trouvera  plus  loin  les  détails  extrê- 
mement minutieux  de  l'étude  à  laquelle  je  me  suis  livré  sur 
ce  sujet  (Ghap.  XVII),  mais  parmi  les  résultats  de  ces  re- 
cherches, il  en  est  un  dont  nous  trouverons  l'application  et 


XVI.  — 


LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


191 


que  j'énoncerai  ainsi  :  Tontes  choses  égales  d'ailleurs,  la  lisi- 
bilité d'un  texte  imprimé  ne  dépend  pas  de  la  hauteur  des  let- 
tres, mais  de  leur  largeur. 

Ce  n'est  donc  pas  par  points  typographiques  que  nous 
définirons  l'échelle  de  caractères  mentionnée  plus  haut, 
mais  nous  indiquerons,  par  exemple,  le  nombre  maximum 
de  lettres  que  doit  contenir  un  centimètre  courant  de  texte. 
On  dépasserait  certainement  le  but  en  accordant,  comme 
maximum  un  nombre  de  lettres  égal  à  la  moitié  de  l'âge  des 
enfants  :  la  règle  exacte  est  encore  à  formuler,  mais  il  en 
faut  une.  C'est  aux  autorités  compétentes  à  faire  entreprendre 
les  recherches,  assez  fastidieuses,  qui  permettront  de  rédiger 
des  prescriptions  précises. 

Malgré  ces  desiderata,  parmi  les  trois  causes  de  myopie 
que  nous  avons  indiquées  en  commençant,  et  qui  résident 
respectivement  dans  l'œil,  dans  l'éclairage  et  dans  l'objet,  la 
dernière,  qui  nous  paraît  la  principale,  bien  qu'elle  soit 
généralement  méconnue,  nous  semble  être  la  plus  facile  à 
faire  disparaître. 

En  effet,  ce  serait  une  entreprise  coûteuse  que  de  mettre 
nos  milliers  d'écoles  dans  de  bonnes  conditions  d'éclairage, 
et  si  l'on  y  parvenait,  il  resterait  encore  à  s'assurer  que  nos 
millions  d'écoliers,  rentrés  chez  leurs  parents,  éviteront  de 
lire  à  la  lueur  du  feu  ou  d'une  mauvaise  chandelle. 

Si  nous  ne  traitons  pas  ici  de  la  principale  cause  de  la 
production  de  la  myopie  qui  réside  dans  l'emploi  de  l'écri- 
ture penchée  par  les  jeunes  enfants,  c'est  parce  que  nous  en 
avons  exposé  la  théorie  dans  le  chapitre  XII  et  que  nous 
consacrerons  les  chapitres  XVIII  et  XIX  aux  moyens  d'y 
obvier. 

Sera-t-il  facile  de  faire  disparaître  la  myopie  qui  résulte 
d'une  prédisposition  héréditaire  ou  d'une  amblyopie  causée 
par  d'autres  défauts  optiques  des  yeux?  On  n'entrevoit 
même  pas  l'époque  où  les  enfants  de  nos  écoles  pourront 
être  examinés  par  des  spécialistes  en  cas  de  besoin,  et  encore 
n'est-il  pas  certain  que  des  prescriptions  de  lunettes  appro- 
priées suffiront  toujours  à  supprimer  totalement  la  myopie 
résultant  de  causes  organiques. 

Comme  pour  contraster  avec  ces  grosses  difficultés,  la 
cause  de  myopie  que  nous  avons  spécialement  envisagée 
aujourd'hui  peut  se  supprimer  d'un  trait  de  plume  :  il  suffit 


192         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


d'un  arrêté  ministériel  pour  interdire,  dans  les  établisse- 
ments scolaires  de  l'Etat,  l'emploi  de  livres  qui  ne  seraient 
pas  imprimés  dans  les  conditions  de  lisibilité  appropriées  à 
l'âge  des  enfants  auxquels  il  sont  destinés.  Je  le  répète,  la 
question  n'est  pas  assez  mûre  pour  qu'on  puisse  proposer 
dès  maintenant  aux  autorités  scolaires  une  réglementation 
définitive  ;  mais  les  intérêts  à  sauvegarder  sont  assez  consi- 
dérables pour  qu'il  soit  utile  d'attirer  l'attention  du  public 
sur  un  problème  dont  la  solution  exacte  ne  pourra  être 
obtenue  qu'au  prix  de  longues  recherches  (1). 

La  myopie  progressive.  —  On  avait  vainement  cherché 
jusqu'ici  l'explication  de  ce  fait  que,  chez  beaucoup  de  per- 
sonnes, la  myopie  augmente  avec  une  rapidité  plus  ou 
moins  grande  jusqu'à  un  certain  moment  où  elle  devient  à 
peu  près  stationnaire.  La  fréquence  bien  plus  grande  de 
la  myopie  progressive  chez  les  personnes  qui  lisent  que 
chez  les  couturières  nous  a  suggéré  l'explication  suivante, 
que  nous  avons  publiée,  il  y  a  longtemps,  dans  les  Annales 
d'oculistiqiie,  et  contre  laquelle  aucun  de  nos  confrères  n'a 
élevé  d'objection  (Voir  plus  haut  l'art.  Mécanisme  de  la 
lecture,  page  127). 

D'après  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  page  137  sur 
le  mécanisme  de  l'accommodation,  il  n'est  pas  étonnant 

(1)  L'exposé  de  ces  idées  fait  en  novembre  1879  dans  la  Revue  scientifique 
ayant  attiré  l'attention  du  Ministre  de  l'Instruction  publique,  il  constitua 
presque  aussitôt  une  Commission  chargée  de  proposer  des  mesures  propres 
à  diminuer  la  production  de  la  myopie  dans  les  écoles.  Le  rapporteur, 
M.  Gariel,  adopta  les  vues  qui  viennent  d'être  exposées.  Un  peu  plus  tard, 
le  même  sujet  fut  repris  dans  une  Commission  instituée  au  même  minis- 
tère'et  chargée  d'étudier  les  règles  d'hygiène  à  l'usage  des  écoles  pri- 
maires. L'auteur  fut  chargé  de  rédiger  le  rapport  général  des  travaux  de 
cette  Commission  (Javal  :  Rapport  sur  l'hygiène  des  écoles  primaires,  in  8°. 
Paris-Masson,  1881)  (1).  Ces  travaux  ont  eu  du  retentissement  à  l'étranger  et 
notamment  en  Allemagne,  où  M.  Hermann-Cohn,  de  Breslau,  par  de  nom- 
breuses publications  réussit  à  faire  adopter  dans  une  assez  large  mesure 
les  idées  exposées  ci-dessus  relativement  à  l'éclairage  des  écoles  et  à  la 
typographie  des  livres  classiques. 

(1)  Les  conclusions  adoptées  furent  conformes  à  l'exposé  qui  précède,  sauf  sur 
quelques  points  de  détails;  notamment  pour  les  livres  scolaires  classiques,  la 
commission  décida  que  «  comme  il  ne  parait  pas  possible  de  caractériser  ces 
élémenls  par  une  évaluation  précise,  il  faut  définir  par  une  épreuve  d'ensemble 
la  lisibilité  des  ouvrages  qui  pourront  être  acceptés  ;  on  devrait  refuser  tout 
livre  qui,  tenu  verticalement  et  éclairé  par  une  bougie  placée  à  une  dislance 
d'un  mètre,  ne  resterait  pas  parfaitement  lisible  pour  une  bonne  vue  à  la 
distance  d'au  moins  80  centimètres  » 


XVI.  — 


LES  LIVRES  ET  LA  MYOPIE. 


193 


que  la  série  de  saccades  imprimées  à  la  choroïde  par 
le  muscle  ciliaire  des  myopes  ait  pour  effet  d'augmenter 
progressivement  leur  infirmité  (1).  Si  l'on  veut  bien  songer 
qu'il  est  facile  de  lire  cent  lignes  par  minute  et  que,  dans  ces 
conditions,  le  muscle  ciliaire  est  obligé  de  se  contracter  six 
mille  fois  par  heure,  on  sera  peu  surpris  de  la  rapidité  avec 
laquelle  les  myopies  fortes  continuent  à  progresser. 

Il  vient  heureusement  un  moment  où  le  myope,  lisant  sans 
lunettes,  ne  peut  plus  lire  sans  déplacer  la  tête  ou  le  livre. 
C'est  alors  que  l'excès  du  mal  produit  un  bien  ;  lorsqu'il 
s'est  habitué  à  ces  mouvements,  le  myope  n'a  plus  besoin  de 
faire  varier  son  accommodation  en  lisant,  et  sa  myopie 
devient  stationnaire. 

Si  ces  idées  théoriques  sont  exactes,  les  personnes  que 
leur  myopie  contraint  à  lire  de  très  près  devront  s'appliquer 
à  suivre  les  lignes  par  des  mouvements  de  la  tête  ou  du 
livre  ;  c'est  le  conseil  que  je  ne  manque  pas  de  leur  donner. 
Parmi  ceux  qui  ont  suivi  ce  conseil,  en  y  ajoutant  celui 
de  prendre  pour  la  lecture  des  verres  concaves  portant 
le  punctum  remotum  à  25  ou  30  centimètres  et  à  ne  jamais  se 
tenir  plus  près  que  la  distance  du  remotum  ainsi  déplacé, 
presque  aucun  n'est  venu  se  plaindre  d'une  augmentation  de 
myopie  (2). 

Mais  il  ne  faut  pas  s'attendre  à  voir  tous  les  myopes  recou- 
rir aux  conseils  d'un  médecin  ;  cherchons  donc  à  modifier 
les  livres  de  manière  à  diminuer  le  nombre  des  cas  de  myo- 
pie progressive.  Le  moyen  résulte  avec  évidence  de  tout  ce 
que  nous  venons  de  dire  ;  il  faut  éviter  les  lignes  longues. 
L'expérience  est  d'ailleurs  là  pour  nous  donner  raison  ;  c'est 
dans  les  pays  où  les  livres  et  les  journaux  sont  imprimés 
avec  les  lignes  les  plus  longues  que  la  myopie  progressive 
sévit  avec  la  plus  grande  intensité. 

A  ceux  qui  disent  complaisamment  que  le  degré  de  civili- 
sation d'un  peuple  peut  se  mesurer  au  nombre  des  myopes 
qu'il  révèle  aux  statisticiens,  nous  répondrons  que  l'économie 
outrée  de  luminaire,  l'emploi  de  caractères  gothiques  trop 


(1)  Voir  à  la  fin  du  chapitre  VII,  p.  81,  les  explications  sur  le 
réglage  de  l'œil. 

(2)  Après  une  pratique  ophtalmologicme,  vieille  de  bientôt  40  ans, 
j'affirme  avec  la  plus  grande  énergie  les  idées  exprimées  ci-dessus 
relativement  à  la  prophylaxie  de  la  myopie. 

javal.  13 


194        TROISIÈME  PARTIE.    DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

petits  et  souvent  usés,  imprimés  sur  un  papier  gris  et  trans- 
parent, sont  des  causes  bien  suffisantes  pour  faire  apparaître 
la  myopie  chez  les  enfants,  et  que  l'abus  de  la  lecture  au 
détriment  de  la  réflexion  et  de  l'observation  des  faits  réels, 
joint  à  l'emploi  de  lunettes  trop  fortes  et  à  l'adoption  d'une 
justification  trop  large  pour  les  livres  et  les  journaux,  sont 
les  conditions  les  plus  propres  à  rendre  progressives  les 
myopies  qui  pourraient  rester  stationnaires,  si  l'on  n'accu- 
mulait pas,  pour  ainsi  dire  à  plaisir,  les  conditions  les  plus 
défavorables  à  l'emploi  des  yeux  pendant  le  travail. 

Les  cartes  géographiques  murales,  établies  d'après  les 
règles  qui  suivent,  fournissent  un  moyen  excellent  de  trier 
dans  une  classe  les  enfants  affectés  d'un  commencement 
de  myopie.  Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Delagrave  le 
fac-similé  d'une  carte  de  ce  genre  (Fig.  52),  réduite  de 
moitié,  qu'il  a  fait  construire  au  cours  des  travaux  de  la 
Commission  d'hygiène  des  écoles  dont  il  faisait  partie  ;  voici 
un  extrait  du  rapport  général  déjà  cité  de  cette  Commission: 

«  La  3e  Sous-Commission  a  étudié  par  elle-même  les  con- 
«  ditions  de  lisibilité  des  cartes  murales.  Aucune  des  cartes 
«  qui  sont  en  usage  dans  les  écoles  ne  présente  de  noms  qui 
«  puissent  être  vus  par  une  classe  entière  ;  sauf  pour 
«  quelques  mots  écrits  en  très  gros  caractères  (noms  des 
«  contrées,  des  mers),  on  peut  dire  que,  d'une  manière  géné- 
«  raie,  rien  ne  peut  être  lu  au  delà  de  3  ou  4  mètres.  Dans 
«  ces  conditions,  la  plupart  des  noms,  tout  à  fait  inutiles 
«  pour  les  élèves,  ont  pour  effet  fâcheux  de  nuire  consi- 
«  dérablement  à  la  netteté  générale  de  la  carte.  Si  l'on  ne 
«  veut  absolument  pas  se  contenter  des  cartes  muettes,  nous 
«  serions  disposés  à  proposer  le  parti,  tout  nouveau,  d'ad- 
«  mettre  deux  catégories  de  noms.  Les  uns,  peu  nombreux, 
«  seraient  assez  gros  pour  être  vus  aisément  à  plus  de 
«  4  mètres  ;  les  autres,  très  fins,  ne  seraient  lisibles  qu'à 
<(  1  mètre  tout  au  plus  et  seraient  utilisés  seulement  par  le 
«  professeur  ou  par  les  rares  élèves  qui,  entre  les  classes, 
«  voudraient  spontanément  examiner  de  près  quelque  région 
«  de  la  carte. 

«  Nous  attachons  de  l'importance  à  ce  que  tous  les  noms 
a  destinés  à  être  vus  de  loin  soient  d'égale  lisibilité.  Nous 
«  avons  la  satisfaction  de  soumettre  à  votre  appréciation 
«  une  carte  de  France  de  M.  Levasseur  où  les  noms  ont 


196         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

«  été  inscrits  conformément  à  nos  indications.  Si  vous  la 
«  comparez  au  tirage  ordinaire  de  la  même  carte,  vous 
«  n'hésiterez  pas  à  donner  la  préférence  à  celle  que  nous 
«  avons  fait  préparer.  Vous  voudrez  bien  remarquer  que, 
«  malgré  la  diversité  suffisante  des  caractères,  si  vous  vous 
«  éloignez  peu  à  peu,  tout  devient  illisible  du  même  coup. 
<(  Nous  avons  également  calculé  l'épaisseur  à  donner  aux 
«  traits  qui  représentent  les  chemins  de  fer,  les  rivières, 
«  etc.,  et  donné  des  indications  pour  la  grosseur  des  points 
«  qui  figurent  les  villes,  si  bien  que  la  carte  présente  ce 
«  double  avantage  d'être  peu  chargée  et  de  cesser  d'être  lisi- 
«  ble  à  la  fois  dans  toutes  ses  parties. 

«  L'introduction  de  cartes  de  ce  genre  dans  les  écoles, 
«  mieux  qu'aucune  inspection  médicale,  signalera  immédia- 
«  tement  tous  les  enfants  dont  la  vue  sera  affaiblie,  soit 
«  par  de  la  myopie  commençante,  soit  par  tout  autre 
«  cause.  Dès  qu'un  enfant  aura  un  défaut  de  vue,  se  tenant 
«  à  la  même  distance  de  la  carte  que  ses  camarades,  il  sera 
«  dans  l'impossibilité  complète  de  suivre  la  leçon,  et  le  maî- 
«  tre  sera,  par  là  même,  mis  en  demeure  d'avertir  qui  de 
«  droit.  » 


CHAPITRE  XVII. 


TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 

Les  typographes  m'excuseront  de  rappeler  ici  que  les  ca- 
ractères typographiques  consistent  en  prismes  rectangulaires 
dont  l'une  des  extrémités  porte  en  saillie  la  lettre,  accentuée 
ou  non.  —  Les  typographes  n'ayant  pas  adopté  le  système 
métrique  et  leur  unité  de  longueur  étant  le  point  (  |  d'une 
ligne  ou  ^  de  pouce),  on  dit  qu'un  caractère  mesure  7,  8  ou 
9  points,  par  exemple,  quand  la  hauteur  du  rectangle  dont  il 
vient  d'être  parlé  mesure  7,  8  ou  9  points.  Les  épaisseurs 
des  interlignes  ou  plaquettes  qui  servent  à  séparer  les  lignes 
dans  un  texte  interligné  sont  mesurées  également  en  points. 

DESSIN  DES  CARACTÈRES. 

Les  préliminaires  historiques  et  théoriques  sur  lesquels  nous 
nous  sommes  étendu  (1)  étaient  nécessaires  pour  nous  mettre 
en  état  d'étudier,  dans  l'intérêt  de  la  lisibilité,  tout  ce  qui,  dans 
les  caractères,  est  conciliable  avec  leur  forme  typique.  — 
Par  forme  typique,  nous  voulons  désigner  les  éléments  ca- 
ractéristiques de  chaque  lettre.  Ainsi  la  forme  typique 
d'un  V  est  constituée  par  deux  lignes  droites  :  les  traits 
terminaux,  la  différence  entre  l'épaisseur  des  deux 
branches,  etc.,  ne  sont  pas  ce  qui  constitue  le  type  du  V, 
mais  deux  lignes  d'égale  longueur  se  rencontrant  sous  un 
angle  aigu  par  leur  extrémité  inférieure  constituent  un  V  ; 
les  modifications  accessoires  ne  lui  donnent  pas  plus  les  at- 
tributs du  V  que  si  elles  n'existaient  pas. 

Pendant  la  lecture,  le  regard  n'a  pas  le  temps  d'examiner 
chaque  lettre  dans  toutes  ses  parties  ;  loin  de  là,  le  point  de 
fixation  se  déplace  suivant  une  ligne,  rigoureusement  hori- 

(1)  Voyez  ci-dessus,  pages  17  et  109. 


198         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

zontale,  qui  coupe  toutes  les  lettres  courtes,  en  des  points 
situés  un  peu  plus  bas  que  leur  sommet  ;  les  autres  parties 
des  lettres  sont  donc  vues  indirectement  et  frappent  des  ré- 
gions de  la  rétine  plus  ou  moins  distantes  de  la  fovea  centra- 
lis.  La  connaissance  de  cette  manière  de  procéder  du  lecteur 
devra  influer  sur  les  formes  qu'il  conviendra  de  donner  aux 
lettres. 

Mais  nous  devons  tout  d'abord  prouver  que  les  choses  se 
passent  réellement  comme  nous  venons  de  le  dire  ;  cela  im- 
porte d'autant  plus  qu'il  s'agit  d'une  assertion  toute  per- 
sonnelle. 

Voici  comment  nous  avons  été  conduit  à  faire  cette  petite 
découverte.  —  Lorsqu'on  fait  une  série  d'expériences  sur 
les  images  accidentelles  (1),  on  acquiert  bientôt  la  notion 
précise  du  point  sur  lequel  on  dirige  le  regard  à  un  moment 
donné;  chez  moi,  cette  notion  était  suffisamment  développée 
pour  que  je  fusse  absolument  certain  que,  lorsque  je  lisais  un 
texte  un  peu  gros,  le  point  de  fixation  se  déplaçait  suivant  une 
ligne  droite  horizontale,  située  entre  le  haut  et  le  milieu 
des  lettres  courtes. 

Pour  m'assurer  qu'il  n'y  a  pas  d'erreur  dans  cette  appré- 
ciation subjective,  j'ai  encore  fait  l'expérience  suivante: 
après  avoir  lu  une  dizaine  de  lignes  d'un  caractère  gras, 
gros  œil  (c'est-à-dire  à  queues  courtes)  et  non  interlignées, 
je  fermais  brusquement  les  yeux  ;  j'aperçevais  aussitôt  dans 
le  champ  visuel  des  stries  horizontales,  alternativement  clai- 
res et  sombres,  qui  n'étaient  autre  chose  qu'une  image  acci- 
dentelle des  lignes  d'impression.  Cette  expérience  suffit  à 
prouver  une  partie  de  notre  thèse,  à  savoir  que  le  regard  se 
déplace  horizontalement  pendant  la  lecture;  en  effet,  s'il  se 
produisait,  le  long  des  lettres,  des  excursions  verticales  du 
regard,  aucune  image  accidentelle  ne  pourrait  se  produire, 
car  alors  les  lignes  ne  viendraient  pas  se  peindre  constam- 
ment sur  la  même  partie  de  la  rétine. 

Les  images  accidentelles  dont  nous  venons  de  parler  ne 
sont  pas  faciles  à  voir,  car  leur  production  repose  sur  la 
différence  de  teinte,  assez  peu  marquée,  qui  existe  entre  le 
blanc  du  papier  et  le  gris  résultant  du  mélange  qui,  pendant 
le  déplacement  rapide  du  regard,  se  produit  entre  une  grande 

(1)  Voir  chap.  XVI,  la  note  de  la  page  187. 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


199 


quantité  de  blanc  et  la  petite  quantité  de  noir  qui  constitue 
les  jambages  des  lettres  courtes. 

Le  pourquoi  de  tout  ceci  est  facile  à  trouver  :  si  le  regard 
se  contente  de  glisser  horizontalement,  c'est  pour  éviter  des 
mouvements  compliqués  et  inutiles,  et  la  position  de  l'hori- 
zontale choisie  est  commandée  par  la  structure  de  nos  carac- 
tères typographiques. 

En  effet,  recouvrez  d'une  feuille  de  papier  opaque  la  moi- 
tié supérieure  d'une  ligne  d'impression  ;  il  vous  faudra  un 
certain  effort  pour  deviner  les  mots  dont  vous  ne  voyez  que 
la  moitié  inférieure,  tandis  que  si  vous  faites  une  expérience 
analogue  en  couvrant  la  moitié  inférieure  de  la  ligne,  vous 
lirez  tout  à  fait  aussi  couramment  que  si  la  ligne  entière 
était  à  découvert.  Il  est  donc  très  naturel  qu'il  soit  avan- 
tageux, pour  la  lecture,  de  faire  filer  le  regard  suivant  une 
ligne  située  plus  haut  que  le  milieu  de  la  hauteur  des  carac- 
tères. 

Remontons  plus  haut  encore  dans  l'échelle  des  causes,  et 
comptons  les  lettres  et  parties  de  lettres  qui  dépassent  les 
lettres  courtes  par  en  haut  et  par  en  bas.  Par  en  haut,  nous 
trouvons  toutes  les  capitales,  tous  les  accents,  les  points  des 
i  et  des  j,  et  les  lettres  b  d  f  h  k  1  t,  tandis  que,  par  en  bas, 
nous  ne  trouvons  que  les  lettres  g  j  p  q  et  y  ;  tenant  compte 
de  la  fréquence  des  capitales,  points,  accents  et  lettres  lon- 
gues, nous  trouvons  que,  sur  cent  accidents  qui  dépassent 
la  ligne  tant  par  le  haut  que  par  le  bas,  plus  de  85  sont  su- 
périeurs et  moins  de  15  sont  inférieurs.  Cela  suffit  pour 
obliger  le  lecteur  à  regarder  plus  haut  que  le  milieu  des  let- 
tres. 

Cela  étant,  nous  devons  chercher  à  donner  aux  lettres  une 
forme  telle  qu'elles  diffèrent  le  plus  possible  les  unes  des 
autres,  dans  la  région  où  elles  sont  rencontrées  par  le  point 
de  fixation  (1)  ;  or,  c'est  ce  que  les  graveurs  semblent  avoir 
pris  à  tâche  d'éviter  pendant  la  dernière  de  nos  périodes 
(p.  17),  celle  de  1740  à  1840.  Couvrez  le  bas  des  lettres  d'une 
ligne  d'impression  moderne,  de  manière  à  ne  laisser  dépasser 
que  les  longues  supérieures  et  le  sommet  des  lettres  courtes, 

(1)  Si  nous  osions  risquer  une  comparaison,  nous  dirions  que,  pour 
rendre  une  lettre  facilement  reconnaissable,  il  est  utile  de  grossir  la  tête 
au  détriment  des  pieds  et  des  jambes  et  même  du  corps,  artifice  analogue 
à  celui  des  caricaturistes, 


200         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


vous  verrez  apparaître,  à  peu  près  identiques,  les  lettres  a, 
c,  e,  o,  s,  d'une  part,  n  et  r,  d'autre  part,  et  les  différences 
entre  h  et  b  ou  entre  n  et  p  sont  rendues  bien  peu  sen- 
sibles. 

Ce  défaut  est  moins  marqué  chez  les  elzéviriens  moder- 
nes, et  il  est  moins  marqué  encore  dans  les  caractères  de 
Garamond  et  surtout  de  Jaugeon  (Voir  ci-dessus,  p.  21,  22 
et  23). 

Avant  de  passer  en  revue  l'alphabet,  remarquons  que, 
quoi  que  nous  fassions,  certaines  lettres  seront  plus  visibles 
que  d'autres  :  d'abord  les  longues  possèdent  une  supériorité 
incontestable,  grâce  à  leur  dimension  plus  grande;  ensuite 
les  lettres  de  forme  simple,  telles  que  l'u,  seront  toujours 
plus  lisibles  que  les  lettres  compliquées,  telles  que  l'a  ;  il 
faudra  donc,  pour  ces  dernières,  recourir  à  des  artifices 
afin  de  les  améliorer  le  plus  possible. 

Remarquons  aussi  que,  dans  leur  désir  d'augmenter  la 
régularité  d'aspect,  dont  nous  ne  sommes  pointpartisan, cer- 
tains graveurs  ont  soin  d'aplatir  latéralement  les  lettres 
rondes  et  d'arrondir  fortement  les  lettres  carrées  ;  nous 
prendrons  le  parti  contraire,  et  nous  y  trouverons,  de  plus, 
l'avantage  d'introduire,  vers  le  haut  des  lettres  courtes,  des 
différences  bien  notables,  qui  permettront,  par  exemple,  de 
trouver  dans  cette  région,  une  différence  facilement  appré- 
ciable entre  le  b  et  l'h. 

De  même,  nous  n'augmenterons  pas  les  panses  des  b  d  p 
q  dans  l'intention  de  leur  donner  la  même  dimension  appa- 
rente qu'aux  o  :  cette  recherche  de  régularité  ne  nous  paraît 
aucunement  utile. 

Des  innovations  de  fantaisie  auraient  bien  peu  de  chances 
d'être  adoptées  par  les  typographes  ;  pour  ce  motif,  nous 
aurons  bien  soin,  au  lieu  de  proposer  des  formes  nouvelles 
en  remplacement  de  formes  défectueuses,  de  recourir,  dans 
la  mesure  du  possible,  à  des  formes  anciennes  et  de  choisir, 
dans  les  formes  du  xve  siècle,  celles  qui,  tout  en  répondant 
à  notre  but,  auront  l'avantage  de  répandre  sur  toute  notre 
typographie  une  certaine  saveur  archaïque  de  nature  à 
plaire  aux  bibliophiles. 

C'est  là  une  condition  indispensable  à  remplir,  car  les 
types  nouveaux  font  toujours  leur  première  apparition  dans 
les  éditions  de  luxe  et  ne  passent  dans  les  impressions  cou- 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


201 


rantes  que  lorsqu'ils  sont  à  moitié  usés  ;  nos  modèles  seraient 
donc  condamnés  à  un  insuccès  certain  s'ils  ne  plaisaient  pas 
aux  amateurs  de  beaux  livres. 

Parmi  les  longues  supérieures,  le  d,  le  k  et  l'I  ne  prêtent  à 
aucune  confusion.  Pour  bien  différencier  le  b  de  l'h,  nous 
aurons  soin,  conformément  à  ce  qui  vient  d'être  dit,  de  faire 
la  panse  du  b  bien  ronde,  et  l'angle  qui  réunit  la  partie  hori- 
zontale et  le  second  jambage  de  l'h  aussi  peu  arrondi  que  le 
goût  le  permettra.  Il  en  résulte,  pour  l'uniformité  d'aspect, 
que  la  panse  du  d  devra  être^bien  arrondie  ;  elle  devra  être  une 
idée  plus  large  que  celle  du  b,  pour  paraître  égale.  Les  lettres  f 
et  t  prêtant  à  confusion  lorsque  la  tête  de  l'f  est  brisée,  ce  qui 
arrive  bien  souvent  lorsque  les  caractères  ont  servi  long- 
temps, nous  aurons  soin  de  prolonger  vers  la  droite  la  petite 
barre  de  l'f  et  vers  la  gauche  celle  du  t,  de  raccourcir  ces  bar- 
res du  côté  opposé  et  de  leur  donner  une  épaisseur  aussi 
grande  que  possible,  sans  tomber  dans  une  forme  insolite. 
De  plus,  nous  ferons  le  t  relativement  court,  nous  empâte- 
rons l'angle  qui  est  situé  en  haut  et  à  gauche  de  la  lettre,  et 
nous  éviterons  de  faire  au  bas  de  la  lettre  le  crochet 
remontant  qui  s'est  substitué  graduellement  à  la  petite 
partie  horizontale  des  anciennes  typographies  ;  ce  crochet 
ne  peut  se  faire  gracieux  que  s'il  est  extrêmement  fin, 
et  l'on  verra  plus  loin  que  nous  réagissons  contre  la  finesse 
des  déliés.  La  forme  que  nous  proposons  a  un  cachet  d'an- 
cienneté qui  est  aussi  un  motif  de  préférence  pour  nous,  car 
l'ensemble  de  nos  caractères  ayant  un  aspect  un  peu  ancien, 
tous  doivent  y  concourir  pour  que  le  goût  ne  soit  pas  blessé. 
Parmi  les  longues  supérieures,  nous  pouvons  ranger  Fi, 
bien  que  le  point  ne  soit  pas  en  contact  avec  le  corps  de  la 
lettre.  Nous  ferons  le  point  plus  gros  que  le  fût  de  la  let- 
tre, car  l'expression  mettre  les  points  sur  les  i  indique  tout 
justement  l'utilité  des  points,  qui  contribuent  beaucoup  à  la 
lisibilité.  Il  importe  qu'il  soit  gros,  non  seulement  pour  évi- 
ter la  confusion  de  l'iavec  l'I  et  l'f  dans  les  impressions  fines, 
mais  aussi  pour  qu'il  casse  moins  fréquemment.  Nous 
placerons  le  point  aussi  haut  que  possible  pour  aug- 
meter  sa  visibilité. 

Les  longues  inférieures  g,  j,  p,  q  et  y  sont  d'excellentes 
lettres.  Pour  le  g,  nous  éviterons  la  forme  nouvelle,  analogue 
à  celle  du  g  italique,  et  qui  le  ferait  ressembler  par  le  haut  à 


202 


TROISIÈME  PARTIE.  — 


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


un  q  ;  à  l'exemple  des  plus  anciens  imprimeurs  vénitiens, 
nous  donnerons  à  sa  partie  supérieure  la  forme  d'une  ellipse 
à  axe  horizontal  pour  en  augmenter  la  grandeur,  qui  est 
nécessairement  restreinte  dans  le  sens  vertical,  et  nous  réta- 
blirons à  la  partie  supérieure  gauche  de  la  boucle  l'angle 
aigu,  très  élégant,  qui  a  été  abandonné  après  Garamond. 
Enfin,  pour  l'y,  la  forme  qu'on  vient  de  voira  un  cachet  plus 
ancien  et  n'est  pas  moins  gracieuse  que  la  forme  plus  nou- 
velle, où  la  partie  inférieure  de  la  lettre  est  verticale  et  qui 
est  adoptée  par  l'Imprimerie  nationale.  Pour  le  p  et  le  q, 
nous  aurons  soin  de  faire  la  panse  du  q  un  peu  plus  large 
que  celle  du  p,  pour  qu'elle  paraisse  égale.  Cette  pratique 
est  généralement  suivie  par  les  graveurs  habiles. 

Parmi  les  lettres  droites  courtes,  m,  n  et  u,  l'm  doit  pré- 
senter un  peu  moins  d'intervalles  entre  les  jambages,  et,  si 
l'on  adopte  les  traits  terminaux  habituels,  il  faudra  faire  l'u 
un  peu  plus  serré  que  l'n,  surtout  par  le  haut,  pour  qu'il 
paraisse  égal. 

Depuis  que  notre  œil  s'est  habitué  aux  m  de  la  dactylo- 
graphie (1)  on  nous  pardonnera  de  réclamer  des  m  un  peu 
plus  serrés  que  cela  se  fait  d'habitude  ;  par  une  exception 
unique,  nous  obtiendrons  ainsi  une  lettre  dont  la  lisibilité 
augmentera  par  le  fait  de  la  diminution  de  l'espace  que 
nous  lui  accordons. 

Nous  appellerons  rondes  les  lettres  a,  c,  e,  o  et  s.  Pour 
toutes,  sauf  dans  la  typographie  très  compacte,  nous 
nous  conformerons  à  l'usage  de  leur  faire  dépasser 
légèrement  par  le  haut  et  par  le  bas  l'alignement  des 
lettres  droites,  pour  qu'elles  ne  paraissent  pas  plus  petites. 
Pour  l'a,  nous  remonterons  jusqu'au  delà  des  premiers 
imprimeurs  italiens,  et,  dans  les  manuscrits  qui  leur  ont 
servi  de  modèle,  nous  choisirons  un  a  dont  la  tête  soit  extrê- 
mement petite  et  ne  surplombe  pas  toute  la  panse.  En  effet, 
par  des  expériences  faites  en  regardant  de  loin  des  lettres 
isolées  et  collées  sans  ordre  sur  un  carton,  on  peut  constater 
que  les  lettres  a,  c,  et  s  sont  les  plus  mauvaises  de  l'alpha- 
bet. Il  faut  donc  simplifier  la  forme  de  l'a,  ce  qui  peut  se 
faire  en  diminuant  considérablement  la  tête  ;  alors,  vu  de 

(1  )  On  fait  maintenant  des  impressions  en  caractères  de  machines  à 
écrire. 


XVII.  — - 


TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


203 


loin,  l'a  prend  l'aspect  d'un  r  renversé  :  j,  et  devient  aussi 
lisible  qu'une  autre  lettre,  si  l'on  a  soin  de  donner  une  forme 
étroite  et  allongée  à  la  panse.  Pour  le  c,  nous  éviterons  la 
forme  actuelle,  qui  facilite  la  confusion  avec  l'o  et  avec  l'e,et 
nous  prendrons  la  forme  ancienne,  se  rapprochant  beaucoup 
d'une  demi-circonférence.  Pour  l'e,  nous  n'hésitons  pas  à 
revenir  à  la  forme  ancienne,  e,  qui  ramène  le  trait  horizontal 
à  peu  près  à  l'endroit  où  passe  la  ligne  de  regard  pendant  la 
vision,  et  nous  éviterons  de  faire  trop  remonter  la  ligne  par 
laquelle  l'e  se  termine  en  bas  et  à  droite.  Peut-être  même 
nous  résoudrions-nous  à  donner  au  trait  transversal  la  posi- 
tion oblique  qu'il  affecte  dans  certains  manuscrits,  de 
manière  à  augmenter  la  longueur  et  l'importance  de  ce  trait. 
Si  ce  n'était  pas  contraire  à  tous  les  usages,  l'expérience, 
d'accord  avec  le  raisonnement,  conduirait  à  faire  l'o  rigoureu- 
sement rond,  sans  déliés,  beaucoup  plus  petit  que  toutes  les 
autres  lettres.  Enfin,  l's  reste,  quoi  que  nous  fassions, 
une  mauvaise  lettre  ;  tout  ce  que  nous  pouvons  essayer 
est  de  lui  faire  gagner  de  la  surface  en  le  rendant  un  peu 
plus  anguleux  qu'on  ne  le  fait  habituellement  :  sa  visibilité 
deviendra  ainsi  presque  égale  à  celle  du  z.  ' 

Les  lettres  contenant  des  droites  obliques  v,  w,  et  z,  ne 
nous  fournissent  pas  matière  à  observations,  si  ce  n'est  que 
le  v  et  le  w  doivent  dépasser  un  peu  l'alignement  parle  bas, 
sous  peine  de  paraître  trop  courts. 

Il  ne  nous  reste  plus  à  parler  que  de  l'r,  dont  nous  ne 
ferons  pas  retomber  la  larme,  comme  le  font  les  modernes, 
chez  qui  le  haut  de  l'r  finit  par  ressembler  à  celui  de  l'n. 
Nous  préférerons  la  forme  ancienne  r,  bien  plus  originale  et 
par  suite  plus  lisible. 

Il  y  aurait  une  étude  à  faire  sur  la  lisibilité  des  chiffres. 
Je  noterai,  par  exemple,  qu'un  6  ou  un  9  se  confondront  bien 
plus  facilement  avec  un  0,  si,  comme  cela  se  fait  habituelle- 
ment de  nos  jours,  tous  les  chiffres  sont  de  même  hauteur, 
système  utile  pour  la  régularité  d'aspect  quand  les  chiffres 
sont  disposés  en  colonnes  verticales.  Il  est  évident  a  priori 
que  pour  les  chiffres  qui  font  partie  d'un  texte  courant,  il 
serait  raisonnable  de  revenir  au  type  où  le  0  et  le  1  n'avaient 
que  la  hauteur  des  lettres  courtes  et  où  les  autres  chiffres 
dépassaient  soit  par  en  haut,  soit  par  en  bas. 

Rechercher  l'uniformité  d'aspect  pour  les  chiffres  me 


204         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


paraît  une  offense  au  bon  sens,  pire  encore  que  pour  les 
lettres. 

A  qui  voudra  étudier  l'évolution  des  chiffres  en  typogra- 
phie, je  signale  la  collection  de  178  tables  de  logarithmes, 
publiées  depuis  le  commencement  du  XVIIe  siècle  jusqu'à 
nos  jours,  et  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  universitaire  de 
Bordeaux. 

ÉPAISSEUR  DES  TRAITS  CONSTITUTIFS  DES  LETTRES . 

Quelle  épaisseur  faut-il  donner  aux  pleins  et  aux  déliés?  Ce 
problème  est  beaucoup  trop  complexe  pour  que  nous  puis- 
sions le  résoudre  ici.  Supposons  d'abord  qu'on  emploie  une 
épaisseur  de  trait  uniforme  pour  tracer  des  lettres,  l'épais- 
seur à  donner  au  trait  dépendra  absolument  de  l'éclairage. 
En  plein  soleil,  les  lettres  grêles  paraîtront  plus  nettes,  étant 
moins  empâtées,  mais  elles  deviendront  absolument  invi- 
sibles dans  une  demi-obscurité;  il  faut  donc,  pour  une  môme 
grosseur  de  lettres,  employer  des  traits  d'autant  plus  forts 
qu'elles  devront  être  lues  avec  moins  de  lumière.  Il  en  est  de 
même  pour  les  yeux  affectés  d'imperfections  optiques.  Les 
livres  devant  être  lisibles  pour  tout  le  monde  et  malgré 
l'imperfection  du  luminaire,  il  faut  donc  grossir  les  traits  qui 
constituent  les  lettres.  Mais  cet  épaississement  a  des  limites  : 
en  épaississant  tous  les  traits,  on  arrive  à  faire  disparaître  le 
dessin  général  des  lettres,  et  c'est  pour  ce  motif  qu'on  a  été 
conduit  à  ne  grossir  qu'une  partie  des  traits  et  à  créer  les 
caractères  classiques  dont  les  Didot  ont  gravé  les  types  les 
plus  accomplis/Nous  admirons  sans  réserve  l'Horace  et  le 
Virgile  de  Didot,  mais  ici  encore  nous  devons  établir  une 
distinction  entre  les  types  destinés  aux  enfants  et  aux  adultes. 
Tandis  que  nous  lisons  en  reconnaissant  les  lettres  et  même 
les  mots  d'après  leur  configuration  générale,  l'enfant  regarde 
chaque  lettre  dans  toutes  ses  parties  ;  comme,  de  plus,  son 
œil  est  bien  moins  résistant,  nous  n'acceptons  pas  les  types 
modernes  pour  les  livres  destinés  au  premier  âge,  et  nous 
demandons  qu'on  reprenne  les  caractères  anciens,  où  les 
déliés  sont  presque  égaux  aux  pleins.  Quant  à  l'épaisseur  de 
ces  derniers,  il  nous  paraît  tout  à  fait  superflu  de  la  régle- 
menter; l'expérience  nous  apprend  que  les  graveurs  la  font 
toujours  amplement  suffisante  ;  l'essentiel  est  de  réserver 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


205 


les  caractères  modernes  pour  les  impressions  les  plus  fines, 
qu'il  ne  convient  pas  d'accepter  pour  les  livres  destinés  à 
l'enfance. 

Ainsi,  sous  les  rapports  de  la  distribution  des  pleins  et 
des  déliés,  les  caractères  de  différentes  grandeurs  ne  doivent 
pas  être  semblables.  En  partant  de  caractères  anciens  pour 
les  plus  grosses  impressions,  il  faut  graduellement  diminuer 
les  déliés  plus  que  les  pleins  à  mesure  qu'on  grave  des 
caractères  plus  fins  et  aboutir,  par  transitions  insensibles, 
aux  types  modernes,  seuls  convenables  pour  les  impressions 
très  fines.  La  preuve  de  ces  assertions  repose  sur  des  expé- 
riences qui  ont  été  décrites  plus  haut  (Chap.  X). 

Dans  la  suite  de  cetteétude,  nous  aurons  souvent  à  compa- 
rer la  lisibilité  de  différents  caractères.  Le  moyen  le  plus 
simple  d'effectuer  cette  comparaison  consiste  à  s'éloigner 
graduellement  de  la  page  imprimée,  posée  verticalement  :  le 
caractère  le  plus  net  est  celui  qui  reste  le  plus  longtemps 
lisible.  Ce  procédé  a  soulevé  quelques  objections.  Une  ma- 
nière de  faire  qui  est  à  l'abri  de  tout  reproche  consiste  à  con- 
fier l'expérience  tantôt  à  un  myope,  qui  devra  se  tenir 
un  peu  au  delà  de  la  distance  où  il  voit  distinctement,  tantôt 
à  un  presbyte,  qui  regardera  sans  verres  ou  avec  des  verres 
correcteurs  insuffisants  :  les  résultats  obtenus  sont  générale- 
ment concordants  avec  ceux  que  donne  le  procédé  indiqué 
en  premier  lieu.  On  peut  aussi  se  rendre  artificiellement 
myope  ou  presbyte  au  moyen  de  verres  appropriés.  Enfin, 
on  peut  lire  à  la  lueur  d'une  source  lumineuse  quelconque, 
dont  on  s'éloigne  graduellement  avec  le  livre  pour  diminuer 
successivement  l'éclairage,  jusqu'au  moment  où  l'un  des 
caractères  à  comparer  cesse  d'être  lisible.  Ce  dernier  moyen 
donne  des  résultats  notablement  différents,  car  il  avan- 
tage tout  particulièrement  les  caractères  gras.  Il  importe  de 
l'appliquer  pour  les  livres  classiques  destinés  aux  jeunes 
enfants,  qui  ne  sont  presque  jamais  ni  myopes,  ni  presbytes  et 
qu'on  force  souvent  à  lire  dans  des  locaux  mal  éclairés, 
tandis  que  le  second  moyen  se  recommande  par  lui-même 
aux  éditeurs  de  journaux,  puisque  les  journaux  doivent  être 
lisibles  même  pour  les  adultes  dont  la  vue  est  défectueuse. 

Pour  terminer  ce  paragraphe,  nous  répétons  successive- 
ment cet  alinéa  en  caractères  de  la  Revue  où  cette  étude 
a  paru  en  1881,  en  caractères  extrêmement  grêles  et  en 


206  TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

caractères  de  M.  Motteroz,  qui  a  eu  l'excellente  idée  d'amé- 
liorer les  caractères  modernes  en  réduisant  la  longueur  des 
déliés. 

Pour  terminer  ce  paragraphe,  nous  répétons  successive- 
ment cet  alinéa  en  caractères  de  la  Revue,  en  caractères 
extrêmement  grêles  et  en  caractères  de  M.  Motteroz,  qui 
a  eu  l'excellente  idée  d'améliorer  les  caractères  modernes 
en  réduisant  la  longueur  des  déliés. 

Pour  terminer  ce  paragraphe,  nous  répétons  successivement 
cet  alinéa  en  caractères  de  la  Revue,  en  caractères  extrême- 
ment grêles  et  en  caractères  de  M.  Motteroz,  qui  a  eu  l'excel- 
lente idée  d'améliorer  les  caractères  modernes  en  réduisant  la 
longueur  des  déliés. 

Pour  terminer  ce  paragraphe,  nous  répétons  successi- 
vement cet  alinéa  en  caractères  de  la  Revue,  en-caractères 
extrêmement  grêles  et  en  caractères  de  M.  Motteroz,  qui 
a  eu  l'excellente  idée  d'améliorer  les  caractères  modernes 
en  réduisant  la  longueur  des  déliés. 

Fig.  53. 

On  voit  par  le  premier  des  trois  groupes  de  la  figure  ci- 
dessus  comment  les  choses  ont  évolué  depuis  1881,  car  je  ne 
crois  pas  que  personne  aurait  actuellement  l'idée  de  choisir 
pour  imprimer  une  Revue,  ce  caractère  huit  genre  anglais 
interligné  de  trois  points. 

DES  EMPATEMENTS. 

Pour  compléter  le  dessin  des  caractères  typographiques, 
il  nous  reste  à  parler  des  traits  terminaux  ou  empâtements 
qui  terminent  les  jambages.  Ces  parties  secondaires,  qui  cor- 
respondent aux  apices  des  anciens  Romains,  ne  nous  parais- 
sent pas  avoir  simplement  un  but  d'ornement,  ni  résulter 
uniquement  de  la  tradition.  Il  nous  semble,  au  contraire,  que 
les  empâtements,  qui  apparaissent  en  Angleterre  dès  le  vne 
siècle,  ont  été  employés  par  les  calligraphes  italiens,  imités 
vers  1470,  par  les  typographes  établis  à  Subiaco,  à  Venise  et 


XVII.  — 


TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


207 


à  Paris,  et  conservés  jusqu'à  nos  jours,  pour  augmenter  la 
lisibilité  des  caractères. 

En  effet,  un  jambage  de  lettre  n'est  autre  chose  qu'un  rec- 
tangle noir  tracé  sur  fond  blanc.  Or  tous  les  physiciens 
savent  qu'un  pareil  rectangle,  vu  de  loin,  ne  paraît  pas  pré- 
cisément tel  qu'il  est  ;  l'irradiation  a  pour  effet,  non  seule- 
ment d'en  réduire  les  dimensions  apparentes,  mais  encore 
d'en  arrondir  les  angles.  Les  choses  se  passent  évidemment 
de  même  pour  un  rectangle  de  petite  dimension,  vu  à  la  dis- 
tance la  plus  courte  de  la  vision  distincte.  Si  nous  voulons 
que  les  jambages  nous  paraissent  terminés  bien  carré- 
ment, il  faut  renforcer  les  angles.  De  là  à  les  renforcer  plus 
qu'il  n'est  nécessaire,  il  n'y  avait  qu'un  pas  ;  il  avait  déjà  été 
franchi  par  les  capitales  lombardes  dont  voici  un  spécimen 
(Fig.  54-),  emprunté  à  la  Paléographie  universelle  de  Sil- 
vestre;  il  l'a  été  aussi  par  les  calligraphes,  qui  ne  pouvaient 
pas  faire  les  traits  terminaux  aussi  petits  qu'il  eût  été  désira- 
ble. De  plus,  ne  pouvant  s'attarder  à  leur  donner  la  forme 
compliquée,  demandée  par  une  théorie  dont  ils  n'avaient  même 
pas  nettement  conscience,  les  écrivains  se  bornaient  à  faire 
des  traits  droits,  obliques  dans  le  haut  des  lettres, pour  la  facili- 

Fig.  54. 

té  de  l'exécution,  horizontaux  dans  le  bas,  où  des  traits  obli- 
ques eussent  été  trop  choquants,  l'empâtement  du  bas  for- 
mant, pour  ainsi  dire,  un  socle  sur  lequel  paraît  reposer  la 
lettre  (1). 

(1)  Le  Grec  archaïque  de  sept  points  n°2,  du  spécimen  de  1845  de  l'Im- 
primerie Nationale,  nous  donne  une  autre  solution  du  problème. 

Les  types  de  ces  deux  corps,  qui  servent  à  reproduire  les  inscriptions 
du  siècle  d'Auguste,  ont  été  gravés  par  Léger  Didot,  pour  M.  le  comte  de 
Clarac,  qui  les  a  cédés  en  1844  à  l'Imprimerie  Royale. 

{Voir  Fig.  55),  le  spécimen  de  1878,  de  Clarac,  Musée  de  sculpture 
antique  et  moderne,  in-8°,  1826-1855  : 

AnEÀABHN  EH  ISHANIAS  KAI  TAAATIAS  KAI  PIA 
PAAAA/AATJXN    PI AP0DY  STPÎ^NSTP ATE YM A 
Fig.  55. 


208         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Cependant,  vers  la  fin  du  xve  ou  le  commencement  du 
xvie  siècle,  nous  voyons  apparaître  des  empâtements  assez 
conformes  à  la  théorie,  légèrement  triangulaires,  qui  ont  été 
conservés  avec  un  peu  d'altération  par  Garamond  (Voir 
plus  haut,  page  21,  spécimen  des  caractères  de  Garamond)  et 
par  conséquent,  dans  les  éditions  des  Elzevier.  Nous  avons  eu 
occasion  de  voir,  à  la  vente  des  autographes  de  feu  M.  Tau- 
pier,  professeur  d'écriture,  un  étonnant  manuscrit  de  Barbe- 
dor,  illustre  calligraphe  du  xvne  siècle,  où  les  traits  infé- 
rieurs des  lettres,  vus  à  la  loupe,  offraient  des  empâtements 
de  la  meilleure  forme. 

Dans  l'important  travail  que  nous  avons  déjà  cité,  Jau- 
geon  dessinait  des  empâtements  d'une  extrême  élégance 
(Voir  les  Fig.  7  et  S,  pages  22  et  23). 

Malheureusement  Grandjean,  malgré  ses  relations  quoti- 
diennes avec  Jaugeon,  donna  une  forme  trop  droite  aux 
empâtements  qui,  chez  Luce,  deviennent  de  véritables  traits 
terminaux,  tels  qu'on  les  emploie  en  France  depuis  plus  de 
cent  ans.  Ces  empâtements  ont  le  double  défaut  d'être  abso- 
lument droits  et  beaucoup  trop  longs.  Cette  exagération  de 
longueur,  contraire  à  toute  raison,  a  eu  pour  conséquence 
une  exagération  de  finesse,  car,  lorsque  les  traits  termi- 
naux d'un  n,  par  exemple,  se  touchent  presque  par  le  bas, 
ce  qui  risque  de  le  faire  confondre  avec  un  u,  il  faut 
amincir  ces  traits  au  point  de  les  rendre  presque  invisibles 
(Voir  plus  haut,  page  24,  le  fac-similé  des  caractères  de 
Grandjean). 

Indépendamment  des  inconvénients  théoriques  signalés 
plus  haut,  les  empâtements  droits,  longs  et  minces,  devenus 
classiques  en  France,  ont  le  défaut  de  pécher  par  une 
extrême  fragilité  ;  pour  empêcher  les  empâtements  de  se  bri- 
ser, lorsque  les  lettres  tombent  dans  les  casses  pendant  la 
distribution,  ou  sous  la  pince  du  corrigeur,  ou  bien  enfin 
pendant  le  tirage,  il  convient  d'augmenter  leur  épaisseur, 
et  cela  oblige  à  en  diminuer  la  longueur  pour  qu'ils  n'ac- 
quièrent pas  une  importance  exagérée.  De  plus,  le  point  de 
rupture  naturelle  se  trouvant  à  l'angle  formé  par  le  jambage 
et  le  trait  terminal,  il  est  tout  indiqué  de  renforcer  cet  an- 
gle en  l'arrondissant.  Par  une  heureuse  coïncidence,  ces 
considérations,  déduites  uniquement  du  besoin  de  solidité, 
nous  conduisent  à  des  formes  analogues  à  celles  qui  con- 


XVII.           TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


209 


viennent  pour  combattre  les  effets  de  l'irradiation  (1). 

Il  est  à  remarquer  que  les  graveurs  ont  senti  instinctive- 
ment tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  et  que,  s'ils  se  sont 
beaucoup  éloignés  des  vrais  principes  lorsqu'ils  ont  gravé 
des  caractères  de  grande  dimension,  ils  s'en  sont,  au  con- 
traire, toujours  rapprochés  lorsqu'ils  ont  produit  des  carac- 
tères de  très  petite  dimension,  pour  lesquels  la  question  de  la 
lisibilité  primait  celle  de  l'élégance.  Regardez,  par  exemple, 
à  la  loupe,  des  caractères  très  fins,  tels  que  le  4  (Perle)  du  spé- 


cimen publié  en  1845  par  l'Imprimerie  royale,  ou  la  nonpa- 
reille  de  Luce  (Fig.  56):  ces  caractères  se  distinguent  de  ceux 
de  plus  grande  dimension,  gravés  par  la  même  main,  par  une 
brièveté  extrême  des  empâtements,  condition  nécessaire  pour 
la  lisibilité  de  caractères  aussi  petits.  Bien  plus,  les  empâte- 
ments du  4  de  l'Imprimerie  royale,  seuls  de  toute  la  série  de 
1845,  présentent  une  forme  légèrement  triangulaire. 

Les  Anglais  emploient,  comme  nous,  des  traits  terminaux 
trop  longs,  mais  l'angle  compris  entre  le  trait  terminal  et  le 
jambage  de  la  lettre  est  toujours  arrondi  ;  ne  faut-il  pas  attri- 
buer à  cette  disposition  une  partie  de  la  supériorité  des 
impressions  anglaises  et  américaines  sur  les  nôtres  ?  Il  s'agit 
d'un  détail  tellement  minime  que  le  lecteur  ne  se  sera  sans 
doute  pas  aperçu  que  les  caractères  du  présent  volume  ont 
les  empâtements  assez  analogues  à  ceux  des  caractères 
anglais.  Dans  la  figure  qui  suit,  nous  donnons  successive- 
ment deux  phrases  :  la  première  avec  l'aspect  que  présentait 
la   typographie  de  la  Revue  Scientifique,  et  la  deuxième  en 

(1)  Je  répète  ici  cette  théorie  des  empâtements  telle  que  je  l'avais  ex- 
posée en  1879,  parce  qu'il  existe  encore  des  fondeurs  qui  n'en  ont  pas 
tenu  compte. 

javal.  14 


PERLE. 


traditions  presque  toujours  confuses  ou  défigurées  par  des  fables.  Un  petit  nombre 
riches  pour  se  procurer  des  copies  ,  faites  avec  beaucoup  de  peine  et  de  temps, 
que  les  anciens  nous  avaient  laissés  ;   ces  copies  elles-mêmes  étaient  rarement  eia 


Fig.  56. 


210         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

caractères  genre  français  sans  empâtements,  toutes  deux  en 
huit  interligné  de  trois  points. 

Il  s'agit  d'un  détail  tellement  minime  que  le  lecteur  ne  se 
sera  sans  doute  pas  aperçu  que  la  Revue  est  imprimée  en 
caractères  de  genre  anglais  :  il  faut  prendre  une  loupe  pour 
s'en  assurer,  mais  l'effet  produit  n'en  est  pas  moins  incon- 
testable. 

Pour  faciliter  la  comparaison,  le  présent  alinéa  est  imprimé 
en  caractères  de  genre  français. 

Fig.  5  7. 

Quant  à  la  comparaison  entre  les  caractères  des  deux 
alinéas  de  la  figure  précédente,  elle  ne  peut  se  faire  utile- 
ment, sous  le  rapport  de  la  lisibilité,  car  les  caractères  du 
genre  français  dont  nous  avons  pu  disposer  sont  un  peu  plus 
maigres  et  d'un  dessin  différent. 

De  tout  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  forme  plus  correcte 
de  leurs  empâtements  justifie  la  faveur  croissante  dont  les 
caractères  anglais  sont  l'objet,  et  doit  être  l'une  des  causes  du 
retour  aux  caractères  elzéviriens  qui,  sous  ce  rapport,  —  le  pré- 
sent spécimen  permet  de  s'en  convaincre,  —  sont  manifeste- 
ment supérieurs  aux  caractères  anglais. 

Les  caractères  employés  pour  le  présent  livre  sont  préfé- 
rables aux  elzéviriens  ;  qu'on  s'éloigne  de  la  page  et  on 
constatera  que  leur  lisibilité  est  encore  supérieure  à  celle  des 
elzéviriens  dont  il  vient  d'être  donné  un  spécimen. 

Pour  conclure,  nous  proposons  l'adoption  d'un  empâte- 
ment arrondi,  analogue  à  ceux  dessinés  par  Jaugeon,  plus 
court  encore  qu'aucun  de  ceux  adoptés  jusqu'à  ce  jour.  Nous 
y  trouverons  l'avantage  d'une  plus  grande  netteté,  surtout 
pour  les  très  petits  caractères,  dont  l'empâtement,  visible 
seulement  à  la  loupe,  aura  pour  seul  effet  d'augmenter  la  lisi- 
bilité ;  pour  les  caractères  plus  grands,  où  la  forme  de  l'em- 
pâtement sera  visible,  nous  nous  rapprocherons  des  types 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


211 


dessinés  par  Jaugeon  pour  l'Imprimerie  royale,  types  qui 
n'ont  jamais  été  exécutés,  et  qui  nous  paraissent  réunir  à  la 
fois  les  meilleures  conditions  d'élégance,  de  solidité  et  de 
visibilité. 

Bien  entendu,  pour  le  haut  des  lettres,  nous  rejetons  la 
coupe  oblique,  dont  la  raison  d'être,  purement  traditionnelle, 
ne  saurait  être  d'aucun  poids. 

Enfin,  mais  sans  insister  sur  ce  point  controversable,  nous 
pensons  que  les  empâtements  du  haut  devraient  être  symé- 
triques par  rapport  aux  jambages,  comme  ceux  du  bas.  Alors 
un  u  prendrait  la  figure  u  analogue  à  celle  d'un  n  retourné. 
Nous  ne  laisserions  le  trait  terminal  sur  le  côté  gauche  qu'à 
l'I,  pour  qu'on  puisse  le  distinguer  de  l'I,  et  au  premier 
jambage  des  lettres  m  n  p  et  r,  où  sa  prolongation  à  droite 
produirait  de  la  confusion. 

DE  L'APPROCHE  ET  DE  L'iNTERLIGNE. 

Occupons-nous  maintenant  de  la  distance  respective  des 
lettres  :  elle  joue  un  certain  rôle  dans  leur  visibilité. 

Pour  s'en  assurer  il  suffit  de  s'éloigner  de 
cette  page,  posée  verticalement  :  on  s'apercevra 
aisément  que  le  présent  passage,  où  l'on  a  inter- 
calé des  espaces  fines  entre  toutes  les  lettres,  est 
plus  lisible  que  le  reste. 

Or,  Fournier  voulait  que  l'écart  des  lettres  fût  un  peu 
moindre  que  celui  des  jambages  de  l'm,  et  Laboulaye 
propose  de  prendre  l'écart  égal  à  celui  des  jambages  de  l'n, 
où  il  est  plus  grand  que  dans  l'm  ;  alors  la  distance  des 
lettres  n'étant  remplie  que  par  du  blanc,  paraîtra  quelque 
peu  plus  grande  que  celle  qui  sépare  les  jambages.  D'autre 
part,  tous  les  typographes  veulent  que  les  lettres  arrondies 
telles  que  l'o,  l'e,  etc.,  portent  sur  les  côtés  un  peu  moins 
de  blanc  que  les  lettres  droites,  telles  que  m  ou  n,  car  deux 
o,  par  exemple,  paraîtraient  plus  distants  que  deux  n  si  leur 
distance  réelle  n'était  pas  un  peu  moindre. 

L'expérience  qu'on  vient  de  faire  nous  paraît  démonstra- 
tive, et  la  lisibilité  remarquable  des  livres  anglais  nous 


212         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

paraît  tenir  en  partie  à  l'extrême  brièveté  de  la  plupart  des 
mots  de  cette  langue,  qui  a  pour  effet  de  multiplier  les 
blancs.  Aussi  n'hésitons-nous  pas  à  préférer  la  règle  de 
Laboulaye  à  celle  de  Fournier  ;  nous  irions  même  volontiers 
!  un  peu  au  delà  et  nous  voudrions  que  les  lettres  droites  por- 
tassent un  peu  plus  de  blanc  que  ne  le  demande  Laboulaye. 
Les  typographes  pousseront  les  hauts  cris,  car  cela  diminuera 
l'uniformité  d'aspect  si  traditionnelle,  mais  si  contraire  à  la 
logique,  et  les  bibliophiles  nous  pardonneront  en  faveur  des 
belles  éditions  du  temps  passé,  qui  doivent  une  partie  de 
leur  lisibilité  à  ce  qu'on  n'avait  pas  encore  uniformisé  autant 
l'aspect  des  lettres  et  la  valeur  de  l'approche. 

Quant  à  l'interlignage,  il  suffit  de  renouveler  avec  le  pré- 
sent alinéa  l'expérience  de  tout  à  l'heure  pour  s'assurer  que 
la  suppression  totale  des  interlignes,  dont  l'effet  est 
déplaisant,  ne  diminue  pas  la  lisibilité.  Les  lettres 
telles  qu'elles  sortent  de  chez  le  fondeur  portent  par 
le  haut  et  par  le  bas  beaucoup  plus  de  blanc  que  par 
le  côté  ;  le  raisonnement  faisait  donc  parfaitement  prévoir 
que  l'interlignage  est  un  pur  luxe,  auquel  on  aurait  bien  tort 
de  renoncer  quand  la  question  de  dépense  n'intervient  pas. 
Nous  sommes  surpris  que  M.  Hermann  Cohn  n'accepte  pas 
un  résultat  que  la  théorie  et  l'expérience  s'accordent  à 
démontrer.  Il  faut  réserver  l'interlignage  et  les  grandes 
marges  pour  les  livres  soignés  ;  la  librairie  et  le  journal  à 
bon  marché  feront  mieux  de  recourir  à  des  caractères  plus 
gros  que  de  compenser  la  dépense  du  papier  occupé  par  les 
interlignes  en  employant  des  caractères  trop  fins.  C'est 
d'ailleurs  ce  qu'ont  parfaitement  compris  les  éditeurs  de 
journaux  français;  ceux  qui  savent  leur  métier  n'emploient 
jamais  d'interlignes.  —  Nous  aurons  d'ailleurs  à  revenir  sur 
cette  question. 

THÉORIE  DES  IMPRESSIONS  COMPACTES. 

Après  avoir  étudié  le  dessin  des  caractères  et  posé  des 
règles  relatives  aux  empâtements,  à  l'espace  et  aux  interli- 
gnes, nous  devons  aborder  la  question,  bien  autrement 
importante,  des  proportions  à  donner  aux  caractères  d'im- 
pression, c'est-à-dire  des  dimensions  relatives  de  leurs  par- 
ties constituantes. 


XVII.           TYPOGRAPHIE  COMPACTE.  213 

Le  plus  simple  nous  paraît  être  d'adopter,  pour  unité  de 
mesure,  le  point  typographique.  Le  point  de  l'Imprimerie 
nationale  mesure  0mm,40.  Certaines  imprimeries  se  servent 
encore  du  point  Fournier,  de  0mm,35,  qui  date  du  siècle 
dernier.  A  Paris,  on  emploie  généralement  le  point  de 
Didot,  un  peu  plus  récent,  qui  est  précisément  le  sixième 
d'une  ligne  de  pied  de  roi,  soit  0mm,376;  il  faut  27  points 
Didot  pour  faire  un  centimètre. 

Voici  le  tableau  de  correspondance  entre  les  points  de 
0mm,40  et  les  anciennes  désignations  : 


Nombre 

Nombre 

de  points. 

Dénomination. 

de  points. 

Dénomination. 

3  .    .  . 

Diamant. 

18  .  . 

Gros  romain. 

4  .    .  . 

.  Perle. 

20  .  . 

Petit  parangon. 

5  .    .  . 

Parisienne. 

24  .  . 

Palestine. 

6  .    .  . 

Nonpareille. 

28  .  . 

■Petit  canon. 

7  .    .  . 

.  Mignonne. 

36  .  . 

Trismégiste. 

7  1/2.  . 

.    Petit  texte. 

44-48  . 

Gros  canon. 

8  .    .  . 

Gaillarde. 

56  .  . 

Double  canon. 

9  .    .  . 

.    Petit  romain. 

72  .  . 

Double  Trismégiste. 

10.,/.  . 

Philosophie. 

88  .  . 

Triple  canon. 

11  .    .  . 

.  Cicéro. 

96  .    .  . 

Grosse  nonpareille. 

12,  13.  , 

.    Saint-  Augustin . 

100  .  . 

Moyenne  de  fonte. 

14,  15,  16 

.    Gros  texte. 

Soit  dit  en  passant,  le  cicéro,  mesuré  ici  par  11  points  de 
l'Imprimerie  nationale,  mesure  12  points  usuels  de  0mm376. 

J'ai  fait  établir  en  matière  transparente  par  M.  Cornet, 
opticien,  66,  rue  de  Rennes,  un  petit  lignomètre  dont  l'ap- 
parence est  reproduite  ci-après  (Fig.  58). 

On  a  ajouté  le  long  du  bord  supérieur  une  graduation  en 
centimètres  et  en  millimètres,  et  le  long  du  bord  inférieur 
une  graduation  en  pouces  (du  pied  de  Paris),  lignes  et  points  ; 
ces  derniers  sont  les  points  typographiques  Didot  usités  en 
France. 

Lorsque  les  caractères  n'ont  pas  de  talus,  c'est-à-dire  que 
les  lettres  longues  occupent  en  hauteur  toute  la  surface 
disponible   sur  le  petit   rectangle   qui   constitue  chaque 


I 


214         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

caractère,  la  dimension  du  caractère  est  donnée  par  la  dis- 
tance qui  sépare  l'alignement  supérieur  et  l'alignement  infé- 
rieur des  lettres  longues. 


Les  plaquettes  de  métal  qui  servent  à  interligner  le  présent 
livre  mesurent  un  point;  nous  les  avons  fait  enlever  à  partir 
du  commencement  de  cet  alinéa  qui,  par  suite,  se  trouve 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


215 


composé  en  neuf  plein,  ainsi  qu'on  peut  s'en  assurer  par  la 
coïncidence  de  la  typographie,  ligne  pour  ligne,  avec 
l'échelle  neuf  d'un  lignomètre  quelconque.  Si  nous  plaçons 
une  série  de  lettres  longues,  telles  que  p,  q,  g,  y,  ue  sorte 
qu'une  série  d'autres  longues,  comme  b,  d,  h,  1,  viennent 
se  placer  exactement  au-dessous,  on  voit  que  ces  lettres  se 
touchent  presque,  ce  qui  produirait  un  effet  extrêmement 
désagréable  dans  les  impressions  non  interlignées,  si  les 
coïncidences  de  ce  genre  se  produisaient  fréquemment.  Dans 
l'exemple  actuel,  le  talus  est  assez  faible  ;  le  plus  souvent, 
dans  les  caractères  compacts,  le  talus  est  à  peu  près  nul. 

Le  passage  plein,  c'est-à-dire  non  interligné,  qu'on  vient  de 
lire,  permet  de  mesurer  (sans  lignomètre)  à  l'œil  nu  la  poin- 
ture du  caractère  employé  ;  en  effet,  dix  lignes  de  ce  carac- 
tère mesurant  33  millimètres  84,  une  ligne  mesure  3  milli- 
mètres 38;  en  divisant  par  0,376,  il  vient  9.  Nous  avons  donc 
affaire  à  du  neuf. 

Nous  allons,  chemin  faisant,  donner  quelques  exemples 
des  caractères  le  plus  habituellement  employés. 

Les  lettres  de  cinq  points,  dont  cette  ligne  est  un  exemple,  sont  difficilement  lisibles. 

Les  caractères  de  six  points,  de  deux  millimètres  et  trois  dixièmes  de  hauteur, 
ne  sont  pas  facilement  acceptés,  bien  qu'ils  soient  parfaitement  lisibles  pour  un 
vue  passable,  comme  le  lecteur  vient  de  s'en  convaincre. 

Le  sept  même  n'est  pas  d'une  lecture  agréable  à  la  longue,  et  il  est  rare- 
ment employé  par  les  éditeurs  français. 

Le  huit  est  acceptable  pour  des  livres  de  petit  format,  et  on 
le  rencontre  très  fréquemment. 

Cependant,  en  France,  c'est  le  neuf  qui  est  le  plus  em- 
ployé pour  les  livres  et  pour  les  articles  de  fond  des  jour- 
naux ;  rappelons  que  sa  hauteur  est  de  0,38  X  9=»  3,4  mil- 
limètres. Le  présent  livre  est  imprimé  en  neuf. 

Enfin,  le  dix  sert  pour  les  premier  Paris  des  jour- 
naux, pour  les  beaux  livres  de  grand  format  ;  les 
caractères  plus  grands  n'ont,  en  réalité,  aucun 
avantage. 

Dans  les  journaux  français,  on  emploie  habituellement  du  7, 


216         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

du  8,  du  9  et  du  10.  Les  annonces  étant  payées  d'après  la 
place  qu'elles  occupent,  si  le  public  consentait  à  lire  du  6,  les 
industriels  en  feraient  usage  ;  mais  l'expérience  leur  a  appris 
à  ne  pas  prendre  de  caractère  inférieur  au  7. 

Dans  les  imprimeries  bien  montées,  on  n'emploie  dans  un 
même  ouvrage  que  des  caractères  de  même  famille;  en  d'autres 
termes,  si  l'on  imprime,  par  exemple,  un  livre  en  9,  certaines 
intercalations  en  8  et  les  notes  en  7,  ces  trois  caractères  doi- 
vent être  analogues.  Nous  raisonnerons  tout  d'abord,  dans 
ce  qui  suit,  comme  si  les  caractères  d'une  même  famille 
étaient  exactement  des  réductions  photographiques  d'un 
même  type. 

La  question  des  dimensions  à  donner  aux  lettres  s'est 
posée  dès  l'invention  delà  typographie.  Depuis  cette  époque, 
la  lettre  manuscrite  et  la  lettre  moulée,  absolument  identi- 
ques au  début,  ont  suivi  deux  voies  divergentes.  Les  pre- 
miers livres  de  Gutenberg  furent  vendus  pour  des  manus- 
crits; qui  donc,  aujourd'hui,  confondrait  une  page  imprimée 
avec  une  page  écrite  à  la  main  ? 

Nous  l'avons  vu,  le  bon  marché  du  papier  et  le  besoin  de 
faire  vite  ont  donné  à  notre  écriture  son  aspect  lancé;  en 
même  temps,  pour  une  raison  opposée,  les  caractères  typo- 
graphiques ont  dû  se  tasser,  car  la  dépense  du  papier,  pour 
l'éditeur,  se  multiplie  par  le  chiffre  du  tirage. 

De  quelle  manière  ce  tassement  s'est-il  opéré  depuis  plus 
de  quatre  siècles  ?  Les  procédés  employés  pour  ménager 
l'espace  sont-ils  susceptibles  d'amélioration  ? 

Il  est  clair  que  si  le  papier  ne  coûtait  rien,  cette  question 
perdrait  beaucoup  de  son  intérêt  ;  on  mettrait  de  larges  in- 
terlignes, et  on  espacerait  amplement  les  lettres,  qu'on  ferait 
suffisamment  grosses  pour  être  bien  lisibles  et  auxquelles  on 
donnerait  les  dimensions  classiques.  Appelant  corps  la  hau- 
teur des  lettres  courtes,  on  laisserait,  comme  au  siècle  der- 
nier, les  lettres  longues  dépasser  d'un  corps  par  en  haut  et 
par  en  bas  :  il  n'est  pas  difficile  de  faire  «  bonne  chère  avec 
beaucoup  d'argent  ». 

Mais  pour  les  manuels  et  les  dictionnaires  qui  doivent 
être  portatifs,  pour  les  journaux  à  grand  tirage  et  pour  les 
livres  classiques,  les  livres  primaires  surtout,  il  est  impos- 
sible de  conseiller  une  solution  qui  n'économiserait  pas  le 
papier,  car  le  public  ne  consentant  pas  à  une  augmentation 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


217 


de  prix,  les  éditeurs  ne  sauraient  l'adopter.  Nous  devons 
donc  chercher  à  améliorer  la  lisibilité  sans  diminuer  le  nombre 
de  lettres  contenues  dans  la  page. 

Il  existe  cinq  moyens  principaux  d'augmenter  la  quantité 
de  matière  contenue  dans  une  page  de  dimension  donnée,  à 
savoir  :  1°  supprimer  les  interlignes  ;  2°  diminuer  l'approche  ; 
3°  aplatir  les  caractères  pour  en  faire  tenir  un  plus  grand 
nombre  dans  une  ligne  ;  4°  avoir  recours  à  une  pointure  plus 
faible,  et  5°  diminuer  la  saillie  des  lettres  longues. 

Le  premier  de  ces  moyens  a  été  employé  constamment 
depuis  les  premiers  temps  de  l'imprimerie.  En  effet,  comme 
on  a  pu  s'en  assurer  en  regardant  les  exemples  intercalés  p.  212 
et  215,  la  suppression  de  l'interligne  ne  nuit  pas  à  la  lisibilité  ; 
l'interligne  doit  donc  rester  la  marque  distinctive  des  im- 
pressions de  luxe.  Rien  n'est  plus  absurde  que  d'employer 
des  caractères  fins  et  de  les  interligner;  mieux  vaut  se  servir 
de  caractères  de  dimension  raisonnable  et  supprimer  les 
interlignes,  bien  que  cela  présente  l'inconvénient  de  donner 
à  la  page  un  aspect  noir  et  lourd,  des  plus  désagréables. 
Pour  fixer  une  limite,  nous  dirons  qu'avec  les  caractères 
actuellement  usités,  nous  n'admettons  pas  l'usage  du  7  inter- 
ligné; il  vaut  mieux  prendre  du  8  plein. 

La  différence  de  hauteur  des  deux  colonnes  de  la  Fig.  59, 
qui  est  exactement  d'un  point  typographique,  est  mise  en 
évidence  par  la  dénivellation  des  deux  filets  qui  les  terminent. 


C'est  ainsi  que  de  ces  deux  colonnes, 
celle  de  gauche  est  en  cinq  interligné  de 
deux  points,  celle  de  droite  en  six  plein; 
on  voit  que  celle  de  droite  est  lisible  plus 
loin  que  celle  de  gauche  et  contient  la 
même  quantité  de  matière  en  occupant 
moins  de  place.  


C'est  ainsi  que  de  ces  deux  co- 
lonnes, celle  de  gauche  est  en  cinq 
interligné  de  deux  points,  celle  de 
droite  en  six  plein  ;  on  voit  que  celle 
de  droite  est  lisible  plus  loin  que 
celle  de  gauche  et  contient  la  même 
quantité  de  matière  en  occupant 
moins  de  place.  


Fig.  59. 


Le  second  moyen  d'augmenter  la  quantité  de  matière  est 
de  diminuer  l'approche.  Par  l'exemple  donné  plus  haut,  page 
211,  on  peut  voir  qu'il  y  aurait  plutôt  intérêt  à  augmenter  la 
distance  entre  les  lettres  :  les  imprimeurs  actuels  nous 
paraissent  avoir  un  peu  dépassé  les  limites  du  raisonnable 
en  diminuant  l'approche  comme  ils  l'ont  fait. 


218         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Le  troisième  moyen,  qui  consiste  à  donner  aux  caractères 
une  forme  étroite,  a  été  mis  en  usage  depuis  l'origine  de 
l'imprimerie.  C'est  même  à  leur  forme  étroite,  permettant 
de  faire  entrer  beaucoup  de  lettres  à  la  ligne,  que  les  carac- 
tères elzéviriens  doivent  leur  regain  de  popularité.  On  les 
emploie  souvent  pour  publier  des  vers,  car  leur  usage  donne 
le  moyen,  tout  en  conservant  un  petit  format,  tel  que  l'in-12 
ou  l'in-18,  de  se  servir  de  caractères  assez  grands  sans  que 
la  longueur  des  vers  dépasse  la  justification.  —  C'est  pour 
ce  motif  que  les  caractères  étroits  sont  souvent  désignés  par 
les  imprimeurs  sous  le  nom  de  poétiques. 

Depuis  Grandjean,  qui  avait  adopté  des  caractères  assez 
larges,  la  forme  des  caractères  a  été  en  se  rétrécissant  de 
plus  en  plus  ;  l'un  des  mérites  de  la  typographie  anglaise 
est  d'avoir  résisté  à  cette  tendance  et  d'avoir  eu  recours 
plutôt  à  la  diminution  de  hauteur  qu'à  la  diminution  de  lar- 
geur des  caractères. 

Il  faut  noter  cependant  qu'il  est  légitime  de  donner  aux 
caractères  une  forme  d'autant  plus  étroite  qu'ils  sont  plus 
grands  ;  pour  un  in-4°  imprimé  en  caractères  de  douze 
points,  nous  prendrions  volontiers  des  types  poétiques.  Le 
livre  étant  en  effet  destiné  à  être  mis  à  plat  sur  la  table,  la 
perspective  aura  pour  effet,  surtout  pour  le  haut  de  la  page, 
de  diminuer  en  apparence  la  dimension  verticale  des  lettres. 

Le  quatrième  moyen,  employé  par  les  imprimeurs  pour 
faire  tenir  beaucoup  de  matière  dans  un  petit  espace,  con- 
siste à  employer  des  caractères  plus  petits.  Tandis  qu'autre- 
fois le  cicéro,  qui  mesure  12  points  Didot,  était  usuel,  le  petit 
Romain  qui  correspond  à  notre  9  n'était  pas,  comme  son  nom 
le  prouve,  considéré  comme  un  gros  caractère  ;  on  a  réussi 
à  graversuccessivement  des  caractères  de  plusen  plus  petits, 
et  l'on  est  descendu  jusqu'à  la  mignonne,  la  nonpareille,  la 
perle  et  le  diamant,  qui  mesurent  respectivement  7,  6,  4  et  3 
points,  sans  descendre  au-dessous  de  la  limite  de  ce  qu'une 
bonne  vue  peut  aisément  distinguer. 

Il  est  à  remarquer  que  les  caractères  typographiques 
usuels  ne  nous  donnent  pas  le  spécimen  de  ce  que  produirait 
une  simple  diminution  de  grandeur  des  lettres.  En  effet  voici 
une  série  de  types  : 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


219 


14  abcdefghijklmnopqrsluvxyz 

13  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 
12  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 
11  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 
10  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

9  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

8  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

7  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

6  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

5  abcdefghijklmnopqrstuvxyz 

4  abcdÊfghijklmaopqrstuvxyi 
3 

2 

1 

0 

Fig.  60. 

On  voit  que  la  longueur  des  lignes  diminue  en  même 
temps  que  la  hauteur  des  lettres,  mais  que  la  diminution  de 
largeur  est  bien  plus  lente  que  celle  en  hauteur,  parce  que 
les  graveurs  ont  reconnu,  sans  bien  s'en  rendre  compte, 
que  la  diminution  de  lisibilité  est  attribuable  principalement  à 
la  diminution  de  largeur  des  lettres.  C'est  là  un  fait  capital 
que  nous  avons  signalé  depuis  longtemps. 

En  regardant  les  lettres  au  travers  d'un  système  de 
verres  cylindriques  qui  permet  de  les  faire  paraître  à  volonté 
plus  longues  ou  plus  larges,  ou  bien  en  comparant  des 
types  très  plats  avec  des  types  ordinaires  comptant  le 
même  nombre  de  lettres  à  la  ligne,  on  peut  contrôler  l'exac- 
titude de  notre  assertion,  établie  théoriquement,  d'après 
laquelle  la  lisibilité  des  caractères  dépend  beaucoup  plus  de 
leur  largeur  que  de  leur  longueur. 

Cette  vérification  peut  se  faire  plus  simplement  encore 


Pendant  le  Siège  de  Paris,  on  fabriqua,     Pendant  lesiège  de  Paris,  on  fabriqua,  Pendant  le  siège  de  Paris,  on  fabi 

pour  être  expédiées  par  ballons,  des  pour  être  expédiées  par  ballons,  des  pour  être  expédiées  par  ballons 

réductions  de  journaux  obtenues  par  réductions  de  journaux  obtenues  par  rédactions  de  journaux  obtenue! 

l'intermédiaire    de    la    photographie,  l'intermédiaire  de  la  photographie,  l'intermédiaire  de  la  photogra 

Naturellement,  ces  réductions  étaient  Naturellement,  ces  réductions  étaient  Naturellement,  ces  réductions  éi 

proportionnelles.                                  proportionnelles.  proportionnelles. 

Alors,  comme  maintenant,  les  carac-    Alors,  comme  maintenant,  les  carac-  Alors,  comme  maintenant,  les  c 

tères  de  sept  pointe,  analogues  à  ceux  tères  de  sept  point?,  analogues  à  ceux  tères  de  sept  point?,  analogues  à 

employés   pour   le   présent    exemple,  employés  pour  le  présent  exemple,  employés  pour  le  présent  exe 

étaient  les  plus  fins  dont  les  journaux  étaient  les  plus  fins  dont  les  journaux  étaient  les  plus  fins  dont  les  joui 

fissent  usage  et,  on  peut  voir,  à  l'angle  fissent  usage  et,  on  oeut  «voir,  à  l'angle  fissent  usage  et,  on  peut  voir,  à  1' 

inférieur  droit  de  la  présente  page,  ce  inférieur  droit  delà  présente  page,  ce  inférieur  droit  de  la  présente  pag 

que  devient  un  caractère  de  sept  points,  que  devient  un  caractère  de  sept  points,  que  devient  un  caractère  de  sept  pj 

réduit  à  moitié  à  la  fois  en  hauteur  et  réduit  à  moitié  à  la  fois  en  hauteur  et  réduit  à  moitié  à  la  fois  en  haute 

en  largeur.  Les  réductions  figurées  sur  en  largeur.  Les  réductions  figurées  sur  en  largeur.  Les  réductions  figurée) 

la  présente  page  ont  été  obtenues  au  la  présente  page  ont  été  obtenues  an  la  présente  page  ont  été  obtenu* 

moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été 

tout  à  l'heure,  ce  quia  permis  d'obtenir,  tout  à  l'heure,  ce  qui  a  permis  d'obtenir,,  tout  à  l'heure,  ce  qui  a  permis  d'obi 

outre  deux  réductions  proportionnelles,;  outre  deux  réductions  proportionnelles,  outre  deux  réductions  proportionn 

deux  épreuves  réduites  seulement  en.  deux  épreuves  réduites  seulement  en  deux  éprenvea  réduites  senlemen 

largeur,  deux  réduites  suivant  la  hau-  largeur,  deux  réduites  suivant  la  hau-  largeur,  deux  réduites  suivant  la 

teur,  et  enfin  deux  où  la  réduction  est  teur,  et  enfin  deux  où  la  réduction  est  teur,  et  enfin  deux  où  la  réductioi 

plus  forte  suivant  une  dimension  que*  plus  forte  suivant  une  dimension  que  plus  forte  suivant  nne  dimension 

suivant  l'autre,                                    suivant  l'autre.  isuivant l'autre. 

Pendant  le  siège  de  Paris,  on  fabriqua,      Pendant  le  Siège  de  Paris,  on  fabriqua,  Pendant  le  siège  de  Paris,  on  fabr 

pour   être   expédiées   par    ballons,    des  pour  être  expédiées  par  ballons,  des  pour  être  expédiées  par  ballons, 

réductions   de   journaux    obtenues    par  rédactions  de  journaux  obtenues  par  réductions  de  journani  obtenues 

l'intermédiaire     de     la      photographie,   l'intermédiaire    de    la    photographie,  l'intermédiaire  de  la  photogra] 

Naturellement,  ces    réductions   étaient  Naturellement,  ces  réductions  étaient  Naturellement,  ces  réductions  étj 

proportionnelles.                                              proportionnelles.  proportionnelles. 

Alors,  comme  maintenant,   les  carac-      Alors,  comme  maintenant,  les  carac-  Alors,  comme  maintenant,  les  ci 

tères  de  sept  point*»,   analogues  a  ceux  tères  de  sept  pointe,  analogues  à  Ceux  tères  de  sept  point?,  analogues  à 

employés    pour     le     présent     exemple,  employés   pour   le   présent   exemple,  employés  pour  le  présent  exei 

étaient  les  plus  fin6  dont  les  journaux  étaient  les  plus  fins  dont  les  journaux,  étaient  les  plus  fins  dont  les  jonn 

fissent  usage  et,  on  peut  voir,  a  l'angle  fissent  usage  et,  on  peut  voir,  à  l'angle  fissent  usage  et,  on  pent  voir,  à  l'a 

inférieur  droit  de  la  présente  page,  ce  inférieur  droit  delà  présente  page,  ce  inférieur  droit  de  la  présente  pag( 

'que' devient  un  caractère  de  sept  points,  que  devient  un  caractère  de  sept  points,  que  devient  on  caractère  de  sept  po 

réduit  à  moitié  à  la  fois  en    hauteur  et  réduit  à  moitié  à  la  fois  en  hauteur  et  réduit  à  moitié  à  la  fois  en  hantet 

en  largeur.  Les  réductions  figurées   sun  en  largeur.  Les  réductions  figurées  sur  en  largeur.  Les  réductions  figt 

la  présente    page    ont   été   obtenues  au  la  présente  page  ont  été  obtenues  au  la  présente  page  ont  été  obtenue* 

moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  f 

tout  à  l'heure,  ce  quia  permis  d'obtenir,  tout  à  l'heure,  ce  qui  a  permis  d'obtenir,  tout  à  l'heure,  ce  qui  a  permis  d'obti 

outre  deux  réductions  proportionnelles,  outre  deux  réductions  proportionnelles,  outre  deux  réductions  proportionne 

deux    épreuves   réduites    seulement    en  deux  épreuves  réduites  seulement  en  deux  épreuves  réduites  seulement 

largeur,  deux  réduites  suivant    la  hau-  largeur,  deux  réduites  suivant  la  hau-  largeur,  deux  réduites  suivant  la  1 

teur,  et  enfin  deux   où   la  réduction   est  teur,  et  enfin  deux  où  la  réduction  est  teor,  et  enfin  deux  où  la  réduction 

,plus    forte  suivant  une    dimension   que  plus  forte  suivant  une  dimension  que  plus  forte  suivant  uoe  dimension 

(suivant  l'autre.                                                 suivant  l'autre.  suivant  l'autre. 

Pendant  lo  siège  de  ParlB,  on  fabriqua,  Pendant  le  Biège  de  Parie,  on  fabriqua.      Pendant  lesiège  de  Pari»,  on  fabriq 

pour     être     expédiées     pav      ballons,     des  pour    être    expédiées   par    ballons,    des  pour  être  expédiées  par  ballons, 

réductions     de     journaux.      obtenues      par  réductions    de   journaux    obtenues    par  réductions  de  journaux  obtenues 

l'intermédiaire       de       la       photographie  .  '  l'intermédiaire     rte     la     photographie,  l'intermédiaire   rte   la  photograpl 

Naturellement,    ces      réductions    étaient  Naturellement,  ces    réductions  étaient  Naturellement,  ces  réductions  étai 

proportionnelles.  proportionnelles.  proportionnelles. 

.     A  lors,   comme    maintenant,    les   carac-  Alors,  comme  maintenant,   les  carac-      Alors,  comme  maintenant,  les 

téres  de   sept    point»,     analogues    a    ceux,  tères  de  sept  pointe,   analogues  a  ceux  tères  de  sept  point»,  analogues  a 

employés      pour      le      présent      exemple,  employés    pour    le    présent     exemple,  employés   pour   le   présent  exe 

étaient    les    plus    flns    dont   les    journaux  étaient  les  plus  fins  dont  les  journaux  étaient  les  plus  6ns  dont  les  jou 

fissent  usage   et,  on   peut   voir,   a    l'angle  fissent  usage  et,  on  peut  voir,  a  l'angle  fissent  osage  et.  on  peut  Toir,  a  1' 

intérieur   droit    de    la    présente    page,    ce  inférieur  droit   de  la  présente   page,  ce  inférieur  droit  de  la  présente  page, 

que  devient  un  caractère   de  sept   points  que  devient  un  caractère  de  sept  points;  que  devient  nn  caractère  de  sept  poil 

réduit  a   moitié    a    la   fois    en     hauteur   et  réduit  a  moitié  a   la  fois  en    hauteur  et  réduit  à  moitié  à  la  fois  en  hanteul 

en   largeur.    Les    réductions    figurées     sur  en  largeur    Les  réductions  figurées   sur  en  largeur.  Les  réductions  figurée» 

la    présente      page     ont     été     obtenues    au  la  présente    page    ont   été   obtenues  au  la  présente  page  ont  été  obtenues 

moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  du  caoutchouc,  dont  il  a  été  parlé  moyen  do  caoutchouc,  dont  il  a  é 

tout  à    l'heure,  ce   quia   permis  d'obtenir,  tout  a  l'heure,  ce  qui  a  permis  d'obtenir,  tout  à  l'heure,  ce  qui-a  permis  d' 

outre    deux    réductions    proportionnelles  outre  deux  réductions  proportionnelles,  outre  deux  réductions  proportionnel 

deux     épreuves     réduite»     seulement      en  deux    épreuves    réduites    seulement    en  deox  épreuves  rédoites  seulement' 

largeur,    deux    réduites    suivant     la    hau-  largeur,  deux   réduites  suivant    la  hau-  largeur,  deux  réduites  suivant  la 

tour,  et   enfin    deux     où    la    réduction     est.  teur,  et  enfin  deux    où   la  réduction   est  teur,  et  enfin  deux  où  la  réduction 

plus     forte    suivant    une     dimension    oue  nias    forte  suivant  une    dimension   que  nlns  forte  suivant  une  diroensioD 


Fig.  61. 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


221 


comme  suit  :  tenez  bien  verticalement  une  page  de  fine  im- 
pression à  la  distance  la  plus  grande  où  vous  puissiez  la 
lire  exactement  ;  puis  faites  tourner  la  page  de  45°  autour 
d'un  axe  vertical  :  vous  ne  pourrez  plus  lire  un  mot,  tandis 
qu'une  rotation  du  même  angle  autour  d'un  axe  horizontal 
ne  diminue  pas  notablement  la  facilité  de  lecture.  Par  cette 
simple  expérience,  on  démontre  bien  l'influence  prépondé- 
rante de  la  largeur  des  lettres  sur  leur  lisibilité. 

Nous  avons  fait  établir  la  Fig.  61  pour  mettre  en  lumière 
ce  qui  vient  d'être  exposé.  —  Par  un  procédé  mécanique 
(impression  sur  une  feuille  de  caoutchouc  tendue  dans  un 
cadre  dont  on  peut  réduire  à  volonté  la  largeur  ou  la  hau- 
teur), la  composition  typographique  reproduite  dans  l'angle 
supérieur  gauche,  a  été  réduite  de  huit  manières  différentes, 
à  savoir  deux  fois  en  largeur,  deux  fois  suivant  sa  hauteur, 
deux  fois  d'une  même  quantité  selon  ses  deux  dimensions, 
une  fois  en  largeur  plus  qu'en  hauteur  et  une  fois  en  hau- 
teur plus  qu'en  largeur.  On  voit  immédiatement,  si  l'on 
s'éloigne  de  la  figure,  que  la  réduction  en  largeur  nuit  bien 
plus  à  la  lisibilité  que  ne  fait  la  réduction  en  hauteur.  Il  est 
particulièrement  intéressant  de  comparer  les  trois  réductions 
situées  à  l'angle  supérieur  droit,  au  milieu,  et  à  l'angle  infé- 
rieur gauche,  car  elles  présentent  cette  particularité  que 
leurs  surfaces  sont  rigoureusement  égales,  à  savoir  la  moi- 
tié de  celles  du  texte  primitif. 

Les  lecteurs  qui  voudraient  comprendre  les  considéra- 
tions géométriques  qui  ont  servi  de  guide  à  la  construction 
de  cette  planche  devront  se  reporter  au  chapitre  de  l'acuité 
visuelle  où  ont  été  exposées  les  qualités  de  la  progression 

géométrique  y/2.  La  simple  inspection  de  la  figure  démontre 
l'exactitude  des  considérations  qui  viennent  d'être  exposées. 

Je  dois  d'autre  part  à  l'obligeance  de  la  maison  Deberny 
les  types  de  comparaison  qu'on  va  voir  (Fig.  62).  Les  mots 
'Le  Gouvernement...  etc.,  ont  été  composés  d'abord  en  carac- 
tères de  30  points  (Romain  N°  16  du  catalogue  Deberny);  il  en 
a  été  fait  une  réduction  au  sixième  et  enfin  les  mêmes  mots 
ont  été  composés  en  cinq  de  la  même  série  16.  —  On  voit 
bien  que  le  cinq  occupe  plus  de  largeur,  et  qu'il  est  beau- 
coup plus  lisible  que  la  réduction  photographique  (1). 

(1)  La  réduction  est  un  peu  moins  haute,  parce  que  le  30  avait  un 
talus  très  notable. 


222         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Dans  la  réduction  des  dimensions  des  caractères,  la  ques- 
tion des  tarifs  d'imprimerie  a  joué  un  rôle  important,  et  qui 

Le  gouvernement 

Le  gouvernement  le  plus  conforme  à  la  nature  est  celui  dont  la  disposition 
particulière  se  rapporte  mieux  a  la  disposition  du  peuple  pour  lequel  il  est  établi 


Le  gouvernement  le  plus  conforme  «1  la  nature  est  celui  dont  la  disposition 
particulière  se  rapporte  mieux  â  la  disposition  du  peuple  pour  lequel  il  est  établi. 

Fig.  62. 

nous  paraît  fâcheux.  On  sait,  en  effet,  que  les  compositeurs 
sont  payés  à  tant  le  mille  de  lettres,  mais  que  le  tarif  reçoit 
une  surcharge  quand  les  caractères  sont  plus  petits  que  le 
8  ;  cette  surcharge,  légère  pour  le  7,  devient  énorme  pour 
le  6  et  les  caractères  plus  petits.  Les  compositeurs  donnent 
pour  raison,  très  légitime,  de  cette  augmentation,  la  diffi- 
culté plus  grande  qu'ils  éprouvent  à  manier  les  petits  corps 
de  caractères.  Il  en  résulte  que  les  éditeurs  intelligents,  qui 
savent  se  mouvoirdans  les  limites  des  tarifs,  évitent  l'emploi 
du  7  et  surtout  du  6,  et  préfèrent  de  beaucoup  économiser 
la  place  en  prenant  des  caractères  étroits  plutôt  que  de 
recourir  à  des  lettres  d'un  point  inférieur. 

La  généralisation  du  travail  des  femmes  dans  les  impri- 
meries devra  modifier  cette  situation,  car  les  doigts  plus 
effilés  de  la  femme  lui  permettent  de  composer  en  6  aussi 
facilement  que  l'homme  en  7,  et  les  machines  à  composer, 
si  elles  finissent  par  entrer  définitivement  dans  la  pratique, 
permettront  sans  doute  de  faire  usage,  sans  surcharge  de 
prix,  des  caractères  les  plus  fins. 

S'il  en  est  ainsi,  nous  devons  nous  attendre  à  voir  se  géné- 
raliser, pour  les  ouvrages  à  grand  tirage,  l'emploi  de  carac- 
tères de  plus  en  plus  fins,  dont  on  augmentera  la  lisibilité 
par  tous  les  moyens  déjà  indiqués  plus  haut,  et  surtout  en 
leur  donnant  une  largeur  suffisante. 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


223 


Le  cinquième  des  moyens  énumérés  ci-dessus  pour 
réduire  l'espace  occupé  par  les  caractères  d'impres- 
sion consiste  à  raccourcir  les  lettres  longues  ;  on  obtient 
ainsi  dès  caractères  dits  compacts,  qui  sont  particu- 
lièrement employés  par  les  journaux.  —  Pendant  des  siè- 
cles, on  a  divisé  le  corps  de  la  lettre  en  trois  parties  égales: 
les  longues  dépassaient  en  haut  et  en  bas  d'une  quantité 
égale  à  la  hauteur  des  lettres  courtes.  Ce  principe  a  été  con- 
servé jusqu'à  nos  jours  par  l'Imprimerie  nationale,  qui  se 
sert  de  deux  types  :  gravure  cfticienne  (1825)  et  gravure  nou- 
velle (1847),  dus  tous  deux  à  Marcellin  Legrand  (Voir  plus 
haut  Fig.  il,  page  27).  Dans  la  gravure  ancienne,  les  courtes 
occupent  encore  précisément  le  tiers  de  la  hauteur  totale,  de 
sorte  que  le  petit  trait  caractéristique  des  1 1 1  de  cette  impri- 
merie, qui  est  sur  l'alignement  du  haut  des  lettres  courtes, 
se  trouve  exactement  à  la  moitié  de  la  hauteur  de  17.  Dans  la 
gravure  dite  nouvelle,  la  grandeur  relative  des  longues  est 
un  peu  moindre.  Mais  il  faut  remarquer  que  pour  la  dimi- 
nution des  lettres  longues  comme  pour  toutes  les  autres 
modifications,  l'Imprimerie  nationale  est  fortement  en  retard 
sur  la  mode  ;  cet  important  établissement  fait  preuve  d'un 
esprit  de  conservation  très  énergique  et  s'en  tient  aux  formes 
classiques. 

Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  un 
livre  moderne,  quel  qu'il  soit  :  les  longues  y  sont  bien  plus 
courtes  que  dans  les  types  de  l'Imprimerie  nationale,  à  tel 
point  qu'on  peut  considérer  comme  très  habituels  des  types 
où  les  longues  ne  dépassent  que  d'une  quantité  à  peine  supé- 
rieure à  la  moitié  de  la  hauteur  des  courtes  ;  c'est  ce  qui  a 
lieu  pour  le  présent  alinéa,  composé  avec  le  8  dont  nous  avons 
fait  usage  pour  les  citations  qu'on  a  rencontrées  de  place  en 
place  dans  ce  volume. 

Bien  plus,  dans  les  journaux  imprimés  en  caractères  tout 
à  fait  modernes,  il  arrive  que  les  longues  sont  raccourcies  à 
tel  point  que  l'espace  compris  entre  deux  lignes  successives 
est  plus  étroit  que  celui  occupé  par  les  lettres  courtes  de 
chaque  ligne.  Il  semblerait  donc  que  le  raccourcissement  des 
lettres  longues  eût  atteint  la  limite  du  possible. 

Il  n'en  est  rien  cependant,  car  on  peut  arriver  à  la  sup- 
pression totale  des  longues  inférieures,  sans  nuire  beaucoup 


224         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

à  la  lisibilité.—  C'est  ce  qui  a  été  fait,  en  1879,  par  la  Com- 
pagnie des  omnibus  de  Paris,  qui,  ayant  affermé  à  un  office 
de  publicité  la  place  qu'elle  consacrait  aux  indications  utiles 
au  public,  a  dû  reporter  la  nomenclature  des  itinéraires  sur 
une  bande  très  étroite,  située  le  long  des  pieds  des  voyageurs 
d'impériale.  L'amour  du  gain  rendant  industrieux,  la  Com- 
pagnie a  fait  remplacer  les  longues  inférieures  par  de  petites 
capitales,  comme  cela  est  fait  dans  l'alinéa  suivant. 

On  peut  remarQuer  Que  la  lisibilité  souffre  moins  de  cette 
substitution  Qu'on  ne  pourrait  le  croire  au  premier  abord, 
car,  ainsi  Que  nous  l'avons  déjà  fait  remarQuer  plus  haut, 
les  lonGues  inférieures  se  présentent  environ  sept  fois  moins 
souvent  Que  les  lonoues  supérieures. 

La  FaciLiTÉ  De  LecTure  souFFre  DavanTaGe  par  La  substi- 
Timon  De  peTiTes  caprraLes  aux  Longues  supÉrieures. 

L'artifice  employé  par  la  Compagnie  des  omnibus,  quel- 
que ingénieux  qu'il  paraisse,  ne  nous  semble  pas  devoir  être 
adopté  pour  l'impression,  car  il  donne  un  produit  hybride 
assez  désagréable;  mais  il  nous  semble  qu'on  peut,  sans  in- 
convénient, raccourcir  les  longues  inférieures,  plus  que  les 
longues  supérieures.  Les  longues  inférieures  sont  g,  j,  p, 
q  et  y.  Sur  ces  cinq  lettres,  il  en  est  deux,  le  p  et  le  q, 
dont  on  pourrait  supprimer  totalement  les  queues,  sans 
causer  de  confusion  avec  d'autres  lettres  :  il  n'y  a  donc 
pas  d'inconvénient  à  faire  p  et  q  plus  courts  que  d  ou  b.  Le 
j  ou  l'y  s'accommoderont,  sans  difformité,  d'une  queue  très 
courte  ;  reste  donc  le  g,  qu'on  ne  pourra  raccourcir  qu'au 
prix  d'une  légère  altération  de  dessin,  que  nous  avons  déjà 
indiquée  lors  de  notre  récapitulation  de  la  forme  des  lettres. 

La  proposition  que  nous  fîmes,  d'abréger  les  longues  in- 
férieures un  peu  plus  que  les  supérieures,  nous  paraît  pré- 
senter cet  avantage  supplémentaire  que,  les  courtes  ne  se 
trouvant  plus  au  milieu  de  la  hauteur  du  corps,  les  lettres 
retournées  produiront  un  effet  assez  désagréable  pour  ne 
plus  échapper  aussi  facilement  au  correcteur:  elles  dépas- 
seront, en  effet,  par  en  haut,  du  double  de  la  différence  de 
longueur  établie  entre  les  longues  supérieures  et  inférieures. 

Le  neuf  qui  a  servi  à  composer  le  présent  volume  a  été 
gravé  dans  ce  système,  que  nous  préconisons  depuis  1879. 

Dans  le  présent  alinéa,  composé  en  lettres  banales,  se  trou- 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


225 


vent  de  nombreuses  lettres  retournées  ;  elles  échapperont 
bien  plus  facilement  au  correcteur  que  si  l'on  avait  fait 
usage  de  notre  neuf,  ainsi  qu'on  va  le  voir  par  l'alinéa  suivant, 
contenant  des  fautes  analogues. 

Dans  le  présent  alinéa,  se  trouvent  de  nombreuses  lettres 
retournées  ;  elles  échapperont  très  difficilement  au  correc- 
teur,parce  qu'on  a  fait  usage  du  neuf  que  nous  préconisons. 

Malgré  ma  cécité,  j'ai  tâché  de  choisir,  pour  l'impression 
du  présent  volume,  des  caractères  aussi  conformes  que 
possible  à  mes  idées.  J'ai  pu  ainsi  prendre  dans  le  catalogue 
de  Deberny,  le  présent  type.  En  le  gravant,  l'artiste  avait  tenu 
compte,  dans  une  assez  grande  mesure,  de  desiderata  publiés 
par  moi,  dès  1878. 

Parlons  tout  d'abord  du  8  non  interligné,  employé  pour 
le  présent  alinéa.  Je  ne  saurais  en  faire  un  meilleur  éloge 
que  celui  consistant  à  l'avoir  choisi  pour  les  intercalations  du 
présent  volume.  Remarquons  cependant  que,  pour  quelques 
détails,  plusieurs  lettres  pourraient  être  retouchées  en  confor- 
mité des  indications  données  plus  haut;  les  empâtements,  déjà 
si  différents  de  ceux  de  Didot,  pourraient  être  rendus  plus 
semblables  encore  à  ceux  de  Jaugeon  et  à  ceux  du  genre 
anglais,  dont  la  pratique  a  démontré  l'excellence.  On  a  vu 
(Fig.  62,  p.  222),  que  pour  les  fins  caractères  de  cette  série,  le 
graveur  a  très  convenablement  augmenté  la  largeur  des  lettres 
et  l'épaisseur  des  pleins. 

Les  types  qu'on  vient  de  voir,  et  en  général  tous  les  types 
compacts,  ne  devraient  jamais  être  interlignés,  ainsi  que  cela 
a  été  fait  pour  le  8  du  présent  alinéa;  en  effet,  à  quoi  bon 
raccourcir  les  longues  pour  placer  des  interlignes  ?  Il  vaut 
bien  mieux,  quand  on  n'économise  pas  le  papier,  mettre  l'es- 
pace à  profit  en  donnant  aux  longues  une  hauteur  convenable^ 

C'est  ce  qu'a  compris  M.  Tuleu,  le  savant  directeur  de  la 
fonderie  Deberny,  lorsqu'il  créa  sa  «  série  dix-sept  »,  laquelle 
dérive, pour  toutes  les  grosseurs  de  points,  de  sa  ((série seize)) 
par  l'allongement  des  longues  supérieures.  Il  est  probable 
que  bien  peu  de  lecteurs  de  ce  volume  se  sont  aperçus  que 
l'œil  du  8  et  du  9  employés  sont  identiques.  Il  est  non  moins 
probable  que  le  lecteur  n'a  pas  remarqué  non  plus  que  le 
présent  alinéa,  composé  en  neuf  plein,  de  la  «  série  dix-sept  », 
ne  diffère  de  l'alinéa  précédent  en  8  interligné  que  par  la 
dimension  des  lettres  longues  supérieures  :  on  avouera  que 
ce  neuf  plein  est  préférable  au  huit  interligné  d'un  point. 


La  maison  Deberny  veut  bien  faire  un  pas  de  plus  dans  la 

JAVAL.  15 


226         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


même  voie.  De  même  qu'elle  a  fait  une  dizaine  de  poinçons 
spéciaux  de  longues  supérieures  pour  transformer  en  neuf 
d'une  nouvelle  série  dix-sept,  le  huit  de  sa  série  seize,  elle 
fait  graver  actuellement  les  cinq  poinçons  nécessaires  pour 
créer  le  dix  d'une  nouvelle  série  intitulée  dix-huit,  lequel  ne 
diffère  du  neuf  de  la  série  dix-sept  que  par  l'addition  d'un 
point  à  la  longueur  des  parties  inférieures  des  lettres  g,  j, 
Pv  q  et  y. 

Si  cela  avait  été  fait,  au  lieu  d'adopter,  pour  le  présent 
volume,  du  neuf  interligné  d'un  point,  je  n'aurais  pas  hésité 
à  choisir  le  dix  de  la  série  dix-huit  sans  l'interligner.  Ce 
caractère  sera  prêt  en  temps  utile  pour  servir  à  composer  la 
préface  de  ce  livre. 

Je  reproduis  ci-dessous  en  fac-similé  onze  lignes  d'un 
article  paru  en  1881  dans  la  Revue  scientifique,  et,  pour 
montrer  les  avantages  de  la  typographie  compacte,  je  les  fais 
suivre  d'une  réduction  photographique  et  d'une  composition 
en  caractères  compacts  tels  qu'on  pouvait  se  les  procurer  à 
cette  époque. 

Pour  donner  un  exemple  pris  tout  à  fait  sur  le  vif,  suppo- 
sons que  l'éditeur  de  la  Revue  scientifique  se  pose  le  pro- 
blème de  réduire  de  moitié  le  prix  de  l'abonnement  tout  en 
donnant  un  texte  à  peu  près  lisible  II  est  tout  à  fait  inadmis- 
sible d'offrir  au  public  le  spécimen  ci-dessous,  qui  est  une 
réduction  par  la  photogravure,  dans  une  proportion  telle  que 
la  surface  imprimée  est  précisément  moitié  moins  grande, 
tandis  que  le  second  spécimen,  obtenu  en  composant  en 
plein  avec  du  six  de  forme  plus  logique,  est  à  la  fois  plus 
lisible  et  plus  tassé;  quand  nos  caractères  seront  gravés, 
l'avantage  sera  plus  grand  encore. 

Pour  donner  un  exemple  pris  toul  à  fait  sur  le'  vif,  suppo-  Pour  donner  un  exemple  pris  tout  à  fait  s 

sons  que  l'éditeur  de  la  Bévue  scientifique  se  pose  le  pro-  vif,  supposons  que  l'éditeur  de  la  Revue  sci 

blême  de  réduire  de  moitié  le  prix  de  l'abonnement  tout  en  «que  se  pose  le  problème  de  réduire  de  moi 

donnant  un  texte  à  peu  prés  lisible.  Il  est  tout  a  fait  inadmis-  prix  de  l'abonnement  tout  en  donnant  un  te 

*;ku  ,ivir  •          u.  ,      .           «nuuid  lamnaumis  peu  pres  iisible.  Il  est  tout  a  fait  inadmis 

s.b  e  <t  ollm  au  public  le  spécimen  u-dessous,  qui  est  une  d'offrir  au  public  le  spécimen  ci-dessous,  qi 

réduction  par  la  photogravure,  dans  une  proportion  telle  que  une  réduction  par  la  photogravure,  dans 

la  surface  imprimée  est  précisément  moitié  moins  «rande  proportion  telle  que  la  surface  imprimé» 

tandis  que  le  second  spécimen,  obtenu  en  composant  en  précisément  moitié  moins  grande,  tandis  q 

nipin  avDn  .i„          t         ii-           wi"pw«*"<  ui  second  spécimen,  obtenu  en  composant  en  1 

plein  avec  du  s.x  de  forme  plus  log.que,  est  à  la  fois  plus  avec  du  six  de  forme  plus  Jogique,  est  à  la 

lisible  et  plus  tasse;  quand  nos  caractères  seront  gravés,  plus  lisible  et  plus  tassé;  quand  nos  carac 

l'avantage  sera  plus  grand  encore.  seront  gravés,  l'avantage  sera  plus  grand  em 


Fig.  63. 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE.  227 

Comme  second  exemple,  nous  avons  fait  reproduire  en 
photogravure  (Fig.  64-)  une  affiche,  merveille  du  genre,  qui 
attirait  forcément  l'attention  de  toute  personne  voyageant  en 
Angleterre  ;  nous  avons  été  fort  surpris  en  1881  de  voir  que 
l'agence  de  publicité  de  Willing  avait  trouvé  de  son  côté  pres- 
que tous  les  petits  artifices  que  nous  avons  proposés. 

Tout  est  étudié  dans  ces  sept  lettres  avec  une  entente  par- 


Fig.  64. 


faite  de  l'utilisation  de  la  place.  Dans  nos  types,  les  lettres 
seraient  plus  grêles,  les  empâtements  un  peu  moins  impor- 
tants, le  g  dépasserait  un  peu  plus  en  bas,  mais  en  somme, 
notre  typographie  présente  de  l'analogie  avec  le  spécimen 
qu'on  vient  de  voir. 

N'ayant  pas  à  ma  disposition  les  types  d'Olive  Lazare,  dont 
il  va  être  question,  je  fais  reproduire  ici  (Fig.  65)  en  fac-similé 
la  fin  de  l'article  «  Evolution  de  la  typographie  »,  paru  dans 
la  Revue  scientifique  du  26  juin  1881  : 

Le  Petit  Journal  applique  depuis 
quelques  jours  assez  exactement  nos 
propositions  quant  au  raccourcisse- 
ment des  longues  inférieures.  Infor- 
mations prises,  les  types  de  l'article 
Thomas  Grimm  viènnent  de  la  fon- 
derie Olive  Lazare  à  Marseille.  Mal- 
heureusement on  a  lésiné  sur  l'ap- 
proche :  l'écart  entre  les  n  est  infé- 
rieur à  la  largeur  de  i'n,  ce  qui  fait 
perdre  à  ces  types  une  grande  partie 
de  leur  avantage.  Au  surplus,  l'uti- 
lité de  la  réforme,  qui  a  permis 
d'employer  du  huit  au  lieu  de  neuf 
pour  le  premier  Paris  du  Petit  Jour- 
nal, sera  bien  plus  marquée  quand 
on  retendra  au  sept  et  surtout  quand 
on  aura  recours  au  six,  dont  les  jour- 
naux ne  font  aucun  usage  actuelle- 
ment en  France» 


Fig.  65. 


228         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


Tout  ce  post-s'criptum  est  im- 
primé en  huit  d'Olive  Lazare  : 
dans  le  présent  àlinéa  on  a  ajouté 
des  papiers  minces  entre  les 
lettres;  je  doute  que  jamais  rien 
d'aussi  lisible  ait  été  imprimé 
en  caractères  de  huit  points  :  on 
dirait  du  neuf. 

Fig.  66. 


Dans  le  journal  français  Y  Imprimerie,  M.  Motteroz  décrit 
comme  suit  le  sept  et  le  cinq  et  demi  employés  par  l'éditeur 
de  l'Encyclopédie  américaine  The  Century  Dictionary,  ache- 
vée d'imprimer  en  1889.  Voici  (Fig.  67)  un  fac-similé  de 
cette  typographie  : 

gauche  (gôsh),  a.  [F.,  left  (hand,  etc.),  awk- 
ward,  clumsy,  prob.  <  OF.  *gauc,  *galc  (>  E. 
dial.  gaulic-hand,  the  left  hand,  gallic-handed, 
gauk-handed,  lef t-handed  ;  cf.  Walloon  frère 
wauquier,  step-brother,  lit.  ' lef t-brother'), prob. 
<  OHG.  welc,  welch,  soft,  languid,  weak,  G.  welk, 
withered,  f aded,  languid,  etc.  :  see  welk1.  So  in 
other  instances  the  left  hand  is  namedfrom  its 
relative  weakness  :  see  left1.  The  Sp.  gaucho, 
slanting,  seems  to  be  derived  from  the  F.  word.] 

1.  Lef  t-handed;  awkward;  clumsy.   [Used  as 
French.] 

Pardon  me  if  I  say  so,  but  I  never  saw  such  rude,  un- 
civil,  gauche,  ill-mannered  men  with  women  in  my  life. 

Aristocracy,  xxi. 

2.  In  math.,  skew.  Speciflcally  —  (a)  Not  plane; 
twisted.  (6)  Not  perf  ectly  symmetrical,  yet  deviating  from 
symmetry  only  by  a  regular  reversai  of  certain  parts. — 
Gauche  curve,  a  curve  not  lying  in  a  plane.— Gauche 
déterminant.  See  déterminant— Gauche  perspective 
or  projection,  the  projection  of  a  figure  from  a  center 
upon  a  surface  not  a  plane.— Gauche  polygon,  a  figure 
f  ormed  by  a  cycle  of  right  lines  each  intersecting  the  next, 
but  not  ail  in  one  plane.  Thus,  a  gauche  hexagon  would 
be  formed  by  the  following  6  edges  of  a  cube,  where  the 
numbers  dénote  the  faces  as  those  of  a  die  are  numbered  : 
(1-2)  (2-3)  (3-6)  (6-5)  (5-4)  (4-1).— Gauche  surface,  a 
surface  generated  by  the  motion  of  an  unlimited  straight 
line  whose  consécutive  positions  do  not  intersect  ;  a  skew 
surface  ;  a  scroll. 

Fig.  61. 

«  On  a  employé  —  égyptienne  et  romain  —  du  sept  ayant 
«  l'œil  de  certains  huit  et  du  cinq  et  demi  aussi  gros  que  la 
«  plupart  des  sept.  On  est  arrivé  à  cet  effet  en  diminuant  les 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


229 


«  queues,  principalement  en  dessous,  où  il  n'en  reste  presque 
«  pas  trace. 

«  Il  a  fallu,  pour  cela,  tricher  sur  la  plupart  des  lettres  lon- 
«  gues,  en  leur  donnant  un  œil  imperceptiblement  plus  faible 
«  qu'elles  ne  le  comportent  et  en  modifiant  certaines  formes, 
«  par  exemple  celle  de  la  boucle  inférieure  du  g  qui  remonte 
«  quelque  peu  dans  la  boucle  supérieure. 

«  Malgré  ces  écarts  des  règles,  rien  n'appelle  désagréable- 
«  ment  l'attention.  C'est,  à  ma  connaissance,  la  première  appli- 
«  cation  d'une  théorie  émise,  il  y  a  quelques  années,  par 
«  M.  Javal,  théorie  dont  je  n'étais  pas  partisan  et  qui,  dans  lë 
«  cas  particulier  d'une  encyclopédie  extrêmement  compacte, 
«  donne  d'excellents  résultats. 

Aucun  éloge  n'est  plus  compétent  que  celui  de  M.  Mot- 
teroz,  si  ce  n'est  le  jugement  que  peut  porter  le  lecteur  en 
examinant  le  spécimen  ci-dessus  de  cette  typographie. 

En  réponse  à  ma  demande,  M.  de  Vinne,  l'éditeur  du 
Century  Diciionary,  me  fait  savoir  que  les  plus  petits  parmi 
les  caractères  dont  il  a  fait  usage  lui  ont  été  fournis  par  la 
maison  Miller  et  Richard,  d'Edimbourg,  et  les  plus  grands 
par  la  fonderie  Bruce,  de  New-York. 

Mon  collaborateur,  M.  Ch.  Dreyfuss,  a  voulu  faire  un 
pas  de  plus  :  s'inspirant  de  mes  idées,  il  a  dessiné  des 
caractères  de  30  points,  dont  voici  le  fac-similé  invraisem- 
blable (Fig.  68). 

particulière  se 

Fig.  68. 

Comme  première  comparaison,  ce  caractère  réduit  par  la 
photographie  au  sixième,  nous  donne  la  typographie  en  cinq 
points,  dont  voici  le  spécimen  (Fig.  69). 

Le  4auvcrnemcnt  le  plus  conforme  à  la  nature  est  celui  dent  la  disposition 
particulière  se  rapporte  mieux  à  la  disposition  du  peuple  pour  lequel  il  est  éî-akli 


Fig.  69. 


230         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Il  est  très  intéressant  de  comparer  cette  réduction  à  la 
réduction  du  30  de  Deberny  et  au  spécimen  du  cinq  de  la 
même  famille  qui  ont  été  reproduits  tous  deux  Fig.  62, 
page  222.  On  voit  qu'à  l'inverse  de  ce  qui  s'était  produit 
dans  l'exemple  de  la  page  222,  la  réduction  photographique 
est  d'une  excellente  lisibilité. 

Ces  caractères,  réduits  dans  la  proportion  de  30  à  3  1/2, 
fournissent  l'impression  en  trois  points  et  demi  que  voici. 

Le  i.uvernement  le  flus  «nf.rme  i  Ij  nature  e«  celui  dont  la  disposition 
particulière  se  n,».rte  mieux  i  U  Ji»fo«iti.n  4u  |>eurle  fw  lequel  il  est  éwKT 

Fig.  10. 

Voici  une  réduction  des  mêmes  types,  donnant  une  im- 
pression de  deux  points  et  demi,  plus  remarquable  encore. 

Nrtfcgllere  te  rarp.no  mfeux  a  la  Jisp.ifi.i>  lu  wuplo  îw  teluel  II  c'  établi 

Fig.  11. 

Encouragé  par  le  brillant  résultat  qu'on  vient  de  voir, 
M.  Ch.  Dreyfuss  a  pensé  qu'on  pouvait  faire  mieux  encore, 
par  exemple  en  remplaçant  par  des  «  pochés  »  les  o  et  les 
panses  de  certaines  lettres,  et  comme  il  demeure  loin  de  Paris, 
j'ai  répondu  à  sa  proposition  en  lui  adressant  les  indications 
suivantes  pour  la  construction  de  très  petits  caractères  des- 
tinés à  être  vus  par  d'excellents  yeux  et  avec  un  très  bon 
éclairage. (Voir  ci-dessus  la  théorie  au  haut  de  la  page  106). 

«  J'admets  que  nous  adoptions  les  mêmes  proportions  que 
«  précédemment,  pour  le  dessin  à  réduire  par  la  photogra- 
«  vure  :  Les  lettres  courtes  mesurant  quatre  millimètres,  les 
«  longues  supérieures  dépassant  de  deux  millimètres  et  les 
«  longues  inférieures  d'un  millimètre  (total  sept  millimètres). 

«  En  prévision  de  la  petitesse  de  la  réduction,  il  faut  renon- 
«  cer  à  toute  espèce  de  délié  ou  d'amincissement  local  des 
«  traits,  et,  pour  les  points,  il  faut  adopter  la  forme  carrée, 
«  qui  donne,  pour  la  même  largeur,  une  surface  noire  de 
«  quatre  contre  3, 14  que  donneraient  les  points  ronds.  Dans 
«  ces  petites  dimensions,  un  point  carré  présente  le  même 
«  aspect  qu'un  point  rond. 


XVII.  —  TYPOGRAPHIE  COMPAGTE. 


231 


«  D'après  nos  théories,  si  nous  prenons  pour  minimum  vi- 
«  sible  un  carré  de  deux  millimètres  de  côté,  le  jambage  de 
«  lettre  courte,  de  même  visibilité,  si  on  lui  donne  un  milli- 
<(  mètre  d'épaisseur,  devra  mesurer  une  hauteur  de  quatre. 
«  Dans  ces  conditions,  Yi  n'offrirait  aucun  intervalle  entre 
«  le  jambage  et  le  point.  Si  donc  nous  choisissons  l'épaisseur 
«  d'un  millimètre  pour  les  traits  constituant  la  majorité  des 
«  jambages  courts,  il  faudra  augmenter  l'épaisseur  du  jam- 
«  bage  de  Yi  pour  pouvoir  le  raccourcir. 

«  Pour  amener  la  visibilité  des  traits  horizontaux,  qui 
«  entrent  dans  la  composition  de  beaucoup  de  lettres,  à  être 
((  égale  à  celle  des  traits  verticaux,  il  faut  soit  les  allonger, 
«  soit  les  renforcer,  soit  combiner  un  allongement  et  un 
«  renforcement  modérés.  —  Prenons  l'a  pour  exemple  :  pour 
«  qu'il  ne  se  confonde  pas  avec  l'a,  il  faut  donner  autant 
«  d'importance  au  trait  horizontal  qu'aux  deux  jambages,  et, 
«  si  on  ne  l'épaissit  pas,  il  faut,  soit  le  faire  déborder  des 
«  deux  côtés  d'un  demi-millimètre  (à  notre  échelle),  soit 
«  donner  à  la  lettre  une  largeur  égale  à  sa  hauteur.  Cette  so- 
«  lution  entraîne  l'obligation  d'augmenter  l'espace  entre  les 
«  lettres  et,  par  conséquent,  de  diminuer  le  nombre  des  lettres 
«  contenues  dans  une  ligne  de  longueur  donnée  :  c'est  la  so- 
«  lution  que  je  préfère.  Quand  nous  aurons  fait  ainsi  un 
«  caractère  mesurant  sept  millimètres  de  haut,  nous  pourrons 
«  en  déduire,  sans  changer  les  lettres  courtes,  un  caractère 
«  de  8  mm.  75,  par  addition  d'un  millimètre  aux  longues 
«  supérieures  et  de  0  mm.  75  aux  longues  inférieures  ;  ce 
«  dernier  type  donnera  l'apparence  d'un  interlignage  très 
«  gracieux,  l'espace  entre  les  lignes  étant  supérieur  à  la  hau- 
«  teur  des  lettres  courtes. 

«  Puisque  nous  ne  voulons  pas  gâcher  de  place  sans  utilité, 
«  il  faut  donner  aux  grands  jambages  des  lettres  longues  une 
«  épaisseur  d'au  moins  un  cinquième  moindre  qu'aux  jam- 
«  bages  des  lettres  courtes. 

«  Je  n'entre  pas  dans  les  détails  des  diverses  lettres,  me  bor- 
«  nant  à  signaler  que  Y  S,  dont  le  trait  devra  être  d'une  épais- 
«  seur  uniforme  et  légèrement  inférieure  à  un  millimètre, 
«  devra  dépasser  l'alignement,  par  en  haut  et  par  en  bas, 
«  d'un  peu  moins  d'un  demi-millimètre. 

«  L'o  sera  un  carré  d'exactement  deux  millimètres  de  côté. 


232         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

«  J'arrive  enfin  à  l'emploi  des  points. 

«  Au  premier  abord,  il  semblerait  que,  pour  représenter  r, 
«  il  faudrait,  en  haut  et  à  droite  d'un  jambage  de  4  milli- 
«  mètres  de  haut,  accoler  un  point  de  deux  millimètres  de 
«  côté.  Mais  si  l'on  y  réfléchit,  on  verra  que  c'est  trop,  car 
«  le  jambage  et  le  point  se  renforcent  par  leur  voisinage. 
«  Puisque  l'r  minuscule  doit  avoir  l'aspect  d'une  potence 
«  dont  le  bras  horizontal,  pour  être  visible,  a  besoin  de  nous 
«  offrir  une  surface  de  quatre  millimètres  carrés,  je  pense 
«  qu'il  suffit  de  donner,  à  la  lettre  entière,  une  largeur  de 
«  3  millimètres,  l'épaisseur  du  bras  horizontal  ne  dépassant 
«  guère  1  mm.  33. 

«  Quant  aux  lettres  dont  l'œil  sera  remplacé  par  une  petite 
«  masse  noire,  ou  poché,  leur  largeur  sera  moindre  encore, 
«  surtout  si  l'on  ne  donne  pas  de  formes  arrondies  à  ces 
«  pochés.  Je  pense,  par  exemple,  que  pour  figurer  le  b  et  le 
«  d,  il  ne  sera  pas  besoin  de  donner  beaucoup  plus  d'un  milli- 
«  mètre  d'épaisseur  à  un  rectangle  haut  de  trois  millimètres 
«  qu'on  accolerait  soit  à  droite,  soit  à  gauche  d'un  jambage 
«  d7.  » 

La  Fig.  72,  réduction  photographique  d'un  dessin  de 
M.  Ch.  Dreyfuss  fait  après  réception  de  la  lettre  précédente, 
montre  des  caractères  de  4  et  de  5  points,  ces  derniers  ne 

Le  4-uvernement  le  _plus  cnf.rme  à  la  nature  est  celui  i-nt  la  J îsr-sîtï-n 
particulière  se  rapp-rte  mieux  à  la  Jisp-sîti.n  iu  peuple  p.Ur  lequel  il  est  étatli 

Le  ^«uvernement  le  _flus  c-nf-rme  à  la  nature  est  celui  J.nt  la  Jîsf-sitî-n 
farticulière  se  rapp. rte  mieux  à  la  Jisf-siti.n  iu  peuple  p-ur  lequel  II  est  étaklî 

Fig.  12. 

différant  des  premiers  que  par  les  lettres  longues.  Ces  carac- 
tères sont  d'un  aspect  déplaisant  et  ne  sont  figurés  ici  que 
pour  renseigner  sur  le  procédé. 

Au  contraire,  la  Fig.  73  représente  leur  réduction  en  deux 


Fig.  13. 


Fig,  71. 


3  1/2 
Fig.  70. 


Le  gouvernement  le  plus  conforme  à  la  nature  est  celui  dont  la  disposition 
particulière  se  rapporte  mieux  à  la  disposition  du  peuple  pour  lequel  II  est  établi 

Fig.  69. 


Fig.  74. 


2 

2  1/2 


Fig.  73. 


Le  ;iuvfrnfmfnt  If  _plus  c«nf«rme  à  la  nature  f st  celui  d>nt  la  Jisp-sîtî-n 
particulière  sr  rapp-rte  mieux  à  la  Jisp-siti-n  iu  peuple  P-ur  lequel  il  est  étakli 


Le  ;-uvfrnfmfnt  le  plus  c-nf-rmf  à  la  nûturt  rst  celui  i-nt  la  disp-siti-n 
particulière  sr  rapporte  mieux  à  h  Jisp-sîti-n  Ju  peuple  p-ur  lequel  il  est  établi 


Fig.  72. 


J  AVAL 


P.  23^2 


XVII.  — 


TYPOGRAPHIE  COMPACTE. 


233 


et  deux  et  demi  qui,  à  condition  d'être  tirés  avec  très  grand 
soin,  sont  tout  à  fait  remarquables. 

Il  serait  intéressant  de  comparer  ces  caractères  avec  le 
deux  et  demi  fondu  par  Henri  Didot,  en  1827,  et  qui  a  servi 
à  l'impression  de  l'édition  in-64  des  Maximes  de  Laroche- 
foucauld,  bien  connue  des  bibliophiles. 

Enfin,  la  Fig.  74,  dont  la  photogravure  laisse  à  désirer, 
donne  une  idée  de  la  possibilité  de  faire  des  caractères  d'un 
point  qui,  bien  exécutés  et  très  bien  tirés,  puissent  encore 
être  lus.  La  deuxième  partie  de  cette  figure  est  un  caractère 
d'un  point  et  quart  obtenu  par  la  réduction  du  cinq  de  la 
Fig.  72. 


Fig.  lk. 

Voir  ci-contre  la  reproduction  de  ces  figures  tirées  avec 
un  soin  particulier  sur  papier  spécial. 

Les  types  qu'on  vient  de  voir  sont  destinés  à  montrer  ce 
qui  peut  se  faire  en  matière  de  typographie  compacte  :  c'est 
une  sorte  de  gageure.  Si  l'on  voulait  de  fins  caractères  pour 
une  encyclopédie  ou  un  guide  du  voyageur,  je  pense  que  la 
solution  se  trouverait  aisément  en  gravant  des  caractères 
dont  le  dessin  serait  intermédiaire  entre  les  deux  types  créés 
par  M.  Ch.  Dreyfuss.  Le  dernier  est  trop  grêle  (Fig.  72,  73 
et  74-)  et  exige  un  éclairage  excellent,  tandis  que  le  premier 
(Fig.  68,  69,  70  et  71)  constitue  une  innovation  insuffisante. 


CHAPITRE  XVIII. 


PROPAGATION  DE  L'ÉCRITURE  DROITE. 


L'écriture  penchée  n'est  pas  une  nouveauté  (1)  :  la  variété 
sidonienne  de  l'écriture  phénicienne  présente  une  inclinai- 
son analogue  à  celle  de  nos  italiques  et  on  peut  en  voir  un 
exemple  au  musée  du  Louvre,  sur  le  célèbre  sarcophage 
d'Echmounazar,  roi  de  Sidon.  Mais,  dans  l'antiquité,  la 
pente  est  une  exception.  Sur  la  stèle  de  Mésa,  située  dans 
la  même  galerie  (Voir  Fig.  3  et  4,page5),  l'obliquité  des  ver- 
ticales est  à  peine  sensible,  et  dans  les  inscriptions  tyriennes 
de  Carthage,  bien  postérieures,  les  traits  ont  repris  leur  posi- 
tion rectangulaire. 

Qu'on  examine  les  capitulaires  de  Charlemagne  (789),  les 
manuscrits  produits  à  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Tours 
sous  la  direction  d'Alcuin  (796  à  804),  les  belles  écritures 
franques  minuscules  du  douzième  siècle,  les  gothiques  qui 
apparaissent  au  quatorzième  siècle,  les  manuscrits  de  la 
Renaissance  italienne,  le  célèbre  Champfleury  de  Geoffroy 
Tory  (1529),  qu'on  parcoure  le  beau  volume  de  Sylvestre  (La 
Paléographie),  on  voit  que,  pendant  tout  le  moyen  âge  et  la 
Renaissance,  les  écritures  soignées  sont  généralement  droi- 
tes. 

Lorsqu'apparut  l'imprimerie  (1440),  ni  Gutenberg,  ni  aucun 
de  ses  successeurs  immédiats  ne  créèrent  de  caractères  typo- 
graphiques penchés.  Or,  on  sait  que  les  premières  impres- 
sions imitèrent  les  écritures  les  plus  régulières  de  l'époque, 
au  point  d'être  vendues  pour  des  manuscrits.  Nous  voyons 
encore,  plus  de  cent  ans  après  (1556),  apparaître  les  carac- 

(1)  Javal.  L'écriture  droite  et  l'écriture  penchée.  Article  publié  dans 
la  Revue  pédagogique  en  décembre  1893,  pour  répondre  à  une  demande 
du  ministère  de  l'Instruction  publique. 


236         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

tères  de  civilité  de  Granjean,  qui  lui  servirent  à  imprimer  la 
Civilité  puérisle  et  honneste,  réimprimée  sous  la  même  forme 
pour  les  écoles  chrétiennes  jusqu'au  dix-neuvième  siècle,  et 
qui  furent  longtemps  employés  comme  modèles  d'écriture  ; 
ces  caractères  sont  droits. 

Depuis  l'invention  de  l'imprimerie,  pendant  que  les  carac- 
tères évoluaient  pour  aboutir  à  leur  forme  actuelle,  qui  serait 
difficile  à  reproduire  en  écrivant,  les  caractères  manuscrits 
se  transformaient  dans  le  sens  d'une  exécution  plus  facile  et 
plus  rapide,  et  c'est  pour  obéir  à  cette  tendance  que  se  pro- 
duisit au  seizième  siècle  en  Italie  cette  écriture  penchée  qui 
prit  successivement  en  France  le  nom  d'italienne  et  de 
bâtarde  italique,  et  qui  fut  importée  dans  notre  pays  par 
Jehan  de  Beauchesne.  L'emploi  de  l'écriture  italienne  reçut 
une  nouvelle  impulsion  en  1608  par  la  publication  de  Lucas 
Materot,  Bourguignon  français,  citoyen  d'Avignon,  qui  con- 
tient des  modèles  d'une  bâtarde  tout  à  fait  expédiée,  tracée 
avec  une  plume  fine  ;  les  /  sont  bouclés,  et  l'aspect  est  très 
voisin  de  celui  de  l'anglaise  moderne. 

Cependant,  les  calligraphes  français  résistaient  à  l'intro- 
duction de  cette  écriture  penchée  et,  à  l'exemple  de  Le  Gan- 
gneur,  ils  donnèrent  toujours,  pendant  deux  siècles,  la  pré- 
séance à  l'écriture  droite,  qui  s'appela  successivement  fran- 
çaise et  financière  ;  ils  reléguaient  toujours  à  la  fin  de  leurs  ou- 
vrages les  modèles  d'écriture  italienne  ou  bâtarde  italienne, 
malgré  l'impulsion  de  la  mode.  Ainsi,  en  1647,  Barbedor, 
dont  la  réputation  de  calligraphe  était  immense,  écrivait 
que  l'italienne  bâtarde,  dont  il  donne  des  modèles  à  la  fin  de 
son  livre,  était  employée  à  la  cour  par  les  personnes  de  con- 
dition qui  ne  sont  ni  de  finance,  ni  de  palais  ;  il  résistait  à 
l'introduction  de  la  coulée,  et  ses  modèles  d'écriture  finan- 
cière ou  française  diffèrent  peu  de  notre  ronde  actuelle. 

Barbedor  fut  chargé  par  la  communauté  des  maîtres  écri- 
vains, dont  il  était  le  syndic,  d'exécuter  un  exemplaire  de 
lettres  financières  destiné,  par  arrêt  du  Parlement  de  Paris, 
à  servir  de  modèle  aux  particuliers  et  de  règle  aux  maîtres. 
Depuis  1620,  l'écriture  nationale  française  tendait  à  devenir 
une  ronde  obtenue  sans  tours  de  plume  ;  Barbedor  en  pro- 
duisit des  modèles  longtemps  célèbres,  et  les  règles  de  son 
exécution  furent  posées  bientôt  après  par  J.-B.  Alais,  fils  du 
calligraphe  Jean  Alais. 


XVIII.  —  PROPAGATION  DE  l'ÉCRITURE  DROITE.  237 

J.-B.  Alais,  protégé  successivement  par  Louvois  et  par 
Colbert,  fut  un  chef  d'école.  Avocat  à  Rennes,  il  se  fit  calli- 
graphe  pour  venger  la  mémoire  de  son  père,  qui  avait  été 
ruiné  par  un  procès  que  lui  intenta  la  communauté  des 
maîtres  écrivains  de  Paris,  et,  pendant  plus  d'un  siècle,  son 
livre,  fruit  de  longues  et  intelligentes  études,  fit  autorité  sur 
la  matière.  Entre  autres  innovations,  c'est  par  lui  que  je 
trouve  recommandée  pour  la  première  fois  la  plume  à  deux 
becs,  qui  «  sert  grandement  à  connaître  les  effets  généraux, 
c'est  pourquoi  je  conseille  le  curieux  de  s'en  servir  en  ses 
exerces  (sic)  particulières  (sic)  ». 

Alais  donne  déjà  une  place  importante  à  la  bâtarde.  Peu 
après  lui,  vers  1700,  apparaît  la  coulée,  'dont  le  propagateur 
fut  le  célèbre  Rossignol.  Ce  genre  d'écriture  penchée,  qui, 
d'après  Sauvage,  Michel  et  Marlié,  concurrents  de  Rossignol, 
était  nuisible  à  la  santé  (on  voit  qu'il  n'y  a  rien  de  nouveau 
sous  le  soleil),  se  propagea  rapidement  et  trouva  son  théori- 
cien en  Royllet  (1764),  qui  osa  contester  quelques-unes  des 
assertions  d' Alais. 

Nous  arrivons  enfin  à  un  réformateur,  Coulon,  qui  pro- 
posa de  faire  écrire  les  commençants  sur  du  papier  réglé 
mécaniquement,  dans  les  deux  sens,  perpendiculairement 
pour  la  ronde,  obliquement  pour  la  bâtarde,  et  qui  insiste 
sur  l'emploi  de  l'écriture  droite  pour  le  premier  enseigne- 
ment. La  routine,  représentée  par  l'Académie  royale  d'écri- 
ture, ne  manqua  pas  de  protester  contre  les  innovations  de 
Coulon. 

Voici  quelques  passages  des  Discours  de  Coulon  (1767)  : 

«  Si  les  mauvaises  positions  sont  nuisibles  à  la  santé,  il  est 
également  vrai  que  les  mauvaises  écritures  sont  pernicieuses 
pour  la  vue... 

Il  est  certain  que  les  écritures  ne  sont  devenues  illisibles 
que  depuis  que  l'on  a  négligé  l'écriture  française  ou  ronde, 
dans  laquelle  on  consommait  la  main  des  jeunes  gens,  avant 
de  leur  permettre  de  tracer  d'autres  caractères... 

...  Puisque  l'on  n'apprend  pas  la  ronde  aux  enfants  de  con- 
dition, il  ne  faut  attribuer  qu'à  cette  seule  cause  la  raison 
pour  laquelle  il  y  en  a  si  peu  qui  peuvent  apprendre  à  bien 
écrire  ». 

Le  papier  réglé  dans  deux  directions  a  été  employé  depuis 
par  beaucoup  d'éditeurs  de  cahiers  d'écriture.  Nous  ne 


238         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


voyons  pas,  au  contraire,  qu'on  se  soit  empressé  d'adopter 
l'écriture  droite  pour  le  premier  enseignement.  Et  cepen- 
dant, Coulon  avait  obtenu  qu'une  commission  fût  nommée 
par  l'Académie  des  Sciences  afin  d'examiner  ses  procédés, 
et,  dans  leur  rapport  (11  mars  1767),  les  commissaires,  d'Or- 
tous,  de  Mairan  et  Pingré,  s'exprimaient  favorablement, 
mais  avec  prudence,  en  disant  :  «  Il  paraît  que,  par  l'écri- 
ture perpendiculaire,  les  doigts  contractent  plus  facilement 
et  conservent  plus  longtemps  l'habitude  de  se  plier  et  de  se 
distendre.  » 

Les  Discours  de  Coulon  ne  furent  pas  absolument  sans 
écho,  car  peu  de  temps  après,  Dessalle,  maître  d'écriture  du 
Dauphin  fils  de  Louis  XVI,  enseignait  à  son  royal  élève 
une  bâtarde  droite,  bouclée,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de 
royale  (1). 

Quelques-unes  des  pièces  de  Dessalle  portent,  au-dessous 
de  la  signature  :  «  Maître  à  écrire  des  enfants  de  France  ». 
Je  pense  qu'aux  écoliers,  les  enfants  de  France  d'aujourd'hui, 
il  faudrait  enseigner  une  écriture  très  analogue  à  celle  que 
Dessalle  faisait  tracer  au  Dauphin,  écriture  que  je  ne  con- 
nais que  par  sa  description. 

L'influence  de  Coulon  paraît  s'être  exercée  également  sur 
Guillaume  Montfort.  En  effet,  dans  une  notice  historique  sur 
la  vie  et  les  travaux  de  Guillaume  Montfort,  publiée  en  1802 
par  Lechard,  je  lis  :  «  Il  prescrivit  de  pratiquer  primitive- 
ment la  ronde,  qui  était  presque  abandonnée,  comme  l'écri- 
ture mère  et  celle  qui  forme  la  main  et  dispose  aux  autres 
genres.  » 

Mais,  depuis  longtemps,  l'écriture  anglaise  a  fait  son 
apparition  en  France,  sous  les  auspices  de  Bedigis  (1768), 
et  nous  en  retrouvons  un  modèle  dans  un  in-folio  paru  en 
Tan  IX  (1800)  avec  cette  épigraphe  :  «  Les  artistes  G...,  R..., 

(1)  Dans  un  manuscrit  de  Poujade  qui  était  en  ma  possession  et  dont 
j'ai  fait  hommage  au  Musée  pédagogique,  je  copie  l'anecdote  suivante  : 

Un  jour,  en  arrivant  chez  le  Dauphin  pour  lui  donner  sa  leçon  de  calli- 
graphie, Dessalle  sortit  résolument  de  sa  poche  le  bonnet  rouge,  dit  phry- 

f;ien,  et  en  coiffa  son  royal  élève  en  présence  d'augustes  personnages,  en 
ui  disant  :  «  V oilà,  monseigneur,  la  coiffure  adoptée  par  la  nation  entière  ; 
vous  devez  suivre  son  exemple  en  la  portant.  »  Il  ne  lui  fut  répondu  d'a- 
bord que  par  un  silence  imposé  par  les  circonstances  révolutionnaires, 
mais,  à  son  arrivée  pour  la  leçon  suivante,  on  lui  fit  comprendre  d'un  geste 
royal  qu'on  n'avait  plus  besoin  des  services  d'un  impertinent. 


XVIII.  —  PROPAGATION  DE  L'ÉCRITURE  DROITE.  239 


S...,  B...  et  F...,  vont  lancer  dans  le  dix-neuvième  siècle 
des  modèles  qui  passeront  à  la  postérité  »,  épigraphe  signée 
de  Saintomer  et  digne  de  son  légendaire  élève  Joseph 
Prudhomme.  Parmi  les  diverses  écritures  contenues  dans  ce 
volume  fin  de  dix-huitième  siècle,  c'est  l'anglaise  qui  a  pris, 
peu  à  peu,  le  haut  du  pavé.  Elle  est,  en  effet,  par  excellence, 
l'écriture  à  grande  vitesse,  à  cause  de  sa  pente,  de  ses  bou- 
cles et  de  ses  liaisons,  toutes  circonstances  qui  permettent 
de  la  tracer  sans  guère  lever  la  plume  ni  déplacer  le  coude, 
à  condition  d'écrire  sur  papier  incliné  ;  bonne  pour  l'homme 
de  lettres,  elle  est  pernicieuse  pour  l'enfant. 

Cette  écriture,  peu  différente  en  somme  de  la  bâtarde 
italique,  dont  Matrot  a  donné  de  si  beaux  modèles  il  y  a 
bientôt  trois  cents  ans,  a  pris  sa  forme  actuelle  vers  le 
commencement  de  ce  siècle,  en  Angleterre,  sous  l'impulsion 
de  Carstairs.  Ce  maître,  très  ingénieux,  sut  intéresser  à  sa 
méthode  les  plus  grands  personnages,  si  bien  que,  le  9  juil- 
let 1816,  ses  procédés  furent  recommandés  au  public  par  le 
procès-verbal  d'une  nombreuse  et  brillante  réunion,  qui  eut 
lieu  à  la  taverne  des  francs-maçons,  sous  la  présidence  de 
S.  A.  R.  le  duc  de  Kent. 

Très  judicieusement,  Carstairs  exerçait  séparément  les 
mouvements  du  bras,  du  poignet  et  des  trois  doigts  qui 
tiennent  la  plume,  et  recommandait  de  faire  glisser  la  main 
en  prenant  un  appui  sur  les  ongles  de  l'annulaire  et  du  petit 
doigt.  Il  allait  jusqu'à  pratiquer,  pendant  quelques  leçons, 
des  ligatures  destinées  à  empêcher  ces  deux  doigts  de  parti- 
ciper aux  mouvements  des  trois  autres. 

En  1822,  la  méthode  de  Carstairs  fut  importée  d'Angle- 
terre en  France  par  Audoyer,  qui  avait  été  son  élève,  sous 
le  nom  de  méthode  américaine,  nom  adopté  à  cause  de  la 
haine  de  l'Anglais,  si  vivace  à  cette  époque.  La  méthode 
Chandelet,  parue  vers  1827,  procède  également  de  la  même 
origine.  La  méthode  de  Carstairs  a  été  traduite  par  Julien, 
en  1828. 

Baron,  qui  jouissait  d'une  autorité  incontestée  parmi  les 
maîtres  d'écriture  de  la  première  moitié  du  xixe  siècle,  se  fit, 
malgré  lui,  le  propagateur  de  l'anglaise,  qui  fut  professée 
en  1846  aux  Tuileries  par  Taupier,  le  maître  du  comte  de 
Paris  et  du  duc  de  Chartres  ;  à  partir  de  ce  moment,  l'an- 
glaise a  occupé,  sans  conteste,  la  première  place. 


240  TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Parmi  les  auteurs  que  j'ai  cités  et  parmi  ceux,  beaucoup 
plus  nombreux,  que  j'ai  cru  inutile  de  mentionner  dans  ce 
court  aperçu,  pas  un  seul  n'a  compris  la  raison  de  la  pente 
de  l'écriture  rapide  des  adultes,  car  pas  un  n'indique  la 
convenance  de  poser  le  papier  obliquement  sur  la  table 
quand  on  veut  écrire  très  rapidement.  C'est  donc  par 
instinct  et  non  par  raisonnement  que,  pendant  des  siècles, 
nos  calligraphes  faisaient  commencer  l'enseignement  par 
l'écriture  droite,  dénommée  française,  financière  ou  ronde, 
suivant  les  temps. 


D'après  le  récit  qui  précède,  on  voit  que,  malgré  la 
résistance  des  maîtres  d'écriture  les  plus  renommés, 
l'écriture  droite  avait  disparu  vers  le  commencement  du 
xixe  siècle. 

C'est  aux  environs  de  1880  que  se  place  la  reprise  des 
hostilités,  sous  la  conduite  de  quelques  hygiénistes. 
Commençons  par  les  pays  étrangers. 

En  Allemagne,  d'après  la  méthode  Nadelin  (1839)  qui  eut 
une  vogue  considérable,  les  enfants  devaient  écrire  penché, 
sur  papier  droit,  mais  rejeté  vers  leur  droite.  Certains  maîtres 
acceptaient  pourtant  une  position  du  papier  légèrement 
oblique  vers  la  gauche.  Aujourd'hui  encore,  la  position  de 
Nadelin  est  officiellement  prescrite  en  Allemagne. 

La  résistance  à  cette  prescription,  qu'ils  considéraient 
comme  antihygiénique,  fut  inaugurée  en  1877  par  Ellinger 
et  Gross,  tous  deux  de  Stuttgart.  Tandis  qu'Ellinger  récla- 
mait une  modification  de  position  du  cahier,  le  Dr  Gross 
entreprenait  une  campagne  pour  demander  une  diminution 
de  la  pente  de  l'écriture.  En  1880,  le  Dr  Schubert,  de 
Nuremberg,  entrait  le  premier  en  ligne  en  faveur  de  l'écri- 
ture droite  avec  une  énergie  extraordinaire.  En  1887,  il 
obtenait  l'institution,  sur  une  grande  échelle,  d'expériences 
comparatives. 

Cependant  les  docteurs  Berlin  et  Remboldt,  oculistes  tous 
deux,  apportèrent  en  1882  leurs  expériences  et  leurs  théo- 
ries, très  contestables,  qui  servirent  de  point  de  départ  à  de 
nombreuses  discussions,  qu'on  peut  trouver  dans  les  années 


XVIII.  —  PROPAGATION  DE  l'ÉCRITURE  DROITE.  241 

1883  et  suivantes  du  journal  connu,  Zeitschrift  fur  Schulge- 
siindheitspflege,  auquel  nous  renvoyons  pour  les  détails. 

Le  D1*  Schubert  m'a  écrit,  le  10  janvier  1904,  que  l'écriture 
droite  est  devenue  obligatoire  dans  les  écoles  commu- 
nales de  Karlsruhe.  Dans  le  reste  du  duché  de  Bade,  on 
emploie,  à  titre  transitoire,  les  modèles  de  Keller,  dont  la 
pente  est  de  75  degrés. 

En  Angleterre,  c'est  en  1886  qu'apparurent  les  premiers 
modèles  d'écriture  droite  par  Jackson,  qui  obtint,  pour 
l'Angleterre,  l'admission  de  l'écriture  droite  clans  les  con- 
cours. 

En  France,  c'est  en  octobre  1879,  à  la  Société  de  médecine 
publique,  que  l'attention  fut  appelée,  par  le  Dr  Daily,  sur 
l'influence  exercée  par  l'écriture  sur  les  attitudes  des  enfants, 
et  c'est  dans  la  discussion  qui  suivit  cette  communication 
que  je  démontrai  les  avantages  de  l'écriture  droite.  A  la 
suite  de  cette  discussion,  la  société  nomma  une  commission 
dont  les  travaux  aboutirent  au  dépôt  d'un  important  rap- 
port, par  le  Dr  Thorcns.  Dans  la  séance  du  25  mai  1881, 
tome  II  de  la  Revue  d'Hygiène,  p.  409,  la  Société  vota,  après 
une  légère  modification,  les  conclusions  de  ce  rapport  : 

La  Société  procède  au  vote  sur  les  conclusions  du  rapport  ; 
l'amendement  proposé  par  M.  Javal  étant  accepté,  ces  conclu- 
sions sont  définitivement  adoptées  avec  la  rédaction  sui- 
vante : 

1°  L'élève  sera  assis  également  sur  les  deux  fesses,  la  ligne 
des  épaules  horizontale  et  parallèle  au  bord  de  la  table,  en 
évitant  de  creuser  les  reins. 

2°  L'élève  ne  devra  pas  appuyer  les  coudes  et,  s'il  les  appuie, 
il  devra  les  placer  tous  les  deux  également  sur  la  table. 

3°  Il  se  bornera  à  maintenir  le  papier  avec  les  doigts  de  la 
main  gauche. 

4°  Il  y  a  lieu  de  recommander  exclusivement,  au  moins 
pour  les  débutants,  l'écriture  droite  (à  pleins  verticaux),  le 
papier  étant  maintenu  droit.  Si  l'on  adopte  une  écriture 
inclinée,  il  faut  que  le  papier  ait  une  inclinaison  égale  à  celle 
demandée  à  l'écriture,  mais  en  sens  inverse.  Il  est  nécessaire 
que  pour  une  écriture  inclinée  de  gauche  à  droite  de  45°,  le 
papier  soit  incliné  de  droite  à  gauche  de  45°,  de  telle  façon 
que  les  pleins  soient  toujours  tracés  perpendiculairement  au 
bord  de  la  table. 

M.  le  Président.  —  Les  présentes  conclusions  seront 
transmises  à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique. 

Sur  ces  entrefaites,  M.  G.  Guéroult  me   signala  un  pas- 

JÀVAL,  16 


242         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


sage  de  George  Sand  (Impressions  et  Souvenirs)  où,  dès  fé- 
vrier 1872,  elle  avait  posé  le  précepte  de  l'écriture  droite, 
papier  droit,  corps  droit,  qui  fut  remis  en  circulation  à  la 
séance  de  la  Soc.  d'hygiène  et  de  médecine  professionnelle  du 
22  juin  1881  et  qui,  depuis,  a  fait  le  tour  du  monde  civi- 
lisé. 

Dans  une  lettre  qu'il  m'adressait  le  7  août  1887,  M.  le 
Docteur  Schubert,  parlant  de  la  phrase  de  G.  Sand,  s'expri- 
mait ainsi  : 

«  C'est  l'indication  la  plus  ancienne  en  faveur  de  notre 
écriture  droite,  car  Ellienger,  au  début,  réclamait  l'écriture 
penchée  sur  papier  incliné  et  ne  se  laissa  convertir  par  moi 
à  l'écriture  droite  qu'en  1886,  et  Gross  a  toujours  recommandé 
l'écriture  droite  sur  papier  incliné,  ce  qui  est  au  moins 
bizarre.  » 

Ayant  eu  connaissance  d'une  série  d'articles  parus  dans 
la  Revue  scientifique  (1),  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique,  par  arrêté  du  1er  juin  1881,  avait  chargé  une  Com- 
mission, composée  de  MM.  Gariel,  Gauthier- Villars,  Gavar- 
ret,  G.  Hachette,  Javal,  G.  Masson,  de  Montmahou,  Panas 
et  Perrin,  «  de  rechercher  les  causes  du  progrès  de  la  myo- 
«  pie  parmi  les  écoliers,  et  d'indiquer  les  remèdes  à  une 
«  situation  qui  va  empirant  de  jour  en  jour  ». 

La  Commission  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre,  et,  après  avoir 
procédé  à  une  enquête  faite  d'après  d'importants  documents, 
dont  un  bon  nombre  furent  puisés  au  Musée  pédagogique, 
après  avoir  appelé  dans  son  sein  des  hommes  compétents, 
après  avoir  envoyé  une  sous-commission  prendre  des  obser- 
vations sur  le  vif  dans  plusieurs  écoles,  elle  confia  la  rédac- 
tion d'un  Rapport  d'ensemble  à  M.  le  Dr  Gariel,  ingénieur 
des  Ponts  et  Chaussées,  professeur  de  physique  à  la  Faculté 
de  Médecine  de  Paris. 

La  Commission,  sans  négliger  les  questions  d'éclairage, 
de  mobilier  scolaire,  de  typographie  des  livres  classiques, 
aboutit  à  cette  conclusion  que  si  l'Administration  adoptait  l'é- 

(1)  Javal.  Les  maladies  de  l'œil  et  l'emploi  des  lunettes,  27  septembre 
1879.  —  L'éclairage  public  et  privé,  au  point  de  vue  de  l'hygiène  des  yeux, 
18  octobre  1879.  —  Les  livres  et  la  myopie,  22  novembre  1879.  —  Le 
mécanisme  de  l'écriture,  21  mai  1881. 


XVIII.  —  PROPAGATION  DE  l'ÉCRITURE  DROITE.  243 


criture  droite  pour  les  jeunes  enfants,  la  principale  cause  de 
myopie  aurait  disparu. 

Voici  les  termes  mêmes  du  Rapport  : 

La  Commission  pense  qu'on  obtiendra  un  très  grand  pro- 
grès en  exigeant,  suivant  la  formule  de  Mme  G.  Sand,  une 
écriture  droite  sur  papier  droit,  corps  droit.  On  évitera  ainsi, 
du  même  coup,  la  scoliose  (1)  et  la  myopie.  —  Nous  ne  nous 
dissimulons  pas  que  l'idée  de  substituer  absolument,  pour 
les  enfants,  l'écriture  droite  à  l'écriture  penchée  paraîtra  sin- 
gulière tout  d'abord;  mais  nous  avons  cherché  vainement  les 
raisons  sérieuses  que  l'on  pourrait  opposer  à  cette  proposi- 
tion qui  a,  d'ailleurs,  l'avantage  de  rendre  les  caractères  plus 
lisibles,  ainsi  que  nous  croyons  que  tout  le  monde  pourra 
s'en  assurer,  comme  nous  l'avons  fait  nous-mêmes.  Il  faut  re- 
marquer, d'ailleurs,  que  lorsque  l'enfant  devenu  adulte  vou- 
dra écrire  penché,  ce  qui  permet  une  plus  grande  rapidité 
et  une  plus  grande  rectitude  des  lignes  sur  le  papier  non 
réglé,  il  lui  suffira  d'incliner  son  papier  vers  la  gauche.  Mais, 
en  tout  cas,  la  solution  que  nous  préconisons,  en  plaçant  le 
corps  dans  une  symétrie  parfaite,  parallèlement  au  bord  de 
la  table,  le  papier  placé  devant  le  milieu  du  corps,  paraît 
devoir  éviter  les  déformations  latérales  qui  sont  actuellement 
si  fréquentes  ;  rendant  naturelle  la  position  normale  de  la 
•tête,  elle  s'opposera  au  rapprochement  continu  de  celle-ci 
vers  le  papier.  Aussi  nous  pensons  que  si  l'Administration 
adopte  cette  conclusion,  la  principale  cause  de  myopie  aura 
disparu. 

Assurément,  un  élève  pourra  se  tenir  mal  tout  en  ayant  le 
papier  droit  devant  lui  et  en  écrivant  sans  pente  ;  mais,  du 
moins,  pourra-t-il  se  tenir  bien,  tandis  qu'avec  les  principes 
actuels,  les  admonestations  perpétuelles  des  maîtres  les  plus 
soigneux  viennent  se  briser  devant  des  impossibilités  phy- 
siologiques. 

Ces  conclusions,  publiées  en  1882,  ont  été  adoptées  dans 
plusieurs  pays  étrangers. 

En  France,  elles  restèrent  lettre  morte. 

Cependant  une  Commission  de  quatre-vingts  membres, 
nommée  par  décret  du  24  janvier  1882,  fut  chargée  d'étudier 
les  conditions  de  l'hygiène  des  écoles  primaires  et  des  écoles 
maternelles  (2).  Elle  délégua  à  une  sous-commission  l'exa- 
men des  questions  d'hygiène  de  la  vue  ;  cette  sous-commis- 

(1)  Voir  ci-dessus,  Chapitre  XIII  (page  145). 

(2  Hygiène  des  écoles  primaires.  Rapport  d'ensemble  par  le  Dr  Javal  ; 
Imprimerie  Nationale  et  librairie  Masson,  Paris,  1884. 


244         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

sion  s'appropria  entièrement  les  motifs  de  la  Commission 
spéciale  de  1881  et  proposa  la  conclusion  suivante,  qui  fut 
votée  en  séance  plénière  : 

«  Pendant  le  cours  élémentaire  et  le  cours  moyen,  on  obli- 
«  géra  les  enfants  à  se  conformer  à  la  formule  de  Mme  Sand  : 
«  Écriture  droite  sur  papier  droit,  corps  droit  ». 

Des  esprits  impatients  pourraient  trouver  que,  depuis  dix 
ans,  l'Administration  aurait  dû  se  conformer  sans  retard  aux 
avis  des  Commissions  et  rendre  obligatoire  l'enseignement 
de  l'écriture  droite. 

Ce  n'est  pas  notre  avis. 

Dans  un  pays  aussi  fortement  centralisé  que  la  France,  le 
pouvoir  central  ne  doit  agir  qu'avec  une  extrême  modération, 
et  la  Direction  de  l'Enseignement  primaire  a  bien  fait  en  se 
bornant,  tout  d'abord,  à  autoriser  l'écriture  droite  dans  les 
écoles,  nous  laissant  la  tâche  de  faire  partager  notre  opinion 
aux  maîtres. 

C'est  pour  parvenir  à  ce  résultat  que,  dix  ans  plus  tard, 
le  26  janvier  1892,  j'ai  repris  ma  thèse  à  la  tribune  de  l'Aca- 
démie de  Médecine. 

Après  avoir  exposé,  en  détail,  l'état  de  la  question,  j'ai 
terminé  mon  discours  par  les  paroles  suivantes  : 

<(  Il  me  reste  à  m'excuser  d'avoir  entretenu  l'Académie  d'un 
sujet  dont  l'importance  paraît  minime.  Je  ferai  remarquer 
cependant  qu'en  cas  de  guerre,  surtout  avec  les  tirs  à  très  lon- 
gue portée,  l'état  de  la  vue  des  soldats  n'est  pas  sans  impor- 
tance. 

«  Disraeli  a  dit  au  Parlement  anglais  :  «  La  puissance  appar- 
tient au  peuple  le  plus  vigoureux,  le  plus  nombreux  et  le  plus 
instruit  ». 

«  L'Académie  n'a  pas  à  s'occuper  de  l'instruction  populaire  ; 
quant  au  nombre,  on  n'a  pas  perdu  le  souvenir  de  la  discus- 
sion sur  la  dépopulation  que  j'ai  provoquée  à  la  suite  de  la  lec- 
ture d'un  mémoire  de  M.  Lagneau.  Aujourd'hui,  j'ai  voulu 
appeler  l'attention  sur  une  question  d'aptitude  physique,  dont 
l'importance  ne  sera  certainement  pas  méconnue  par  ceux 
de  nos  confrères  qui  appartiennent  à  l'armée  et  surtout  à  la 
marine.  » 

Cette  communication  fut  le  point  de  départ  d'une  obser- 
vation qui  fut  faite  à  l'Académie  de  Médecine  par  mon  illus- 


XVIII.  —  PROPAGATION  DE  L  ÉCRITURE  DROITE.  245 

tre  collègue,  le  baron  Larrey,à  la  séance  suivante,  et,  à  la 

cj\a_^  ^l-VCMV)^  ^ÇKjlto  uvmjtv^,  "LultO- 


tribune  de  la  même  Compagnie;  je  revins  à  plusieurs  reprises 


246         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

sur  le  même  sujet  (séances  des  2  février  1892,  29  août  1893, 
6  mars  1894,  et  27  août  1895). 

A  la  suite  d'un  vote  de  l'Académie,  le  Ministre  de  l'Instruc- 
tion publique  prit,  en  novembre  1893,  un  arrêté  par  lequel 
l'écriture  droite  est  acceptée  pour  l'examen  du  certificat 
d'études  et  du  brevet  de  capacité. 

Ainsi  qu'on  le  voit  d'autre  part,  d'après  la  figure  (Fig.  75), 
qui  m'est  obligeamment  fournie  par  M.  Baudrillard,  l'écri- 
ture droite  a  fait  son  chemin  en  Amérique  et,  sans  chercher 
aussi  loin,  dans  le  XVe  arrondissement  de  Paris,  sous  l'im- 
pulsion de  M.  Baudrillard,  l'écriture  droite  est  enseignée 
depuis  plusieurs  années  dans  toutes  les  écoles. 

Il  en  est  de  même  à  l'Ecole  normale  primaire  du  dépar- 
tement de  la  Seine  (rue  Molitor). 

Conclusion.  —  Actuellement,  les  expériences  faites  en 
France  et  à  l'étranger  sont  suffisamment  probantes  pour 
justifier  un  arrêté  du  Ministre  qui  rendrait  l'écriture  droite 
obligatoire  pour  les  épreuves  du  certificat  d'études  primaires. 

Enfin,  au  moment  de  donner  le  bon  à  tirer  de  la  présente 
feuille,  on  me  signale  une  série  de  cahiers  d'écriture  droite 
qui  viennent  d'obtenir  un  gros  tirage  (1),  et  qui  sont  inscrits 
sur  les  listes  de  la  Ville  de  Paris  et  d'un  grand  nombre  de 
départements. 

(1)  L'écriture  droite.  Méthode  nouvelle  enk  cahiers  >  modèles,  établie  d'après 
les  prescriptions  hygiéniques,  par  M.  G.  Bergougnan,  Paris,  Cornély  et  Cie 
éditeurs,  101,  rue  de  Vaugirard. 


* 


CHAPITRE  XIX. 


ENSEIGNEMENT  DE  L'ÉCRITURE. 

L'enseignement  de  l'écriture  doit  se  fonder  d'une  part  sur 
la  tradition,  qui  impose  la  forme  des  lettres,  et,  d'autre  part, 
sur  les  principes  de  physiologie  qui  sont  à  la  base  du  méca- 
nisme par  lequel  nous  écrivons.  S'il  en  est  ainsi,  renseigne- 
ment de  l'écriture  peut  se  partager  en  deux  parties  :  celle  qui 
consiste  à  inculquer  aux  enfants  la  forme  des  lettres,  et  celle, 
infiniment  plus  pénible,  par  laquelle  on  leur  enseigne  succes- 
sivement l'écriture  à  main  posée  et  l'écriture  expédiée. 

Le  premier  temps  de  l'enseignement  de  l'écriture  consiste 
à  faire  tracer  à  l'enfant  des  lettres  lisibles,  et  comme  il  ne 
faut  pas  lui  imposer  plusieurs  préoccupations  à  la  fois,  ainsi 
que  le  remarquait  dès  l'an  VIII  François  (de  Neufchâ- 
teau)  dont  il  sera  question  dans  le  chapitre  suivant,  le 
mieux  me  paraît  être  de  faire  exercer  les  élèves  sur  des 
tableaux  noirs  garnissant  tout  le  tour  de  la  classe,  ce  qui 
permet  au  maître  de  les  surveiller  d'un  seul  coup  d'œil. 

Il  faut  éviter,  le  plus  possible,  l'emploi  des  ardoises,  qui 
conduit  à  crisper  les  doigts,  habitude  qu'il  est  difficile  de 
combattre  plus  tard. 

C'est  pour  la  même  raison  que,  lorsqu'on  recourt  à  l'écri- 
ture au  crayon,  sur  papier,  il  faut  éviter  des  crayons  durs  ; 
d'ailleurs,  l'écriture  au  crayon  est  un  intermédiaire  fâcheux 
sous  le  rapport  delà  conservation  des  yeux, et  fâcheux  aussi 
en  ce  que  la  tenue  du  crayon,  qui  est  arbitraire,  est  loin  de 
préparer  à  une  bonne  tenue  de  la  plume. 

Quand  les  enfants  apprennent  à  écrire  avec  de  l'encre  sur 
papier,  il  faut  bien  se  garder,  comme  on  le  fait  trop  souvent, 
de  leur  faire  tracer  des  lettres  de  grandes  dimensions,  tout 
à  fait  hors  de  proportion  avec  leurs  petits  doigts;  une  hau- 
teur de  quatre  millimètres  pour  les  lettres  courtes,  autant 
pour  les  queues,  constitue  un  maximum  dont  la  pratique 
est  favorisée  par  l'énorme  diffusion  du  papier  quadrillé  de 
quatre  millimètres. 

Il  faut,  sans  trop  tarder,  passer  à  une  écriture  plus  fine, 


248         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


tracée  au  moyen  de  plumes  à  bec  large,  et,  dès  que  l'enfan; 
commence  à  écrirè  rapidement,  lui  enseigner,  par  des  exer- 
cices spéciaux,  tels  que  les  recommandent  Grimai  et  Taupier, 
la  combinaison  des  mouvements  du  poignet  avec  ceux  des 
doigts. 

Pour  l'écriture  extrêmement  [rapide,  puisque  l 'illisibilité 
provient  très  souvent  de  ce  que,  dans  la  rapidité,  l'écri- 
vain ne  fait  aucune  différence  entre  les  jambages  d'u  et  les 
jambages  d'n,  rien  ne  serait  plus  simple  d'adopter,  pour  une 
de  ces  lettres,  un  signe  qui  ne  prêtât  pas  à  confusion  tout  en 
étant  d'une  exécution  rapide  :  supposons,  par  exemple,  la 
substitution  d'e  renversé  (a)  auxn,  on  ne  pourra  plus  lire  Cha- 
lon  au  lieu  de  Chaton,  nuage  au  lieu  à'image. 

D'après  les  conclusions  de  la  Commission  d'hygiène  des 
écoles  primaires,  l'écriture  droite  devrait  être  la  seule  ensei- 
gnée, dans  les  cours  élémentaire  et  moyen,  c'est-à-dire 
pour  l'immense  majorité  des  écoliers. 

A  quel  degré  d'instruction  faut-il  opérer  la  transformation 
de  l'écriture  droite  en  écriture  penchée?  Je  crois  que  le  plus 
simple  est  de  s'en  fier  à  la  nature,  et,  retournant  les  termes 
de  la  décision  ministérielle,  citée  à  la  fin  de  l'article  précé- 
dent, je  me  bornerai  à  désirer  que  l'écriture  penchée  ne  soit 
pas  interdite  pour  les  copies  des  candidats  aux  examens. 

Je  possède  une  assez  nombreuse  collection  de  modèles 
d'écriture  droite  de  tous  pays.  Pour  chercher  un  peu  loin, 
je  reproduis  ici  une  ligne  (Fig.  76)  des  modèles  d'écriture  de 


7) 

Fig.  16. 

Mademoiselle  Sophie  Mœler,  qui  ont  eu  du  succès  dans  les 
pays  Scandinaves.  Je  ne  puis  résister  à  la  tentation  d'insérer 
le  fac-similé  de  deux  feuillets  de  modèles  (Fig.  77  et  78)  que 
j'ai  tracés  pour  être  joints  à  ma  méthode  d'enseignement  de 
la  lecture  par  l'écriture. 

En  traçant  ces  modèles,  j'avais  l'idée  de  retourner  au  type 
que  Dessalle  enseignait  au  Dauphin,  fils  de  Louis  XVI 
(Voir  ci-dessus,  page  238)  et  qui  n'a  pas  été  publié  ;  cette 
écriture,  que  d'autres  amélioreront,  je  la  dédie  à  nos  écoliers, 
et,  pour  caractériser  son  emploi,  je  propose  le  nom  d'Ecri- 
ture des  Enfants  de  France. 


XIX.  —  ENSEIGNEMENT  DE  l'ÉCRITURE.  249 
Cov\iô  AaxhX/.  <3<x^XjtAy  tenu/  <L>ooiV.  (\vuxAaàMxk^ïs-  ■qiuxViC'  Ani^ZirrikA/utô. 

• }  LLirn  r  i  n.  in  l  lz;:l-1:LI  <:ua  \2\M2M 
<  j à 'zzzrl  c:.i:  v,i r  i iiLniibxaTi' 


Aax^  Xruw  jeÀs  Aaas  sçuyixyrueX'  xyuÀs  -&cmV  /nÀ^ceôfrxvteà  -yunurs  ÀcrÀ/ues  --vite. 


Fig.  77. 


250         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


6  XMMÇ^Qïp^ 

A   A  A    A       A       i  ;  ii 


v  ii;  ]/  il  a: Inxid  iz 


-  "ZXÀAlAVU 

iâ  \ô 


7 


17 


71 


F^.  75, 


CHAPITRE  XX. 


LA  LECTURE  ENSEIGNÉE  PAR  L'ÉCRITURE. 

L'idée  d'enseigner  la  lecture  par  l'écriture  n'est  pas  nou- 
velle, puisqu'elle  a  été  préconisée,  dès  l'an  VIII,  par  François 
(de  Neufchâteau).  Cet  homme  remarquable,  plus  connu  comme 
l'organisateur  de  la  première  exposition  industrielle  et  aussi 
par  son  projet  de  loi  pour  la  destruction  des  insectes  nuisi- 
bles à  l'agriculture,  avait  trouvé  le  temps,  étant  à  la  tête  du 
ministère  de  l'Intérieur  (dont  ressortissait  l'Instruction  pu- 
blique), de  composer  un  manuel  d'enseignement  de  l'écriture 
par  la  lecture. 

Le  principal  avantage  de  ce  système  est  de  donner  satis- 
faction au  besoin  que  les  enfants  ont  d'agir  par  eux-mêmes. 
Aussi,  l'enseignement  de  la  lecture  par  l'écriture  est-il  très 
répandu  en  Allemagne. 

Mais  les  méthodes  allemandes  et  les  méthodes  similaires 
employées  en  France  ont  souvent  un  effet  fâcheux  sur  la  vue 
des  enfants,  car  elles  reposent  sur  l'usage  d'une  écriture  pen- 
chée; et  cet  inconvénient  est  si  considérable  que  l'emploi  de 
ces  méthodes,  malgré  leur  supériorité  pédagogique,  devrait 
être  rigoureusement  interdit,  au  nom  de  l'hygiène. 

Il  m'a  donc  paru  intéressant  de  combiner  une  méthode 
d'enseignement  de  la  lecture  fondée  sur  les  mêmes  principes, 
mais  faisant  usage  d'une  écriture  droite,  compatible  avec  une 
bonne  attitude  des  élèves. 

Je  reproduis  ci-contre  une  page  de  cette  méthode  (Voir 
Fig.  79). 

Voici,  sur  cette  méthode,  quelques  appréciations  dues  à 
des  auteurs  d'une  compétence  reconnue. 

M.  Gaston  Tissandier,  dans  la  Nature,  s'exprime  ainsi  : 

«  Il  est  d'un  intérêt  national  de  rendre  aussi  rapide  que 
possible  l'apprentissage  de  la  lecture,  pour  laisser  aux  maîtres 


252 


TROISIEME  PARTIE. 


DEDUCTIONS  PRATIQUES. 


îojto  m'a  do n[saé  dix  nufméroj  de  Pote[rie.  — 
Zu  apporterai  Pe  rôti  de  porc  dur  Pe  pPat 
o  a  détruit  une  majje  é|norjme 


do 


re 


£é 


1 


ne  armée 


d'ortiej  parmi  noj  to|matei.— 
de  dix  miP Pe  fcommed  a  été  détruilte  par  noi 
doPdati.—  fi  £éo 


poid  pajje  par  nojtre  rue, 


iP  donnera  à  Pa  porte.—  , 
pPud  de  miPPe  moruej. 


te  Pot  a  daPé 


iur  a 


Aijthur 

dore  Pa  pdtidde|rie; 
ja  petite  ajmie  îïlajrie  Pui  a 
apporté  une  tar|te, 
ÎTla  rie  a  prij  ulne  p ejtllte  part. 


a 

a  é 

rt^ur 
té  ma 

a  pru  une  part  é 
Pade  :  CLrjtdlur  a  é 

norme;  a|Pord,  iP 

;é  dot. 

£e  cLoj  , 

Pe  mot,  Pe  re 

poj,  u 

ne  torjtue,  Pa 

mort,  Pe  mar|mot,  Pa  porte,  Pa  pro|pre|té,  Pe 
piano,  P  od,  Pe  Homard,  ujne  note,  Pa  pe|Po|te? 
Pa  pro|pn|été,  Pa  pom|ma|de,  Pa  méthode. 


XX.  —  LA  LECTURE  ENSEIGNÉE  PAR  l'ÉCRITURE.  253 

de  nos  écoles  primaires  le  temps  d'enseigner  d'autres  matières 
aux  enfants  qui,  pour  la  plupart,  terminent  leurs  études  à 
douze  ans. 

La  méthode  que  nous  allons  faire  connaître  et  qui  est  due 
à  M.  le  Dr  Javal,  le  savant  spécialiste,  réalise  à  la  fois  plu- 
sieurs perfectionnements. 

François  (de  Neufchâteau),  ministre  de  l'Intérieur  en  1800, 
se  fondant  sur  le  besoin  d'agir,  si  naturel  à  l'enfant,  recom- 
mandait déjà  d'enseigner  la  lecture  par  l'écriture;  ce  principe 
excellent,  largement  appliqué  en  Allemagne,  devait  être 
adopté. 

La  logique,  qui  demande  toujours  à  voir  le  même  son 
représenté  par  le  même  signe,  logique  si  violemment 
blessée  par  notre  orthographe,  a  été  respectée,  dans  la  me- 
sure du  possible,  en  adoptant  des  caractères  d'une  forme 
voisine  de  celle  des  caractères  typographiques  et  cependant 
faciles  à  tracer  pour  la  main  de  l'enfant.  Rien  n'a  été  livré  au 
hasard  dans  la  gravure  des  caractères  spéciaux,  majuscules 
et  minuscules. 

De  plus,  par  l'aspect  spécial  des  lettres  muettes,  par  cer- 
tains signes  qui  font  connaître  les  lettres  sifflantes  ou  les 
groupes  de  lettres  destinées  à  figurer  un  son  unique,  la  lec- 
ture est  rendue  bien  plus  facile  pour  le  commençant  :  il  lit 
sans  hésitation  des  phrases  telles  que:  nous  portions  les  portions 
ou  les  poules  du  couvent  couvent. 

L'écriture  enseignée  est  droite  ;  on  sait  que  le  Dr  Javal  fait 
une  grande  propagande  en  faveur  de  ce  mode  d'écriture,  qui 
présente  de  grands  avantages  sous  le  rapport  de  l'hygiène  :  il 
devait  nécessairement  l'adopter  pour  la  méthode  de  l'ensei- 
gnement de  la  lecture  par  l'écriture. 

Voici  maintenant  le  côté  vraiment  original  de  la  méthode 
Javal. 

On  sait  que,  pour  l'enfant,  la  lecture  devient  un  plaisir  à 
partir  du  jour  où  il  lit  des  histoires  qui  l'intéressent.  Il  est 
donc  important  d'arriver  le  plus  tôt  possible  à  ce  moment,  et 
voici  comment  l'auteur  y  est  parvenu. 

Il  a  commencé  par  classer,  au  moyen  de  comptages,  les 
signes  phoniques  suivant  l'ordre  de  fréquence,  et  l'étude  en 
est  faite,  dans  la  méthode,  suivant  l'ordre  ainsi  obtenu  et  que 
voici  : 

r,   a     l  i   e   t  d   s  p   u   m   é   n   o   è   v   en   ou   ai   c,  etc. 
1      2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12  13  14  15  16   17  18  19  etc. 

On  arrive  à  quarante-trois  leçons  seulement,  grâce  à  l'in- 
troduction simultanée  de  plusieurs  signes  dans  certaines 
leçons;  par  exemple  on  et  om  font  l'objet  d'une  seule  leçon. 

Une  fois  ce  tableau  obtenu,  M.  Javal  a  classé  tous  les  mots 
usuels  de  la  langue  en  catégories,  la  première  contenant  les 
mots  qui  ne  se  composent  que  des  lettres  r  et  a  ;  la  seconde, 
les  mots  formés  des  lettres  r,  a  et  /  ;  la  troisième,  ceux  qu'on 
peut  écrire  avec  les  seules  lettres  r,  a,  l  et  i;  et  ainsi  de  suite. 


254         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Dès  que  ce  vocabulaire  l'a  permis,  il  s'en  est  servi  pour  com- 
poser des  phrases,  puis  des  histoires,  ce  qui  a  nécessité  de 
grands  efforts  d'ingéniosité  et  de  patience. 

Essayez  de  changer  un  seul  mot  à  ces  histoires,  sans  sortir 
du  vocabulaire  disponible,  et  vous  vous  rendrez  compte  du 
travail  de  patience  qu'il  a  fallu  pour  composer  les  récits  qui 
font  le  mérite  de  la  méthode  Javal. 

Nous  avons  voulu  montrer  les  avantages  théoriques  du 
petit  livret  de  32  pages  que  nous  présentons  à  nos  lecteurs. 
Quant  à  la  pratique,  elle  a  déjà  prononcé;  nous  avons  sous 
les  yeux  le  rapport  d'un  officier  qui  a  mis  moins  d'une  jour- 
née de  son  temps  à  enseigner  la  lecture  et  l'écriture  à  son 
brosseur  ;  il  lui  a  suffi  en  effet  de  consacrer  43  séances  de 
quelques  minutes  chacune,  à  enseigner  à  cet  homme  chacun 
des  éléments  nouveaux  qui  s'introduisent  à  chacune  des 
43  leçons  (Voyez  Fig.  80,  p.  256).  Nous  avons  aussi  sous  les 
yeux  la  lettre  d'un  instituteur  qui  a  enseigné  ainsi  à  lire  à  une 
femme  de  soixante  ans  ;  enfin,  tous  les  maîtres  qui  ont  expé- 
rimenté la  méthode  s'accordent  à  dire  que,  désormais,  ils 
n'en  emploieront  pas  d'autre.  Puissent-ils  être  imités,  car 
l'enseignement  rapide  de  la  lecture  serait,  pour  la  France, 
un  bienfait  de  conséquences  incalculables. 

M.  le  Dr  Javal  croit  que,  par  ses  procédés,  l'enseignement 
de  la  lecture  devient  assez  facile  pour  que  la  mère,  la  sœur 
aînée,  un  camarade  plus  âgé,  puissent  le  donner  aux  jeunes 
enfants  tout  aussi  bien  qu'un  maître  expérimenté,  et  il  espère 
qu'un  jour  viendra  où  la  plupart  des  enfants  entreront  à 
l'école  sachant  déjà  lire  ». 

Gaston  Tissandier. 
(La  Nature). 

Voici  maintenant  la  fin  d'un  article  de  M.  Francisque 
Sarcey  : 

«  Il  y  a  des  parties  qui  m'ont  paru  curieuses  dans  cette  mé- 
thode. M.  Javal,  au  lieu  de  prendre  l'alphabet  et  de  suivre  les 
lettres  dans  l'ordre  où  il  les  a  présentées,  les  a  rangées  selon 
la  fréquence  de  leur  retour  dans  les  mots.  Il  commence  par 
enseigner  aux  enfants  les  lettres  et  combinaisons  de  lettres 
qui  reviennent  le  plus  souvent. 

Et  alors...  c'est  le  côté  original  de  la  méthode...  il  compose 
des  exercices  où  n'entrent  rigoureusement  que  les  lettres  et 
combinaisons  de  lettres  déjà  connues  :  il  part  de  cette  idée, 
qui  est  fort  juste,  que  l'enfant  ne  goûte  vraiment  le  plaisir 
de  lire  et  ne  se  passionne  pour  la  lecture  que  lorsqu'il  com- 
mence à  pouvoir  lire,  sans  soutien  et  sans  guide,  les  petites 
histoires  qui  l'intéressent.  Le  docteur  Javal  a  pris  soin  de  lui 
en  écrire  à  la  portée  de  son  âge,  d'où  sont  exclues  les  lettres 
qu'il  ne  connaît  pas  encore. 

Si  bien  que,  des  la  seconde  ou  la  troisième  leçon,  l'enfant 


XX.  — 


LA  LECTURE  ENSEIGNÉE  PAR  l'ÉCRITURE. 


255 


est  ravi  de  lire  lui-même,  tout  seul,  et  de  comprendre  ce  qu'il 
lit.  Il  va  ainsi  de  leçon  en  leçon,  et  à  chaque  fois  il  conquiert 
de  nouvelles  combinaisons  de  lettres,  qui  entrent  dans  les 
exercices  soigneusement  composés  pour  lui  par  le  docteur 
Javal. 

Il  va  sans  dire  que  toute  la  méthode  ne  consiste  pas  dans 
cet  unique  changement  aux  vieilles  façons  d'enseigner  la 
lecture.  J'en  parle  ici  parce  que  c'est  celui  qui  m'a  le  plus 
frappé  ». 

Francisque  Sarcey. 

(Echo  de  Paris). 

Enfin,  M.  Paul  Robin,  qui  était  directeur  de  l'Orphelinat 
de  la  Seine,  à  Cempuis,  et  dont  il  a  été  question  dans  le 
Chapitre  IV,  à  propos  de  l'enseignement  de  la  lecture  par  la 
sténographie,  a  écrit  ce  qui  suit  : 

«  M.  le  Dr  Javal,  à  qui  la  science  est  redevable  de  travaux  de 
la  plus  haute  importance,  aujourd'hui  répandus  dans  le  monde 
entier,  sur  l'ophtalmologie,  n'a  pas  dédaigné  de  consacrer 
plusieurs  années  de  son  temps  précieux  à  la  rédaction  d'une 
méthode  de  lecture. 

Réduire  au  minimum  le  temps  des  expériences  fatigantes, 
nécessaires  pour  déterminer  l'état  précis  de  la  vision  d'un 
malade  était  le  but  de  ses  recherches  scientifiques,  réduire 
de  même  le  temps  assez  fastidieux  que  les  petits  doivent  con- 
sacrer à  l'acquisition  de  la  partie  mécanique  de  la  lecture  fut 
l'objectif  du  savant  et  du  pédagogue. 

Nous  avons  reçu  et  étudié  autrefois  l'épreuve  provisoire 
autographiée  de  sa  méthode  ;  nous  avons  eu  la  bonne  fortune 
d'examiner  l'épreuve  finale  imprimée  de  l'ouvrage,  et  nous  le 
croyons  appelé  au  plus  grand  et  plus  légitime  succès. 

Insistons  sur  quelques-uns  des  articles  ingénieux  dont 
nous  parlions  :  choix  judicieux  de  mots  ne  présentant  pas  de 
difficultés  de  lecture,  et,  le  plus  tôt  possible,  formation,  avec 
les  mots,  de  petites  phrases  ayant  au  moins  le  sens  commun, 
chose  si  souvent  négligée,  mais  plus  encore  instructives  et 
amusantes  ;  caractères  à  ne  pas  prononcer,  évidés  ;  lettres 
prononcées  autrement  que  de  la  manière  normale,  marquées 
d'un  petit  signe  ;  liaison  des  lettres  qui,  réunies,  figurent  un 
son  unique,  tel  que  ou,  on  ;  introduction  graduelle,  faite  de  la 
manière  la  plus  judicieuse,  des  difficultés  de  l'orthographe, 
jusqu'à  la  dernière  étape  où  l'enfant  lit  comme  tout  le  monde. 

Nous  pouvons  dire  en  vérité  que  l'ouvrage  du  savant 
docteur  atteint  les  19/20  de  la  perfection,  nous  en  aurons  dit 
plus  qu'on  n'en  peut  dire,hélas!  de  la  plupart  des  ouvrages». 

P.  Robin, 

Inspecteur  primaire,  < 
Directeur  de  l'Orphelinat  Prévost,  à  Cempuis. 


256         TROISIÈME  PARTIE.   


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


Pour  plus  de  détails,  je  renvoie  à  la  préface  magistrale 
que  M.  I.  Carré,  inspecteur  général  de  l'Université,  a  bien 
voulu  mettre  en  tête  du  premier  livret  (Picard  et  Kaan,  édi- 
teurs, 11,  rue  Soufflot,  Paris.  Prix  0  fr.  30,  franco).  —  Voir 
aussi  la  Revue  pédagogique  de  juin  1890,  page  573. 

Gomme  exemple  des  résultats  obtenus  au  moyen  de  la 
méthode,  voici  le  fac-similé  du  livre  de  compte  tenu  par  un 
jeune  artilleur  illettré  à  son  entrée  au  service,  dont  il  a  été 
question  dans  l'article  ci-dessus  de  M.  Tissandier  (p.  254). 


concierge  3-9  o 
i  inqe  i>ko 


CHAPITRE  XXI. 


PLANCHETTE  A  ÉCRIRE  DES  AVEUGLES. 


Aussitôt] après  la  perte  de  ma  vue,  je  me  préoccupai  de  me 
procurer  un  appareil  qui  me 
permît  d'écrire  comme  par  le 
passé.  Parmi  les  nombreux 
systèmes  parvenus  à  ma  con- 
naissance, et  dont  j'expérimen- 
tai- plusieurs,  aucun  ne  me 
donnait  satisfaction,  car  aucun 
ne  laisse  à  la  main  et  aux 
doigts  la  pleine  liberté  de 
leurs  mouvements.  Le  gui- 
dage, quel  qu'il  soit,  est  un 
continuel  obstacle  qui  ralentit 
ou  déforme  l'écriture,  et  qui 
est  une  cause  de  préoccupa- 
tion empiétant  sur  la  liberté 
d'esprit  de  l'écrivain. 

Je  fis  alors  construire  la 
planchette  scoto graphique  re- 
présentée par  la  Fig.81,  et  qui 
est  fondée  sur  les  principes 
de  physiologie  de  l'écriture 
que  j'ai  exposés  plus  haut, 
Chap.  XIII,  p.  145  (1).  La 
pièce  caractéristique  de  ce 
petit  appareil  est  une  sorte  de 
talon  où  vient  se  loger  le 
coude  de  l'écrivain.  Pivo- 
tant dans  un  plan  horizon- 
tal, l'avant-bras  fait  décrire  à  la  pointe  de  la  plume  un  arc 


Fis.  81. 


(1)  Voir  aussi  :  Sur  l'écriture.  Société  de  Biologie,  24  novembre  1883  (distinc- 
tion entre  les  mouvements  isochrones  du  poignet  et  les  mouvements  des 
doigts). 

.IAVAT.  17 


258 
de  cer 


TROISIEME  PARTIE. 


DEDUCTIONS  PRATIQUES. 

cle  de  grand  rayon,  et  cet  arc  de  cercle  donne  la  forme 
générale  de  la  ligne  d'écriture. 
Si  la  largeur  du  papier  est  mo- 
dérée, les  lignes  ainsi  tracées 
se  présentent  avec  une  cour- 
bure très  faible  et  d'autant 
moins  choquante  qu'on  ren- 
contre une  courbure  pareille 
dans  bon  nombre  d'écritures. 

Un  second  organe  de  mon 
instrument  est  une  crémaillère 
qui  sert  à  remonter  le  papier 
d'un  centimètre,  chaque  fois 
que  l'écrivain  passe  d'une  ligne 
à  la  suivante. 

Enfin,  je  me  sers  exclusi- 
vement d'une  de  ces  plumes 
à  réservoir,  si  commodes,  qui 
nous  viennent  d'Amérique.  Il 
me  paraît  bien  mieux  d'écrire 
à  l'encre  qu'au  crayon,  car  il 
est  fort  difficile  à  l'aveugle  de 
se  rendre  compte  de  l'état  de 
la  pointe  du  crayon,  afin  de  le 
tourner  entre  ses  doigts  pour 
éviter  la  formation  d'un  mé- 
plat, qui  élargit  à  son  insu  les 
traits  et  peut  rendre  l'écriture 
indéchiffrable  (1). 

Dans  les  premiers  temps, 
les  plumes  à  réservoir  étant 
moins  parfaites  qu'aujour- 
d'hui, il  m'est  arrivé,  résultat 
navrant,  après  avoir  cru  écrire 
une  page,  de  n'avoir  devant 
moi  que  du  papier  blanc. 
T'lS-  82 •  Pour  éviter  cet  inconvénient. 


(1)  Si  l'on  tient  à  écrire  au  crayon,  employer  de  préférence  le  crayon 
«  Koh-i-Noor  »  qui  marque  bien  noir  tout  en  étant  très  dur.  Il  porte  l'in- 
dication :«  British  graphite  drawing  pencil,  compressed  lead.  Made  by  L.  et 
C.  Hardtmuth  in  Austria  ». 


XXI.  — 


PLANCHETTE  A  ÉCRIRE  DES  AVEUGLES. 


259 


je  me  servais  d'une  bande  étroite  de  papier  non  collé, 
analogue  au  papier  des  copies  de  lettres.  Pour  savoir  si  ma 
plume  marchait  bien,  il  suffisait  de  tracer  un  trait  en  travers 
cette  bandelette.  Si  l'encre  coulait  bien,  elle  humectait  le 
papier,  ce  qui  diminuait  sa  résistance  à  la  rupture.  Quand 
ce  papier  se  rompait  sous  un  très  faible  effort,  on  était  sûr 
que  la  plume  avait  fonctionné. 

On  a  pu  voir  à  la  page  précédente  (Fig.  82)  un  fac-similé 
de  mon  écriture  obtenu  au  moyen  de  la  planchette. 

Toutes  les  fois  que  je  dispose  d'une  personne  pour  me 
relire,  je  lui  laisse  le  soin  d'ajouter  les  points  sur  les  i,  les 
accents  et  les  barres  des  t.  Cet  artifice,  très  recommandable, 
me  permet  d'écrire  à  la  fois  plus  vite  et  plus  régulièrement. 

La  planchette  est  fabriquée  par  M.  Cornet,  66,  rue  de 
Rennes. 

Quand  j'ai  à  écrire  une  lettre  hors  de  chez  moi,  je  procède 
par  un  système  analogue  à  celui  qui  est  réalisé  dans  ma 
planchette.  Après  avoir  choisi  pour  mon  coude  un  empla- 
cement, qu'il  ne  doit  pas  quitter,  je  commence  par  poser 
mon  papier  de  telle  sorte  que  son  angle  supérieur  gauche 
coïncide  exactement  avec  un  coin  de  la  table. Toutes  les  fois 
que  j'ai  écrit  une  ligne,  la  main  gauche  fait  remonter  le 
papier  qui  déborde  de  plus  en  plus  par  en  haut.  Il  va  sans 
dire  qu'en  procédant  ainsi,  les  lignes  sont  moins  régulière- 
ment espacées  qu'avec  le  secours  de  la  planchette,  et  que  la 
manœuvre  exige  un  peu  plus  d'adresse. 


CHAPITRE  XXII. 


DÉCHIFFREMENT  DES  MAUVAISES  ÉCRITURES. 

Vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  on  mettait  encore  entre 
les  mains  des  enfants,  pour  les  exercer  à  lire  toutes  les  écri- 
tures, des  recueils  ad  hoc,  parmi  lesquels  on  me  signale  une 
édition  des  sonnets  de  Pibrac.  A  ce  genre  d'exercice  pure- 
ment empirique,  il  me  paraîtrait  intéressant  de  substituer,  à 
l'usage  des  personnes  telles  que  les  typographes  qui  ont 
souvent  à  lire  de  mauvaises  écritures,  un  procédé  d'ins- 
truction méthodique.  Si  je  suis  bien  renseigné  (et  à  cet  effet, 
je  me  suis  adressé  à  M.  Prou,  professeur  à  l'Ecole  des 
Chartes),  il  n'existe  aucun  manuel  répondant  à  ce  but.  Les 
circonstances  m'ont  amené  à  penser  qu'il  y  avait  à  faire 
quelque  chose  dans  ce  sens.  En  effet,  obligé  de  recourir  aux 
yeux  d'autrui  pour  prendre  connaissance  des  lettres  qui  me 
sont  adressées,  j'ai  réussi  rapidement  à  faire  l'éducation 
de  la  personne  qui  me  prête  ses  yeux,  et  cela  en  me  fondant, 
d'une  part,  sur  les  notions  exposées  plus  haut  (Chap.  XIII) 
sur  le  mécanisme  de  l'écriture,  et,  d'autre  part,  sur  la  con- 
naissance de  l'ordre  de  fréquence  des  lettres  qui,  pour  le 
français,  est  r,  a,  l,  i,  e  muet,  t,  d,  etc. 

Je  commence  par  me  faire  donner  quelques  indications 
générales  sur  l'écriture  à  déchiffrer.  L'écrivain  fait-il  une  dif- 
férence entre  les  u  et  les  n?  Les  queues  des  lettres,  les  infé- 
rieures surtout,  sont-elles  assez  longues  pour  qu'il  n'y  ait 
jamais  confusion,  par  exemple,  entre  les  p  les  n?  Les  /  sont- 
ils  barrés  ?  L'écrivain  laisse-t-il  de  larges  espaces  entre  les 
mots?  etc.  —  Cela  fait,  on  commence  à  lire,  en  passant  les 
mots  trop  difficiles  à  déchiffrer  et,  dans  les  mots  lus,  je  fais 
remarquer  la  forme  des  lettres  fréquentes,  à  mesure  qu'on  les 
rencontre.  Comment  est  déformé  Yr  ?  L'a  ressemble-t-il  à  un 
«  ou  à  l'assemblage  d'un  e  et  d'un  i  ?  L7  est-il  bien  distinct 


262         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

du  t  par  sa  boucle  et  par  l'absence  de  barre?  L'z  est-il  suivi 
d'une  levée  de  plume,  habituelle  aux  écrivains  qui  mettent 
les  points  sur  les  i  avant  de  tracer  les  lettres  suivantes  ?  Ou 
bien  l'écrivain,  ne  faisant  pas  de  levées  de  plume  après  les  z, 
ne  met-il  pas  les  points  trop  à  droite,  c'est-à-dire  au-dessus 
de  la  lettre  suivante?  Pour  le  /,  question  analogue,  afin  de 
savoir  si  la  barre  est  faite  aussitôt  après  le  t  ou  après  termi- 
naison du  mot  ?  Le  d  est-il  semblable  au  d  typographique  et, 
dans  ce  cas,  subit-il  une  déformation  analogue  à  celles  qui 
ont  été  mentionnées  plus  haut  pour  l'a,  ou  bien  est-il  à  volute 
et  lié  à  la  lettre  suivante  ? 

Exemple  :  Un  père  reçoit  de  sa  fille  une  lettre  lui  deman- 
dant de  lui  envoyer  une  pipe  pour  monter  à  cheval.  L'écri- 
ture était  superbe,  à  cela  près  qu'en  écrivant  le  mot  jupe,  le 
point  destiné  au  j  était  allé  se  placer  sur  le  second  jambage 
de  l'zz. 

Autre  exemple  :  Une  personne  qui  ne  fait  aucune  différence 
entre  les  «  et  les  n,  qui  ne  barre  pas  les  /  et  les  fait  légère- 
ment bouclés,  et  qui  enfin  oublie  souvent  de  mettre  les  points 
des  z,  adresse  à  Chatou-sur-Seine  une  lettre  que  la  poste,  très 
légitimement,  dirige  sur  Chalon-sur-Saône. 


CHAPITRE  XXIIL 


GRAPHOLOGIE. 

D'après  l'apparition  sensationnelle  d'un  livre  médiocre, 
qui  a  fait  la  gloire  de  l'abbé  Michon,  on  désigne  sous  le  nom 
de  Graphologie  l'art  de  reconnaître  les  caractères  des  per- 
sonnes d'après  leur  écriture. 

Le  plan  du  présent  livre  comportait  nécessairement  un 
chapitre  consacré  à  la  graphologie,  et  j'avais  fait  la  tentative 
de  réunir,  sur  ce  sujet,  quelques  indications  que  je  soumis 
au  jugement  autorisé  de  M.  Moriaud,  professeur  à  l'Université 
de  Genève.  Mon  correspondant  eut  la  bonté  de  m'éclairer 
sur  ma  parfaite  incompétence  en  la  matière,  et  de  redresser 
mon  scepticisme  qui  était  fondé  sur  les  supercheries  dont 
j'avais  été  le  témoin  de  la  part  de  graphologues  extra-lucides. 
Je  me  bornerai  donc  à  renvoyer,  sans  avoir  eu  le  temps  de 
le  lire  moi-même,  au  livre  de  M.  Grépieux-Jamin  (1),  dont 
on  me  signale  tout  particulièrement  l'introduction. 

D'autre  part,  M.  Alfred  Binet,  le  très  perspicace  directeur 
du  laboratoire  de  psychologie  physiologique,  à  la  Sorbonne, 
procède  actuellement  à  une  enquête  expérimentale  sur  les 
mérites  de  la  graphologie  et,  grâce  à  lui,  la  question  paraît 
devoir  s'éclaircir  prochainement.  Il  se  propose  de  la  déve- 
lopper plus  longuement  dans  un  livre  qu'il  prépare  sur  les 
Révélations  de  l'écriture,  et  qui  paraîtra  chez  Alcan. 

(1)  h' Ecriture  et  le  caractère,  3*  édition.  1895  (Paris,  F.  Alcan). 


CHAPITRE  XXIV. 


EXPERTISES  EN  ÉCRITURE. 

Sauf  un  article  du  Dr  Héricourt  relatif  aux  écritures 
dextrogyres  et  sinistrogyres,  je  ne  crois  pas  qu'aucune 
publication  ait  jamais  été  faite  sur  l'application  de  la  physio- 
logie aux  expertises  en  écriture,  applications  nombreuses 
pour  qui  voudra  les  rechercher.  Le  plus  estimé  des  traités 
d'expertises,  dont  l'auteur  est  un  américain,  M.  Frazer,  est 
muet  sur  ce  point,  et  l'édition  française  de  son  livre,  dans 
aucune  des  annotations  du  traducteur,  ne  porte  trace  d'une 
pareille  pensée. 

Si  les  experts  en  écriture  savaient  leur  métier,  ils  ne 
manqueraient  pas  de  s'entourer  des  lumières  que  peut  donner 
la  physiologie. 

Puisqu'il  n'existe,  à  ma  connaissance,  aucune  école  où 
puissent  se  former  les  experts  en  écriture,  les  tribunaux 
s'adressent  à  des  archivistes,  à  des  graphologues  (1),  ou 
môme  à  des  personnes  quelconques  dont  l'incompétence  est 
souvent  notoire. 

Depuis  1570,  époque  où  Hamon,  secrétaire  de  Charles  IX, 
fut  pendu,  soit  pour  cause  de  protestantisme,  soit  pour 
avoir  été  accusé  d'avoir  contrefait  la  signature  du  roi,  les 
experts  en  écriture  ne  sont  pas  en  odeur  de  sainteté  (2). 
D'ailleurs,  dans  son  très  intéressant  mémoire  paru  dans  la 
Revue  scientifique  en  décembre  1897  et  janvier  1898,  M.  Al- 
phonse Bertillon  nous  dit  qu'ils  sont  recrutés  un  peu  au 

(1)  On  a  vu  plus  haut  que  la  graphologie,  souvent  pratiquée  par  les  chi- 
romanciennes, est  l'art  de  deviner  les  caractères  des  personnes  d'après 
l'aspect  de  leur  écriture. 

(2)  Relativement  à  Hamon,  voir  vin  manuscrit  de  Poujade,  intitulé  : 
Essai  d'une  Histoire  de  la  Calligraphie  en  Europe,  volume  grand  format 
de  302  pages,  conservé  au  Musée  pédagogique  sous  la  cote:  manuscrits, 
n°  51. 


266        TROISIÈME  PARTIE.    DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


hasard.  Il  ajoute  que  sauf  le  Dl  Héricourt  et  l'auteur  du 
présent  livre,  personne  n'a  étudié  sérieusement  la  physiolo- 
gie de  l'écriture. 

Dans  une  certaine  mesure,  les  législateurs  d'il  y  a  cent 
ans  subissaient  l'influence  de  l'utilitarisme  de  Bentham.  Ils 
ont  compris  que,  l'utilité  sociale  étant  la  seule  raison  d'être 
des  mesures  répressives,  il  importe  que  les  peines  soient 
appliquées  très  probablement  et  très  rapidement  pour  n'avoir 
pas  besoin  de  le  faire  très  sévèrement,  ces  deux  premières 
conditions  ayant  pour  but  de  prévenir  les  crimes  et  délits 
sans  recourir  à  la  crainte  de  peines  trop  cruelles. 

Les  jurés  n'étant  pas  imprégnés  des  idées  d'Helvétius,  de 
Beccaria,  de  Bentham  et  de  Spencer,  leur  mentalité  les 
conduit  à  des  acquittements  mal  fondés,  par  crainte  soit 
d'erreur,  soit  d'application  de  peines  qui  leur  paraissent 
excessives,  d'où  la  tendance  du  parquet  à  «  correctionna- 
liser  »  les  affaires  de  faux.  Tout  ce  désordre  disparaîtrait  si 
une  bonne  éducation  professionnelle  des  experts,  assurant 
une  répression  probable  et  rapide,  permettait  au  législateur 
d'édicter  des  peines  moins  excessives. 

L'incertitude  et  la  lenteur  des  jugements  fondés  sur  les 
expertises  en  écriture  ont  eu  pour  contrecoup  la  sévérité  de 
la  peine  :  il  y  a  quelques  années  encore,  les  billets  de  la 
Banque  de  France  portaient  cette  mention  que  :  «  La  loi 
punit  de  mort  le  contrefacteur  ».  Les  pénalités  excessives 
dont  on  frappe  le  faussaire  n'ont  pour  excuse  que  l'inanité 
des  expertises,  d'où  résulte  la  rareté  et  la  lenteur  des  con- 
damnations. C'est  à  cette  fâcheuse  situation  que  pourrait 
remédier  un  vrai  enseignement  de  l'expertise  fondé  sur 
des  données  scientifiques. 

* 

Dans  une  écriture,  on  peut  distinguer  deux  éléments  :  les 
éléments  voulus  et  les  éléments  involontaires.  Ces  derniers 
seuls  constituant  le  graphisme,  sont  à  considérer  par  l'expert 
en  écriture. 

Le  même  aphorisme  peut  s'exprimer  encore  en  disant  que 
ce  n'est  pas  par  la  disposition  des  lignes,  des  mots  et  des 
lettres,  ni  même  par  la  forme  de  ces  dernières,  toutes  choses 
assez  faciles  à  copier,  qu'on  peut  reconnaître  «  la  main  » 


XXIV.  — 


EXPERTISES  EN  ÉCRITURE. 


267 


d'un  écrivain,  mais  bien  par  l'étude  des  éléments  involon- 
taires de  l'écriture,  éléments  qui  découlent  de  la  tenue  de  la 
plume  et  de  la  part  contributive  des  doigts,  du  poignet  et  du 
bras  à  l'exécution  du  manuscrit.  En  d'autres  termes  encore, 
on  peut  distinguer  la  topographie,  la  morphologie  et  le  gra- 
phisme. 

C'est  ainsi  qu'en  Amérique,  au  moment  de  la  grande  vogue 
des  plumes  stylographiques,  les  banques  furent  conduites  à 
refuser  les  chèques  signés  au  moyen  de  ces  plumes  dont  la 
pointe  inflexible  trace  des  traits  d'épaisseur  invariable,  tels 
que  rien  ne  permet  plus  de  reconnaître  le  graphisme  du 
signataire  (Voir  Fig.  75,  p.  245,  une  écriture  tracée  au 
stylographe). 

Un  exemple  fera  peut-être  mieux  ressortir  l'importance 
capitale  de  la  distinction  entre  les  parties  voulues  et  les 
parties  involontaires,  ou  graphisme,  de  l'écriture. 

Une  dame  veut  faire  autographier  une  lettre  de  quête, 
avec  reproduction  aussi  parfaite  que  possible  de  son  écri- 
ture. —  Admettons  que,  pour  plus  de  sûreté,  elle  écrive 
deux  exemplaires  de  cette  lettre  :  chacun  sait  que  ces  deux 
exemplaires  ne  peuvent  pas  être  superposables  exactement  ; 
les  mettant  l'un  sur  l'autre  et  les  éclairant  par  transpa- 
rence, pas  une  ligne,  pas  un  mot  ne  se  révéleront  identiques  : 
la  topographie  sera  différente,  mais  il  y  aura  identité  de 
graphisme. 

En  même  temps  que  les  exemplaires,  tirés  à  la  presse 
lithographique,  le  fournisseur  lui  rend  celui  des  deux 
modèles  qu'il  a  employé  :  la  reproduction  est  servile 
jusque  dans  les  moindres  accidents.  La  dame,  sans  savoir 
pourquoi,  dit  que  ce  n'est  pas  son  écriture,  et  cependant, 
posant  sur  un  carreau  de  fenêtre,  l'un  couvrant  l'autre, 
le  modèle  et  l'un  des  exemplaires  livrés,  la  superposition 
est  irréprochable  ligne  sur  ligne,  mot  sur  mot,  lettre  sur 
lettre. 

Que  s'est-il  passé  ? 

L'ouvrier  a  calqué  le  modèle  en  le  dessinant  sur  papier 
pelure  avec  une  encre  spéciale,  il  a  couché  la  page  ainsi 
écrite  sur  une  pierre  lithographique  préparée,  à  laquelle 
l'encre  spéciale  a  adhéré,  si  bien  qu'après  avoir  retiré  le 
papier  pelure,  il  n'y  a  eu  qu'à  employer  cette  pierre  pour 
faire  le  tirage  lithographique. 


268        TROISIÈME  PARTIE.    DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


Si  comme  je  l'ai  supposé,  le  fac-similé  est  mauvais,  c'est 
que  le  dessinateur  n'a  pas  su  reproduire  le  coup  de  plume 
du  modèle.  La  topographie  est  parfaite,  les  mots,  les  lettres, 
sont  bien  en  place,  mais  un  œil  profane  reconnaît  que  cette 
écriture  n'est  pas  de  «  la  main  »  qui  a  tracé  l'original,  et 
le  professionnel  voit,  à  l'œil  nu,  que  la  répartition  des 
pleins  et  des  déliés  n'est  pas  pareille  à  celle  qui  sort  natu- 
rellement de  la  plume  de  l'auteur.  L'autographiste  malhabile 
a  altéré  le  graphisme  de  l'écriture  en  la  calquant. 

La  dame  s'adresse  à  un  autographiste  plus  habile  : 
celui-ci  prend  son  temps,  et,  au  lieu  de  tracer  son  calque 
rapidement,  il  le  dessine,  trait  par  trait,  s'y  prenant  à 
plusieurs  reprises  pour  amener  les  pleins  à  la  gros- 
seur voulue  :  son  travail  donne  pleine  satisfaction  à  la 
cliente.  f 

Si  l'on  examine  cette  épreuve  avec  le  secours  d'une 
bonne  loupe,  il  n'est  pas  difficile  d'apercevoir,  de  place  en 
place,  des  reprises  qui  démontrent  avec  évidence  la  nature 
du  procédé  mis  en  œuvre  par  l'autographiste. 

Supposons  maintenant  que  des  intérêts  considérables 
exigent  une  reproduction  du  modèle  qui  soit  exempte  des 
défauts  inhérents  aux  deux  reproductions  que  je  viens  de 
critiquer.  Le  faussaire  commencera  par  se  rendre  compte 
du  mécanisme  de  la  personne  qui  a  écrit  te  modèle  :  il  par- 
viendra plus  ou  moins  facilement,  par  induction,  à  savoir  si 
cette  personne  tient  son  papier  droit  ou  obliquement,  si  elle 
laisse  son  coude  immobile  ou  si  elle  déplace  son  bras  en 
totalité  de  gauche  à  droite,  si  les  mouvements  du  poignet 
interviennent,  si  le  haut  du  porte-plume  est  dirigé  plus  ou 
moins  latéralement,  etc.  Après  s'être  approprié  l'attitude  du 
scripteur,  il  s'exercera,  pendant  des  semaines,  s'il  le  faut, 
à  s'assimiler  son  graphisme.  Alors,  seulement,  il  sera  en 
mesure  de  rivaliser  avec  les  fameux  auteurs  du  faux  testa- 
ment de  M.  de  la  Boussinière. 

Voici  d'après  une  note  due  à  la  plume  de  M.  Alphonse 
Bertillon  (Revue  scientifique,  18  décembre  1897,  page  779), 
la  très  curieuse  histoire  de  ce  faux. 

«  On  peut  dire,  avec  toute  l'apparence  de  la  vérité,  que  c'est 
cette  célèbre  affaire  qui  nous  a  servi  de  guide  latent  et  que 
nous  avons  essayée  de  schématiser  en  la  présente  étude, 


XXIV.  —  EXPERTISES  EN  ÉCRITURE. 


269 


Aussi,  croyons-nous  devoir  en  rappeler  succinctement  les 
principales  péripéties  au  point  de  vue  graphique. 

Judiciairement  validé,  au  début,  sur  un  rapport  de  M.  Go- 
bert,  expert  en  écriture  de  la  Banque  de  France,  le  faux 
testament  de  la  Boussinière  a  occupé  toute  la  hiérarchie  de 
nos  tribunaux  pendant  plus  de  cinq  ans.  Sa  confection,  une 
merveille  du  genre,  avait  été  obtenue  au  moyen  du  calquage 
de  mots  et  de  parties  de  mots  minutieusement  et  patiemment 
ajustés  côte  à  côte,  en  prenant  comme  modèle  graphique  et 
littéraire  une  volumineuse  correspondance  laissée  par  le  dé- 
funt, M.  de  la  Boussinière. 

Sa  véritable  originalité  au  point  de  vue  technique  consistait 
en  ce  que,  pour  permettre  l'effacement  des  retouches  et  des 
corrections,  et  donner  à  l'écriture  un  aspect  fluide  et  rapide, 
le  calque  une  fois  terminé  et  soigneusement  revu  avait  été 
reporté  sur  une  pierre  lithographique.  Le  manuscrit  testa- 
mentaire lui-même  n'était  autre  qu'une  épreuve  de  ce  report 
intentionnellement  tirée  très  pâle,  au  moyen  de  sous-carbo- 
nate de  plomb  dit  blanc  d'argent,  qu'un  autographiste  profes- 
sionnel très  habile  avait  repassée  à  la  plume  avec  de  l'encre 
ordinaire. 

Quant  au  texte,  il  avait  été  rédigé  par  le  propre  notaire  de 
M.  de  la  Boussinière.  Non  seulement  il  était  inattaquable,  au 
point  de  vue  juridique,  dans  les  dispositions  testamentaires 
qu'il  attribuait  faussement  au  défunt,  mais  il  était  en  même 
temps,  sous  le  rapport  psychologique  et  littéraire,  un  mer- 
veilleux pastiche  du  style  et  des  pensées  très  élevées,  quoique 
un  peu  surannées,  du  vieillard. 

Ainsi,  pour  réussir  ce  chef-d'œuvre,  il  n'avait  pas  fallu 
moins  de  trois  associés  de  spécialité  professionnelle  diffé- 
rente, savoir  :  un  lithographe,  un  autographiste  et  un  notaire. 
Cette  complicité,  cause  de  leur  réussite  initiale,  par  un  juste 
retour,  occasionna  leur  perte  :  le  testament  une  fois  validé 
et  la  fortune  encaissée,  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  faire  chanter 
les  uns  les  autres...  puis  à  se  dénoncer. 

Seul,  le  notaire  fut  condamné  aux  travaux  forcés,  le  litho- 
graphe ayant  été  écarté  des  poursuites,  tandis  que,  grâce  à 
l'éloquence  de  Me  Démange  (23  mai  1892),  l'auto  graphiste, 
cheville  ouvrière  de  la  forgerie,  était  acquitté. 

Il  devait  mourir  dans  la  misère  quelques  mois  après.  Mais 
le  souvenir  de  son  œuvre  lui  survit.  Le  faux  testament  de  la 
Boussinière  est  resté  et  restera  longtemps  encore,  espérons- 
le,  le  cheval  de  bataille,  l'argument  suprême,  que  tout  défen- 
seur dans  une  affaire  d'écriture  garde  en  réserve  pour  sa 
péroraison  ». 

En  dernière  analyse,  le  faux  testament  de  M.  de  la  Bous- 
sinière a  été  tracé  en  repassant  un  modèle  très  pâle,  préparé 
à  loisir,  l'écrivain  faisant  usage  d'un  mouvement  suffi- 
samment lent  pour  pouvoir  suivre  le  modèle  et  cependant 


"270  TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

assez  rapide  pour  éviter  les  reprises  de  plume  et  l'indéci- 
sion. 

Heureusement,  une  performance  analogue  à  celle  qui 
vient  d'être  décrite  est  d'une  exécution  si  laborieuse  que,  si 
les  experts  savaient  un  peu  les  théories  qui  président  au 
mécanisme  de  l'écriture,  les  faussaires  seraient,  devant 
eux,  en  état  d'infériorité.  A  mon  avis,  en  matière  de  faux  : 

La   critique  est  aisée  et  l'art  est  difficile. 

En  résumé,  le  discrédit,  très  mérité,  dans  lequel  sont 
tombés  les  experts  en  écriture  tient  tout  simplement  à  l'igno- 
rance extraordinaire  dont  ils  font  preuve  à  chaque  instant. 
Aussi,  dans  le  mémoire  déjà  cité  de  M.  Alphonse  Bertillon, 
peut-on  relever  les  phrases  suivantes  : 

«  Quand  on  interroge  nos  criminalistes,  qui  font  autorité,  sur 
la  façon  dont  les  expertises  sont  conduites  habituellement  en 
France,  ou  ils  évitent  de  répondre,  ou  ils  se  réfugient  en 
quelques  généralités  :  «  Si  vous  saviez,  répondent-ils,  comme 
c'est  matière  peu  importante,  et  le  peu  de  croyance  que  nous 
avons  dans  la  prétendue  science  des  experts  en  écriture  ». 

Du  côté  du  barreau,  ce  peu  de  croyance  devient  de 
l'athéisme,  et  il  n'y  a  pas  de  plaisanteries  et  de  légendes  que 
l'on  ne  débite  au  Palais  sur  le  compte  des  experts  en  écriture 
qui,  à  en  croire  les  avocats  d'assises,  en  connaîtraient  sur 
leur  spécialité  moins  que  le  premier  venu. 

Au  fond,  magistrats  comme  avocats,  qui  ont  recours  aux 
experts  en  écriture,  s'accordent  à  ne  leur  reconnaître,  pour 
ainsi  dire,  aucune  connaissance  spéciale. 

Ainsi  le  savoir  et  l'expérience  professionnels  de  l'expert 
consiste  à  savoir  avant  tout  qu'il  ne  sait  rien  ou  plutôt  pas 
grand'chose,  soit  dit  en  bonne  part  ;  sa  supériorité,  son  utilité 
vraies  résident  en  cette  connaissance  qu'il  a  de  lui  et  de  ses 
capacités  ». 

D'après  ces  citations,  j'admettrais  assez  volontiers  que, 
sur  notre  terre  de  France,  la  plupart  des  experts  en  écriture 
ne  valent  pas  la  corde,  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  qui  servit  à 
pendre  Hamon,  en  l'an  de  grâce  1570. 

Dans  cet  état  de  choses,  le  juge  a  pour  devoir  de  ne  tenir 
aucun  compte  de  l'opinion  de  l'expert  dont  le  rôle,  pour 
bien  des  années  encore,  devra  se  borner  à  signaler  au  tribu- 
nal les  circonstances  qui  lui  paraissent  dignes  d'attention  ; 


XXIV.  —  EXPERTISES  EN  ÉCRITURE. 


271 


en  effet,  il  n'en  va  pas  ici  comme  dans  certaines  expertises, 
chimiques  par  exemple,  où  le  juge  ne  peut  vérifier  par  lui- 
même  les  assertions  de  l'expert  consulté. 

On  ne  conçoit  pas  un  tribunal  chargé  de  décider  sur  de 
graves  intérêts,  matériels  ou  moraux,  qui  mettrait  sa  cons- 
cience à  l'abri  derrière  celle  d'un  expert  en  écriture. 

* 

Expertise  des  écritures  pathologiques. 

Des  circonstances  de  force  majeure  ne  m'ont  pas  permis 
de  réunir  et  de  comparer  des  spécimens  d'écritures  patholo- 
giques. Cette  étude  aurait  fourni  la  matière  d'un  important 
chapitre  dont  la  place  était  tout  indiquée  dans  la  seconde 
partie  de  ce  volume,  étude  qui  eût  pu  être  utilisée  dans  un 
certain  nombre  de  cas  contentieux. 

Je  me  bornerai  à  consigner  ici,  grâce  à  la  complaisance  de 
M.  Monpillard,  des  indications  sur  un  cas  particulier.  Le 
testament  d'un  ataxique  était  attaqué  par  les  héritiers  na- 
turels. Le  malade,  pour  pouvoir  écrire  avec  moins  de 
secousses,  avait  pris  la  précaution  de  tracer  préalablement  le 
texte  au  crayon  pour  le  repasser  ensuite  à  l'encre,  comme 
font  des  enfants  sur  des  modèles  d'écriture.  Le  cas  était 
assez  complexe,  en  ce  sens  qu'il  s'agissait  d'une  écriture  à 
la  fois  pathologique  et  artificielle.  Cette  écriture  était  plus 
lourde  et  plus  régulière  que  l'écriture  naturelle  du  testateur. 

M.  Monpillard  fit  écrire  devant  lui  un  certain  nombre 
d'autres  ataxiques,  successivement  en  écriture  courante,  puis 
en  faisant  usage  du  procédé  employé  par  le  testateur. 

Si  l'on  examine  l'écriture  d'un  ataxique,  on  constate  que, 
suivant  l'état  physique  du  sujet,  l'aspect  général  de  cette 
écriture  se  modifie  dans  des  proportions,  considérables  : 
tantôt  elle  est  régulière,  les  lignes  sont  droites,  les  lettres 
d'égales  dimensions  ;  tantôt  au  contraire,  elle  est  extrêmement 
irrégulière,  les  lignes  droites  alternant  avec  des  lignes  mon- 
tantes, descendantes  ou  sinueuses,  les  mots  et  les  lettres 
étant  de  dimensions  et  d'aspect  très  variables. 

On  constate  même  souvent  que  deux  mots  écrits  à 
quelques  secondes  d'intervalle  ne  semblent  pas  avoir  été 
tracés  par  la  même  main,  tant  les  différences  dans  l'aspect 
du  graphisme  sont  évidentes. 


272        TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Le  cas  devient  très  complexe  quand  il  s'agit  d'écritures 
appliquées  et  surtout  quand  elles  ont  été  exécutées  dans  les 
conditions  mentionnées  tout  à  l'heure. 

La  comparaison  d'un  document  ainsi  obtenu,  et  de  pièces 
écrites  par  le  même  malade,  au  courant  de  la  plume,  devient 
extrêmement  difficile. 

En  effet,  les  exemples  que  M.  Monpillard  me  permet  de 
reproduire  ici,  montrent  que  le  graphisme  se  trouve  être 
profondément  modifié  quant  à  son  aspect  général. 


Fig.  83. 


L'écriture  courante  du  malade  Paquet  (Fig.  83)  et  celle 


Fig.  84. 


exécutée  sur  un  modèle  tracé  (Fig.  84-)  présentent  des  diffé- 
rences telles  qu'il  semble  inadmissible  a  priori  qu'elles 
soient  du  même  auteur. 


XXIV.    —    EXPERTISES  EN  ÉCRITURE. 


273 


Dans  la  Fig.  84,  les  lettres  à  l'encre  sont  régulières,  le 
graphisme  plus  lourd.  L'écriture  tenant  du  dessin,  aurait 


Fis;.  85. 


l'apparence  d'un  faux  aux  yeux  d'un  observateur  non 
prévenu. 


Fis.  86. 


Il  en  est  de  même  pour  les  spécimens  d'écriture  du 
malade  Olivier  {Fig.  85  et  86). 

JAVAL,  18 


274        TROISIÈME  PARTIE.   


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


En  effet,  le  graphisme  de  l'ataxique  est  caractérisé  prin- 
cipalement par  les  manifestations  d'un  spasme,  ayant  pour 
effet  de  faire  dévier  la  plume  de  gauche  à  droite.  Dans 
l'écriture  appliquée,  il  arrive  que  ces  déviations  soient 
presque  invisibles  à  l'œil  nu,  mais  elles  peuvent  être  nette- 
ment décelées  par  un  examen  à  la  loupe  et  rendues  évi- 
dentes pour  les  magistrats  au  moyen  d'épreuves  agrandies 
photographiquement. 

J'espère  que  les  remarques  que  M.  Monpillard  a  bien 
voulu  me  communiquer  suffiront  pour  attirer  désormais 
l'attention  des  experts  sur  le  genre  particulier  de  difficultés 
que  présente  l'identification  d'écritures  pathologiques. 


CHAPITRE  XXV. 


MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES. 

Dans  les  écoles  spéciales  d'aveugles,  l'écriture  en  points, 
connue  sous  le  nom  d'écriture  Braille,  est  la  pierre  angu- 
laire de  l'instruction. 

La  lecture  du  Braille  n'est  qu'un  pis  aller  à  cause  de  son 
excessive  lenteur.  Très  restreint  est  le  nombre  des  aveugles 
capables  de  lire  à  haute  voix  un  texte  en  Braille  avec  une 
rapidité  suffisante  pour  que  l'audition  de  cette  lecture  soit 
tolérable. 

Tous  mes  correspondants  instruits,  sauf  ceux  qui  ont  per- 
du la  vue  de  très  bonne  heure,  sont  unanimes  à  réduire  au 
minimum,  à  cause  de  leur  lenteur,  l'emploi  de  l'écriture  et 
surtout  de  la  lecture  en  points.  Pour  n'en  citer  qu'un  seul, 
j'extrais  ce  qui  suit  d'une  lettre  de  M.  Riggenbach  : 

«  J'ai  appris  à  lire  et  à  écrire  le  Braille  presque  aussitôt  après 
avoir  perdu  la  vue,  mais  je  m'en  suis  très  peu  servi.  La  lec- 
ture et  l'écriture  en  points  demandent  trop  de  temps  et  sont 
trop  énervantes  pour  être  d'un  emploi  fréquent  quand  on  a  la 
possibilité  de  se  faire  faire  la  lecture  et  de  dicter.  Devenu 
aveugle  à  l'âge  de  quinze  ans,  je  n'avais  pas,  pour  écrire 
en  noir,  la  rapidité  dont  jouissent  les  personnes  plus  âgées. 
Aussi  suis-je  resté  vingt-six  ans  sans  écrire.  Il  y  a  quelques 
mois,  j'ai  fait  l'acquisition  d'une  machine  à  écrire...  » 

La  lenteur  de  lecture  du  Braille  se  fait  sentir  encore  plus 
péniblement  quand  il  s'agit  de  lectures  d'agrément,  pour  les 
livres  qu'on  voudrait  se  borner  à  parcourir  ou  à  feuilleter. 

Elle  provient  de  ce  que  le  doigt  ne  peut  jamais  toucher 
qu'une  seule  lettre  à  la  fois  tandis  que  le  voyant  perçoit  au 
moins  dix  lettres  à  chacun  des  mouvements  que  font  les 
yeux  quand  le  regard  se  déplace  le  long  des  lignes  imprimées. 
La  lecture  par  le  doigt  est  donc,  pour  des  raisons  physiolo- 


276         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

giques,  au  moins  dix  fois  plus  lente  que  la  lecture  par  les 
yeux  (Voy.  Chapitres  XI,  XII  et  XIV). 

Mais,  vous  dira-t-on,  il  existe,  dans  chaque  langue,  un 
abrégé  orthographique  du  Braille.  Pour  ne  parler  que  de 
l'abrégé  français,  le  gain  est  tout  au  plus  d'un  tiers  pour  la 
rapidité  de  l'écriture.  Pour  la  lecture,  l'expérience  énseigne 
que  l'augmentation  de  vitesse  est  nulle. 

Si  l'écriture  Braille  est  critiquable,  elle  partage  ce  sort 
avec  l'écriture  usuelle,  avec  les  caractères  typographiques 
et  avec  la  portée  musicale.  Cela  n'est  pas  douteux,  mais  ces 
diverses  notations  employées  par  les  clairvoyants  sont  pro- 
tégées par  une  routine  séculaire,  routine  si  invétérée  qu'il 
serait  téméraire  de  s'y  attaquer. 

Pour  l'écriture  des  aveugles,  la  situation  est  tout  autre,  car 
le  nombre  des  livres  imprimés  en  Braille  est  extrêmement 
petit.  Si  donc  l'on  adoptait  une  écriture  plus  rationnelle,  le 
sacrifice  des  livres  existants  devrait  peser  d'un  poids  bien 
léger  dans  la  balance. 

C'est  principalement  pour  les  langues  dont  l'orthographe 
est  bizarre,  telles  que  l'anglais  et  le  français,  que  la  plupart 
des  indications  qui  vont  suivre  présentent  de  l'utilité. 

Rendre  la  lecture  plus  rapide,  tel  est  le  but  principal  de 
mes  remarques.  On  verra,  chemin  faisant,  que  les  moyens 
propres  à  accélérer  la  lecture  auraient  pour  conséquence 
accessoire  de  diminuer  la  grosseur  de  nos  livres,  et  d'abré- 
ger le  premier  enseignement  de  la  lecture  et  de  l'écriture. 

Il  est  clair  que,  pour  que  nous  puissions  lire  avec  moins 
de  lenteur,  il  faudrait,  d'une  part,  nous  offrir  des  caractères 
plus  faciles  à  reconnaître,  et,  d'autre  part,  diminuer  le 
nombre  des  caractères  dont  les  mots  sont  composés.  La 
première  de  ces  deux  améliorations  est  surtout  du  ressort  de 
la  typographie  et  ne  comporte  que  de  brèves  indications, 
tandis  que  la  seconde  est  un  problème  très  compliqué,  dont 
l'étude  exige  la  connaissance  préalable  des  divers  systèmes 
de  sténographie. 

I.  —  Réforme  typographique. 

Les  parvenus  de  la  cécité  sont  peut-être  mieux  en  état  de 
connaître  les  difficultés  que  présente  la  lecture  des  carac- 
tères en  points.  Ceux  qui  lisent  du  Braille  depuis  leur 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  Là  LECTURE  DES  AVEUGLES.  277 

enfance  ne  se  rendent  plus  compte,  par  exemple,  de  la  diffi- 
culté de  lecture  occasionnée  par  l'entassement  de  caractères 
formés  de  cinq  ou  six  points,  ni  de  la  confusion  résultant, 
dans  la  lecture  de  l'abrégé,  de  l'accumulation  de  signes  for- 
més d'un  très  petit  nombre  de  points.  Ils  ont  oublié  l'em- 
barras que  peut  causer  le  signe  majuscule,  signe  que  les 
étrangers  et  les  espérantistes  ont  raison  de  supprimer. 

Le  signe  italique,  et  le  signe  analogue  à  ce  dernier,  qui 
se  trouve  au  milieu  de  certaines  locutions  abrégées,  sont 
également  une  cause  d'indécision.  Si,  comme  à  l'imprimerie 
de  Y  Institution  de  Paris,  on  fait  usage  de  caractères  mobiles, 
rien  n'empêche  d'en  avoir  qui  soient  formés  de  points  plus 
gros  et  plus  saillants  pour  les  majuscules,  et  qu'on  em- 
ploierait également  pour  les  mots  qui,  en  noir,  sont 
imprimés  en  italique. 

D'autres  difficultés  de  lecture  seraient  évitées  en  rem- 
plaçant certains  groupes  de  points  par  des  assemblages  de 
petits  traits  formant  la  même  figure  (1).  Par  exemple,  le  b 
serait  un  petit  trait  vertical,  le  c  un  trait  horizontal,  le  cl  une 
figure  angulaire,  Ye  un  trait  oblique,  etc.  Au  premier 
abord,  pour  le  toucher,  des  caractères  ainsi  constitués  sont 
à  peine  différents  des  assemblages  de  points  ;  mais,  pour  les 
cas  douteux,  la  lisibilité  est  meilleure. 

Autre  exemple  :  les  intervalles  entre  les  lettres  étant  un 
peu  plus  grands  que  la  largeur  des  lettres,  une  série  de  let- 
tres c  prend  l'aspect  (Fig.  87)  •  •  •  •  *  •  •  •  .  Sous  le  doigt, 
la  différence  de  distance  entre  ces  divers  points  n'est  pas 
très  sensible,  et  l'hésitation  du  lecteur  serait  moindre  si 
l'on  remplaçait  les  deux  points  de  chaque  c  par  un  petit  trait 
continu.  Alors  le  mot  acacia  s'imprimerait  comme  suit 
(Fig.  88)  *  •  et  continuerait  encore  à  s'écrire 
comme  suit  (Fig.  89)  ••• 

De  même,  la  confusion  que  le  doigt  établit  trop  facilement 
entre  Y  s  et  le  t  se  produirait  moins  si,  dans  cette  dernière 
lettre,  les  points  2  et  5  étaient  remplacés  par  un  petit  trait 
horizontal,  etc.. 

En  procédant  comme  il  vient  d'être  indiqué,  ceux  qui  im- 
priment nos  livres  ne  manqueraient  pas  de  respect  à  la 


(1)  Voir  ci-dessus  Chapitre  XI,  page  125. 


278         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

mémoire  de  Barbier  et  de  Braille,  car,  si  ces  hommes  ont 
employé  exclusivement  des  points,  c'était  pour  ne  pas 
compliquer  l'écriture  à  la  main,  et  non  par  des  raisons  de 
lisibilité. 

Il  est  tout  naturel  que,  pendant  des  années,  notre  typo- 
graphie soit  restée  identique  à  notre  écriture  manuscrite  : 
la  même  chose  s'était  produite  à  l'origine  de  la  typographie 
en  noir.  Gutenberg  copia  servilement  les  caractères  usités 
de  son  temps,  si  bien  que  les  premiers  volumes  sortis  de 
ses  presses  se  vendirent  pour  des  manuscrits. 

Puisqu'un  caractère  de  forme  plus  compliquée  n'occa- 
sionne aucun  surcroît  de  travail  pour  l'imprimeur,  le 
moment  n'est  pas  éloigné  où  les  caractères  en  relief  servant 
à  imprimer  nos  livres  subiront  d'utiles  modifications. 

Il  va  sans  dire  qu'en  tout  pays  on  s'applique  à  donner 
aux  caractères  ponctués  la  dimension  la  plus  petite  qui  soit 
compatible  avec  une  facile  lisibilité.  Cette  diminution  est 
surtout  opportune  pour  les  livres  imprimés,  dont  l'exécution 
est  plus  régulière  que  celle  des  meilleurs  manuscrits.  La 
dimension  la  plus  favorable  n'est  évidemment  pas  la  même 
pour  tous  les  aveugles  :  pour  chaque  lecteur,  il  existe  une 
dimension  préférable.  Trop  grands,  les  signes  excèdent  la 
dimension  de  la  surface  la  plus  sensible  du  doigt  ;  trop 
petits,  ils  sont  difficilement  perçus.  Comme  l'abrégé  prête 
plus  à  confusion  que  le  toutes  lettres,  il  serait  logique  d'écrire 
le  toutes  lettres  plus  fin  que  l'abrégé. 

Il  me  semble  que  la  lisibilité  est  à  peu  près  la  même  pour 
le  toutes  lettres  écrit  sur  un  rayage  haut  de  2mm,  usuel  en 
Belgique,  que  pour  l'abrégé  orthographique  écrit  sur  le 
rayage  de  2mm5,  employé  en  France. 

L'économie  de  superficie,  obtenue  en  substituant  du  rayage 
de  2mm  à  celui  de  2mm  1/2,  est  supérieure  à  un  quart  parce 
qu'on  gagne  également  sur  la  largeur  des  lettres.  Si  donc 
mon  appréciation  est  exacte,  la  possibilité  d'écrire  plus  fin 
quand  on  emploie  le  toutes  lettres  procure  une  économie  de 
surface  au  moins  égale  à  celle  produite  par  Y  abrégé.  Le  seul 
avantage  de  Y  abrégé  serait  de  rendre  plus  rapide  l'écri- 
ture des  personnes  qui  en  font  un  usage  quotidien. 

Il  faut  donc  méconseiller  fortement  aux  personnes  chari- 
tables, qui  consacrent  leurs  loisirs  à  enrichir  notre  biblio- 
thèque, l'emploi  de  l'abrégé,  plus  difficile  à  bien  connaître  et 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  279 

donnant  lieu  à  beaucoup  plus  d'erreurs  d'écriture.  Ce  qui 
vient  d'être  dit  ne  s'applique  peut-être  pas  aux  abrégés  des 
langues  autres  que  la  française,  car  je  ne  connais  les  abré- 
gés étrangers  que  trop  superficiellement  pour  me  permettre 
de  les  apprécier  sainement  ;  mais,  en  ce  qui  concerne  le 
français,  la  diminution  d'espace  résultant,  pour  le  toutes 
lettres,  de  la  diminution  de  grandeur  des  caractères,  présente 
cet  avantage  de  se  répartir  sur  tout,  y  compris  les  noms 
propres  et  les  espaces  entre  les  mots,  tandis  que  Y  abrégé 
orthographique  raccourcit  principalement  les  mots  courts. 
Donc,  la  diminution  que  je  préconise  fait  économiser  un 
peu  sur  les  blancs  qui  finissent  les  lignes  et  diminue  le 
nombre  des  mots  coupés. 

Enfin,  un  caractère  plus  petit  comporte  des  points  moins 
saillants,  ce  qui  produit  un  effet  considérable  sur  l'épaisseur 
des  livres. 

II.  —  Diminution  du  nombre  des  signes. 

C'est  surtout  à  la  diminution  du  nombre  des  signes  qu'on 
doit  s'appliquer  pour  rendre  la  lecture  plus  rapide,  car  on 
a  vu(Chap.  XII,  page  129)  que,  tandis  que  l'œil  du  clairvoyant 
procède  par  saccades  et  lit,  en  moyenne,  dix  lettres  à  chaque 
coup,  notre  doigt  ne  possède  rien  d'analogue  à  la  vision  indi- 
recte, laquelle  donne  au  champ  de  vision  une  étendue  dont  on 
profite  pour  lire  rapidement.  Quelque  exercé  que  soit  le  lec- 
teur aveugle,  il  y  a,  pour  la  rapidité  de  mouvement  de  son  index, 
une  limite  au  delà  de  laquelle  tout  se  brouille,  de  même  que 
pour  les  yeux  il  est  impossible  de  discerner  des  objets  dont 
la  succession  est  trop  rapide  (rayons  de  roues  de  voi- 
ture, etc.). 

La  diminution  du  nombre  des  caractères  peut  s'obtenir, 
d'une  part,  par  la  suppression  de  ceux  qui  représentent  soit 
des  lettres  muettes,  soit  des  lettres  faciles  à  deviner,  d'autre 
part,  par  l'emploi  de  signes  qui  représentent  des  groupes  de 
sons.  Nous  sommes  donc  conduits  à  employer  des  procédés 
analogues  à  ceux  de  la  sténographie. 

Examinons  d'abord,  en  y  intercalant  un  peu  d'historique, 
l'état  actuel  des  écritures  en  points  saillants. 

Barbier  et  Braille.  —  Tout  comme  Minerve  sortit  tout 


280         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


armée  du  cerveau  de  Jupiter,  notre  écriture  en  points  sail- 
lants, avec  ses  procédés  d'exécution,  a  jailli  du  cerveau  de 
Charles  Barbier.  Pour  plus  de  détails,  je  renvoie  aux  deux 
ouvrages  de  cet  auteur  déjà  cités  au  Chap.  VI  de  ce  volume. 
Ces  courtes  brochures  sont  à  lire  et  à  méditer  ;  et  quand  on 
voit  qu'à  lui  seul,  Barbier  a  trouvé  le  principe,  admis  univer- 
sellement, de  la  sensibilité  plus  grande  du  doigt  pour  les 
points  que  pour  les  lignes,  qu'il  a  compris  la  nécessité  de 
grouper  les  points  régulièrement,  qu'il  a  créé  l'outillage  dont 
on  se  sert  encore  aujourd'hui  :  poinçon,  rayure  et  tablettes 
perforées,  on  aurait  dû  se  demander  s'il  n'aurait  pas  mieux 
valu  respecter  aussi  les  idées  de  Barbier  sur  la  phonographie 
qui  ont  été  exposées  plus  haut  (Chap.  XIV). 

Je  crois  que  la  raison  commande  de  reprendre  l'écriture 
ponctuée  au  moment  où  fut  adoptée  la  cellule  de  six  points, 
et  de  marcher  droit  dans  le  chemin  que  Barbier  avait  tracé, 
et  dont  se  sont  écartés  successivement  Braille  avec  son  écri- 
ture orthographique,  et  Ballu  avec  sa  sténographie. 

C'est  peut-être  plutôt  au  milieu  ambiant  qu'à  Braille  lui- 
même  qu'il  faut  imputer  l'abandon  de  la  phonographie,  tan- 
dis que  c'est  bien  à  lui  qu'il  faut  attribuer  le  mérite  d'avoir 
pris,  pour  les  chiffres  et  pour  l'alphabet,  sa  ligne  type  de  dix 
signes,  tels  que  chacun,  y  compris  les  trois  premiers,  reste 
lisible  isolément,  puisque  les  trois  signes  flottants  (1)  qu'il  a 
choisis  ne  peuvent  pas  se  confondre  entre  eux.  C'est  une 
très  heureuse  combinaison,  surtout  pour  la  représentation 
des  nombres,  celle  qui  a  permis  d'inscrire  dans  le  carré 
supérieur  dix  caractères  impossibles  à  confondre.  C'est  pro- 
bablement la  joie  de  cette  trouvaille  qui  a  conduit  Braille  à 
ne  mettre  que  dix  colonnes  dans  son  tableau  alphabétique, 
d'où  l'inconvénient  de  laisser  treize  signes  en  dehors  de  ce 
tableau,  gaspillage  que  Barbier  n'aurait  pas  commis. 

Une  autre  erreur  de  Braille  fut,  par  respect  de  l'ordre 
alphabétique  traditionnel,  de  ne  pas  conserver  les  dériva- 
tions logiques  de  Barbier,  lequel  a  bien  soin,  par  exemple, 

(1)  On  appelle  signes  flottants  des  signes  tels  qu'ils  peuvent  être 
confondus  entre  eux,  quand  ils  ne  sont  pas  repérés  par  l'apport  aux  bords 
de  la  cellule  :  c'est  ainsi  que  les  signes  que  Braille  emploie  pour  o,  b  et  c 
sont  flottants.  Parmi  les  signes  flottants,  il  faut  distinguer  les  signes 
minces,  tels  que  k  et  Z,  qui  sont  formés  de  points  d'une  même  colonne, 
et  les  signes  courts,  tels  que  c  et  g,  qui  ne  sont  déplaçables  que  de  haut 
en  bas  dans  la  cellule. 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  281 

de  placer  de  sous  te,  an  sous  a,  etc.  Ces  dérivations  logiques 
ont  le  petit  avantage  de  faciliter  l'étude  du  système  et  le  grand 
mérite  d'être  extrêmement  profitables  à  la  lisibilité.  Comme 
le  fait  justement  remarquer  M.  Dechaux,  il  est  très  avanta- 
geux que  des  signes  peu  différents  représentent  des  sons 
analogues;  c'est  ce  que  M.  de  la  Sizeranne  a  eu  le  grand 
mérite  de  faire  pour  l'abrégé  orthographique,  où  an  et  ar 
rappellent  à,  où  in  procède  d'i,  etc.  Au  contraire,  dans  l'al- 
phabet de  Braille,  il  n'y  a  aucune  parenté  réelle  entre  les 
sons  exprimés  par  la  ligne  type  et  ceux  qui  en  dérivent.  La 
manière  de  procéder  de  Braille,  en  réduisant  la  ligne  type  à 
dix  signes  au  lieu  de  quinze  et  un  blanc,  et  en  introduisant 
une  masse  de  lettres  accentuées  sans  grande  utilité  pour  le 
français  et  au  détriment  de  l'application  aux  autres  langues, 
a  encombré  son  tableau  en  noir.  Il  est  arrivé  ainsi  que  la 
réduction  du  nombre  des  signes  à  cinquante  et  l'accumula- 
tion des  lettres  accentuées  ont  fermé  la  porte  aux  dérivations 
dont  on  verra  plus  loin  la  grande  utilité. 

On  ne  me  fera  jamais  croire  que,  dans  notre  indigence  de 
signes,  il  fallait  en  affecter  un  à  la  représentation  del'ù,  qui 
sert  uniquement  dans  le  mot  où,  lequel  se  prononce  exacte- 
ment comme  ou,  etc. 

Abrégé  orthographique.  —  La  lenteur  d'exécution  de 
l'écriture  orthographique  de  Braille  fit  surgir  divers  abrégés, 
tous  illogiques,  puisqu'ils  entamaient  l'orthographe.  Pour  être 
conséquents  avec  eux-mêmes,  les  aveugles  devaient  créer  un 
abrégé  orthographique,  et  cette  création  récente,  puisqu'elle 
ne  remonte  qu'à  1882,  fut,  en  grande  partie,  l'œuvre  de  M. 
Maurice  de  la  Sizeranne  et  du  Dr  Armitage.  Ces  abrégés 
remplissent  le  but  modeste  qu'on  s'était  proposé,  qui  est 
d'écrire  en  économisant  du  temps  et  du  papier,  mais  sans 
entamer  l'orthographe.  Notons  ce  dernier  point.  Voilà  donc 
une  écriture  passablement  rapide,  qui  traîne  avec  elle  un 
bagage  de  lettres  muettes. 

Tout  cet  immense  effort  d'ingéniosité  réussit,  nous  l'avons 
déjà  dit,  à  abréger  l'écriture  d'un  quart  ou  d'un  tiers,  mais 
sans  aucun  profit  pour  la  rapidité  de  la  lecture. 

Ce  système  est  jugé  sévèrement  par  M.  Ballu  (1),  qui  dit 

(1)  Compte  rendu  du  Congrès  de  Bruxelles  de  1902,  p.  152. 


282         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


que  «  c'est  une  misère  greffée  sur  une  iniquité,  notre  bizarre 
orthographe  »,  jugement  dont  l'amertume  s'explique  puis- 
qu'il émane  de  l'auteur  d'une  sténographie. 

Si  l'abrégé  orthographique  paraît  rentrer  dans  notre  pro- 
gramme, en  diminuant  le  nombre  des  caractères,  il  n'atteint 
cependant  pas  le  but  que  nous  nous  sommes  proposé  puis- 
que, de  l'avis  presque  unanime  des  intéressés,  la  lecture  de 
l'abrégé  n'est  pas  plus  rapide  que  celle  du  toutes  lettres. 

Sténographie  du  frère  Isidore  Clé.  —  Ce  n'est  pas 
réellement  une  sténographie,  c'est  un  abrégé  de  l'abrégé.  Pour 
ceux  dont  la  préoccupation,  tout  autre  que  la  mienne,  était  de 
rendre  l'écriture  plus  rapide,  la  tentation  était  grande 
d'abréger  méthodiquement  l'abrégé  orthographique.  C'est 
ce  qu'a  fait  le  frère  Isidore  Clé,  avec  un  succès  dont  il  a  été 
lui-même  consterné. 

En  effet,  il  enseigna  sa  sténographie  dans  la  classe  qu'il 
dirige  avec  autant  d'intelligence  que  de  dévouement,  à 
Woluwe-Saint-Lambert,  près  de  Bruxelles  (1),  et  les  enfants 
s'y  mirent  et  s'y  perfectionnèrent  avec  un  tel  plaisir  qu'il 
devint  très  difficile  de  les  contraindre  à  écrire  leurs  devoirs 
en  abrégé  orthographique.  C'est  la  désolation,  car  c'est  la 
perte  de  l'orthographe  et,  pour  en  arriver  là,  ce  n'était  pas 
la  peine  de  passer  par  tant  de  détours  au  lieu  de  s'en  tenir  à 
une  phonographie  plus  ou  moins  abrégée. 

Dans  l'état  actuel  des  choses,  car  il  est  partisan  de  la 
réforme  orthographique  la  plus  étendue  à  l'usage  des  voyants, 
le  frère  Isidore  Clé  propose  de  cacher  sa  sténographie  aux 
élèves,  mais  d'en  faire  part  aux  adultes  dont  l'orthographe 
est  bien  immuablement  solide.  Son  conseil  me  paraît  excel- 
lent, et  cette  sténographie  me  semble  infiniment  précieuse 
pour  un  très  petit  nombre  de  jeunes  gens  qui,  habitués  à 
l'abrégé  orthographique,  entreprennent  de  fortes  études. 

Remarquons  que  ce  serait  une  entreprise  folle  de  vouloir 
apprendre  d'emblée  la  sténographie  Isidore  Clé,  sans  avoir 
passé  par  l'orthographique  et  l'abrégé  orthographique.  Les 
renseignements  font  défaut  sur  la  rapidité  de  lecture  de  cette 
sténographie. 


(1)  Compte  rendu  du  Congrès  de  Bruxelles  de  1902,  p.  156. 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  283 

Utilité  de  la  sténographie  pour  les  aveugles.  — 

Avant  d'aller  plus  loin,  il  est  nécessaire  de  bien  définir  la 
nature  des  services  que  les  aveugles  peuvent  attendre  de  la 
sténographie.  Il  est  présumable  qu'ils  ne  deviendront  pas 
aisément  des  sténographes  professionnels,  car  il  leur  est 
difficile  de  percevoir  les  circonstances  extérieures  qui  cons- 
tituent une  partie  importante  des  discussions  que  le  sténo- 
graphe recueille  sur  le  papier.  D'autre  part,  l'aveugle  ne 
peut  pas  transcrire  rapidement  en  dactylographie  des  notes 
prises  en  sténographie  ponctuée,  cette  transcription  exigeant, 
au  minimum,  l'emploi  de  trois  mains.  Il  est  vrai  que  le  plus 
souvent  les  sténographes  professionnels  dictent  la  trans- 
cription à  un  dactylographe,  et  rien  n'empêcherait  un  sténo- 
graphe aveugle  de  procéder  de  même.  On  conçoit  donc 
parfaitement  l'association  de  deux  aveugles  pour  faire  de  la 
sténographie  et  pour  la  transcrire. 

Pour  les  aveugles,  la  principale  utilité  de  la  sténographie 
serait,  peut-être,  de  rendre  plus  rapides  les  correspondances 
entre  aveugles  sachant  une  même  sténographie,  ainsi  que 
cela  se  pratique  entre  M.  de  la  Sizeranne  et  quelques  autres 
adeptes  de  la  sténographie  Ballu,  et  aussi,  de  permet- 
tre à  quelques  étudiants  de  prendre  des  notes  en  suivant  des 
cours.  Or,  si  l'étudiant  est  astreint  à  copier  ces  notes  après 
coup,  pour  les  conserver  plus  lisibles  qu'en  sténographie, 
le  but  est  complètement  manqué,  car  ce  serait  un  travail 
supplémentaire  excessif  que  celui  qui  consisterait  à  transcrire 
la  sténographie.  Pour  l'étudiant,  il  suffit  d'avoir  une  sténo- 
graphie dont  la  vitesse  soit  au  moins  égale  à  celle  de  l'écri- 
ture ordinaire  des  clairvoyants,  et  qui  soit  facilement  lisible. 
D'ailleurs,  comme  rien  n'empêche  d'employer  la  machine 
pour  écrire  en  abrégé  ou  en  sténographie,  on  voit  que  le 
problème  d'une  écriture  en  relief  suffisamment  rapide  est 
amplement  résolu. 

En  1902,  au  Congrès  de  Bruxelles,  M.  Monnier  a  de- 
mandé qu'on  mît  à  l'étude  une  sténographie  internationale  à 
l'usage  des  aveugles.  Cette  proposition  porte  en  elle-même 
la  preuve  que  la  sténographie  désirée  par  les  intellectuels 
devrait  être  facilement  lisible,  non  seulement  pour  celui  qui 
l'a  tracée,  mais  pour  tous  les  aveugles  doués  d'une  instruc- 
tion étendue. 

J'espère  que  ce  desideratum  sera  pris  en  considération 


284         TROISIÈME  PARTIE.           DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

par  l'homme  de  France  qui  est  le  plus  au  courant  des  cho- 
ses de  la  sténographie  ponctuée,  j'ai  nommé  M.  Deschaux, 
de  Montluçon,  qui,  avant  de  perdre  la  vue,  connaissait  la 
sténographie  Duployé,  et  qui,  depuis,  après  avoir  étudié  à 
fond  la  sténographie  et  l'écriture  rapide  de  Ballu,  la  sténo- 
graphie Flageul,  dérivée  du  Duployé,  la  sténographie  prati- 
quée en  Belgique  par  le  frère  Isidore  Clé  et  la  sténographie 
Prévost-Delaunay,  consacre  toute  son  ingéniosité  à  la  cons- 
truction d'une  sténographie  qu'il  a  la  sagesse  de  perfection- 
ner patiemment  avant  de  la  proposer  au  jugement  des  per- 
sonnes compétentes. 

A  mon  avis,  dans  le  choix  des  caractères  sténographiques, 
il  convient  de  tenir  le  plus  grand  compte  des  besoins  de  la 
phonographie';  il  me  semble  que,  rqciproquement,  l'adop- 
tion d'un  système  phonogi;aphique  doit  être  subordonnée, 
dans  une  certaine  mesure,  à  la  transformation  de  ce  sys- 
tème en  sténographie.  Je  dis  «  dans  une  certaine  mesure  », 
car  il  serait  fâcheux  que  la  considération  d'une  sténographie 
rapide,  dont  les  adeptes  seront  toujours  en  nombre  infime, 
nuisît  à  la  bonne  ordonnance  d'une  phonographie  destinée 
à  l'immense  majorité  des  aveugles. 

Sténographie  Ballu.  —  Dans  sa  très  ingénieuse  sténo- 
graphie, Ballu  a  eu  le  tort  de  ne  pas  tenir  compte  des  néces- 
sités des  langues  étrangères.  Il  ne  paraît  pas  avoir  connu  les 
meilleures  méthodes  de  sténographie  en  noir,  et  le  principal 
avantage  de  son  système  devient  presque  illusoire  depuis 
l'invention  de  la  machine  Hall. 

Ballu  eut  la  pensée  toute  naturelle  de  représenter  les 
lettres  les  plus  fréquentes  par  les  signes  les  plus  simples, 
c'est-à-dire  formés  du  plus  petit  nombre  de  points  pos- 
sible. 

Malgré  l'introduction  de  la  machine  Hall,  cet  avantage 
subsiste  encore  quand  l'aveugle,  réduit  au  poinçon,  veut 
prendre  des  notes  à  un  cours. 

La  fréquence  des  diverses  lettres  et  contractions  étant  loin 
d'être  la  même  dans  toutes  les  langues,  les  étrangers  n'ont 
pas  pu  songer  à  adopter  le  système  Ballu,  qui  n'est  appliqué 
que  par  M.  de  la  Sizeranne  et  les  aveugles  de  son  entourage 
immédiat. 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  285 

La  sténographie  Ballu,  purement  empirique,  est  si  difficile 
à  retenir  que  des  aveugles  qui  l'ont  sue  ont  absolument 
renoncé  à  son  emploi. 


Adaptation  de  la  sténographie  Aimé  Paris.  —  J'ai 
exposé  dans  «  Entre  aveugles  »  les  moyens  d'adapter  à  l'écri- 
ture Braille  la  sténographie  Aimé  Paris  en  la  combinant  avec 
la  mnémotechnie  du  même  auteur.  Cette  tentative  conduit  à 
une  écriture  phonétique  aisément  transformable  en  sténo- 
graphie rapide,  mais  cette  adaptation  m'a  donné  une  phono- 
graphie d'une  lisibilité  médiocre,  parce  qu'elle  faisait  un 
emploi  peu  judicieux  des  signes  minces,  définis  dans  la  note 
de  la  page  280. 

On  ne  peut  pas  faire  le  même  reproche  au  système  que  je 
vais  exposer,  et  qui  est  une  adaptation  de  la  cellule  de 
6  points  à  la  phonographie  de  Barbier. 

Cette  adaptation  diffère  un  peu  de  celle  que  j'ai  décrite 
ailleurs. 


Adaptation  et  extension  de  la  phonographie  de 
Barbier.  —  La  lenteur  de  lecture  de  la  phonographie  de 
Barbier  résulte  de  la  hauteur  trop  grande  de  ses  colonnes 
de  six  points.  Pour  comprendre  ce  qui  suit,  il  est  indispen- 
sable de  bien  se  pénétrer  du  système  de  Barbier,  tel  qu'il 
a  été  exposé  plus  haut  (p.  55)  et  de  comprendre  que,  dans 
ce  système,  les  colonnes  de  points  servent  à  désigner,  par 
deux  numéros  d'ordre,  chacune  des  trente-six  cases  de  son 
tableau  en  noir,  reproduit  ci-après. 


Tableau  de  Ch.  Barbier 


1" 

ligne . 

a 

i 

0 

u 

é 

è 

2« 

ligne. 

an 

in 

on 

un 

eu 

ou 

3* 

ligne. 

b 

g 

j 

V 

z 

4« 

ligne. 

P 

t 

q 

ch 

f 

s 

0e 

ligne. 

1 

m 

n 

r 

11  (mouillé) 

6e. 

ligne. 

oi 

oin 

ian 

ien 

ion 

ieu 

Fig.  90. 


286         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Pour  la  désignation  de  ces  deux  numéros  d'ordre,  nous 
ferons  usage  des  deux  colonnes  (hautes  de  trois  points  seule- 
ment), qui  constituent  notre  cellule  moderne.  Chacune  de  ces 
colonnes,  par  la  combinaison  de  ses  points  et  du  blanc, 
peut  fournir  huit  combinaisons. 

On  voit  en  effet,  en  jetant  un  regard  soit  sur  la  première 
ligne  horizontale,  soit  sur  la  première  colonne  verticale  de 
la  Figure  91,  qu'avec  une  hauteur  de  trois  points,  on  peut 
compter  jusqu'à  huit,  alors  qu'avec  six  points  de  haut, 
Barbier  ne  comptait  que  jusqu'à  six. 

Voici  maintenant  le  tableau  complet  des  63  signes. 


• 

• 

• 

• 
• 

• 
• 

• 

a 

0 

• 

• 

u 

m 

è 

• 

on 

• 

eu 

an 

m 

• 

un 

• 

• 

• 

i 
• 

• 

•  • 

• 

V 

• 
•  • 

z 

•  • 

• 

•  • 

P 

V 

• 

•  • 

ch 

• 

0  • 

•  • 

• 

m 

n 

• 

•  • 

•  • 

•  • 

• 
• 

•  • 

oi 

onr 

• 

lan 
•  m 

•  • 

jenm 
• 

•j'on 
• 
•  • 

•  • 

ïeu 

•  • 

m  • 

•  • 

• 

•  • 

Fi  g.  91. 


On  remarquera  que,  dans  ce  tableau,  les  points  de  la 
ligne  supérieure,  de  la  ligne  inférieure,  de  la  première 
colonne  et  de  la  dernière  sont  plus  maigres  que  ceux  des 
36  signes  qui  occupent  le  milieu  du  tableau.  Ces  36  signes, 
qui  nous  importent  seuls  pour  le  moment,  sont  représenta- 
tifs des  articulations  du  tableau  en  noir.  Ce  tableau  en 
points  s'apprend  par  cœur  en  quelques  minutes  :  il  suffit  de 
le  regarder.  La  Figure  91  représente  la  superposition  du 
tableau  en  noir  de  Barbier,  sur  le  milieu  du  tableau 
complet  en  points,  de  63  signes. 


MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  287 


XXV.  — 


La  Figure  92  représente  la  phrase  de  Barbier,  de  la 
page  55,  écrite  à  l'aide  du  tableau  de  la  Figure  91.  Cette 
écriture  est,  à  tous  égards,  préférable  à  celle  de  Braille. 


ch  o 


è     t     r  tro         s    in  pi 

Fi^  92. 

1°  Elle  est  plus  facile  à  apprendre  ; 

2°  N'employant  aucun  signe  mince,  elle  est  d'une  lecture 
plus  facile,  surtout  pour  les  commençants; 

3°  Elle  économise  du  temps  à  l'écrivain  par  la  suppression 
des  lettres  muettes,  par  l'emploi  de  signes  qui  représentent 
plusieurs  lettres,  et  par  cette  circonstance  qu'aucune  lettre 
n'emploie  plus  de  quatre  points  ; 

4°  L'absence  de  signes  minces  pour  les  lettres  nous  permet 
de  réserver  ces  signes  pour  les  ponctuations  et,  la  plupart 
du  temps,  de  se  dispenser  de  mettre  des  espaces  sépa- 
ratifs  entre  les  mots  quand  ils  sont  séparés  par  un  signe  de 
ponctuation,  puisque  celui-ci  apporte  avec  lui  un  blanc  suf- 
fisant. 

C'est  dans  cet  ordre  d'idées  que  j'ai  ajouté  des  ponctua- 
tions au-dessus  de  la  première  ligne  et  à  gauche  de  la  pre- 
mière colonne  du  tableau  de  Barbier  ci-dessus,  ce  qui  donne 
la  Figure  93. 

Cette  économie  d'espace  peut  être  augmentée  en  typogra- 
phie, car  l'absence  de  signes  minces  dans  les  mots  permet 
de  réduire  de  moitié,  sans  aucun  inconvénient,  les  espaces 
entre  les  mots  ; 

6°  Enfin,  et  c'est  là  le  point  capital,  la  rapidité  de  lecture 
est  augmentée,  non  seulement  par  la  lisibilité  meilleure  qui 
résulte  de  l'absence,  à  la  fois  de  signes  minces  et  de  signes 


288         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

trop  chargés  de  points,  mais  surtout  par  la  diminution  du 
nombre  des  signes  et  des  espaces  perdus  inutilement. 


— 

• 

( 

« 

m 

M 

/ 

a 

i 

0 

u 

é 

è 

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n 

r 

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II 

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oi 

oin 

ian 

ien 

ion 

ieu 

f 

• 

Fig.  93. 


Les  27  signes  restés  disponibles  permettent,  après  avoir 
pourvu  aux  besoins  de  la  ponctuation,  d'introduire  des  abré- 
viations sténographiques. 

Transformation  de  l'écriture  de  Barbier. —  Dans  ce 
procédé,  c'est  tout  à  fait  arbitrairement  que  j'ai  rangé  les  com- 
binaisons de  points  et  c'est  arbitrairement  aussi  que  (Fig.  91) 
la  première  ligne  a  été  faite  en  combinaisons  rangées  dans 
le  même  ordre  que  celles  de  la  première  colonne.  Sans 
sortir  du  même  principe,  on  pourrait  se  servir  d'autres 
tableaux  en  points  dérivant  tous  du  tableau  théorique  sui- 
vant (Fig.  94-). 

On  peut  concevoir  un  nombre  encore  beaucoup  plus 
grand  de  tableaux  en  noir,  puisqu'on  a  la  tâche  de  remplir 
63  cases  par  des  lettres,  des  groupes  de  lettres  et  des  signes 
de  ponctuation. 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  289 

P  II  est  évident  que  si  Barbier  pouvait  être  consulté,  il  re- 
noncerait instantanément  à  son  tableau  en  noir,  qui  avait 
été  conçu  en  vue  de  trente-six  cases  seulement. 


Tableau  carré  théorique. 


0 

0-1 

0-2 

0-3 

0-4 

0-5 

0-6 

0-7 

1-0 

1-1 

1-2 

1-3 

1-4 

1-5 

1-6 

1-7 

2-0 

2-1 

2-2 

2-3 

2-4 

2-5 

2-6 

2-7 

3-0 

3-1 

3-2 

3-3 

3-4 

3-5 

3-6 

3-7 

4-0 

4-1 

4-2 

4-3 

4-4 

4-5 

4-6 

4-7 

5-0 

5-1 

5-2 

5-3 

5-4 

5-5 

5-6 

5-7 

6-0 

6-1 

6-2 

6-3 

6-4 

6-5 

6-6 

6-7 

7-0 

7-1 

7-2 

7-3 

7-4 

7-5 

7-6 

7-7 

Fig.  94. 

En  présence  du  nombre  immense  des  solutions  possibles, 
je  vais  en  exposer  deux  tirées  d'Entre  aveugles. 

Dans  le  premier  exemple,  faisant  passer  au  second  plan 
les  intérêts  de  la  sténographie,  je  me  suis  appliqué  à 
choisir,  pour  les  signes  en  noir  de  la  phonographie  simple, 
des  cases  correspondant  à  des  signes  en  points  d'une  bonne 
lisibilité.  Lorsque  je  combinais  l'un  et  l'autre  de  ces 
exemples,  je  n'avais  pas  encore  eu  l'idée,  exposée  tout  à 
l'heure,  et  qui  me  paraît  pratique,  de  réserver  les  signes 
minces  pour  la  représentation  de  la  ponctuation. 

Premier  exemple.  —  Examinons  le  double  tableau  sui- 
vant : 


JAVAL. 


19 


290         TROISIÈME  PARTIE.   


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


Tableaux  carrés  des  soixante-trois  signes  en  points 
et  en  noir. 


• 
• 

• 

• 

• 

• 

• 

• 

a 

i 

0 

OU 

é 

ou 

u 

• 

• 

•  • 

• 

•  • 

•  • 

• 

• 

•  • 

a 

P 

b 

pr 

br 

pl 

bl 

an 

• 

• 

• 

• 

• 

• 

i 

t 

d 

tr 

dr 

• 

in 

• 
• 

• 
• 

• 

• 

•  • 

•  • 

• 

• 

• 

•  • 

0 

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V 

fr 

Vr 

fl 

vl 

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• 
• 

• 

• 

• 

ou 

k 

g 

cr 

gr 

cl 

gi 

r 

• 

• 
• 

• 

• 

• 
• 

• 

• 

é 

oh 

j 

• 

• 
• 

• 

• 
• 

• 

• 

• 

eu 

s 

z 

1 

• 

• 

• 
• 

• 

• 

• 

• 

u 

m 

II 

un 

Fig.  95. 


Dans  ce  tableau  figurent,  en  quantité  amplement  suffi- 
sante, des  signes  représentatifs  des  sons  et  articulations  de 
la  langue  française.  La  première  colonne  comprend  les  sept 
voyelles  a,  i,  o,  ou,  é,  eu  et  u;  j'ai  attribué  à  cette  dernière 
voyelle  le  point  2,  mauvais  à  lire  et  à  écrire  par  égard  pour 
les  langues  où  le  son  u  n'existe  pas.  L'ordre  des  voyelles  est 
emprunté  à  l'Espéranto  et  à  Barbier  qui,  pour  des  raisons 
différentes,  ne  mettent  l'é  qu'après  les  autres  voyelles  sim- 
ples. Dans  la  dernière  colonne  se  trouvent  les  quatre  voyelles 
nasalées,  qui  n'existent  qu'en  français,  une  case  vide,  et  les 
consonnes  liquides  et  /,  parce  qu'elles  ont,  dans  la  forma- 
tion des  mots,  un  rôle  qui  les  rapproche  de  celui  des  voyelles. 

La  seconde  et  la  troisième  colonne  contiennent  les  qua- 
torze consonnes  qui,  en  y  joignant  ;*  et  /,  donnent  les  seize 
articulations  nécessaires  en  phonographie. 

J'ai  ajouté  dans  le  tableau  phonographique  ci-dessus 
quelques  articulations  terminées  par  r  et  /,  qui  se  transfor- 
ment aisément  en  signes  métagraphiques. 

Dans  ce  tableau,  les  signes  minces  sont  rigoureusement 
exclus  de  la  représentation  des  consonnes  ;  donc,  pour  le 
lecteur,  sécurité  assez  grande,  et,  pour  l'écrivain,  avantage 
d'économiser  sur  le  temps  employé  à  séparer  les  mots. 


XXV.  —   MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  291 

Admettons,  en  effet,  que,  tandis  que  les  signes  représenta- 
tifs de  voyelles  de  ma  première  colonne  sont  employés  à  la 
fin  des  mots,  on  les  remplace,  au  commencement  des  mots, 
par  les  sept  signes  de  la  première  ligne  horizontale,  ce  qui 
ne  peut  pas  prêter  à  confusion,  il  en  résultera,  entre  les 
mots,  une  distance  d'un  ou  deux  points.  On  n'aura  besoin 
de  séparer  les  mots  que  lorsque,  de  deux  mots  consécutifs, 
le  premier  se  termine  et  le  second  commence  par  une 
consonne.  Le  seul  désagrément  de  cette  manière  de  faire, 
c'est  que  les  voyelles  qui  sont  dans  le  corps  des  mots 
simuleront  des  intervalles  de  mots,  inconvénient  à  peu  près 
nul  en  sténographie,  car  l'écrivain  assez  pressé  pour  trouver 
utile  d'escamoter  les  espaces  entre  les  mots  ne  manquera 
sûrement  pas  de  supprimer  la  plus  grande  partie  des 
voyelles  qui  sont  dans  le  corps  des  mots. 

Deuxième  exemple.  —  Quelques-unes  des  remarques  pré- 
cédentes conservent  leur  valeur  pour  l'application  du  tableau 
qui  va  être  décrit.  Notamment,  il  est  entendu  que  les  signes 
minces  qui  occupent  la  première  ligne  horizontale  ne  nous 
serviront  que  pour  figurer  les  mêmes  vo}^elles  que  les 
signes  minces  de  la  première  colonne. 

Tableaux  carrés  des  soixante-trois  signes  en  points 
et  en  noir. 


au     i    o  ou   é  eu 
al    on    ar   pl  pr    p  b 
ul  ur  II    tr    t  d 


il  m  ir  tl  fr  f  v 
ol  on  or  kl  kr  k  g 
)ul  oun  our  1     r    m  n 


el  en  er  ehl  chr  ch  j 
îul  eun  eur  si    sr    s  z 


Fig.  96. 


292         TROISIÈME  PARTIE.  —  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 

Phonographie  simple.  —  Il  suffît  d'apprendre  par  cœur 
les  sept  voyelles  de  la  première  colonne,  les  sept  consonnes 
de  l'avant-dernière,  les  sept  consonnes  de  la  dernière,  qui 
découlent  des  sept  précédentes,  et  enfin  de  se  pénétrer  de  la 
forme  des  lettres  /  et  r.  Cela  fait  vingt-trois  signes  qui  suf- 
fisent pour  la  plupart  des  langues  européennes.  Pour  le 
français,  on  ajoutera  les  quatre  signes  de  voyelles  nasalées, 
inscrites  en  italique  dans  la  troisième  colonne,  en  face,  res- 
pectivement, de  a,  u,  i  et  o.  Pour  l'allemand,  on  substituera 
le  ch  au  /,  etc..  Pour  l'anglais,  l'italien,  l'espéranto,  etc., 
on  désaffectera  le  signe  de  u.  En  somme,  il  n'est  guère  de 
langue  pour  laquelle  les  vingt-trois  signes  sus-indiqués  ne 
fournissent  une  phonographie  suffisante. 

Phonographie  avec  symphones. — Nous  appelons  signe 
de  symphone  tout  signe  qui  exprime  plus  d'une  articulation. 
Puisque  nous  avons  dépensé  vingt-trois  signes,  il  nous  en 
reste  quarante,  et,  sous  déduction  des  signes  minces  de  la 
première  ligne,  trente-trois  utilisables  comme  signes  de 
symphones  (si  nous  ne  tenons  pas  compte  du  gaspillage  des 
quatre  signes  qui,  pour  le  français  seulement,  sont  employés 
par  les  voyelles  nasalées).  Les  lettres  /  et  r  étant  liquides,  je 
pense  que,  dans  toutes  les  langues,  elles  fournissent  plus  de 
symphones  que  les  autres,  à  cause  de  leur  facile  association 
aux  consonnes.  C'est  pourquoi  la  seconde,  la  quatrième,  la 
cinquième  et  la  sixième  colonne  du  tableau  sont  remplies 
par  les  symphones  que  fournissent  ces  deux  lettres.  On  re- 
tiendra aisément  que  l'addition  de  ces  lettres  à  la  suite  d'une 
voyelle  se  fait  par  l'addition  d'un  seul  point,  supérieur  pour 
17  et  inférieur  pour  1';*.  Une  remarque  analogue  permet  de 
retenir  en  un  instant  la  figure  en  points  des  douze  sym- 
phones que  ces  lettres  peuvent  former  à  la  suite  des  autres 
consonnes.  Bien  qu'une  partie  de  ces  symphones  n'existe  pas 
en  français,  ils  ont  été  cependant  maintenus  à  cause  de  leur 
existence  dans  d'autres  langues,  particulièrement  les  langues 
slaves. 


Sténographie  plus  complète.—  Si  les  langues  slaves 
nous  présentent  des  mots  comme  bourrés  de  consonnes,  c'est 


XXV.  —  MOYENS  D'ACCÉLÉRER  LA  LECTURE  DES  AVEUGLES.  293 

qu'en  réalité,  bien  souvent,  entre  des  consonnes  consécu- 
tives, se  prononce  très  légèrement  une  voyelle  qui  ne  s'écrit 
pas.  Les  sténographes  usant  d'un  artifice  analogue,  ceux  des 
symphones  non  prononçables  du  tableau  qui  nous  occupe 
sont  tout  prêts  pour  servir  de  signes  représentatifs  de  ces 
abréviations.  Il  va  sans  dire  aussi  qu'en  sténographie,  les 
signes  de  consonnes  de  notre  huitième  colonne  disparaîtront 
toutes  les  fois  qu'on  devra  leur  associer  17  ou  IV,  et  seront 
remplacés  par  les  symphones  afférents  aux  consonnes  dures 
correspondantes. 

Toutes  ces  explications  n'ont  qu'un  seul  but  :  montrer, 
par  un  exemple  concret,  la  possibilité  de  concilier  la  phono- 
graphie et  la  sténographie  sans  trop  nuire  à  cette  dernière  ; 
la  lisibilité  de  la  phonographie  qui  vient  d'être  esquissée  est 
plutôt  augmentée  par  l'emploi  des  symphones  et  n'est  guère 
diminuée  par  la  suppression  d'une  partie  des  intervalles 
entre  les  mots.  Je  crois  qu'avec  de  l'exercice,  une  phono- 
graphie de  ce  type,  précisément  parce  qu'elle  occupe  moins 
de  longueur,  serait  d'une  lecture  plus  rapide  que  le  «  toutes 
lettres  »  et  que  l'abrégé  orthographique. 

Emploi  simultané  de  deux  doigts.  —  Puisque  la  len- 
teur de  lecture  provient  de  la  faible  étendue  de  la  surface 
sensible  du  doigt,  il  est  clair  que  la  vitesse  serait  à  peu  près 
doublée,  si  l'on  pouvait  faire  usage  simultanément  de  deux 
doigts.  Or,  d'après  ce  qui  en  a  été  dit  au  Chapitre  IV 
(page  43),  la  machine  Lafaurie,  qui  écrit  en  deux  colonnes 
parallèles,  se  prête  à  une  manœuvre  de  ce  genre  :  on 
ferait  défiler  la  bande  sous  l'index  et  l'annulaire,  qui  sont 
de  longueur  à  peu  près  égale,  le  médius  inutilisé  étant  légère- 
ment soulevé. 

Lecture  par  l'oreille.  —  Enfin,  puisque  nous  savons  que 
la  lecture  du  Morse  par  l'oreille  est  passablement  rapide,  on 
conçoit  un  retour  à  la  vieille  idée  que  voici  : 

Dès  1856,  peu  de  temps  après  l'invention  de  Morse,  un 
haut  fonctionnaire  des  télégraphes  français,  M.  Charles 
Bourseul,  eut  l'idée  que  son  alphabet  pourrait  être  employé 
par  les  aveugles  préférablement  au  Braille,  et  il  construisit 
un  appareil  analogue  au  manipulateur  de  Morse,  fonction- 


294        TROISIÈME  PARTIE. 


—  DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


nant  sans  mouvement  d'horlogerie,  et  à  l'aide  duquel  on 
pouvait  écrire  l'alphabet  Morse  en  relief  (1).  D'après  les  nou- 
veaux progrès  de  la  télégraphie,  il  serait  facile  de  construire 
un  appareil  analogue,  où  les  signes  seraient  remplacés  par 
deux  lignes  de  points  perforés,  qui  permettraient  de  lire  à 
l'audition  les  bandes  obtenues  par  l'appareil  à  inscrip- 
tion. 

Le  dernier  progrès  à  cet  égard  paraît  être  celui  obtenu 
par  le  photo-télégraphe  Siemens  et  Halske  1904,  qui  transmet 
deux  mille  lettres  à  la  minute,  soit  vingt  mille  mots  de  six 
lettres  par  heure.  La  rapidité  du  manipulateur  qui  sert  à 
préparer  la  bande  perforée,  destinée  à  l'appareil  expéditeur, 
est  analogue  à  celle  d'une  machine  à  écrire  ordinaire. 

Aux  personnes  qui  s'intéressent  à  la  création  d'un  système 
international  de  sténographie  à  l'usage  des  aveugles,  je  si- 
gnale un  travail  tout  à  fait  récent  de  M.  Knowles  (2). 

On  me  communique  à  l'instant  un  livre  (3),  dont  l'auteur 
expose  avec  une  légitime  admiration  le  système  d'écriture  en 
relief  imaginé  par  le  missionnaire  Murray,  à  l'usage  des 
aveugles  chinois.  Murray  fait  usage  de  408  combinaisons, 
pour  représenter  les  408  articulations  employées  en  Chine. 
Il  paraîtrait  que  par  ce  système,  des  illettrés  chinois  auraient 
pu  apprendre  à  lire  et  à  écrire  en  moins  de  trois  mois,  et 
que  l'écriture  de  l'un  d'eux  aurait  atteint  la  rapidité  tout  à 
fait  extraordinaire  de  plus  de  vingt-deux  mots  à  la  minute. 

(1)  Instituteur  des  aveugles  (Journal  de  Guadet),  T.  II,  p.  140.  Appré- 
ciation  de  Ballu  sur  l'appareil  de  Bourseul.  Ibid.,  p.  162. 

(2)  The  «  London  Point  »  Sj'steme  of  reading  for  the  Blind,  with 
methods  of  abbreviation  for  use  with  the  System,  being  a  progressive 
scheme  from  simple  letters  to  shorthand  ;  designed  for  the  Blind  of  ail 
classes,  by  the  Bev.  J.  Knowles,  àuthor  of  «  oriental  Braille,  one  alpha- 
bet for  the  blind  for  ail  oriental  languages  »,  approved  of  by  the  British 
and  foreign  blind  Association. 

(3)  The  Inventer  of  the  Numeral-type  for  China  by  the  use  of  which  illi- 
terate  Chinese  both  blind  and  sighted  can  very  quickly  be  taught  to 
read  and  Write  fluentty  by  «  Constance  F.  Gordon-Cumming.  »  Downey 
et  C°.  L.t.d.  12  York  Street,  Covent  Garden,  London,  1899. 

Tout  ce  chapitre  a  été  écrit  sans  tenir  compte  du  New-York  point 
dont  les  caractères  ne  mesurent  que  2  points  en  hauteur.  Ce  système  qui 
fournit  un  plus  grand  nombre  de  signes  que  le  Braille  me  paraît  devoir 
être  plus  favorable  à  la  rapidité  de  la  lecture. 


CONCLUSION  A  L'USAGE  DES  PEDAGOGUES 


Imaginons  une  école  où  l'on  appliquerait  les  progrès  récla- 
més dans  ce  livre,  et  relatifs  tant  à  l'hygiène  qu'à  l'emploi 
du  moindre  effort. 

1°  Hygiène  de  la  vue.  —  L'éclairage  des  classes  sera 
organisé  d'après  les  indications  contenues  dans  le  cha- 
pitre XV.  Les  livres  et  les  cartes  murales  seront  choisis 
conformément  aux  préceptes  posés  dans  le  chapitre  XVI.  On 
"n'enseignera,  aux  jeunes  enfants,  que  l'écriture  droite  (chapi- 
tres XIII,  XVIII,  XIX).  Leur  acuité  visuelle  sera  mesurée 
(chap.  VIII),  dès  qu'ils  connaîtront  les  lettres,  et  tous  ceux 
qui  auraient  Une  acuité  insuffisante  seraient  passés  à  l'oph- 
talmomètre  (p.  74)  par  un  spécialiste.  Le  cas  échéant,  ils 
seraient  munis  de  verres  cylindriques. 

Dans  ces  conditions,  la  myopie  scolaire  et  la  scoliose  ne 
pourraient  apparaître  que  dans  le  cas  où  les  enfants  empor- 
teraient à  la  maison  beaucoup  de  travail  à  exécuter  dans  des 
conditions  d'éclairage  défectueuses. 

2°  Moindre  effort  dans  l'enseignement  de  la  lec- 
ture. —  Les  premiers  essais  d'écriture  seront  faits  en  sté- 
nographie (chap.  IV).  En  même  temps,  les  enfants  appren- 
dront de  petits  chants  et  on  leur  enseignera  l'écriture  musi- 
cale chiffrée  (chap.  V).  Ils  apprendront  donc,  simultanément 
deux  écritures  simples  et  "rigoureusement  logiques.  On  a  vu 
que,  par  ces  deux  détours,  ils  apprendront  bien  plus  vite  la 
lecture  ordinaire  et  la  lecture  musicale  sur  la  portée,  que  si 
ces  lectures  étaient  abordées  directement. 

L'enfant  saura  donc  lire  et  écrire  sans  avoir  entendu  par- 
ler d'orthographe  et  sans  avoir  fait  l'effort  exigé  pour  tracer 
les  caractères  de  notre  alphabet. 

Dans  les  pays  à  orthographe  bizarre,  tels  que  la  France 
et  l'Angleterre,  je  crois  que  l'on  trouvera  profit  à  employer 
soit  ma  méthode  (chap.  XX),  soit  quelque  système  analogue, 
pour  le  premier  enseignement  de  l'écriture  usuelle.  L'en- 
fant apprendrait  ainsi,  presque  sans  s'en  apercevoir,  les 
traits  principaux  de  l'orthographe  de  sa  langue  maternelle. 


296         TROISIÈME  PARTIE.  — 


DÉDUCTIONS  PRATIQUES. 


Secours  de  l'Espéranto.  —  Tandis  que  ce  que  je  viens 
de  dire  a  reçu  la  sanction  de  l'expérience,  c'est  seulement 
par  présomption  que  je  puis  parler  du  secours  qu'on  pour- 
rait demander  à  l'enseignement  préalable  de  l'espéranto, 
l'admirable  langue  auxiliaire  internationale  construite  par 
le  D'  Zamenhof  (1). 

Réunissons  dans  une  classe  enfantine  des  enfants  illettrés, 
et,  de  préférence,  appartenant  à  des  nationalités  diverses,  et 
prescrivons  à  la  maîtresse  de  se  conformer  rigoureusement 
au  système  inauguré  par  M.  I.  Carré  en  pays  breton,  mis 
en  vogue  par  M.  Berlitz,  et  qui  consiste  à  faire  exclusive- 
ment usage  de  la  langue  qu'il  s'agit  d'enseigner  :  après 
quelques  jours,  tout  ce  petit  monde  suivra  facilement  les 
leçons  de  choses  en  espéranto  et,  après  peu  de  semaines  tous 
parleront  couramment. 

La  langue  qu'ils  parlent  étant  rigoureusement  phonétique, 
les  enfants  n'auront  qu'un  très  faible  effort  à  faire  pour  sa- 
voir l'écrire,  d'abord  en  sténographie,  puis  en  écriture 
usuelle.  Par  surcroît,  sachant  deux  langues,  l'espéranto  et 
la  maternelle,  ils  seront  aptes  à  en  apprendre  rapidement 
d'autres. 

3°  Pour  les  Aveugles.  —  Dès  leur  entrée  à  l'école,  il 
faut  les  plonger  tout  entiers  dans  l'espéranto,  chose  facile 
avec  des  internes.  La  connaissance  de  cette  langue  leur 
est  en  effet  bien  plus  utile  qu'aux  clairvoyants.  Mais  la  rai- 
son principale  d'agir  ainsi,  c'est  de  les  affranchir,  au  début, 
des  difficultés  orthographiques,  tout  en  les  dotant  d'une 
langue  à  écriture  et  à  lecture  rapides,  dont  ils  auront  intérêt 
à  se  servir,  toute  leur  vie,  pour  communiquer  entre  eux  par 
écrit. 

Il  existe  déjà,  grâce  à  M.  Gart,  un  nombre  suffisant  de  li- 
vres de  classe  et  de  morceaux  choisis  espérantistes,  impri- 
més ou  écrits  en  points  saillants. 

(1)  Je  renvoie  les  personnes  qui  savent  l'espéranto  au  chapitre  XIII  pour 
se  convaincre  de  l'utilité  d'écrire  cette  langue  sans  lettres  accentuées  et  au 
chapitre  XXII  pour  étudier  la  petite  modification  nécessaire  en  vue  d'évi- 
ter la  confusion  entre  les  u  et  les  n,  lettres  si  fréquemment  employées 
dans  la  langue  de  Zamenhof. 

Le  jour  où  l'on  se  mettra  à  publier  des  livres  scolaires  en  espéranto,  je 
pense  que  les  éditeurs  de  ces  livres,  et  particulièrement  des  dictionnaires, 
feraient  bien  de  s'inspirer  des  types  figurés  à  la  fin  du  chapitre  XVII. 


FIN 


JANVIER  1904 


FÉLIX   ALCAN,  ÉDITEUR 

Paris,  6e.  —  108,  boulevard  Saint-Germain.  —  Paris,  6°. 

BIBLIOTHÈQUE 

Scientifique  Internationale 

Publiée  sous  la  direction  de  M.  Emile  ALGLAVE 

Beaux  ouvrages  in-8,  la  plupart  illustrés,  cartonnés  à  l'anglaise,  à  6,  9  et  12  fr. 
CE  NT-UN     VOLUMES  PARUS 


Derniers,  Volumes  publiés  : 

Le  corps  robuste  et  l'esprit  dispos,  par  A.  Mosso,  professeur  à  l'Université 
de  Turin,  traduit  de  l'italien  par  Ciaudius  Jacquet.  1  vol.  in-8.  ....    6  fr. 

Histoire  de  l'habillement  et  de  la  parure,  par  L.  Bourdeau.  1  vol.  in-8.    6  fr. 

La  géologie  générale,  par  Stanislas  Meunier,  professeur  au  Muséum  d'histoire 
naturelle.  1  vol.  in-8,  avec  43  gravures.   6  fr. 

L'eau  dans  l'alimentation,  par  F.  Malméjac,  pharmacien  de  l'armée,  docteur 
en  pharmacie;  préface  de  M.  Schlagdenhauffen,  directeur  honoraire  de  l'Ecole 
supérieure  de  pharmacie  de  Nancy,  i  vol.  in-8  6  fr. 

Les  bases  scientifiques  de  l'éducation  physique,  par  G.  Demeny,  professeur 
du  cours  d'éducation  physique  de  la  ville  de  Paris,  et  de  physiologie  appliquée 
à  l'Ecole  militaire  de  Joinville-le-Pont.  1  vol.  in-8,  avec  gravures,  2e  éd.    6  fr. 

Mécanisme  et  éducation  des  mouvements,  par  le  même.  1  vol.  in-8,  avec 
565  gravures.   9  fr. 

Les  maladies  de  l'orientation  et  de  l'équilibre,  par  J.  Grasset,  professeur 
à  la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier,  associé  de  l'Académie  de  médecine. 
1  vol.  in-8,  avec  gravures  6  fr. 

Les  débuts  de  l'art,  par  E,  Grosse,  professeur  à  l'Université  de  Fribourg-en- 
Brisgau.  Traduit  de  l'allemand  par  A.  Dirr;  introduction  de  M.  Léon  Marillier. 
1  vol.  in-8,  avec  32  gravures  dans  le  texte  et  3  planches  hors  texte.  .  .    6  fr. 

La  nature  tropicale,  par  J.  Costantin,  professeur  au  Muséum  d'histoire  natu- 
relle. 1  vol.  in-8,  avec  166  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

La  géologie  expérimentale,  par  Stanislas  Meunier,  professeur  au  Muséum 
d'histoire  naturelle.  1  vol.  in-8  avec  56  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

L'audition  et  ses  organes,  par  le  Dr  Gellé,  membre  de  la  Société  de  Biologie. 
1  vol.  in-8,  avec  70  gravures  dans  le  texte  6  fr. 


Liste  des  Volumes  par  ordre  de  matières 


1.  _  SCIENCES  SOCIALES 

Principes  de  colonisation,  par  J.-L.  de  Lanessan,  professeur  agrégé  à  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris,  ancien  gouverneur  général  de  l'Indo-Chine,  député. 

1  vol.  in-8  :  6  fr. 

M.  de  Lanessan  a  résumé  dans  ce  livre  les  leçons  de  son  expérience.  Les  Principes 

de  colonisation  étudient,  exposent  et  résolvent,  sans  en  laisser  un  seul  dans  l'ombre. 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  MANDAT-POSTE  OU  VALEUR  SUR  PARIS 


2 


LIBRAIRIE  FÉLIX  ALCAN 


tous  les  problèmes  si  complexes  soulevés  par  la  colonisation  moderne.  Les  premières 
migrations  des  hommes  à  travers  le  monde,  l'expansion  des  races  européennes  au  delà 
des  mers,  la  substitution  des  races  par  le  métissage,  la  colonisation  par  la  propagande 
religieuse,  la  conduite  à  tenir  envers  les  indigènes,  envers  les  autorités  locales,  envers 
les  colons,  la  défense  militaire  et  maritime  des  colonies,  les  pouvoirs  des  gouverneurs, 
et  mille  autres  questions  y  sont  traitées  à  un  point  de  vue  tout  moderne. 

C'est  un  livre  de  doctrine  appuyé  sur  des  faits  observés  et  vécus,  un  livre  unique 
dans  son  genre,  que  tous  ceux  qui  s'occupent  de  colonisation,  aussi  bien  en  France 
qu'à  l'étranger,  voudront  lire  et  méditer  et  qui  ne  tardera  pas  à  devenir  classique. 

Introduction  à  la  science  sociale,  par  Herbert  Spencer.  1  vol.  in-8, 13e  éd.  6  fr. 

L'auteur  démontre  d'abord  la  nécessité  de  cette  science  et  en  étudie  la  nature.  Il 
prémunit  ensuite  celui  qui  veut  se  livrer  à  cette  étude  contre  les  difficultés  qu'elle 
présente  :  difficultés  objectives,  difficultés  subjectives,  intellectuelles  et  émotionnelles. 
Ces  dernières  sont  développées  dans  les  chapitres  intitulés  :  Préjugés  de  l'éducation, 
préjugés  du  patriotisme,  préjugés  de  classes,  préjugés  politiques,  préjugés  théologiques. 

Enfin  il  indique  la  discipline  à  observer  clans  la  science  sociale  et  montre  comment 
les  études  biologiques  et  psychologiques  en  sont  la  préface  nécessaire. 

Les  bases  de  la  morale  évolutionniste,  par  Herbert  Spencer.  1  vol.  in-8, 

6e  édit.  6  fr. 

Aujourd'hui  que  les  prescriptions  morales  perllent  une  partie  de  l'autorité  qu'elles 
devaient  à  leur  origine  surnaturelle,  la  sécularisation  de  la  morale  s'impose. 

Le  changement  que  promet  ou  menace  de  produire  parmi  nous  cet  état  de  choses, 
désiré  ou  craint,  fait  de  rapides  progrès  :  ceux  qui  croient  possible  et  nécessaire  de 
remplir  le  vide  sont  donc  appelés  à  agir  en  conformité  avec  leur  foi.  C'est  cette  pensée 
qui  a  décidé  le  célèbre  philosophe  anglais  à  détacher  de  ses  Études  sociologiques  ce 
travail,  dans  lequel  il  montre  la  base  scientifique  des  principes  du  bien  et  du  mal  qui 
dirigent  la  conduite  des  hommes. 

Les  conflits  de  la  science  et  de  la  religion,  par  Draper,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  New- York.  1  vol.  in-8,  11e  édit.  6  fr. 

L'histoire  de  la  science  n'est  pas  seulement  l'histoire  de  ses  découvertes,  c'est  encore 
celle  du  conflit  existant  entre  ces  deux  puissances,  contraires  :  d'une  part,  la  force 
expansive  de  l'intelligence  humaine;  d'autre  part,  la  compression  exercée  parla  foi 
traditionnelle  et  par  les  intérêts  humains.  Personne,  avant  Draper,  n'avait  traité  le 
sujet  à  ce  point  de  vue  où  il  apparaît  comme  un  événement  actuel  on  ne  peut  plus 
important.  Aussi,  cet  ouvrage  a-t-il  eu  un  grand  succès  et  est-il  arrivé  en  peu  d'années 
à  sa  10e  édition. 

Lois  scientifiques  du  développement  des  nations,  dans  leurs  rapports  avec 
les  principes  de  l'hérédité  et  de  la  sélection  naturelle,  par  W.  Bagehot.  1  vol. 

in-8,  6e  édit   6  fr. 

L'auteur  a  cru  pouvoir  utilement,  en  quelques  chapitres,  montrer  comment,  sur  un 
ou  deux  points,  les  idées  nouvelles  travaillent  à  modifier  deux  vieilles  sciences,  la  poli- 
tique et  l'économie  politique.  Si  sur  ce  point  les  idées  sont  encore  un  peu  incomplètes, 
c'est  que  le  sujet  est  nouveau;  du  moins,  l'auteur  met  sur  la  voie  de  quelques  con- 
clusions et  montre  ainsi,  en  admettant  qu'il  ne  le  fasse  pas  lui-même,  ce  qui  devrait 
être  fait. 

L'évolution  des  mondes  et  des  sociétés,  par  F. -G.  Dreyfus.  1  vol.  in-8, 

3e  édit  .  .  ..  \  ........  J\  .    6  fr^ 

Pour  l'auteur,  l'évolution,  que  les  progrès  des  sciences  naturelles  ont  établie  sur 
une  base  inébranlable,  a  renouvelé  la  conception  générale  de  l'univers  physique  et 
social;  elle  a  mis  en  lumière  le  trait  d'union  entre  le  présent  et  le  passé,  et,  enjoignant 
le  point  de  vue  dogmatique  au  point  de  vue  historique,  elle  a  démontré  l'enchaînement 
des  époques  successives  que  l'on  considérait  jusqu'ici  comme  n'ayant  entre  elles  aucun 
rapport  immédiat.  {Revue  bleue.) 

Histoire  de  l'habillement  et  de  la  parure,  par  L.  Bourdeau.  1  vol.  in-8.    6  fr. 

L'auteur  montre  comment  l'industrie  du  vêtement  et  de  la  parure,  qui  pourvoit  à 
de  si  grands  besoins  chez  l'homme,  et  qui,  à  raison  de  son  importance  générale,  consti- 
tue une  des  principales  occupations  de  l'activité  humaine,  est  parvenue  par  une  évolution 
continue  durant  tous  le  cours  de  la  civilisation,  à  réaliser  un  aussi  vaste  programme. 
Suivant  l'ordre  même  des  faits,  M.  Bourdeau  étudie  la  préparation  des  peaux,  celle 
des  textiles,  leur  conversion  en  fils,  le  tissage  des  étoffes,  la  teinture  et  l'impression 
des  tissus,  enfin  la  confection  des  vêtements. 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  MANDAT-POSTE  OU  VALEUR  SUR  PARIS 


BIBLIOTHÈQUE  SCIENTIFIQUE  INTERNATIONA LE 


3 


La  sociologie,  par  de  Roberty.  1  vol.  in-8,  3e  édit  6  fr. 

Ce  volume  n'est  ni  une  œuvre  de  polémique  ni  un  exposé  dogmatique,  c'est  un  essai 
de  philosophie  sociale  où  l'auteur  a  surtout  cherché  à  définir  la  place,  le  caractère,  la 
méthode  et  les  tendances  de  la  science  toute  nouvelle  qui  étudie  les  sociétés  humaines 
avec  les" procédés  précis  des  sciences  naturelles.  M.  de  Roberty  se  rattache  à  l'école 
positiviste  d'Auguste  Comte  et  de  Littré,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  s'écarter,  à  l'occa- 
sion, des  voies  tracées  par  ses  illustres  maîtres  et  d'avouer  une  haute  estime  pour  les 
doctrines  de  M.  Herbert  Spencer,  même  quand  il  les  attaque  un  peu  rudement. 

La  science  de  l'éducation,  par  Alex.  Bain,  professeur  à  l'Université  d'Aberdeen 

(Ecosse).  1  vol.  in-8,  10e  édit  6  fr. 

Dans  une  première  partie,  M.  Bain  examine  la  nature  de  l'éducation  et  ses  rapports 
avec  la  physiologie,  l'éducation  de  l'intelligence,  des  sens,  de  la  mémoire  et  de  l'ima- 
gination, la  discipline.  La  seconde  partie  est  consacrée  aux  méthodes  que  l'auteur  étudie 
dans  toutes  les  sciences  et  dans  les  différentes  branches  de  l'éducation  littéraire.  Enfin, 
dans  une  troisième  partie,  M.  A.  Bain  trace  le  plan  complet  d'une  éducation  moderne 
en  rapport  avec  les  conditions  particulières  des  sociétés  contemporaines. 

La  vie  du  langage,  par  Whitney,  professeur  de  philosophie  comparée  à  Yale- 

College,  Boston  (Etats-Unis).  1  vol.  in-8,  4e  édit  6  fr. 

Les  linguistes  ont  longtemps  différé  d'opinions  sur  la  question  de  savoir. si  l'étude 
du  langage  est  une  branche  de  la  physique  ou  de  l'histoire.  Ce  différend  est  à  peu  près 
réglé  maintenant  :  toute  matière  dans  laquelle  les  circonstances,  les  habitudes  et  les 
actes  des  hommes  constituent  un  élément  prédominant,  ne  peut  être  que  le  sujet  d'une 
science  historique  ou  morale.  C'est  à  ce  point  de  vue  que  l'auteur  s'est  placé  pour  étu- 
dier la  vie  du  langage. 

La  monnaie  et  le  mécanisme  de  l'échange,  par  W.  Stanley  Jevons,  profes- 
seur d'économie  politique  à  l'Université  de  Londres.  4  vol.  in-8,  5e  édit.  6  fr. 
L'auteur  décrit  les  différents  systèmes  de  monnaies  anciennes  ou  modernes  du  monde 
entier,  les  matières  premières  employées  à  faire  de  la  monnaie,  la  réglementation  du 
monnayage  et  de  la  circulation,  les  lois  naturelles  qui  régissent  cette  circulation  et  les 
divers  moyens  appliqués  ou  proposés  pour  la  remplacer  par  de  la  monnaie  de  papier. 
Il  termine  par  un  exposé  du  système  des  chèques  et  des  compensations,  maintenant  si 
étendu  et  si  perfectionné,  et  qui  a  tant  contribue  à  diminuer  l'usage  des  espèces  métal- 
liques. 


IL  —  PHILOSOPHIE  SCIENTIFIQUE 

Les  maladies  de  l'orientation  et  çle  l'équilibre,  par  le  Dl  Grasset,  profes- 
seur de  clinique  médicale  à  l'Université  de  Montpellier,  associé  national  de 

l'Académie  de  médecine.  1  vol.  in-8,  avec  gravures  6  fr. 

L'importante  et  difficile  question  de  V orientation  et  de  V équilibre  est  de  celles 
qui  intéressent  tous  les  biologistes.  Cette  fonction  complexe  ne  peut  être  étudiée 
qu'avec  les  cas  cliniques  et  par  la  méthode  anatomoclinique.  Car  l'expérimentation 
chez  les  animaux  ne  suffit  plus  pour  les  fonctions  élevées  du  système  nerveux  et  la 
maladie  est  la  seule  vraie  source  d'expérimentation  chez  V homme.  C'est  cette  étude 
physiopathologique  de  l'appareil  nerveux  de  l'équilibration  chez  l'homme  que  M.  Grasset 
a  voulu  faire  en  décrivrant  les  maladies  de  l'orientation  et  de  l'équilibre. 
Il  s'est  efforcé  d'expliquer  par  Fanatomophysiologie  de  cet  appareil  complexe  les 
symptômes,  nombreux  et  variés,  que  l'on  rencontre  fréquemment  au  lit  du  malade 
(vertiges,  ataxies,  troubles  du  sens  musculaire...).  On  peut  dire  qu'il  a  écrit  ainsi, 
pour  la  première  fois,  un  chapitre  de  neuropathologie  et  de  neuroséméiologie,  qui 
intéressera  particulièrement  tous  les  médecins.  Les  éléments  en  étaient  épars  dans 
les  chapitres  du  cervelet,  du  labyrinthe,  des  cordons  postérieurs  de  la  moelle,  de 
l'écorcë  cérébrale.  Faute  de  groupement  synthétique,  leur  unité  fonctionnelle  et  cli- 
nique n'avait  pas  jusqu'ici  suffisamment  frappé  le  pathologiste  et  le  clinicien. 

L'audition  et  ses  organes,  par  le  Dr  Gellé,  membre  de  la  Société  de  Biologie. 

1  vol.  in-8,  avec  70  gravures  dans  le  texte   6  fr. 

Les  sourds  ont  toujours  été  un  sujet  d'observations  aussi  intéressant  pour  les  philo- 
sophes et  les  savants  que  curieux  pour  les  gens  du  monde.  Dans  cet  ouvrage,  l'auteur  exa- 
mine successivement  les  caractères  des  vibrations  sonores  et  les  organes  auditifs.  Puis 
il  arrive  aux  sensations  auditives  qu'il  étudie  dans  toutes  leurs  variétés,  dans  leurs 
formes  normales  et  dans  leurs  déformations  morbides,  si  curieuses  pour  le  public  et 
si  intéressantes  pour  ceux  qui  étudient  les  maladies  de  l'oreille.  De  nombreuses  illus- 


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trations  permettent  de  suivre  les  descriptions  et  reproduisent  les  phénomènes  les  plus 
importants.  La  signature  dit  ce  que  vaut  l'œuvre,  la  richesse  des  matériaux  qui  y  sont 
accumulés  et  le  soin  avec  lequel  ils  ont  été  triés.  (Mercure  de  France.)  - 

L'évolution  régressive  en  biologie  et  en  sociologie,  par  MM.  Demoor, 
Massart  et  Vandervelde,  professeurs  à  l'Université  de  Bruxelles.  1  vol.  in-8, 

avec  84  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

Les  analogies  qui  existent,  au  point  de  vue  de  l'évolution,  entre  la  biologie  et  la 
sociologie,  résultent  de  ce  que  l'évolution  des  sociétés,  aussi  bien  que  des  organismes, 
est  le  concours  des  deux  facteurs  :  la  ressemblance  et  l'adaptation.  Sans  pousser  jus- 
qu'à l'exagération  l'assimilation  entre  les  organismes  sociaux  et  les  organismes  végé- 
taux ou  animaux,  MM.  Demoor,  Massart  et  Vandervelde  ont  réussi  à  découvrir  des  ana- 
logies très  curieuses  dans  l'étude  de  la  régression  dans  ces  trois  ordres  de  phénomènes. 

L'esprit  et  le  corps,  considérés  au  point  de  vue  de  leurs  relations  ;  suivi  d'études 
sur  les  Erreurs  généralement  répandues  au  sujet  de  /'esprit,  par  Alex.  Bain,  pro- 
fesseur à  l'Université  d'Aberdeen  (Ecosse).  1  vol.  in-8,  6e  édit  6  fr. 

Dans  cet  ouvrage,  M.  Bain  examine  le  grand  problème  de  l'âme,  surtout  au  point  de  vue 
de  son  action  sur  le  corps.  Il  fait  l'histoire  de  toutes  les  théories  émises  sur  la  nature 
fie  l'âme  et  sur  la  nature  du  lien  qui  peut  l'unir  au  corps.' Il  étudie  ensuite  les  senti- 
ments, l'intelligence  et  la  volonté.  Ce  qui  lui  donne  l'occasion  d'exposer  des  vues  fort 
originales,  et.il  est  conduit  à  indiquer  une  solution  nouvelle  du  grand  problème  qu'il 
a  abordé. 

Les  illusions  des  sens  et  de  l'esprit,  par  James  Sully.  1  vol.  in-8,  3e  édit.  6  fr. 

Cette  étude  embrasse  le  vaste  domaine  de  l'erreur.  L'auteur  s'est  constamment  tenu 
au  point  de  vue  strictement  scientifique,  c'est-à-dire  à  la  description,  à  la  classification 
des  erreurs  reconnues  telles,  qu'il  explique  en  les  rapportant  à  leurs  conditions  psychi- 
ques et  physiques.  C'est  ainsi  qu'après  les  illusions  de  la  perception,  il  étudie  celles 
des  rêves,  de  l'introspection,  de  la  pénétration,  de  la  croyance,  de  l'amour-propre,  de 
l'attente,  de  la  mémoire,  les  erreurs  de  l'esthétique  et  de  la  poésie,  etc. 

Le  magnétisme  animal,  par  MM.  Alfred  Binet,  directeur  du  laboratoire  de 
psychologie  physiologique  de  la  Sorbonne,  et  Ch.  Féré,  médecin  de  Bicêtre. 

1  vol.  in-8,  4e  édit   6  fr. 

Les  auteurs  de  ce  livre  sont  deux  des  élèves  de  M.  le  professeur  Charcot;  ils  furent 
ses  collaborateurs  les  plus  assidus,  et  ont  pu  expérimenter  toutes  les  méthodes  de 
magnétisme,  reproduire  toutes  les  expériences  relatées  par  les  magnétiseurs  et  les  sou- 
mettre à  une  analyse  critique  et  sévère. 

Les  altérations  de  la  personnalité,  par  Alfred  Binet,  directeur  du  labora 
toire  de  psychologie  physiologique  de  la  Sofbonne.  1  vol.  in-8,  avecfig.,  2e  éd.  6  fr, 
M.  Binet  montre  que  le  fameux  moi  indivisible  de  la  vieille  philosophie  peut  se  dédou- 
bler en  plusieurs  personnalités  coexistantes  ou  successives  parfaitement  distinctes,  en 
un  mot  qu'un  même  homme  peut  être  à  la  fois  plusieurs  personnes.  Ces  faits  extraor- 
dinaires, constatés  scientifiquement,  conduisent  M.  Binet  à  expliquer  d'une  manière 
naturelle  des  faits  réputés  miracles  ou  impostures,  comme  les  phénomènes  du  spiritisme. 

Le  cerveau  et  .  ses  fonctions,  par  le  D1  J.  Luys.  1  vol.  in-8,  avec  gravures, 

7e  édit.  6  fr. 

Dans  une  première  partie  purement  anatomique,  M.  Luys  expose  d'abord  l'ensemble 
des  procédés  techniques  par  lesquels  il  a  obtenu  des  coupes  régulières  du  tissu  céré- 
bral, qu'il  a  photographiées  avec  des  grossissements  successivement  gradués,  procédés 
qui  lui  ont  permis  de  pénétrer  plus  avant  dans  les  régions  encore  inexplorées  des  cen- 
tres nerveux. 

La  seconde  partie  est  physiologique;  elle  comprend  la  mise  en  valeur  des  appareils 
cérébraux  préalablement  analysés,  et  donne  l'exposé  physiologique  des  diverses  pro- 
priétés fondamentales  des  éléments  nerveux  considérés  comme  unités  histologiques 
vivantes.  Enfin  l'auteur  montre  comment,  grâce  à  la  combinaison,  à  la  participation 
incessante,  à  la  totalisation  des  énergies  de  tous  ces  éléments,  le  cerveau  sent,  se  sou- 
vient et  réagit. 

Le  cerveau  et  la  pensée  chez  l'homme  et  chez  les  animaux,  par  Charlton 
Bastian,  prof.  àl'Univ.  de  Londres.  2  vol.  in-8,  avec  184  gravures,  2e  édit.  12  fr. 
M.  Charlton  Bastian  examine  successivement  les  différentes  classes  d'animaux,  avant 
d'arriver  au  cerveau  de  l'homme,  et  montre  la  gradation  de  toutes  les  fonctions  intel- 
lectuelles, au  fur  et  à  mesure  qu'on  monte  dans  l'échelle  animale.  Les  chapitres  consa- 
crés aux  singes  supérieurs  et  à  l'homme  sont  très  curieux;  dans  l'intelligence  humaine, 


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l'auteur  a  fait  une  grande  place  à  l'examen  de  toutes  les  déviations  intellectuelles,  et 
cite  un  grand  nombre  d'observations  qui  ne  sont  pas  des  moindres  attraits  du  livre. 

Théorie  scientifique  de  la  sensibilité,  par  Léon  Dumont.  1  vol. in-8,4eéd.    6  fr. 

Dans  une  première  partie,  l'auteur  s'occupe  de  l'analyse  générale,  et  passe  en  revue 
les  théories  sur  le  plaisir  et- la  peine;  il  examine  le  caractère  essentiel  de  ces  deux 
affections,  ainsi  que  leur  relativité. 

Dans  la  seconde  division,  M.  Dumont  aborde  la  synthèse  particulière;  il  classe  les 
émotions,  distingue  les  plaisirs  et  les  peines  en  plaisirs  et  peines  positifs  et  plaisirs  et 
peines  négatifs.  Il  traite  de  l'expression  de  l'émotion  chez  l'homme  et  les  animaux,  de 
la  contagion  des  émotions,  de  l'influence  des  émotions  sur  la  volonté,  et  termine  par 
une  intéressante  étude  sur  la  production  volontaire  des  causes  de  plaisir  et,  en  parti- 
culier, sur  l'art. 

Le  crime  et  la  folie,  par  H.  Maudsley,  professeur  à  l'Université  de  Londres. 

1  vol.  in-8,  7e  édit  '  .  .    6  fr. 

L'auteur  procède  à  une  démarcation  précise  de  la  zone  mitoyenne  entre  la  sanité 
et  l'insanité;  puis  il  traite  des  diverses  formes  de  l'aliénation  mentale,  des  rafTports  de 
la  loi  et  de  la  folie,  de  la  folie  partielle,  de  la  folie  épileptique  et  de  la  folie  sénile.  Il 
termine  sa  savante  étude  par  une  détermination  nette  des  moyens  qui  permettent  de 
se  préserver  de  la  folie.  11  montre  les  pernicieux  effets  de  l'intempérance,  et  préconise 
une  édu.cation  solide,  doublée  de  croyances  fortes  et  éclairées. 


m.  —  PHYSIOLOGIE 

Les  virus,  par  le  Dr  Arloing,  membre  correspondant  de  l'Institut,  directeur  de 
l'Ecole  vétérinaire  et  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  Lyon.  1  vol.  in-8, 

avec  47  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

M.  Arloing  étudie  l'organisme  dans  la  lutte  avec  les  microbes;  il  montre  le  malade 
succombant  ou  résistant  et  acquérant  alors  d'ordinaire  une  immunité  spéciale  contre 
le  retour  du  mal  qui  Ta  touché  une  première  fois.  Il  étudie  ensuite  les  différents 
moyens  de  produire  chez  l'homme  cette  immunité  contre  les  terribles  maladies  qui 
sont  le  fléau  de  notre  espèce,  depuis  la  variole  jusqu'à  la  rage  et  à  la  phtisie.  Il  ter- 
mine par  une  critique  des  travaux  de  Koch  sur  la  fameuse  lymphe  préservatrice  de  la 
tuberculose  qui  a  tant  passionné  le  inonde. 

Les  sensations  internes,  par  H.  Beaunis,  professeur  de  physiologie  à  la  Faculté 

de  médecine  de  Nancy.  1  vol.  in-8   .    6  fr. 

Sous  ce  nom,  l'auteur  comprend  toutes  les  sensations  qui  arrivent  à  la  conscience 
par  une  autre  voie  que  les  cinq  sens  spéciaux.  Il  est  ainsi  amené  à  examiner  les  mani- 
festations suivantes  :  la  sensibilité  organique,  c'est-à-dire  la  sensibilité  des  tissus  et 
organes,  à  l'exclusion  des  organes  des  sens;  les  besoins  (besoins  d'activité  musculaire 
ou  psychique,  des  fonctions  digestives,  de  sommeil,  de  repos,  etc.);  les  sensations  fonc- 
tionnelles (respiratoires,  circulatoires,  etc.);  le  sentiment  de  l 'existence;  les  sensations 
émotionnelles;  les  sensations  de  nature  indéterminée,  comme  le  sens  de  l'orientation, 
de  la  pensée,  de  la  durée;  la  douleur  et  le  plaisir. 

Le  corps  robuste  et  l'esprit  dispos,  par  A.  Mosso,  professeur  à  l'Université  de 
Turin,  traduit  de  l'italien  par  Claudius  Jacquet.  1  vol.  in-8.  ......    6  fr. 

M.  Mosso  montre  dans  son  livre  le  moyen  d'élever  parallèlement  le  corps  et  l'esprit; 
l'éducation  physique  des  Romains  et  de  la  jeunesse  italique,  l'agonistique  moderne, 
l'œuvre  du  gouvernement,  l'art  d'élever,  l'éducation  physique  dans  l'Université,  la  démo- 
cratie et  l'éducation  physique,  V éducation  moderne  des  femmes,  tels  sont  les  titres  des 
différents  chapitres  au  cours  desquels  M.  Mosso  montre  la  nécessité  de  combiner  les 
deux  cultures,  afin  d'obtenir  des  êtres  moralement  et  physiquement  solides,  capables 
de  résister  aux  nécessités  de  l'heure  présente. 

Physiologie  des  exercices  du  corps,  par  le  docteur  Fernand  Lagrange,  lau- 
réat de  l'Institut.  1  vol.  in-8,  8e  édit  6  fr. 

.  M.  Lagrange  a  écrit  sous  ce  titre  un  livre  tout  à  fait  original  dont  on  ne  saurait  trop 
recommander  la  lecture.  Il  examine  avec  de  très  grands  détails  le  travail  musculaire, 
la  fatigue,  la  cause  cle  l'essoufflement,  de  la  courbature,  le  surmenage,  l'accoutumance 
au  travail,  l'entraînement,  les  différents  exercices  et  leurs  influences,  les  exercices  qui 
déforment  et  ne  déforment  pas  le  corps,  le  rôle  du  cerveau  dans  l'exercice,  l'automa- 
tisme. Certains  chapitres  sur  les  dépôts  uratiques,  sur  le  rôle  du  travail  musculaire 
dans  la  production  des  sédiments,  sont  très  fouillés.  M.  Lagrange  a  observé  par  lui- 
même,  et  l'on  voit  qu'il  s'est  rendu  maître  d'un  sujet  peu  exploré  et  difficile.  Tous  les 


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faibles,  les  débilités  par  l'air  et  la  vie  des  grandes  villes,  ont  intérêt  à  méditer  cet 
excellent  traité  de  physiologie  spéciale.  (Les  Débats.) 

Les  sens,  par  Bernstein,  professeur  à  l'Université  de  Halle.  1  vol.  in-8,  avec  91  grav. 
dans  le  texte,  5e  édit.   _  6  fr. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  quatre  livres  :  le  premier  est* consacré  au  sens  du  toucher 
sous  ses  différentes  formes;  le  second,  consacré  au  sens  de  la  vue,  contient  une  étude 
détaillée  de  la  constitution  et  du  fonctionnement  de  l'œil  et  de  toutes  les  maladies 
qu'il  peut  subir;  le  troisième  traite  du  sens  de  l'ouïe  et  le  quatrième  termine  l'ouvrage 
par  l'étude  de  l'odorat  et  du  goût. 

Les  organes  de  la  parole  et  leur  emploi  pour  la  formation  des  sons  du 
langage,  par  H.  de  Meyer,  professeur  à  l'Université  de  Zurich;  traduit  de  l'al- 
lemand et  précédé  d'une  introduction  sur  Y  Enseignement  de  la  parole  aux  sourds- 
muets,  par  M.  0.  Claveau,  inspecteur  général  des  établissements  de  bienfaisance. 

I  vol.  in-8,  avec  51  gravures  dans  le  texte.  6  fr. 

L'étude  de  la  structure  et  des  dispositions  des  organes  de  la  parole  s'impose  aux 

philosophes  avec  un  caractère  de  nécessité  qui  devient  de  jour  en  jour  plus  marqué; 
chaque  jour,  en  effet,  on  voit  s'affermir  cette  conviction  qu'une  intelligence  exacte  des 
lois  relatives  à  la  modification  des  éléments  du  langage  ne  peut  s'acquérir  sans  le 
secours  des  lois  physiologiques  de  la  production  des  sons. 

La  physionomie  et  l'expression  des  sentiments,  par  P.  Mantegazza,  profes- 
seur au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Florence,  1  vol.  in-8,  avec  gravures  et 

8  planches  hors  texte,  3e  édit  6  fr. 

Ce  livre  est  une  page  de  psychologie,  une  étude  sur  le  visage  et  sur  la  mimique 
humaine.  L'auteur  s'est  donné  pour  tâche  de  séparer  nettement  les  observations  positives 
de  toutes  les  divinations  hardies  qui  ont  jusqu'ici  encombré  la  voie  de  ces  études. 

Scientifique  dans  le  fond,  l'ouvrage  de  M.  Mantegazza  est  cependant  d'une  lecture 
agréable;  le  psychologue  et  l'artiste  y  trouveront  beaucoup  de  faits  nouveaux  et  des 
interprétations  ingénieuses  d'observations  que  chacun  pourra  vérifier. 

Théorie  nouvelle  de  la  vie,  par  Félix  Le  Dantec,  docteur  ès  sciences,  chargé 
du  cours  d'Embryologie  générale  à  la  Sorbonne.  1  vol.  in-8,  3e  éclit.  .  .  6  fr. 
Gomment  définir  la  vie?  «  Il  n'y  a  pas  de  définition  des  choses  naturelles,  »  a  dit 
Claude  Bernard.  On  ne  définit  pas  la  vie,  parce  que  la  définition  serait  trop  complexe. 
M.  Le  Dantec  l'a  tenté,  et  je  n'oserais  pas  affirmer  qu'il  n'ait  pas  réussi.  Seulement  il 
a  posé  de  nombreux  corollaires  préliminaires.  Il  faut  d'ailleurs,  avec  lui,  se  faire  une 
conception  tout  autre  que  celle  que  l'on  possédait  autrefois  sur  la  vie.  La  vie  de  l'in- 
dividu n'est  pas  unique;  elle  se  compose  d'une  multitude  d'éléments  qui  vivent  aussi. 
Et  ce  que  nous  appelons  la  vie  est  la  résultante  de  toutes  ces  vies  particulières.  N'in- 
sistons pas.  L'ouvrage  de  M.  Le  Dantec  est  extrêmement  remarquable.  Il  mérite  d'être 
médité,  et  celui  qui  le  lira  verra  s'agrandir  considérablement  l'horizon  de  ses  connais- 
sances. C'est  un  des  livres  les  plus  saillants  de  l'année.  (Journal  des  Débats.) 

La  machine  animale,  par  E.-J.  Marey,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Col- 
lège de  France.  1  vol.  in-8,  avec  117  grav.  dans  le  texte,  6e  édiCaugmentée.  6  fr. 
L'adaptation  des  organes  du  mouvement  chez  les  animaux  à  leurs  diverses  condi- 
tions d'existence,  les  allures  chez  l'homme  et  chez  le  cheval,  l'analyse  du  mécanisme 
du  vol  des  insectes  et  des  oiseaux,  l'appareil  reproduisant  les  mouvements  des  ailes  : 
tels  sont  les  principaux  sujets  traités  dans  ce  livre. 

II  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  les  applications  utiles  de  ces  recherches  scientifi- 
ques, lesquelles  ont  d'ailleurs  valu  à  leur  auteur  le  grand  prix  de  physiologie  de 
dix  mille  francs,  fondé  par  M.  Lacaze. 

La  locomotion  chez  les  animaux  (marche,  natation  et  vol),  suivi  d'une  étude 
sur  YHistoire  de  la  navigation  aérienne,  par  J.-B.  Pettigrew,  professeur  au  Col- 
lège royal  de  chirurgie  d'Edimbourg  (Ecosse).  1  vol.  in-8,  avec  140  gravures  dans 

le  texte,  2e  édit  ~  6  fr. 

Une  partie  de  cet  ouvrage  est  consacrée  aux  questions  traitées  dans  la  Machine  ani- 
male, par  M.  Marey,  avec  qui  l'auteur  est  en  désaccord  sur  un  certain  nombre  de 
points.  11  se  place  d'ailleurs  à  un  point  de  vue  différent.  Il  étudie  la  locomotion  dans 
et  par  l'eau,  dont  M.  Marey  ne  s'est  pas  occupé,  et  donne  de  curieux  détails  sur  la 
natation  de  l'homme. 

Mais  ce  qu'il  faut  signaler  tout  particulièrement,  c'est  son  histoire  de  toutes  les 
machines  et  de  tous  les  systèmes  essayés  pour  arriver  à  naviguer  dans  l'air,  depuis 
les  montgolfières  jusqu'aux  machines  actuelles. 


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BIBLIOTHEQUE  SCIENTIFIQUE  I INTERNATIONALE 


La  chaleur  animale,  par  Ch.  Richet,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de 

Paris.  1  vol.  in-8,  avec  47  graphiques  dans  le  texte  6  fr. 

L'auteur  justifie  la  théorie  de  Lavoisier,  que  la  vie  est  une  fonction  chimique  :  les 
phénomènes  de  chaleur  dont  les  êtres  vivants  sont  le  siège,  sont  phénomènes  physico- 
chimiques. Tout  phénomène  est  accompagné  de  chaleur;  il  y  a  en  outre  production 
d'énergie  mécanique  et  mouvement. 

Les  bases  scientifiques  de  l'éducation  physique,  par  G.  Demeny,  professeur 
du  cours  d'Education  physique  de  la  Ville  de  Paris,  et  de  physiologie  appliquée 
à  l'Ecole  militaire  de  gymnastique  de  Joinville-le-Pont.  In-8,  avec  98  gravures. 

2e  édit  G  fr. 

Mécanisme  et  éducation  des  mouvements,  par  le  même.  1  vol.  in-8,  avec 

565  gravures  9  fr. 

.  Dans  le  premier  ouvrage  l'auteur  développe  particulièrement  l'éducation  de  la  respi- 
ration, l'ampliation  de  la  poitrine,  la  fatigue  et  l'entraînement,  l'éducation  des  mouve- 
ments et  des  sens.  Il  relie  l'éducation  physique  à  l'éducation  morale  en  montrant  l'effet 
de  la  première  sur  le  caractère  et,  dans  une  troisième  partie,  il  indique  les  procédés 
techniques  de  mensuration  pour  contrôler  les  résultats  obtenus. 

Dans  le  second  volume,  les  mouvements  gymnastiques  sont  analysés  et  étudiés  sous 
le  rapport  de  leur  effet  utile.  On  y  trouve  l'exposé  des  études  sur  la  locomotion  au 
moyen  de  la  chronophotographie  et  de  la  dynamographie.  On  y  constate  aussi  les  rap- 
ports de  la  science  et  de  l'art  dans  ce  qui  peut  constituer  la  physiologie  artistique; 
toute  une  partie  importante  est  consacrée  aux  conditions  économiques  de  l'utiiisaiion 
de  la  force  musculaire,  à  la  mesure  du  travail  dans  les  cas  simples  et  à  des  expériences 
intéressant  spécialement-  la  locomotion  dans  l'armée. 

Évolution  individuelle  et  hérédité  [Théorie  de  la  variation  quantitative),  par 
F.  Le  Dantec,  chargé  du  cours  d'Embryologie  générale  à  la  Sorbonne. 
1  vol.  in-8  .  .""  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .,  .  .  .  ..........    6  fr. 

Le  but  de  M.  F.  Le  Dantec  en  écrivant  cet  ouvrage,  a  été  d'arriver,  par  une  méthode 
purement  déductive,  à  la  compréhension  de  l'hérédité  des  caractères  acquis,  et  c'est 
par  cette  méthode  que  son  livre  diffère  entièrement  des  autres  ouvrages  publiés  sur  la 
question  si  controversée  de  l'hérédité. 


IV.  —  ANTHROPOLOGIE 

Formation  de  la  Nation  française  (Textes,  linguistique,  palethnologie,  anthro- 
pologie), par  Gabriel  de  Mortillet,  professeur  à  l'Ecole  d'Anthropologie, 
ancien  président  de  la  Société  d'Anthropologie,  i  vol.  in-8,  avec  153  gra- 
vures et  18  cartes  dans  le  texte,  2e  édit  6  fr. 

Critique  chronologique  des  anciens  textes.  Populations  sédentaires  et  populations 
mobiles.  Gaulois  et  Germains  formant  un  seul  et  même  type.  Langues  parlées.  Evo- 
lution de  l'écriture  en  France.  Précurseur  de  l'homme.  Naissance  et  développement  de 
l'industrie  et  de  la  civilisation.  Absence  de  culte.  Invasion  et  révolution  sociologique. 
Protohistorique  et  métallurgie.  Races  humaines  primitives  de  la  France.  Dolichocé- 
phales et  brachycéphales.  Origine  et  variations  des  cultes.  Les  premiers  habitants 
apparaissent  il  y  a  230  à  240  mille  ans.  Races  françaises  pures  pendant  le  paléolithique. 
Mélange  des  races  autochtones  avec  les  races  envahissantes.  Formation  de  la  population 
française  :  telles  sont  les  matières  traitées  dans  cet  ouvrage. 

L'espèce  humaine,  par  A.  de  Quatrefages,  membre  de  l'Institut,  professeur  au 
Muséum  d'histoire  naturelle.  1  vol.  in-8,  13e  édit   6  fr. 

«  Ce  livre  m'a  beaucoup  intéressé,  et  il  intéressera  tous  ceux  qui  le  liront.  Il  expose  avec  une 
pleine  compétence  les  faits  et  les  questions.  On  pont  n'être  pas  toujours  de  son  avis,  mais  il  fournit 
des  éléments  de  discussion  sur  lesquels  il  est  légitime  de  compter.  Les  diverses  races  humaines  sont 
bien  étudiées  :  l'homme  fossile,  cette  découverte  des  temps  modernes,  n'est  pas  oublié.  Des  détails 
très  instructifs  sont  donnés  sur  les  influences  du  milieu  et  de  la  race,  sur  les  acclimatations,  sur  les 
croisements  et  sur  les  curieux  phénomènes  de  Phybïidité.  (E.  Littbé,  Philosophie  positive.) 

Darwin  et  ses  précurseurs  français,  par  A.  de  Quatrefages.  1  vol.,  2e  édit.  6  fr. 
Les  émules  de  Darwin,  par  A.  de  Quatrefages;  précédé  de  notices  sur  la  vie 

et  les  travaux  de  l'auteur,  par  MM.  E.  Perrier  et  Hamy,  de  l'Institut.  2  vol.    12  fr. 

Les  idées  évolutionnistes  qui,  depuis  un  tiers  de  siècle,  ont  renouvelé  toutes  les 
sciences  et  même  la  philosophie,  ont  reçu  évidemment  de  Darwin  leur  impulsion 


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décisive.  Mais  ce  n'est  pas  à  dire  que  le  grand  naturaliste  anglais  ait  tout  inventé 
d'emblée.  M.  de  Quatrefages  montre  dans  ces  ouvrages  que  Darwin  a  eu  des  précur- 
seurs et  des  émules  de  premier  rang,' en  France  même.  Il  analyse  et  critique  les  théo- 
ries de  Darwin  à  côté  de  celles  de  ses  précurseurs,  Lamarck,  Et.  Geoffroy  Saint-Hilaire, 
Buffdn  et  quelques  autres  comme  Telliamed,  Robinet,  Bory  de  Saint-Vincent.  Parmi  les 
savants  qu'il  cite  comme  émules  de  Darwin,  nous  rappellerons  Wallace,  Naudin, 
Romanes,  Cari  Vogt,  Haeckel,  Huxley,  d'Omalius  d'Halloy,  etc. 

La  France  préhistorique,  par  E.  Cartailhac.  1  vol.  in-8,  avec  150  gravures 

dans  le  texte,  2e  édit.  6  fr. 

Ce  qui  distingue  le  livre  de  M.  Gartailhac  de  tant  d'autres  livres  sur  lé  même  sujet, 
c'en  est  le  caractère  uniquement  et  rigoureusement  scientifique.  Ni  les  conjectures 
n'y  sont  données  pour  des  vérités,  ni  les  hypothèses  pour  des  certitudes;  au  contraire, 
M.  Gartailhac  s'y  fait  un  point  d'honneur  de  distinguer  soigneusement  le  certain  d'avec 
le  probable,  et  le  probable  d'avec  le  douteux.  Rien  de  moins  ordinaire  aux  anthropo- 
logistes,  dont  l'intrépidité  d'affirmation  n'a  d'égale  au  monde  que  celle  des  métaphysi- 
ciens. Et  c'est  ce  qui  suffirait  à  recommander  la  France  -préhistorique,  si  d'ailleurs  le 
nom  cle  M.  Cartailhac  n'était  assez  connu  pour  ses  heureuses  découvertes,  ses  nombreux 
travaux,  et  sa  rare  compétence.  (Revue  des  Deux  Mondes.) 

L'homme  préhistorique,  étudié  d'après  les  monuments  et  les  costumes  retrou- 
vés dans  les  différents  pays  d'Europe;  suivi  'd'une  Étude  sur  les  mœurs  et  cou- 
tumes des  sauvages  modernes,  par  sir  John  Lubbock,  membre  de  la  Société  royale 

de  Londres,  2  vol.  in-8  avec  228  grav.  dans  le  texte,  4e  édit  '  .    12  fr. 

Rappeler  les  grandes  divisions  de  l'ouvrage  montrera  suffisamment  son  importance, 
tant  au  point  de  vue  scientifique  qu'au  point  de  vue  historique.  Les  principaux  cha- 
pitres traitent  des  questions  suivantes  :  De  l'emploi  du  bronze  dans  Vantiquité,  de  l'âge 
du  bronze,  de  l'emploi  de  la  pierre  dans  l'antiquité,  monuments  mégalithiques,  tumuli, 
les  anciennes  habitations  lacustres  de  la  Suisse,  les  amas  de  coquilles  du  Danemark, 
les  graviers  des  rivières,  de  V ancienneté  de  l'homme. 

La  famille  primitive,  ses  origines  et  son  développement,  par  G.  N.  Starcke, 

professeur  à  l'Université  de  Copenhague.  1  vol.  in-8  6  fr. 

Dans  une  première  partie,  l'auteur  examine  l'organisation  de  la  famille,  de  la  pro- 
priété et  de  l'héritage  chez  tous  les  peuples  primitifs  ou  anciens.  Dans  la  seconde 
partie,  il  fait  la  théorie  de  la  famille  primitive,  de  son.  origine  et  de  son  évolution.  Il 
étudie  successivement  la  filiation,  la  polyandrie  et  la  polygamie,  le  matriarcat  et  le 
patriarcat,  le  lévirat  et  le  niyoga,  l'hérédité  et  le  droit  d'aînesse,  les  formes  différentes 
de.famille  dans  les  principales  races,  etc.  L'origine  et  le  régime  du  mariage  attirent 
principalement  son  attention;  il  développe  soigneusement  le  système  de  l'exogamie  et 
l'évolution  du  mariage.  Il  termine  enfin  par  la  théorie  du  clan,  de  la  tribu  et  de  la 
famille  qui  a  provoqué,  comme  celle  du  mariage,  bien  des  controverses.  Ce  livre  est 
donc  comme  un  résumé  des  principales  questions  sociales. 

L'homme  dans  la  nature,  par  P.  Topinard.  1  vol.  in-8,  avec  101  grav.    6  fr. 

L'ouvrage  de  M.  Topinard  se  divise  en  deux  parties  distinctes.  Dans  la  première,  il 
expose  les  résultats  de  ses  recherches  personnelles  sur  l'anthropologie,  les  questions 
que  soulève  cette  science,  les  résultats  positifs  qu'elle  a  obtenus  et  aussi  les  déceptions 
qu'elle  a  rencontrées.  Dans  la  seconde  partie  de  son  ouvrage,  M.  Topinard  expose  et 
discute,  à  la  lumière  des  derniers  progrès  de  la  science,  toutes  les  données  du  grand 
problème  de  l'origine  de  l'homme.  Malgré  l'abîme  profond  qui  sépare  aujourd'hui  le 
genre  humain  du  reste  des  animaux,  M.  Topinard  montre  avec  détails  que  l'homme  est 
le  produit  d'une  longue  évolution  commencée  dans  les  classes  inférieures  des  vertébrés 
et  dont  il  suit  toutes  les  phases  jusqu'à  l'ordre  des  Primates  où  l'Espèce  humaine 
forme  un  rameau  distinct. 

Les  races  et  les  langues,  par  André  Lefèvre,  professeur  à  l'École  d'Anthro- 
pologie de  Paris.  1  vol.  in-8  6  fr. 

L'auteur  ne  sépare  pas  le  langage  de  l'organisme  qui  l'a  produit,  des  êtres  qui  l'ont 
façonné  à  leur  usage.  Le  langage,  contre-coup  sonore  de  la  sensation,  a  débuté  par  le 
cri  animal,  cri  d'émotion,  cri  d'appel.  Varié  par  l'onomatopée,  enrichi  par  la  méta- 
phore, il  a  évolué  clans  la  mesure  même  du  développement  cérébral  et  des  aptitudes 
intellectuelles.  Tous  les  groupes  ethniques  passés  en  revue  par  l'auteur  ont  su  mettre 
la  parole  en  exacte  correspondance  avec  leurs  facultés  et  leurs  besoins.  Une  grande 
partie  de  l'ouvrage  est,  comme  de  juste,  consacrée  à  la  puissante  famille  indo-euro- 
péenne dont  les  nombreux  idiomes  ont  refoulé,  pour  ainsi  dire,  et  rejeté  en  marge 
de  la  civilisation  des  langues  moins  souples  et  moins  bien  ordonnées.  M.  André  Lefèvre 


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a  proposé  des  vues  nouvelles  et  originales.  Toujours  il  s'est  inspiré  de  ces  lignes  qui 
terminent  l'ouvrage  :  «  Tout  ensemble  facteur  et  expression  de  nos  progrès,  créateur 
de  la  conscience  et  de  la  science,  le  langage  relie  la  zoologie  à  l'histoire,  l'anthropologie 
physiologique  à  l'anthropologie  morale.  » 

Les  singes  anthropoïdes,  et  leur  organisation  comparée  à  celle  de  l'homme, 
par  R.  Hartmann,  professeur  à  l'Université  de  Berlin.  1  vol.  in-8,  avec  63  gra- 
vures dans  le  texte.  6  fr. 

L'auteur  déduit  de  son  étude  la  confirmation  de  la  proposition  de  Huxley  qu'il  y  a 
plus  de  différence  entre  les  singes  les  plus  inférieurs  et  les  singes  les  plus  élevés,  qu'il 
n'y  en  a  entre  ceux-ci  et  les  hommes.  Toutefois  si,  au  point  de  vue  corporel,  il  cons- 
tate une  parenté  très  proche  entre  l'homme  et  le  singe  anthropoïde,  il  résulte  égale- 
ment de  ses  observations  qu'au  point  de  vue  psychique  l'abîme  entre  les  deux  est  très 
considérable. 

Le  centre  de  l'Afrique  ;  Autour  du  Tchad,  par  P.  Brunache,  administrateur 
de  commune  mixte  en  Algérie.  1  vol.  in-8,  avec  45  gravures  dans  le  texte  et 

une  carte .  .    6  fr. 

M.  P.  Brunache  a  été  le  second  de  MM.  Dybowski  et  Maistre  dans  leurs  missions 
célèbres  de  1892  et  de  1894. 11  raconte  ses  impressions  de  voyage  et  constate  les  résul- 
tats acquis  dans  les  explorations  auxquelles  il  a  pris  part;  il  expose  en  même  temps 
ses  idées  sur  l'influence  que  la  France  peut  et  doit  exercer  dans  les  régions  si  disputées 
de  l'Afrique  centrale.  Des  dessins,  pris  sur  place  par  l'auteur,  donnent  à  son  travail 
un  cachet  particulier,  et  constituent  des  documents  authentiques  qui  intéresseront 
tous  ceux,  et  ils  sont  nombreux,  qui  suivent  avec  ardeur  les  progrès  de  notre  déve- 
loppement en  Afrique. 


V.  —  ZOOLOGIE 

La  culture  des  mers  en  Europe  (pisci facture,  pisciculture,  ostréiculture),  par 
Georges  Roché,  inspecteur  général  des  Pèches  maritimes.  \  vol.  in-8,  avec 

81  gravures  dans  le  texte   6  fr. 

M.  Roché  n'a  pas  eu  la  prétention  d'écrire  un  traité  d'aquiculture,  mais  il  a  pensé 
qu'il  était  intéressant  d'initier  le  public  au  fonctionnement  des  industries  maritimes 
et  à  la  technique  des  méthodes  piscicoles  et  ostréicoles.  Il  expose  d'abord  les  procédés 
de  pèche  modernes  et  les  résultats  qu'ils  fournissent  dans  les  mers  d'Europe,  puis  il 
passe  en  revue  les  essais  de  piscifacture  et  de  pisciculture  pratiqués  dans  les  divers 
pays,  la  reproduction  des  homards  et  des  langoustes,  l'ostréiculture  si  développée  en 
France  que  ses  débouchés  actuels  sont  devenus  insuffisants.  Un  dernier  chapitre  est. 
consacré  à  la  culture  des  éponges  industrielles. 

L'intelligence  des  animaux,  par  G.-J.  Romanes,  secrétaire  de  la  Société  Lin- 
néenne  de  Londres  pour  la  zoologie  ;  précédé  d'une  préface  sur  ÏEvolution 
mentale,  par  Edm.  Perrier,  membre   de   l'Institut,  directeur  du  Muséum 

d'histoire  naturelle  de  Paris.  2  vol.  in-8,  3e  édit  12  fr. 

Cet  ouvrage  a  été  composé,  presque  sous-  les  yeux  de  Darwin,  par  un  des  hommes 
qui  se  sont  le  plus  scrupuleusement  imprégnés  de  sa  méthode  :  Georges-J.  Romanes; 
il  étudie  les  manifestations  de  l'instinct  ou  de  la  raison  chez  les  différentes  espèces, 
depuis  les  *p\us  inférieures  jusqu'aux  grands  mammifères,  et  il  rapporte,  avec  un  luxe 
de  détails  vraiment  remarquable,  quantité  de  curieuses  observations. 

La  philosophie  zoologique  avant  Darwin,  par  Edmond  Perrier,  membre 
de  l'Institut,  directeur  du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris.  1  vol.  in-8, 

3e  édit.  .   6  fr. 

Le  savant  professeur  du  Jardin  des  plantes  a  traité  une  des  parties  les  plus  intéres- 
santes des  sciences  naturelles  :  l'Histoire  des  doctrines  des  grands  zoologistes  depuis 
Aristote  jusqu'aux  hommes  les  plus  marquants  de  l'époque  contemporaine.  Il  y  a 
abordé  chacun  des  grands  problèmes  que  cherchent  à  résoudre  en  ce  moment  les 
sciences  naturelles  et  a  fait  de  ce  livre  un  véritable  résumé  de  la  zoologie  actuelle. 

Descendance  et  Darwinisme,  par  0.  Schmidt,  professeur  à  l'Université  de 

Strasbourg.  1  vol.  in-8,  avec  26  gravures,  6e  édit  6  fr. 

La  théorie  nouvelle  de  la  parenté  et  de  la  descendance  n'est  pas  uniquement  sou- 
mise aux  controverses  de  ses  partisans;  elle  est  discutée  par  des  adversaires  dont  la 
vue  est  troublée  par  l'image  plus  ou  moins  nette  des  dangers  qu'elle  prépare  à  leur 
science  fondée  sur  le  miracle.  L'opposition  a  été  grande  en  Angleterre  contre  l'homme 


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les  eaux  minérales,  les  cours  d'eau  souterrains,  le  rôle  minéralisateur  de  l'eau  aux. 
époques  géologiques  constituent  autant  de  chapitres  d'un  vif  intérêt.  Les  tremblements 
de  terre  et  les  météorites  conduisent  M.  Daubrée  à  l'examen  de  la  constitution  du 
globe.  En  un  mot,  c'est  bien,  comme  l'indique  le  titre,  une  excursion  dans  les  régions 
de  l'invisible.  :  (Les  Débals.) 

Les  volcans  et  les  tremblements  de  terre,  par  Fucus,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Heidelberg.  1  vol.  in-8,  avec  30  gravures  et  une  carte  en  couleurs, 

6e  édit   6  fr. 

On  trouve  dans  ce  livre  un  historique  détaillé  des  tremblements,  de  terre  connus, 
des  études  sur  les  tremblements  de  mer,  les  volcans  boueux  et  les  geysers,  une 
description  pétrographique  des  laves;  enfin  il  se  termine  par  une  description  géogra- 
phique des  volcans,  comprenant  une  énumération  complète  et  tenant  compte  de  toutes 
les  découvertes  et  de  tous  les  événements  récents. 

Le  pétrole,  le  bitume  et  l'asphalte,  par  A.  Jaccard,  professeur  de  géologie  à 
l'Académie  de  Neuchâtel.  1  vol.  in-8,  avec  70  gravures  dans  le  texte.  .  6  fr. 
M.  Jaccard  fait  dans  ce  livre  l'histoire  critique  de  toutes  les  théories  scientifiques 
relatives  au  pétrole,  décrit  son  mode  de  formation,  expose  la  découverte  successive  de 
ses  gisements  dans  les  deux  mondes.  11  fait  ensuite  l'histoire  du  bitume  et  de  l'asphalte. 
Enfin  il  cherche  à  déterminer  l'avenir  industriel  du  pétrole.  De  nombreuses  figures 
placées  dans  le  texte  permettent  notamment  de  suivre  les  descriptions  des  principaux 
gisements  géologiques. 

La  géologie  comparée,  par  Stanislas  Meunier,  professeur  au  Muséum  d'his- 
toire naturelle.  1  vol.  in-8,  avec  35  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

L'étude  des  météorites,  qui  sont  des  échantillons  de  masses  extra-terrestres,  et  les 
renseignements  de  plus  en  plus  abondants  que  nous  fournit  l'astronomie  physique, 
aidée  par  l'analyse  spectrale,  sur  la  constitution  des  corps  célestes,  permettent  d'en- 
trevoir une  géologie  considérable,  dont  la  géologie  terrestre  forme  un  cas  particu- 
lier. C'est  ce  nouveau  chapitre  de  la  science  que  le  savant  professeur  du  Muséum 
s'attache,  depuis  des  années,  à  développer  et  à  constituer  en  corps  de  doctrine.  Il  en 
a  donné  un  excellent  résumé  dans  le  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux. 

(Revue  des  Deux  Mondes.) 
La  géologie  générale,  par  le  même.  1  vol.  in-8,  avec  43  grav.  dans  le  texte.  .  6  fr. 

L'auteur  débute  par  un  exposé  de  l'évolution  des  idées  en  géologie  générale  pendant 
le  xixe  siècle  et  passe  en  revue  les  théories  de  Cuvier,  cle  Lyell,  de  Constant  Prévost 
et  de  leurs  écoles,  pour  aboutir  à  l'activisme  qui  constitue  à  l'heure  actuelle  le  dernier 
stade  de  cette  évolution.  Pour  justifier  cette  doctrine  qu'il  a  faite  sienne,  il  étudie  les 
principaux  phénomènes  actuels  en  essayant  de  retrouver  pour  chacun  d'eux  la  cause 
prochaine  d'où  ils  dérivent.  11  recherche  ensuite  dans  les  dépôts  des  époques  antérieures 
à  la  nôtre,  des  témoignages  analogues  à  ceux  qu'il  a  ainsi  interprétés,  puis  il  examine 
si  toutes  les  actions  actuelles  se  sont  fait  sentir  alors  et  si,  à  leur  influence,  ne  s'est 
pas  ajoutée  celle  des  causes  qui  n'agiraient  plus  maintenant. 

Il  établit  ainsi,  pour  ainsi  .dire,  la  physiologie  tellurique  de  l'époque  actuelle  et  la 
physiologie  comparée  des  époques  précédentes,  et  fait  enfin  ressortir  entre  les  unes  et 
les  autres  les  points  communs  et  les  contrastes  dont  se  dégage,  comme  d'elle-même, 
toute  la  philosophie  de  la  géologie. 


VIL  —  PHYSIQUE 

Les  glaciers  et  les  transformations  de  l'eau,  par  J.  Tyndall,  professeur  de 
chimie  à  l'Institution  royale  de  Londres;  suivi  d'une  étude  sur  le  même  sujet, 
par  Helmholtz,  professeur  à  l'Université  de  Berlin.  1  vol.  in-8,  avec  27  gravures 
dans  le  texte  et  8  planches  tirées  à  part  sur  papier  teinté,  6e  édit.  ...  6  fr. 
La  conservation  de  l'énergie,  par  Balfour  Stewart,  professeur  de  physique 
au  Collège  Owen  de  Manchester  (Angleterre);  suivi  d'une  étude  sur  la  Nature 
de  la  force,  par  P.  de  Saint-Robert  (de  Turin).  1  vol.  in-8,  6e  édit.  6  fr. 
La  matière  et  la  physique  moderne,  par  Stallo;  précédé  d'une  préface  par 
Ch.  Friedel,  de  l'Institut,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences  de  Paris.  1  vol. 

in-8,  3°  édit.  .  .  '  .    6  fr.. 

L'auteur  critique,  au  point  cle  vue  purement  expérimental,  les  principales  théories 
de  la  science  contemporaine  :  la  théorie  mécanique  de  la  chaleur,  la  théorie  ato- 
mique, etc.,  enfin  les  surprenantes  doctrines  des  géomètres  allemands  et  italiens  sur 
l'espace  à  quatis  dimensions.  M.  Friedel  a  placé  en  tête  de  ce  livre  une  préface  où  il 
prend  la  défense  de  l'Ecole  atomique  dont  il  est  le  chef  incontesté  en  France  depuis 
la  mort  de  Wurtz. 


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VIII.  —  CHIMIE 

La  synthèse  chimique,  par  M.  Berthelot,  membre  de  l'Institut,  professeur  de 

chimie  organique  au  Collège  de  France.  1  vol.  in-8,  9e  édit  6  f'r. 

C'est  en  1860  que  M.  Berthelot  a  exposé,  pour  la  première  fois,  les  méthodes  et  les 
résultats  généraux  de.  la  synthèse  chimique  appliquée  aux  matériaux  immédiats  des, 
êtres  organisés,  et  qu'il  a  fait  connaître  au  monde  savant  les  procédés  qu'il  avait 
découverts  pour  réaliser  les  combinaisons  de  carbone  et  d'hydrogène. 

Il  était  bon  que  ces  principes  de  la  synthèse  organique  qui  ont  pris  une  place  si 
importante  dans  le  domaine  de  la  chimie  et  qui,  chaque  jour,  produisent  des  décou- 
vertes nouvelles,  fussent  mis  à  la  portée  du  grand  public. 

La  théorie  atomique,  par  Ad.  Wurtz,  membre  de  l'Institut,  professeur  à  la 
Faculté  des  sciences  et  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris.  Précédé  d'une  intro- 
duction sur  la  Vie  et  les  travaux  de  l'auteur,  par  Ch.  Friedel,  de  l'Institut.  1  vol. 

in-8,  8e  édit.   6  fr. 

Dans  cet  ouvrage,  le  chef  de  l'Ecole  atomique  française,  Ad.  Wurtz,  résume  l'ensemble 
des  travaux  et  des  théories  qui  ont  rendu  son  nom  célèbre  dans  toute  l'Europe  savante. 
Il  expose  le  développement  successif  des  théories  chimiques  depuis  Dalton,  Gay-Lussac, 
Berzélius  et  Proust,  jusqu'à  Dumas,  Laurent  et  Gerhardt,  Avogrado,  Merideleef,  et 
termine  par  les  études  les  plus  curieuses  et  les  plus  nouvelles  sur  la  constitution  des 
corps  et  la  nature  de  la  matière. 

Les  fermentations,  par  P.  Schutzenberger,  membre  de  l'Institut,  professeur  de 
chimie  au  Collège  de  France.  1  vol.  in-8,  avec  28grav.,  6e  édition  refondue.  G  fr. 
M.  Schutzenberger  a  divisé  son  travail  en  deux  parties  :  dans  la  première,  il  traite 
des  fermentations  attribuées  à  l'intervention  d'un  ferment  organisé  ou  figuré,  telles 
sont  les  fermentations  alcoolique,  visqueuse,  lactique,  ammoniacale,  butyrique  et  par 
oxydation;  la  seconde  partie  est  consacrée  aux  fermentations  provoquées  par  des  pro- 
duits solubles,  élaborés  par  les  organismes  vivants. 

Microbes,  ferments  et  moisissures,  par  le  Dr  L.  Trocessart.  1  vol.  in  8,  avec 

107  gravures  dans  le  texte,  2e  édit  6  fr. 

Le  rôle  des  microbes  intéressant  chacun  de  nous,  il  fallait  un  livre  où  l'avocat,  forcé 
de  traiter  en  face  d'experts  une  question  d'hygiène,  l'ingénieur,  l'architecte,  l'indus- 
triel, l'agriculteur,  l'administrateur,  pussent  trouver  des  notions  claires  et  précises  sur 
les  questions  d'hygiène  pratique  se  rattachant  à  l'étude  des  microbes,  notions  qu'ils 
trouveraient  difficilement,  dispersées  qu'elles  sont  dans  les  livres  destinés  aux  méde- 
cins ou  aux  botanistes  de  profession.  Bien  qu'il  ne  soit  pas  écrit  spécialement  pour  ces 
derniers,  ce  livre  peut  cependant  leur  être  d'une  grande  utilité. 

Il  a  été  donné  une  large  place  à  la  partie  botanique,  trop  souvent  négligée  dans  les 
ouvrages  de  pathologie  microbienne. 

La  révolution  chimique.  Lavoisier,  par  M.  Berthelot.  1vol.  in-8,  ill.,2eéd.  6fr. 

A  côté  de  la  Bévolution  politique  de  1789,  il  y  a  donc  eu  une  révolution  chimique, 
personnifiée  par  Lavoisier,  et  qui  sépare  deux  mondes  scientifiques  entièrement  diffé- 
rents par  leurs  méthodes,  leur  esprit  et  leurs  principes.  C'est  cette  révolution  que 
raconte  M.  Berthelot. 

L'ouvrage  se  termine  par  des  notices  et  extraits  des  registres  inédits  du  laboratoire 
de  Lavoisier  qui  offrent  un  intérêt  particulier  en  mettant  le  lecteur  en  présence  de  la 
méthode  de  travail  de  l'illustre  savant. 

La  photographie  et  la  photochimie,  par  G. -H.  Niewenglowski,  préparateur 
à  la  Faculté  des  sciences  de  Paris,  directeur  du  journal  La  Photographie.  1  vol. 
in-8,  avec  128  gravures  dans  le  texte  et  1  planche  en  phototypie  hors  texte.  6  fr. 
Les  principes  de  photochimie  qui  sont  la  base  des  procédés  photographiques  sont 
d'abord  décrits  aussi  clairement  que  possible.  L'auteur  passe  ensuite  en  revue  les 
diverses  phases  des  nombreuses  recherches  qui  ont  abouti  à  la  fixation  des  images  de 
la  chambre  noire,  avec  leur  triple  caractère  de  forme,  de  couleurs  et  de  mouve- 
ment, et  donne  un  aperçu  des  nombreuses  applications  de  l'invention  française  la 
plus  féconde  de  ce  siècle.  Les  travaux  les  plus  récents  sont  analysés  dans  cet  ouvrage; 
c'est  ainsi  que  des  chapitres  ont  été  réservés  à  Vart  photographique,  à 'la  photographie 
directe  et  indirecte  des  couleurs',  à  la  chromo-photographie  et  au  cinématographe,  à  la 
photographie  de  l'invisible,  aux  -rayons  de  Rœntgen  et  aux  radiations  qui  s'en  rappro- 


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les  eaux  minérales,  les  cours  d'eau  souterrains,  le  rôle  minéralisateur  de  l'eau  aux 
époques  géologiques  constituent  autant  de  chapitres  d'un  vif  intérêt.  Les  tremblements 
de  terre  et  les  météorites  conduisent  M.  Daubrée  à  l'examen  de  la  constitution  du 
globe.  En  un  mot,  c'est  bien,  comme  l'indique  le  titre.,  une  excursion  dans  les  régions 
de  l'invisible.  '  (Les  Débals.) 

Les  volcans  et  les  tremblements  de  terre,  par  Fucus,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Heidelberg.  1  vol.  in-8,  avec  30  gravures  et  une  carte  en  couleurs, 

6e  édit   6  fr. 

On  trouve  dans  ce  livre  un  historique  détaillé  des  tremblements' de  terre  connus, 
des  études  sur  les  tremblements  de  mer,  les  volcans  boueux  et  les  geysers,  une 
description  pétrographique  des  laves;  enfin  il  se  termine  par  une  description  géogra- 
phique des  volcans,  comprenant  une  énumération  complète  et  tenant  compte  de  toutes 
les  découvertes  et  de  tous  les  événements  récents. 

Le  pétrole,  le  bitume  et  l'asphalte,  par  A.  Jaccard,  professeur  de  géologie  à 
l'Académie  de  Neuchâtel.  1  vol.  in-8,  avec  70  gravures  dans  le  texte.  .  6  fr. 
M.  Jaccard  fait  dans  ce  livre  l'histoire  critique  de  toutes  les  théories  scientifiques 
relatives  au  pétrole,  décrit  son  mode  de  formation,  expose  la  découverte  successive  de 
ses  gisements  dans  les  deux  mondes.  11  fait  ensuite  l'histoire  du  bitume  et  de  l'asphalte. 
Enfin  il  cherche  à  déterminer  l'avenir  industriel  du  pétrole.  De  nombreuses  figures 
placées  dans  le  texte  permettent  notamment  de  suivre  les  descriptions  des  principaux 
gisements  géologiques. 

La  géologie  comparée,  par  Stanislas  Meunier,  professeur  au  Muséum  d'his- 
toire naturelle.  1  vol.  in-8,  avec  35  gravures  dans  le  texte  6  fr. 

L'étude  des  météorites,  qui  sont  des  échantillons  de  masses  extra-terrestres,  et  les 
renseignements  de  plus  en  plus  abondants  que  nous  fournit  l'astronomie  physique, 
aidée  par  l'analyse  spectrale,  sur  la  constitution  des  corps  célestes,  permettent  d'en- 
trevoir une  géologie  considérable,  dont  la  géologie  terrestre  forme  un  cas  particu- 
lier. C'est  ce  nouveau  chapitre  de  la  science  que  le  savant  professeur  du  Muséum 
s'attache,  depuis  des  années,  à  développer  et  à  constituer  en  corps  de  doctrine.  Il  en 
a  donné  un  excellent  résumé  dans  le  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux. 

(Revue  des  Deux  Mondes.) 
La  géologie  générale,  par  le  même.  1  vol.  in-8,  avec  43  grav.  dans  le  texte.  .  6  fr. 

L'auteur  débute  par  un  exposé  de  l'évolution  des  idées  en  géologie  générale  pendant 
le  xixe  siècle  et  passe  en  revue  les  théories  cle  Cuvier,  de  Lyell,  de  Constant  Prévost 
et  de  leurs  écoles,  pour  aboutir  à  l'activisme  qui  constitue  à  l'heure  actuelle  le  dernier 
stade  de  cette  évolution.  Pour  justifier  cette  doctrine  qu'il  a  faite  sienne,  il  étudie  les 
principaux  phénomènes  actuels  en  essayant  de  retrouver  pour  chacun  d'eux  la  cause 
prochaine  d'où  ils  dérivent.  11  recherche  ensuite  dans  les  dépôts  des  époques  antérieures 
à  la  nôtre,  des  témoignages  analogues  à  ceux  qu'il  a  ainsi  interprétés,  puis  il  examine 
si  toutes  les  actions  actuelles  se  sont  fait  sentir  alors  et  si,  à  leur  influence,  ne  s'est 
pas  ajoutée  celle  des  causes  qui  n'agiraient  plus  maintenant. 

Il  établit  ainsi,  pour  ainsi  .dire,  la  physiologie  tellurique  de  l'époque  actuelle  et  la 
physiologie  comparée  des  époques  précédentes,  et  fait  enfin  ressortir  entre  les  unes  et 
les  autres  les  points  communs  et  les  contrastes  dont  se  dégage,  comme  d'elle-même, 
toute  la  philosophie  de  la  géologie. 


VIL  —  PHYSIQUE 

Les  glaciers  et  les  transformations  de  l'eau,  par  J.  Tyndall,  professeur  de 
chimie  à  l'Institution  royale  de  Londres;  suivi  d'une  étude  sur  le  même  sujet, 
par  Helmholtz,  professeur  à  l'Université  de  Berlin.  1  vol.  in-8,  avec  27  gravures 
dans  le  texte  et  8  planches  tirées  à  part  sur  papier  teinté,  6e  édit.  ...  6  fr. 
La  conservation  de  l'énergie,  par  Balfour  Stewart,  professeur  de  physique 
au  Collège  Owen  de  Manchester  (Angleterre)  ;  suivi  d'une  étude  sur  la  Nature 
de  la  force,  par  P.  de  Saint-Robert  (de  Turin).  1  vol.  in-8,  6e  édit.  6  fr. 
La  matière  et  la  physique  moderne,  par  Stallo;  précédé  d'une  préface  par 
Ch.  Friedel,  de  l'Institut,  professeur  à  la  Faculté  des  sciences  de  Paris.  1  vol. 

in-8,  3e  édit.  .  .  1  ;   6  fr.. 

L'auteur  critique,  au  point  de  vue  purement  expérimental,  les  principales  théories 
de  la  science  contemporaine  :  la  théorie  mécanique  de  la  chaleur,  la  théorie  ato- 
mique, etc.,  enfin  les  surprenantes  doctrines  des  géomètres  allemands  et  italiens  sur 
l'espace  à  quatre  dimensions.  M.  Friedel  a  placé  en  tête  de  ce  livre  une  préface  où. il 
prend  la  défense  de  l'Ecole  atomique  dont  il  est  le  chef  incontesté  en  France  depuis 
la  mort  de  Wurtz. 


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13 


VIII.  —  CHIMIE 

La  synthèse  chimique,  par  M.  Berthelot,  membre  de  l'Institut,  professeur  de 

chimie  organique  au  Collège  de  France.  1  vol.  in-8,  9e  édit  6  fr. 

C'est  en  1860  que  M.  Berthelot  a  exposé,  pour  la  première  fois,  les  méthodes  et  les 
résultats  généraux  de  la  synthèse  chimique  appliquée  aux  matériaux  immédiats  des, 
êtres  organisés,  et  qu'il  a  fait  connaître  au  monde  savant  les  procédés  qu'il  avait 
découverts  pour  réaliser  les  combinaisons  de  carbone  et  d'hydrogène. 

Il  était  bon  que  ces  principes  de  la  synthèse  organique  qui  ont  pris  une  place  si 
importante  clans  le  domaine  de  la  chimie  et  qui,  chaque  jour,  produisent  des  décou- 
vertes nouvelles,  fussent  mis  à  la  portée  du  grand  public. 

La  théorie  atomique,  par  Ad.  Wurtz,  membre  de  l'Institut,  professeur  à  la 
Faculté  des  sciences  et  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris.  Précédé  d'une  intro- 
duction sur  la  Vie  et  les  travaux  de  l'auteur,  par  Ch.  Friedel,  de  l'Institut.  1  vol. 

in-8,  8e  édit   6  fr. 

Dans  cet  ouvrage,  le  chef  de  l'Ecole  atomique  française,  Ad.  Wurtz,  résume  l'ensemble 
des  travaux  et  des  théories  qui  ont  rendu  son  nom  célèbre  dans  toute  l'Europe  savante. 
Il  expose  le  développement  successif  des  théories  chimiques  depuis  Dalton,  Gay-Lussac, 
Berzélius  et  Proust,  jusqu'à  Dumas,  Laurent  et  Gerhardt,  Avogrado,  Mendeleef,  et 
termine  par  les  études  les  plus  curieuses  et  les  plus  nouvelles  sur  la  constitution  des 
corps  et  la  nature  de  la  matière. 

Les  fermentations,  par  P.  Schutzenberger,  membre  de  l'Institut,  professeur  de 
chimie  au  Collège  de  France.  1  vol.  in-8,  avec  28grav.,  6e  édition  refondue.  G  fr. 
M.  Schutzenberger  a  divisé  son  travail  en  deux  parties  :  dans  la  première,  il  traite 
des  fermentations  attribuées  à  l'intervention  d'un  ferment  organisé  ou  figuré,  telles 
sont  les  fermentations  alcoolique,  visqueuse,  lactique,  ammoniacale,  butyrique  et  par 
oxydation;  la  seconde  partie  est  consacrée  aux  fermentations  provoquées  par  des  pro- 
duits solubles,  élaborés  par  les  organismes  vivants. 

Microbes,  ferments  et  moisissures,  par  le  Dr  L.  Trouessart.  1  vol.  in  8,  avec 

107  gravures  dans  le  texte,  2e  édit  6  fr. 

Le  rôle  des  microbes  intéressant  chacun  de  nous,  il  fallait  un  livre  où  l'avocat,  forcé 
de  traiter  en  face  d'experts  une  question  d'hygiène,  l'ingénieur,  l'architecte,  l'indus- 
triel, l'agriculteur,  l'administrateur,  pussent  trouver  des  notions  claires  et  précises  sur 
les  questions  d'hygiène  pratique  se  rattachant  à  l'étude  des  microbes,  notions  qu'ils 
trouveraient  difficilement,  dispersées  qu'elles  sont  dans  les  livres  destinés  aux  méde- 
cins ou  aux  botanistes  de  profession.  Bien  qu'il  ne  soit  pas  écrit  spécialement  pour  ces 
derniers,  ce  livre  peut  cependant  leur  être  d'une  grande  utilité. 

Il  a  été  donné  une  large  place  à  la  partie  botanique,  trop  souvent  négligée  dans  les 
ouvrages  de  pathologie  microbienne. 

La  révolution  chimique.  Lavoisier,  par  M.  Berthelot.  1  vol.  in-8,  ill.,  2e  éd.  6  fr. 

A  côté  de  la  Révolution  politique  de  1789,  il  y  a  donc  eu  une  révolution  chimique, 
personnifiée  par  Lavoisier,  et  qui  sépare  deux  mondes  scientifiques  entièrement  diffé- 
rents par  leurs  méthodes,  leur  esprit  et  leurs  principes.  C'est  cette  révolution  que 
raconte  M.  Berthelot. 

L'ouvrage  se  termine  par  des  notices  et  extraits  des  registres  inédits  du  laboratoire 
de  Lavoisier  qui  offrent  un  intérêt  particulier  en  mettant  le  lecteur  en  présence  de  la 
méthode  de  travail  de  l'illustre  savant. 

La  photographie  et  la  photochimie,  par  G. -H.  Niewenglowski,  préparateur 
à  la  Faculté  des  sciences  de  Paris,  directeur  du  journal  La  Photographie.  1  vol. 
in-8,  avec  128  gravures  dans  le  texte  et  1  planche  en  phototypie  hors  texte.  6  fr. 
Les  principes  de  photochimie  qui  sont  la  base  des  procédés  photographiques  sont 
d'abord  décrits  aussi  clairement  que  possible.  L'auteur  passe  ensuite  en  revue  les 
diverses  phases  des  nombreuses  recherches  qui  ont  abouti  à  la  fixation  des  images  de 
la  chambre  noire,  avec  leur  triple  caractère  de  forme,  de  couleurs  et  de  mouve- 
ment, et  donne  un  aperçu  des  nombreuses  applications  de  l'invention  française  la 
plus  féconde  de  ce  siècle.  Les  travaux  les  plus  récents  sont  analysés  dans  cet  ouvrage; 
c'est  ainsi  que  des  chapitres  ont  été  réservés  à  Y  art  photographique,  à  4a  photographie 
directe  et  indirecte  des  couleurs',  à  la  chromo-photographie  et  au  cinématographe,  à  la 
photographie  de  V invisible ,  aux  rayons  de  Rœntgen  et  aux  radiations  qui  s'en  rappro- 


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chent  par  leurs  propriétés.  Les  applications  de  la  photographie  à  l'astronomie,  à  l'art 
militaire,  aux  sciences  physiques,  naturelles  et  médicales,  à  la  décoration,  etc.,  font 
aussi  l'objet  de  chapitres  spéciaux. 

L'eau  dans  l'alimentation,  par  le  Dr  F.  Malméjac,  pharmacien  de  l'armée, 
docteur  en  pharmacie.  Préface  de  M.  Schlagdenhauffen,  directeur  honoraire  de 
l'Ecole  supérieure  de  pharmacie  de  Nancy.  1  vol.  in-8,  avec  gravures.  .    6  fr. 
La  question  de  l'eau  de  boisson  occupe  aujourd'hui  une  place  capitale  en  hygiène, 
et  il  n'est  pas  trop  de  la  géologie,  de  la  chimie  et  de  la  bactériologie  pour  la  résoudre. 

Ce  sont  les  résultats  de  toutes  les  recherches  entreprises  depuis  vingt  ans  que 
M.  Malméjac  expose;  il  a  également  consigné  des  travaux  personnels  encore  inédits; 
ainsi  composé,  le  livre  résume  fidèlement  les  connaissances  que  toute  personne  ins- 
truite doit  posséder  sur  la  matière.  Nul  n'oserait,  en  effet,  se  désintéresser  d'une 
question  qui  a  pour  but  de. débarrasser  à  jamais  le  genre  humain  des  redoutables  épidé- 
mies d'origine  hydrique  et,  comme  conséquence,  de  faire  diminuer  dans  de  grandes 
proportions  la  mortalité. 

IX.  —  ASTRONOMIE  —  MÉCANIQUE 

Les  étoiles.  Notions  d'astronomie  sidérale,  par  le  Père  A.  Segchi,  directeur  de 
l'Observatoire  du  Collège  romain.  2  vol.  in-8,  avec  68  gravures  dans  le  texte 

et  16  planches  en  noir  et  en  couleurs,  3e  édit  '.  .    12  fr. 

L'auteur,  après  avoir  décrit  l'aspect  général  du  ciel,  étudie  toutes  les  questions  qui 
se  rattachent  à  la  grandeur  des  étoiles,  à  la  distance  qui  les  s~épare  de  nous,  à  leur 
couleur,  à  leurs  changements  d'éclat  et  de  teinte.  Un  chapitre  est  consacré  au  soleil, 
qui  appartient  à  la  classe  des  étoiles  variables.  Il  aborde  ensuite  l'histoire  des  nébu- 
leuses, l'étude  et  la  détermination  des  mouvements  propres  des  étoiles.  Il  est  ainsi 
conduit  à  traiter  de  l'immensité  de  l'espace  stellaire,  clu  nombre  des  étoiles,  des 
distances  qui  les  séparent  de  nous  et  de  celles  qui  les  séparent  les  unes  des  autres. 
Enfin,  dans  un  dernier  chapitre,  le  P.  Secchi  expose  ses  vues  sur  la  constitution  de 
l'univers. 

Histoire  de  la  machine  à  vapeur,  de  la  locomotive  et  des  bateaux  à 
vapeur,  par  R.  Thurston,  professeur  de  mécanique  à  l'Institut  technique  de 
Hoboken,  près  New-York;  revue,  annotée  et  augmentée  d'une  Introduction,  par 
M.  Hirsch,  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées,  professeur  de  machines 
à  vapeur  à  l'Ecole  des  ponts  et  chaussées  de  Paris.  2  vol.  in-8,  avec  160  gra- 
vures dans  le  texte  et  16  planches  à  part,  3e  édit  12  fr. 

On  peut  dire  que  l'industrie  moderne  tout  entière  dérive  de  la  machine  à  vapeur, 
et  cependant  l'histoire  de  ce  merveilleux  engin  n'avait  pas  encore  été  écrite  d'une 
manière  complète.  M.  Thurston  a  comblé  cette  lacune.  Cet  ouvrage  est  orné  de 
16  planches,  d'une  foule  de  portraits  d'inventeurs,  et  d'une  immense  figure  représen- 
tant tous  les  types  de  machines  à  vapeur,  de  bateaux  à  vapeur  ou  de  locomotives, 
depuis  les  premières  tentatives  de  l'antiquité  jusqu'aux  perfectionnements  les  plus 
récents. 

Les  aurores  polaires,  par  A.  Angot,  météorologiste  titulaire  au  Bureau  météo- 
rologique de  France.  1  vol.  in-8,  avec  15  gravures  dans  le  texte  et  hors  texte.  6  fr. 
Les  aurores  boréales,  que  M.  Angot  appelle  avec  raison  aurores  polaires,  puisqu'elles 
se  produisent  aussi  bien  au  pôle  sud  qu'au  pôle  nord,  et  descendent  même  de  temps 
à  autre  dans  les  latitudes  tempérées,  forment  l'un  des  sujets  les  plus  curieux  des 
sciences  physiques.  M.  Angot  les  décrit,  en  fait  l'histoire,  en  discute  la  théorie,  avec 
la  clarté  de  style  et  l'élégance  d'exposition  qui  lui  ont  donné  une  place  éminente  dans 
la  littérature  scientifique  comme  dans  la  science  technique.  Des  gravures,  exécutées 
avec  le  plus  grand  soin,  représentent  les  plus  belles  aurores  boréales  observées. 


X.  —  BEAUX- ART  S 

Les  débuts  de  l'art,  par  E.  Grosse,  professeur  à  l'Université  de  Fribourg-en- 
Brisgau.  Traduit  de  l'allemand  par  A.  Dirr.  Introduction  de  M.  L.  Marillier. 
1  vol.  in-8,  avec  32  gravures  dans  le  texte  et  3  planches  hors  texte.  .  .    6  fr. 
L'art,  à  ses  débuts,  a  été  nettement  réaliste,  visant  seulement  à  représenter,  de 
façon  exacte,  les  principaux  faits  de  lâ~vie  courante.  Ce  sont  des  facteurs  secondaires 
qui  ont  fait  naître  la  tendance  à  la  simplification,  au  choix  entre  les  détails,  au  style. 
Rien  de  tout  cela  n'a  existé  dans  les  reproductions  premières  des  objets  que  l'homme 
voyait  tous  les  jours.  L'ouvrage  de  M.  Grosse  est  conçu  sur  un  plan  des  plus  simples  : 


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 4>    '  .   

après  une  étude  préliminaire  sur  le  but  et  la  voie  de  la  science  de  Vart,  sur  les  peuples 
primitifs,  et  sur  Vart  en  général,  l'auteur  examine  la  parure,  Vart  ornementaire,  la 
sculpture  et  la  peinture,  la  danse,  la  poésie,  la  musique-,  une  conclusion  rapide  permet 
de  mesurer  l'étendue  du  champ  parcouru. 

.  Les  idées  maîtresses  de  l'ouvrage,  inséparablement  unies  les  unes  aux  autres,  con- 
sistent essentiellement  en  cette  notion  que,  pour  s'élever  à  la  dignité  de  science,  la 
connaissance  d'un  ensemble  de  faits  ou  d'individus  doit  être  surtout  explicative;  or, 
nulle  part,  cette  méthode  ne  trouve  de  plus  utiles  applications  que  dans  le  domaine 
de  l'art.  Écrit  en  une  langue  alerte,  le  livre  de  M.  Grosse  est  accessible  à  tous  :  il 
intéressera  les  savants,  et  les  hommes  les  moins  initiés  aux  recherches  et  aux 
méthodes  de  l'ethnographie  comparée  pourront  le  lire  sans  un  instant  d'ennui,  sans 
un  effort  d'attention. 

La  céramique  ancienne  et  moderne,  par  E.  Guignet,  directeur  des  teintures 
à  la  manufacture  des  Gobelins,  et  E.  Garnier,  conservateur  du  Musée  de  la  manu- 
facture de  Sèvres.  1  vol.  in-8,  avec  100  gravures  dans  le  texte   6  fr. 

Ce  gros  livre  est  formé  de  deux  parties  distinctes  :  un  manuel  des  procédés  de  fabri- 
cation employés  par  les  céramistes,  et  une  histoire  rétrospective  de  la  céramique.  La 
première  de  ces  deux  parties  est  l'œuvre  de  M.  Guignet,  directeur  des  teintures  aux 
manufactures  des  Gobelins,  et  c'est  M.  Garnier,  l'éminent  conservateur  du  Musée  de 
Sèvres,  qui  s'est  chargé  d'écrire  la  seconde.  Tous  deux  se  sont,  comme  on  pouvait  le 
prévoir,  acquittés  de  leur  tâche  avec  beaucoup  de  conscience.  L'ensemble  de  l'ouvrage 
est  d'un  extrême  intérêt,  aussi  bien  pour  les  fabricants  que  pour  les  collectionneurs. 

{Illustration.) 

Le  son  et  la  musique,  par  P.  Blaserna,  professeur  à  l'Université  de  Rome; 
suivi  des  Causes  physiologiques  de  V harmonie  musicale,  par  H.  Helmholtz,  prof, 
à  l'Univ.  de  Berlin.  1  vol.  in-8,  avec  41  gravures  dans  le  texte,  5e  édit.    6  fr. 

Ce  livre  n'a  pas  la  prétention  de  donner  une  description  complète  des  phénomènes 
sonores,  ni  d'exposer  toute  l'histoire  des  lois  musicales;  l'auteur  a  cherché  seulement 
à  réunir  deux  sujets  qui  jusqu'alors  avaient  été  traités  séparément.  Exposer  brièvement 
les  principes  fondamentaux  de  l'acoustique  et  en  montrer  les  plus  importantes  appli- 
cations, tel  est  le  but  de  cet  ouvrage.  Il  se  trouve  présenter  ainsi  un  grand  intérêt 
pour  ceux  qui  aiment  à  la  fois  l'art  et  la  science. 

Principes  scientifiques  des  beaux-arts,  par  E.  Brucke,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Vienne  5  suivi  de  V Optique  et  les  Arts,  par  H.  Helmholtz,  professeur  à 
l'Université  de  Berlin.  1  vol.  in-8,  avec  39  gravures,  4e  édit  6  fr. 

Dans  ce  volume  sont  réunies  les  recherches  principales  de  deux  savants,  MM.  Brucke 
et  Helmholtz,  et  les  matériaux  qui  y  sont  contenus  montrent,  par  leur  diversité  et  leur 
importance,  que  la  peinture  et  la  sculpture  ne  perdent  rien  à  devenir  savantes  tout 
en  demeurant  artistiques.  La  perspective,  ta  distribution  de  la  lumière  et  des  ombres,  la 
couleur  avec  ses  harmonies  et  ses  contrastes,  sont  autant  de  sujets  scientifiques  que  les 
peintres  ne  sauraient  se  dispenser  d'étudier.  Les  auteurs  donnent  également  d'intelli- 
gents conseils  sur  le  mode  d'éclairement  des  modèles  qui  est  déterminé  par  des  lois 
rigoureuses  et  dont  on  ne  s'écarte  qu'au  détriment  de  la  vérité  des  effets;  ils  traitent 
également  la  question  connexe  de  V éclair ement  des  galeries  de  tableaux. 

Théorie  scientifique  des  couleurs  et  leurs  applications  aux  arts  et  à 
l'industrie,  par  O.-N.  Rood,  professeur  de  physique  à  Columbia-College  de 
New-York  (Etats-Unis).  1  vol.  in-8,  avec  130  gravures  dans  le  texte  et  une  planche 
en  couleurs,  2e  édit.  6  fr. 

Ce  livre  convient  à  la  fois,  grâce  aux  aptitudes  variées  de  son  auteur,  aux  artistes 
et  aux  gens  du  monde.  On  y  trouve,  sous  une  forme  accessible,  l'exposé  des  diverses 
théories  sur  les  couleurs  et  sur  leur  perception  dans  l'œil  humain,  ainsi  que  les  appli- 
cations si  variées  et  si  curieuses  de  beaucoup  de  ces  théories  dans  l'industrie.  Enfin 
le  rôle  des  couleurs  dans  la  peinture,  les  moyens  de  les  employer  et  l'étude  des  divers 
genres,  forment  une  partie  importante  de  l'ouvrage. 


ENVOI  FRANCO  CONTRE  MANDAT-POSTE  OU  VALEUR  SUR  PARIS 


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LIBRAIRIE  FELIX  ALCAN 


LISTE  GÉNÉRALE  PAR  ORDRE  D'APPARITION  DES  ICI  VOLUMES 

BIBLIOTHÈQUE  SCIENTIFIQUE  INTERNATIONALE 


1.  Tyndall.  Les  Glaciers  et  les  Transformations  de 
l'eau,  illustré.  7e  éd. 

2.  Bagehot.  Lois  scientifiques  du  développement 
des  nations.  6e  éd. 

3.  Marey.  La  Machine  animale,  illustré.  6e  éd. 

4.  Bain.  L'Esprit  et  le  Corps.  6e  éd. 

5.  Pettigrew.  La  Locomotion  chez  les  animaux, 
illustré.  2e  éd. 

6.  Herbert  Spencer.   Introduction  à  la  science 
sociale.  13e  éd. 

7.  Schmidt.  Descendance  et  Darwinisme,  ill.  6e éd. 

8.  Maudsley.  Le  Crime  et  la  Folie.  7e  éd. 

9.  Van  Beneden.  Les  Commensaux  et  les  Parasites 
du  règne  animal,  illustré.  4e  éd. 

10.  Balfour  Stewart.  La  Conservation  de  l'éner- 
gie, illustré.  6e  éd. 

H.  Draper.   Les  Conflits  de  la  science  et  de  la 
religion.  11e  éd. 

12.  Léon  Dumont.  Théorie  scientifique  de  la  sensi- 
bilité. 4e  éd. 

13.  Schutzenjberger.  Les  Fermentations,  illustré. 
6e  éd.  refondue. 

14.  Whitney.  La  vie  du  langage.  4e  éd. 

15.  Cooke  et  Berkeley.  Les  Champignons,  ill.  4e  éd. 

16.  Bernstein.  Les  Sens,  illustré.  5e  éd. 

17.  Berthelot.  La  Synthèse  chimique.  9e  éd. 

18.  Niewenglowski.  La  Photographie  et  la  Photo- 
chimie, illustré. 

19.  Luys.  Le  Cerveau  et  ses  Fonctions,  illustré.  7e  éd. 

20.  Stanley  Jevons.  La  Monnaie  et  le  Mécanisme 
de  l'échange.  5e  éd. 

21.  Fughs.  Volcans  et   Tremblements  de  terre, 
illustré.  6e  éd. 

22.  Brialmont  (le  général).  La  Défense  des  Etats 
et  les  Camps  retranchés.  (Epuisé.) 

23.  De  Quatrefages.  L'Espèce  humaine.  13e  éd. 

24.  P.  Blaserna  et  Helmholtz.  Le  Son  et  la  Mu- 
sique, illustré.  5  e  éd. 

25.  Rosenthal.  Les  Nerfs  et  les  Muscles.  (Epuisé.) 

26.  Brucke  et  Helmholtz.  Principes  scientifiques 
des  Beaux-Arts,  illustré.  4e  éd. 

27.  Wurtz.  La  Théorie  atomique.  8e  éd. 

28-29.  Secchi  (le  Père).  Les  Etoiles,2  vol.  illust.  3e  éd. 

30.  Joly.  L'Homme  avant  les  métaux.  (Epuisé.) 

31.  A.  Bain.  La  Science  de  l'éducation.  10e  éd. 
32-33.  Thurston.  Histoire  de  la  machine  à  vapeur, 

2  vol.  illustrés.  3e  éd. 

34.  Hartmann.  Les  Peuples  de  l'Afrique.  (Epuisé.) 

35.  Herbert  Spencer.  Les  Bases  de  la  morale  é^o- 
lutionniste.  6e  éd. 

36.  Huxley.  L'Ecrevisse  (Introduction  à  la  zoologie), 
illustré.  2e  éd. 

37.  De  Roberty.  La  Sociologie.  3e  éd. 

38.  Rood.  Théorie  scientifique  des  couleurs,  ill.  2e  éd. 

39.  De  Saporta  et  Marion.  L'Evolution  du  règne 
végétal  (les  Cryptogames),  illustré. 

40-41.  Charlton  Bastian.  Le  Cerveau  et  la  Pensée 
chez  l'homme  etles  animaux,  2  vol.  illustrés.  2e  éd. 

42.  James  Sully.  Les  Illusions  des  sens  et  de  l'es- 
prit, illustré.  3e  éd. 

43.  Young.  Le  Soleil.  (Épuisé.) 

44.  De  Candolle.  Origine  des  plantes  cultivées.  4e  éd. 
45-46.  Lubbock.  Fourmis,  Abeilles  et  Guêpes.  (Ep.) 

47.  Perrier.   La    Philosophie  zoologique  avant 
Darwin.  3e  éd. 

48.  Stallo.  Matière  et  Physique  moderne.  3e  éd. 

49.  Mantegazza.  La  Physionomie  et  l'Expression 
des  sentiments,  illustré.  3e  éd. 


50.  De  Meyer.  Les  Organes  de  la  parole  et  leur 
emploi  pour  la  formation  des  sons  du  langage,  ill: 

51.  De  Lanessan.  Le  Sapin,  illustré.  2e  éd. 
52-53.  De  Saporta  et  Marion.  L'Evolution  du  règne 

végétal  (les  Phanérogames),  2  vol.  illustrés. 

54.  Trouessart.  Les  Microbes,  les  Ferments  et  les 
Moisissures,  illustré.  2e  éd. 

55.  Hartmann.  Les  Singes  anthropoïdes,  leur  orga- 
"  nisation  comparée  à  celle  de  l'homme,  illustré. 

56.  Schmidt.  Les  Mammifères  dans  leurs  rapports 
avec  leurs  ancêtres  géologiques,  illustré. 

57.  Binet  et  Féré.  Le  Magnétisme  animal,  ill.  kec.c\. 
58-59.  Romanes.  L'Intelligence  des  animaux,  2  vol. 

illustrés.  3e  éd. 

60.  Lagrange.  Physiologie  des  exercices  du  corps. 
8e  éd. 

61.  Dreyfus.  L'Evolution  desmondeset  des  sociétés. 

62.  Daubrée.  Les  Régions  invisibles  du  globe  et 
des  espaces  célestes,  illustré.  2e  éd. 

63-64.  Lubbock.   L'Homme   préhistorique,  2  vol. 
illustrés.  4e  éd. 

65.  Richet.  La  Chaleur  animale,  illustré. 

66.  Falsan.  La  Période  glaciaire.  (Epuisé.) 

67.  Beaunis.  Les  Sensations  internes. 

68.  Cartailhac.  La  France  préhistorique,  ill.  2e  éd. 

69.  Berthelot.  La  Révolution  chimique.  2e  éd. 

70.  Lubbock.  Sens  et  instincts  des  animaux,  illustré. 

71.  Starcke.  La  Famille  primitive. 

72.  Arloing.  Les  Virus,  illustré. 

73.  Topinard.  L'Homme  dans  la  nature,  illustré. 

74.  Binet  (Alf.).  Les  Altérations  de  la  personnalité. 
2e  éd.  *  ' 

75.  De  Quatrefages.  Darwin  et  ses  précurseurs 
français.  2e  éd. 

76.  André  Lefèvre.  Les  Races  et  les  Langues. 
77-78.  De  Quatrefages.  Les  Emules  de  Darwin. 

79.  Brunache.  Le  Centre  de  l'Afrique,  illustré. 

80.  Angot.  Les  Aurores  polaires,  illustré. 

81.  Jaccard.  Le  Pétrole,  l'Asphalte  et  le  Bitume,  ill, 

82.  Stanislas  Meunier.  La  Géologie  comparée,  ill. 

83.  Le  Dantec.  Théorie  nouvelle  de  la  vie,  ill.  2e  éd. 

84.  De  Lanessan.  Principes  de  colonisation. 

85.  Demoor,  Massart  et  Vandervelde.  L'Évolu- 
tion régressive,  illustré. 

86.  De  Mortillet.  Formation  de  la  nation  française, 
illustré.  2e  éd. 

87.  G.  Roche.  La  culture  des  mers,  illustré. 

88.  Costantin.  Les  végétaux  et  les  milieux  cosmi- 
ques (adaptation,  évolution),  illustré. 

89.  Le  Dantec.  L'Evolution  individuelle  et  l'hérédité. 

90.  E.  Guignet  et  E.  Garnier.  La  Céramique  an- 
cienne et  moderne,  illustré. 

91.  E.  Gellé.  L'audition  et  ses  organes,  illustré. 

92.  Stan.  Meunier.  La  Géologie  expérimentale,  ill. 

93.  Costantin.  La  Nature  tropicale,  illustré. 

94.  Grosse.  Les  débuts  de  l'art,  ittustré. 

95.  Grasset.  Les  maladies  de  l'orientation  et  de 
l'équilibre,  illustré. 

96.  Demeny.  Les  bases  scientifiques  de  l'éducation 
physique,  illustré.  2e  éd. 

97.  Malméjac.  L'eau  dans  l'alimentation. 

98.  Stanislas  Meunier.  La  géologie  générale,  ill. 

99.  Demeny.  Mécanisme  et  éducation  des  mouve- 
ments, illustré. 

100.  Bourdeau.   Hist.   de  l'habillement  et  de  la 
parure. 

101.  Mosso.  Le  corps  robuste  et  l'esprit  dispos. 


Prix  de  chaque  volume,  cartonné  à  l'anglaise  6  fr. ,  hormis  le  volume  99,  vendu  9  fr. 

ENVOI  FRANCO  CONTRE  MANDAT-POSTE  OU  VALEUR  SUR  PARIS 


6-01.  —  Coulommiers.  Imp.  Paul  BRODARD.  —  1-0-1.